(Bogotá, le 3 février 2010) - La Colombie doit prendre des mesures efficaces contre les groupes violents qui ont surgi dans tout le pays à la suite de la démobilisation incomplète des groupes paramilitaires et qui sont coupables de multiples atteintes aux droits humains, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 122 pages, intitulé «Paramilitaries' Heirs: The New Face of Violence in Colombia » («Héritiers des paramilitaires : Le nouveau visage de la violence en Colombie »), documente les exactions graves et répandues commises par les groupes qui ont succédé à la coalition paramilitaire connue sous le nom de Autodefensas Unidas de Colombia (Autodéfenses unies de Colombie, AUC). Ces groupes se rendent régulièrement coupables de massacres, de meurtres, de déplacements forcés, de viols ainsi que d'actes extorsion, créant une atmosphère lourde de menaces dans les communautés qu'ils contrôlent. Souvent, ils prennent pour cible des défenseurs des droits humains, des syndicalistes, des victimes des paramilitaires qui réclament justice, et des membres de la communauté qui n'obéissent pas à leurs ordres. Le rapport s'accompagne d'une présentation multimédia comportant des photos et des enregistrements audio de Colombiens pris pour cible par les groupes qui ont succédé aux paramilitaires.
« Quel que soit le nom que vous donniez à ces groupes - paramilitaires, gangs, ou tout autre nom - leur impact sur les droits humains en Colombie aujourd'hui ne devrait pas être minimisé », a indiqué José Miguel Vivanco, directeur de la division Amériques à Human Rights Watch. « Tout comme les paramilitaires, ces groupes qui leur ont succédé commettent des atrocités épouvantables, et ils doivent être stoppés. »
S'appuyant sur près de deux ans de recherches menées sur le terrain, le rapport décrit l'impact brutal de ces groupes sur les droits humains en Colombie, mettant en avant quatre régions où ils ont une présence considérable : la ville de Medellín, la région d'Urabá dans le département de Chocó, et les départements du Meta et du Nariño.
Ces groupes représentent une menace croissante pour les droits humains dont peut bénéficier la société colombienne. Selon les estimations les plus prudentes avancées par la Police nationale colombienne, ces groupes comptent plus de 4 000 membres répartis dans 24 des 32 départements de la Colombie. Les groupes recrutent activement de nouveaux membres, et malgré les arrestations de certains de leurs chefs, ils s'empressent de remplacer ces dirigeants et d'étendre leurs zones d'opération.
La montée en puissance de ces groupes a coïncidé avec une forte augmentation des taux nationaux de déplacement interne depuis 2004 jusqu'en 2007 voire au-delà. Une grande partie de ces déplacements se produit dans des régions où les groupes qui ont succédé aux paramilitaires sont actifs. Dans certains endroits, à Medellín par exemple, où le nombre d'homicides a presque doublé durant l'année dernière, les opérations menées par ces groupes ont entraîné une augmentation spectaculaire de la violence.
Le rapport documente de multiples exemples d'exactions commises par ces groupes, notamment les suivants :
- Alors qu'une défenseure des droits humains portait assistance à une victime des paramilitaires chez la victime à Antioquia, des membres d'un groupe se faisant appeler les « Aigles noirs » ont fait irruption dans la maison, ont violé les deux femmes et ont averti la militante qu'elle devait cesser ses activités en faveur des droits humains. Elle a dû finalement quitter la ville à cause des menaces continuelles émanant du groupe.
- Plus de 40 personnes du quartier de Pablo Escobar à Medellín ont dû abandonner leurs logements entre fin 2008 et début 2009 à la suite des meurtres et des menaces dont s'est rendu coupable un groupe armé local, en partie constitué de paramilitaires démobilisés.
- Dans le département de Nariño, près de la frontière sud du pays, la plupart des habitants de trois communautés de la municipalité côtière de Satinga ont été déplacés après que l'un des groupes issus des paramilitaires (utilisant alors le nom d'Autodefensas Campesinas de Nariño, ou Forces d'autodéfense paysannes du Nariño) estentré dans l'une des villes, tuant deux jeunes hommes et causant semble-t-il la disparition forcée d'un troisième.
L'émergence de ces groupes était prévisible, a observé Human Rights Watch, essentiellement en raison de l'incapacité du gouvernement colombien à démanteler les réseaux criminels de la coalition paramilitaire au cours du processus de démobilisation, entre 2003 et 2006. La mise en œuvre insuffisante des démobilisations par le gouvernement a également permis aux paramilitaires de recruter des civils se faisant passer pour des paramilitaires devant être démobilisés, tout en conservant certains de leurs membres en activité. Le rapport décrit, par exemple, la démobilisation du Bloc Nord, où il existe des preuves substantielles de fraudes ordonnées par le leader de l'AUC, Rodrigo Tovar (connu sous le pseudonyme de « Jorge 40 »).
Le rapport exprime aussi des préoccupations quant au fait que les activités des groupes issus des paramilitaires seraient tolérées par certains agents de l'Etat et des forces de sécurité gouvernementales. Des procureurs tout comme des officiers supérieurs de la police ont expliqué que cette tolérance constituait un véritable obstacle à leur travail. En outre, dans chacune des villes et des régions où Human Rights Watch s'est rendue, l'organisation a recueilli à maintes reprises des allégations d'une pareille tolérance de la part des forces de sécurité.
Au Nariño, par exemple, un homme s'est plaint que « les Aigles noirs nous interrogent, à vingt mètres des policiers... On ne peut pas faire confiance à l'armée ni à la police parce qu'elles sont pratiquement avec eux. » Dans la région d'Urabá, un ancien fonctionnaire a indiqué que la police d'une des villes semblait travailler avec les groupes issus des paramilitaires : « Tout ça est très évident... La police contrôle les entrées et les sorties [de la ville] et ... ils partagent les renseignements. » Dans le département du Meta, un fonctionnaire a indiqué qu'il recevait « des plaintes constantes selon lesquelles l'armée menaçait les gens, disant que ‘les Cuchillos' [‘les Couteaux', principal groupe paramilitaire de la région] allaient arriver... Dans certains cas, l'armée s'en va et les Cuchillos arrivent. »
Human Rights Watch a rappelé que le gouvernement colombien a des obligations légales de protéger les civils contre divers dangers, d'empêcher les exactions et, lorsqu'elles se produisent, de garantir que leurs auteurs soient tenus de rendre des comptes.
Toutefois le gouvernement n'a pas fait en sorte de garantir que les unités de police chargées de combattre les groupes, ou les procureurs chargés de mener les enquêtes à leur sujet, disposent de ressources suffisantes. Il a tergiversé lorsqu'il s'est agi de financer le Système d'alerte précoce du Bureau de l'Ombudsman (Médiateur), qui joue un rôle crucial dans la protection des populations civiles. Des organismes gouvernementaux ont parfois refusé leur assistance à des civils qui signalaient avoir été déplacés par des groupes armés. Le gouvernement n'a par ailleurs pas pris de mesures efficaces pour identifier les fonctionnaires qui auraient toléré ces groupes, enquêter sur leurs actes et les sanctionner.
« L'administration Uribe n'a pas traité l'essor des groupes issus des paramilitaires avec le sérieux que le problème exige », a conclu José Miguel Vivanco. « Le gouvernement a pris quelques mesures pour affronter ces groupes, mais sans fournir un effort soutenu et significatif visant à protéger les civils, mener des enquêtes sur les réseaux criminels de ces groupes, saisir leurs avoirs et traquer leurs complices. »