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Somalie : Des enfants détenus sont exposés au risque d’abus

Il faut axer les efforts sur la réinsertion de garçons accusés de liens avec Al-Chabab et élaborer des procédures adaptées aux mineurs

(Washington) – Les autorités somaliennes détiennent illégalement des enfants soupçonnés d’avoir des liens avec le groupe islamiste armé Al-Chabab, et les traduisent parfois en justice devant des tribunaux militaires, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.


Le rapport de 85 pages, intitulé “« "It’s Like We Are Always in a Prison" : Abuses Against Boys Accused of National Security Offenses in Somalia » (« “C’est comme si nous étions toujours en prison ” : Abus à l’encontre de garçons accusés d’atteintes à la sécurité nationale en Somalie ») décrit les violations du droit à un procès équitable et d’autres abus commis depuis 2015 à l’encontre de garçons détenus par le gouvernement en raison de liens présumés avec des crimes commis par Al-Chabab. Le gouvernement fédéral de Somalie s’est engagé à remettre rapidement les garçons détenus à l’agence des Nations Unies dédiée à la protection des enfants (UNICEF), en vue de faciliter leur réinsertion. Toutefois, la réponse des autorités nationales et régionales somaliennes s’est avérée incohérente, voire parfois une violation du droit international des droits humains. Suite à la capture par le gouvernement de 36 enfants enrôlés par Al-Chabab, le 18 janvier 2018, il a fallu une semaine de négociations avec l’ONU et des acteurs de la protection de l’enfance pour définir des procédures relatives à leur traitement. 

Un gardien d’une prison à Garowe (État du Puntland), dans le nord-est de la Somalie, photographié devant la cour de cette prison en décembre 2016. Cinquante-quatre garçons, dont certains âgés d’à peine 12 ans, qui avaient été envoyés au combat par Al-Chabab au Puntland avant d’être capturés, ont passé des mois dans cette prison située loin de chez eux. Un tribunal militaire a condamné 28 de ces 54 garçons à de longues peines d’emprisonnement, purgées dans un centre de réadaptation à Garowe.  © 2016 Mohamed Abdiwahab/AFP/Getty Images

« Des enfants ayant déjà souffert sous la férule d’Al-Chabab se retrouvent exposés au risque de mauvais traitements et d’autres souffrances lors de leur détention par le gouvernement », a déclaré Laetitia Bader, chercheuse senior auprès de la division Afrique de Human Rights Watch et auteure de ce rapport. « L’approche incohérente et parfois ouvertement abusive adoptée par le gouvernement nuit aux enfants et entretient la peur et la défiance vis-à-vis des forces de sécurité. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 80 personnes, notamment des enfants ayant eu des liens par le passé avec Al-Chabab, des garçons qui ont été détenus par les services de renseignement, des avocats, des spécialistes de la protection de l’enfance et des représentants du gouvernement. L’organisation a enquêté sur les procédures judiciaires menées par les tribunaux militaires et a visité deux prisons.

Selon l’ONU, depuis 2015 et dans toute la Somalie, les autorités ont emprisonné des centaines de garçons soupçonnés d’avoir entretenu des liens illégaux avec Al-Chabab. En vertu du droit international, la Somalie a l’obligation aux termes de reconnaître la situation spécifique des enfants, c’est-à-dire toute personne de moins de 18 ans, recrutés ou utilisés dans le cadre de conflits armés – y compris les activités liées au terrorisme –, et de les aider à se réadapter et se réinsérer. Les enfants impliqués dans des groupes armés peuvent être jugés pour des crimes graves, mais les procédures judiciaires doivent respecter les normes relatives à la justice des mineurs, et il faut envisager également des mesures non-judiciaires.

Le traitement par les autorités somaliennes des affaires relatives aux enjeux de sécurité impliquant des mineurs n’a pas été cohérent, a constaté Human Rights Watch. Si des représentants du gouvernement ont reconnu par le passé avoir emprisonné des jeunes garçons considérés comme « à haut risque », Human Rights Watch a conclu que des facteurs tels que le statut socio-économique, l’origine tribale ainsi que des pressions extérieures ont pu influer sur l’issue de l’affaire pour certains jeunes garçons.

CARTE DE LA SOMALIE, montrant les zones contrôlées par des groupes armés y compris Al-Chabab, ainsi qu’une région contestée dans le nord-est du pays.

Les garçons arrêtés à l’occasion d’opérations de sécurité ont souvent été détenus par les forces du renseignement, c’est-à-dire l’Agence nationale du renseignement et de la sécurité somalienne à Mogadiscio (National Intelligence and Security Agency. NISA), ou les services de renseignement du Puntland à Bosasso (Puntland’s Intelligence Services, PIS). Ces agences du renseignement ont décidé de la façon de catégoriser les enfants, de la durée de leur détention, et ont choisi ou non de les remettre à l’UNICEF, dans les délais de leur choix. Tout contrôle indépendant des procédures d’examen et de garde à vue a été sévèrement restreint.

Des agents gouvernementaux et des gardiens ont soumis des enfants à des traitements et des interrogatoires coercitifs, en les isolant notamment de leurs proches et de toute assistance juridique, en les menaçant, et dans certains cas, en les frappant et en les torturant, principalement pour obtenir des aveux ou en guise de punition parce qu’ils s’étaient exprimés, ou pour avoir causé des troubles dans les cellules. Un jeune de 16 ans détenu pendant des mois dans un centre de la NISA en 2016 a raconté : « Ils me faisaient sortir de ma cellule en pleine nuit et faisait pression sur moi pour que j’avoue. Une nuit, ils m’ont frappé fort avec quelque chose qui ressemblait à une barre métallique. J’ai saigné pendant deux semaines, mais personne ne m’a soigné. »

Des enfants ont également raconté avoir été détenus avec des adultes dans des conditions épouvantables, pendant des jours, sans pouvoir voir leur famille. Un jeune de 15 ans emprisonné à l’occasion d’une rafle de grande ampleur en 2017, et détenu par la NISA pendant plusieurs semaines, a témoigné : « Je ne pouvais pas dormir la nuit car il n’y avait pas assez de place, et je souffrais de terribles maux de tête, mais on ne m’a donné aucun médicament. »

Si les poursuites engagées contre des enfants au pénal ne sont pas chose commune en Somalie, les autorités se servent d’un système judiciaire archaïque pour les faire juger par des tribunaux militaires, pour la plupart comme des adultes et sur des accusations d’atteintes à la sécurité, y compris le simple fait d’avoir appartenu à Al-Chabab, a constaté Human Rights Watch. Depuis 2016, plus d’une vingtaine d’enfants ont été jugés par des tribunaux militaires, rien qu’au Puntland. Les enfants sont soumis à des procédures qui ne respectent pas les normes fondamentales relatives à la justice des mineurs, avec très peu de moyens pour préparer leur défense, et le recours à des aveux extorqués par la force et admis comme preuves.

Les enfants d’abord utilisés par Al-Chabab, puis emprisonnés par les forces de sécurité du gouvernement, ont déclaré s’être sentis doublement piégés et abusés. « J’ai peur et je me sens abandonné », a déclaré un garçon âgé de 15 ans enlevé par Al-Chabab qui l’a envoyé combattre au Puntland en mars 2016, avant qu’il finisse par être capturé et condamné à dix ans de prison par un tribunal militaire. « Al-Chabab m’a obligé à faire ça, et voilà que le gouvernement m’inflige cette longue peine. »

Si les autorités fédérales et régionales ont remis plus de 250 enfants à l’UNICEF en vue de leur réinsertion depuis 2015, ce chiffre est principalement le résultat d’efforts continus de plaidoyer, et les enfants avaient souvent passé un temps considérable en détention auparavant.

Les autorités somaliennes devraient mettre fin à la détention arbitraire des enfants, autoriser un contrôle indépendant de la situation des mineurs en garde à vue, et leur garantir un accès à leur proches et à une assistance juridique. Si des enfants doivent être poursuivis pour d’autres crimes graves, ils devraient être jugés par des tribunaux civils qui garantissent l’application des protections fondamentales de la justice des mineurs, et toute sanction devrait prendre en compte les alternatives possibles à la détention, et faire de la réinsertion des enfants dans la société une priorité.

Les partenaires internationaux de la Somalie devraient faire pression pour un suivi civil des affaires impliquant des enfants, œuvrer en faveur d’un contrôle indépendant de tous les centres de détention, et appeler à enquêter sérieusement sur les abus commis contre des enfants, y compris par des agents du renseignement, a déclaré  Human Rights Watch.

« Le gouvernement somalien devrait traiter les enfants comme des victimes du conflit, et s’assurer que tous les mineurs, quels que soient les crimes qu’ils ont pu commettre, bénéficient des protections fondamentales dues à tous les enfants, » a conclu Laetitia Bader. « Les autorités à travers le pays devraient améliorer le suivi des enfants en détention, et faire de leur réinsertion une priorité dans leur approche de ces dossiers. Les partenaires internationaux devraient aider à appuyer des procédures judiciaires et autres spécifiquement conçues pour les enfants. »

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