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Koweït : Les « Bidounes » apatrides toujours sans droits reconnus

Cinquante ans d'attente pour n'obtenir du gouvernement que des subsides

***Version mise à jour pour refléter le fait que Human Rights Watch a pu rencontrer des responsables du Système central d'examen du statut des résidents illégaux (« Commission sur les Bidounes ») et d'autres officiels du gouvernement juste avant la publication du rapport. Lors de ces réunions, nous avons été informés  de 11 nouveaux avantages sociaux et économiques récemment accordés aux Bidounes selon un décret ministériel et actuellement mis en vigueur, dont l'accès gratuit à des soins de santé ainsi que l'émission de certificats de naissance et de mariage. Nous n'avons pas été en mesure d'évaluer l'étendue de l'application de ce décret, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une reforme récente.

(Koweït, le 13 juin 2011) - Le Koweït n'a toujours pas honoré ses promesses, faites depuis des décennies, de s'occuper des revendications de citoyenneté présentées par plus de 106.000 résidents apatrides, les Bidounes, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié lundi.

Ce rapport de 63 pages, intitulé « Prisoners of the Past: Kuwaiti Bidun and the Burden of Statelessness », (« Prisonniers du passé: Les Bidounes koweïtiens et le fardeau du statut d'apatride ») décrit comment au Koweït, l'un des pays les plus riches du monde, les Bidounes vivent sous le niveau et hors de vue de la société normale, dans une situation vulnérable et sans protection. Beaucoup vivent dans la pauvreté. Le Koweït considère les Bidounes comme des « résidents illégaux ». Le gouvernement leur refuse des documents indispensables, comme les actes de naissance, de mariage et de décès, ainsi que l'accès aux écoles publiques gratuites et aux emplois légaux.

« Comme le reste du monde arabe, les Bidounes en ont assez et exigent des réformes que le gouvernement aurait dû faire il y a des années », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Le gouvernement a réagi à des manifestations pacifiques de Bidounes en leur promettant des réformes, mais il doit aller plus loin et aborder la question de leur revendication de citoyenneté. »

En février et mars 2011, des centaines de Bidounes ont organisé des rassemblements pour protester contre l'inaction du gouvernement devant leurs demandes de reconnaissance de citoyenneté. Le gouvernement a répondu par la promesse de nouveaux avantages, tels que le droit à des actes de naissance, de mariage et de décès, des soins médicaux gratuits et un meilleur accès au marché du travail. Si elles étaient appliquées, ces mesures constitueraient des pas en avant, estime Human Rights Watch. Mais elles laisseraient intacte la cause profonde de leur condition - leur statut de non-citoyen.

Umm Walid, une veuve bidoune âgée de 43 ans, affirme ne posséder aucun document attestant de sa relation avec son défunt mari. « [Quand] un Bidoune meurt, on n'établit pas d'acte de décès, [donc] il n'existe même pas de preuve que j'avais un mari », a-t-elle déclaré. « Nous n'avons pas [d']identité. » Basim A. a déclaré à Human Rights Watch: « [Mon fils] est né sans acte de naissance, [et est mort] sans acte de décès. »

Le statut d'apatride existe au Koweït depuis l'indépendance en 1961. Après une période lors de laquelle les Bidounes étaient dûment enregistrés, les autorités ont commencé à confier leurs demandes de citoyenneté à toute une série de commissions qui ont éludé le problème de leurs revendications tout en se réservant l'autorité de déterminer l'accès des Bidounes aux documents d'état civil et aux services sociaux. La loi koweïtienne ne permet pas aux tribunaux de statuer sur les revendications de citoyenneté.

Depuis le milieu des années 1980, le gouvernement soutient que dans leur grande majorité, les Bidounes sont des « résidents illégaux » qui ont délibérément détruit les preuves de leur autre nationalité, tout en refusant d'examiner chaque revendication individuellement. Les Bidounes non immatriculés, dont les autorités ont soit rejeté, soit refusé d'enregistrer les demandes de citoyenneté, sont encore plus vulnérables que les autres. Leur liberté de mouvement est limitée, et ils craignent en permanence d'être expulsés.

La privation de nationalité est contraire au droit international, lequel impose à chaque pays, lorsqu'il examine les demandes de nationalité, de prendre en compte les « liens authentiques et effectifs » des candidats avec le pays concerné, y compris les rapports sociaux, culturels et économiques qu'ils ont peu à peu établis. Le gouvernement koweïtien devrait créer un mécanisme opportun et transparent pour examiner les demandes de citoyenneté des Bidounes, qui respecte les critères internationaux en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Le processus devrait prendre en considération les liens anciens et historiques des Bidounes avec le Koweït et devrait inclure la possibilité de recours judiciaires.

En tant que « résidents illégaux », les Bidounes se heurtent à des obstacles pour obtenir des documents d'état civil, ce qui les empêche de bénéficier de manière régulière des services sociaux ou de vivre comme des membres à part entière de la société. Toutes les questions officielles concernant ce groupe doivent être avalisées par le Système central d'examen du statut des résidents illégaux (Central System for Resolving Illegal Residents' Status), également connu sous le nom « Commission sur les Bidounes », le dernier en date des organes administratifs chargés de traiter les revendications des Bidounes.

Human Rights Watch a interrogé 70 personnes pour ce rapport, dont 18 se présentant comme des Bidounes apatrides, ainsi que des militants locaux des droits humains et de la société civile, des avocats et des universitaires. Human Rights Watch a également rencontré des responsables du Système central d'examen du statut des résidents illégaux.

Les Bidounes interrogés ont indiqué que la Commission avait rejeté leurs démarches pour obtenir des documents officiels, en affirmant avoir des preuves qu'ils avaient une ou plusieurs autres "nationalités réelles" - preuves qu'ils n'ont été autorisés ni à voir ni à contester. Ils ont affirmé que la Commission avait rejeté leurs demandes d'actes de naissance, de mariage ou de décès, ce qui les met dans l'impossibilité de prouver juridiquement leurs liens avec les membres de leurs familles.

La loi internationale en matière de droits humains impose aux gouvernements de fournir certains documents d'état civil à tous leurs résidents, légaux ou illégaux, y compris un acte de naissance pour tout nouveau-né, et de leur accorder le droit de se marier et de fonder une famille. Le gouvernement koweïtien devrait assurer le droit des Bidounes aux documents d'état civil, parmi lesquels les actes de naissance, de mariage et de décès, et les documents de transport.

« Refuser aux Bidounes des documents d'état civil élémentaires en invoquant des preuves secrètes qu'ils seraient d'une autre nationalité est aussi arbitraire qu'injuste », a déclaré Sarah Leah Whitson. « La politique du gouvernement koweïtien consistant à rendre les Bidounes invisibles ne fait pas disparaître le problème des Bidounes, mais elle cause des souffrances à cette population vulnérable et lui donne un sentiment d'exclusion. »

Les Bidounes font également face à des violations de leurs droits sociaux et économiques, comme leurs droits à l'éducation, à la santé et au travail, selon Human Rights Watch. Le gouvernement du Koweït accorde certains subsides et a accepté le 26 mai de fournir des cartes d'alimentation donnant droit à des allocations de nourriture dans des coopératives publiques. Mais il ne reconnaît toujours pas aux Bidounes de droits ou d'avantages exécutables en justice et continue d'imposer des politiques discriminatoires à leur égard.

Alors que certains Bidounes disposent de documents d'identification de sécurité qui leur permettent d'accéder aux services destinés aux membres de ce groupe, ceux qui ne sont pas enregistrés ne possèdent même pas ces documents et craignent de sortir de chez eux car ils risquent d'être arrêtés et expulsés. Le gouvernement les exclut des systèmes de subsides qu'il fournit, y compris de certaines nouvelles réformes promises au printemps. Les Bidounes non enregistrés font face à des obstacles bien plus considérables pour accéder à l'éducation, aux soins de santé et au marché du travail.

Bien que le Koweït soit signataire de la Convention des droits de l'enfant, qui impose aux gouvernements de fournir gratuitement une éducation primaire universelle, la plupart des enfants bidounes ne peuvent pas fréquenter les écoles publiques gratuites réservées aux enfants koweïtiens. A la place, avec un peu d'aide pour acquitter les frais de scolarité, ils s'inscrivent dans des écoles privées de niveau inférieur presque exclusivement fréquentées par des Bidounes. Les enfants koweïtiens ont droit à une éducation gratuite tout au long de leur scolarité, université comprise.

Umm Abdullah, une Bidoune de 58 ans, a indiqué à Human Rights Watch que sur ses quatre petits-enfants, les deux filles ne sont pas allées à l'école, un des garçons a bénéficié d'une aide pour payer ses frais de scolarité mais pas l'autre. Des Bidounes qui sont allés à l'école ont déploré le fait qu'il n'y avait guère de possibilités pour eux d'accéder à l'éducation supérieure et à un emploi, même s'ils avaient fait une bonne scolarité.

« Notre école était très mauvaise », a déclaré Fatima A., une Bidoune de 24 ans. « Et [alors que] j'y avais obtenu de très bonnes notes (96 sur cent), par la suite je n'ai eu aucune possibilité. »

En tant que « résidents illégaux », les Bidounes ne peuvent pas légalement exercer la plupart des professions. Le gouvernement a défini un nombre très limité d'emplois auxquels ils peuvent se porter candidats. Certains Bidounes disent qu'ils ont dû se contenter d'activités informelles et aléatoires comme vendre des légumes dans la rue, réparer des voitures ou confectionner des vêtements. Ceux qui ont ouvert leur propre entreprise ont dû s'en remettre à des amis ou des parents jouissant de la nationalité koweïtienne pour faire enregistrer leur licence ou leurs biens en leur nom, puisque les Bidounes ne peuvent pas posséder de biens ou obtenir de licences professionnelles.

« Mon père a été dans l'armée koweïtienne pendant 27 ans », a déclaré Zahir, un Bidoune âgé de 50 ans, « [Mais maintenant,] aucun membre de ma famille n'a de travail. »

Les Bidounes interrogés par Human Rights Watch étaient également privés de soins médicaux accessibles ou abordables. En tant que patients indigents, certains ne pouvaient pas payer les soins qui leur étaient prescrits, tandis que d'autres ne disposaient pas des documents exigés par les hôpitaux ou les cliniques pour les prendre en charge. Le gouvernement du Koweït a récemment promis les soins médicaux gratuits aux Bidounes. Tous les citoyens koweïtiens ont droit à des soins gratuits dans les hôpitaux et cliniques publics.

Le Rapporteur spécial de l'ONU sur les droits des non-citoyens a souligné que « toute personne devrait, en vertu précisément de sa nature humaine, bénéficier de tous les droits humains », y compris le droit à l'éducation et aux soins médicaux, avec seulement quelques "exceptions acceptables" selon les normes internationales, et que la Convention d'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dont le Koweït est signataire, interdit toute discrimination fondée sur l'origine nationale ou le statut d'apatride.

« Étant donné les vastes ressources dont dispose le Koweït, il est honteux que certains enfants soient privés d'une scolarisation régulière ou que des familles soient réduites à vivre au jour le jour », a conclu Sarah Leah Whitson. « En limitant l'horizon des Bidounes à des écoles différentes, à des emplois marginaux ou illégaux et à des vies séparées, le gouvernement se livre à de la ségrégation, ce qui est un mode flagrant de discrimination. »

Contexte historique
Lors d'une opération visant à identifier et enregistrer les citoyens en prélude à l'indépendance du Koweït, de nombreuses personnes vivant à la périphérie du pays, en particulier des membres de tribus bédouines nomades, n'avaient pas accompli les procédures de demande de citoyenneté. Certaines étaient illettrées et incapables de fournir des documents prouvant la validité de leur demande aux termes de la loi du Koweït sur la nationalité, et d'autres n'avaient tout simplement pas compris l'importance que revêtirait par la suite le fait d'être reconnu comme citoyen.

Dans les années 1960 et 70, le Koweït donnait aux Bidounes un accès égal à celui de ses citoyens aux services publics et sociaux, à l'exception du droit de vote. Mais pendant la période d'instabilité politique des années 1980, alors que le pays faisait face à une série d'attentats terroristes, la politique vis-à-vis des Bidounes changea radicalement et le gouvernement leur retira l'accès aux écoles publiques, aux soins médicaux gratuits et à certains emplois publics. C'est alors que les responsables gouvernementaux commencèrent à affirmer que la grande majorité des Bidounes étaient des ressortissants de pays voisins qui avaient détruit leurs documents personnels dans l'espoir de bénéficier des avantages de la nationalité koweïtienne, et qu'ils étaient des « résidents illégaux ».

A la suite de l'invasion du Koweït par l'Irak puis de sa libération en 1991, les Bidounes se retrouvèrent face à des difficultés et des suspicions croissantes. N'étant plus considérés comme membres de la société koweïtienne à une époque où la crainte d'agents irakiens infiltrés était très élevée, beaucoup d'entre eux perdirent leur emploi dans l'armée et dans la police du pays.

En novembre 2010, les responsables du gouvernement ont promis une nouvelle initiative en vue de résoudre la situation dans les cinq ans. Et à la suite de manifestations de protestation des Bidounes en février et mars, ils ont également promis d'accorder à tous ceux qui sont enregistrés les soins médicaux gratuits, l'accès gratuit aux écoles publiques pour leurs enfants et l'amélioration de leurs perspectives d'emploi. Toutefois, aucune de ces promesses n'a encore pris force de loi.

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