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Somalie : Les femmes ne devraient plus vivre dans la crainte permanente d’être violées

La nouvelle équipe gouvernementale devrait mettre en œuvre un plan en cinq points pour lutter contre les violences sexuelles

(Nairobi, le 13 février 2014) – La nouvelle équipe gouvernementale en Somalie devrait adopter d'urgence des réformes visant à mettre fin au phénomène endémique des violences sexuelles, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Au cours de l'année écoulée, les femmes et les filles de Somalie ont été exposées à un risque élevé de viol et d'abus sexuels, y compris de la part de militaires gouvernementaux, dans la capitale, Mogadiscio.

« De nombreuses femmes et filles à Mogadiscio vivent en permanence dans la peur du viol », a déclaré Liesl Gerntholtz, directrice de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Les engagements pris publiquement par le gouvernement somalien ne se sont pas traduits par une amélioration de la protection des femmes et de l'aide aux victimes.»

Dans ce rapport de 72 pages, intitulé« ‘Here, Rape is Normal’: A Five-Point Plan to Curtail Sexual Violence in Somalia » (« 'Ici, le viol est normal': Un plan en cinq points pour endiguer les violences sexuelles en Somalie »), Human Rights Watch propose une feuille de route au gouvernement et à ses bailleurs de fonds internationaux pour élaborer une stratégie nationale globale visant à réduire l'incidence des viols, fournir aux victimes une assistance immédiate et développer une approche à long terme pour mettre fin à ces exactions. Le rapport met l'accent sur la nécessité d'améliorer la prévention ainsi que l'accès aux services de santé d'urgence, de mettre en œuvre des réformes dans les domaines de la justice, de la loi et de la politique, et de promouvoir l'égalité des sexes.

Dans le cadre des recherches menées pour ce rapport, Human Rights Watch a interrogé 27 femmes vivant à Mogadiscio qui ont survécu à des viols, dont des viols collectifs dans certains cas. Tous ces incidents se sont déroulés depuis août 2012, date à laquelle le nouveau Gouvernement fédéral somalien est entré en fonction.

Ces incidents se sont produits dans la région de Benadir, qui comprend Mogadiscio, une zone essentiellement sous contrôle gouvernemental où des ressources ont été investies pour améliorer la sécurité et restaurer les institutions, notamment le système judiciaire et les services de santé.

Des attaquants armés, parmi lesquels se trouvaient des membres des forces de sécurité de l'État, ont agressé sexuellement, violé, abattu et poignardé de nombreuses femmes et filles. Les femmes et les filles déplacées à l'intérieur du pays par la guerre et la famine sont particulièrement vulnérables aux abus, aussi bien dans les camps pour personnes déplacées que dans les rues quand elles se rendent au marché, ou quand elles travaillent dans les champs ou vont chercher du petit bois pour la cuisson, a souligné Human Rights Watch.

L'absence totale de justice pour les violences sexuelles demeure la norme en Somalie, a indiqué Human Rights Watch. Shamso (tous les noms cités sont des pseudonymes, pour des raisons de sécurité), âgée de 34 ans, qui a été victime d'un viol collectif dans son abri de fortune dans un camp de personnes déplacées, a décrit à Human Rights Watch le climat d'impunité généralisé qui favorise les abus: « Ils m'ont violée à tour de rôle. Ils n'étaient pas pressés parce que le camp est peuplé essentiellement de femmes qui ne sont pas une menace pour eux. Pendant l'agression, l'un d'eux m'a dit: ‘Tu peux aller raconter que c'est nous qui avons fait ça, nous ne craignons rien.»

Les Nations Unies (ONU) ont fait état de près de 800 cas de violence sexuelle et sexiste à Mogadiscio au cours des six premiers mois de 2013, mais leur nombre exact est probablement beaucoup plus élevé. De nombreuses victimes ne dénoncent pas les viols ou les agressions sexuelles qu'elles ont subies, soit parce qu'elles n'ont pas confiance envers le système judiciaire, soit parce qu'elles ignorent l'existence de services de santé et de recours en justice ou ne peuvent pas y accéder, soit parce qu'elles craignent des représailles ou la marque d'infamie qui découle souvent du viol. Lorsque Human Rights Watch a demandé à une survivante pourquoi elle n'avait pas révélé qu'elle avait été violée, elle a haussé les épaules et dit: « Le viol est fréquent en Somalie. Ici, le viol est normal.»

Selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), environ un tiers des victimes de violences sexuelles en Somalie sont des enfants de moins de 18 ans.

Bien que le gouvernement ait promis de s'occuper « de manière exhaustive » du problème des violences sexuelles et d'en faire « une priorité », ces engagements n'ont produit jusqu'à présent que très peu, voire pas du tout, de changement. Le nouveau gouvernement doit prendre d'urgence des mesures concrètes pour faire face au problème généralisé du viol, en particulier parmi les communautés déplacées, a affirmé Human Rights Watch.

La réponse du gouvernement
Début février 2014, Human Rights Watch a rencontré divers responsables gouvernementaux à Mogadiscio, dont le nouveau ministre chargé des femmes et des droits humains et des membres de la cellule politique du président, qui ont réaffirmé la détermination du gouvernement à lutter contre les violences sexuelles. En particulier, ces responsables ont indiqué qu'ils réviseraient le projet du gouvernement pour une politique nationale en matière d'égalité des sexes, afin d'y inclure des dispositions spécifiques visant à lutter contre les violences sexuelles et sexistes.

Human Rights Watch a appelé le Gouvernement fédéral de Somalie à prendre des mesures fermes afin de dissuader tous les fonctionnaires du pays, notamment les membres des forces de sécurité, de commettre des violences sexuelles, et de faire rendre des comptes à ceux qui en commettent. En toute priorité, le gouvernement devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que les victimes qui font état d'une agression sexuelle ne soient pas exposées à des représailles de la part des forces de sécurité et des services de renseignement du gouvernement, comme ce fut le cas dans trois affaires retentissantes en 2013.

« Le gouvernement somalien est confronté à un défi redoutable, du fait de l'étendue du problème des violences sexuelles et de l'ampleur des mesures nécessaires pour y faire face », a affirmé Liesl Gerntholtz. « Par conséquent, au lieu de s'en prendre aux victimes qui osent dénoncer ce qu'elles ont subi, le gouvernement devrait s'attacher à poursuivre en justice les auteurs d'abus, même s'ils sont membres des forces de sécurité.»

Après des années de conflit, les services médicaux et le système judiciaire somaliens, y compris la police et les tribunaux, sont très mal équipés pour soutenir et porter assistance aux victimes de violences sexuelles, a souligné Human Rights Watch. Il en résulte que de nombreuses femmes et jeunes filles subissent ce que l'expert indépendant de l'ONU sur les droits de l'homme en Somalie appelle une « double victimisation » – tout d'abord le viol ou l'agression sexuelle elle-même, puis l'incapacité des autorités à rendre une justice effective ou à fournir une assistance médicale et sociale.

Maryam, une mère célibataire âgée de 37 ans qui a subi un viol collectif dans son abri de fortune, est la seule victime interrogée par Human Rights Watch qui ait tenté de porter plainte auprès de la police. Mais au poste de police, les agents l'ont humiliée alors qu'elle perdait du sang du fait des blessures subies pendant le viol.

« Avant de me laisser partir, ils m'ont dit que je devais nettoyer le sol à l'endroit où j'avais saigné », a-t-elle dit. « Je me suis assise, ils m'ont donné une brosse et j'ai nettoyé par terre.»Elle n'est jamais retournée au poste de police pour le suivi de sa plainte, ni pour déclarer un second viol collectif subi trois mois plus tard.

D'autres femmes ont décrit les conséquences économiques permanentes des viols sur leurs vies et comment le gouvernement et les bailleurs de fonds pourraient les aider. « Le défi pour les femmes en Somalie, ce n'est pas seulement la violence », a déclaré Sahra, qui a été poignardée et violée en juillet alors qu'elle ramassait du petit bois pour la cuisson. « Désormais, je ne suis plus assez forte pour effectuer le travail manuel que je faisais avant d'être violée. Nous avons besoin de davantage de programmes qui nous apportent un capital nécessaire pour démarrer des activités de rechange.»

Human Rights Watch a appelé le gouvernement somalien à prendre un certain nombre de mesures essentielles.

L'organisation a notamment recommandé de déployer en nombre suffisant des agents de police compétents et bien formés, incluant des femmes, chargés d'assurer la sécurité des communautés déplacées; de faire en sorte que dans le cadre des services médicaux et sociaux, un soutien psychologique, social, économique et médical adéquat soit fourni aux femmes et aux filles qui tentent de se remettre de violences sexuelles; et de promouvoir l'égalité des sexes par l'éducation, par l'autonomisation des femmes dans les domaines politique, social et économique, et par leur participation à la vie politique.

Les défis auxquels fait face le gouvernement sont énormes et nécessiteront l'aide de la communauté internationale, a affirmé Human Rights Watch.

Les bailleurs de fonds internationaux ont encouragé le Gouvernement fédéral somalien, notamment dans le cadre du Pacte pour la Somalie adopté en septembre, à faire des droits des femmes une priorité. Les donateurs disposent d'un moyen de pression et doivent affirmer clairement qu'il est essentiel pour le développement de la Somalie que le gouvernement soutienne des mesures à la fois à court et à long terme pour lutter contre les violences sexuelles à l'égard des femmes.

« Les pays donateurs devraient pousser le gouvernement somalien à faire en sorte que la prise en compte de la détresse des victimes de viols soit au cœur de ses efforts de réforme », a conclu Liesl Gerntholtz. « Et ensuite, les bailleurs de fonds devront s'impliquer afin de favoriser la mise en œuvre effective de ces réformes ».

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