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Côte d’Ivoire: face à la vague de tueries, l’ONU doit renforcer ses troupes

Le gouvernement ivoirien doit poursuivre les responsables des massacres

(New York, le 3 juin 2005) — Face à la dernière vague de violences ethniques qui déferle sur la ceinture du cacao à l’ouest de la Côte d’Ivoire et qui a fait 58 morts cette semaine, le Conseil de Sécurité des Nations Unies doit de toute urgence augmenter de 2.000 hommes sa force de maintien de la paix dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch. C’est aujourd’hui que le Conseil de Sécurité discutera du mandat de la mission.

Les autorités ivoiriennes doivent prendre des mesures concrètes pour mettre un terme au cycle de violences communautaires meurtrières touchant la ville occidentale de Duékoué, qui se trouve dans la partie du pays sous contrôle gouvernemental, notamment en traduisant en justice les auteurs des tueries.

Rien que la semaine dernière, de nouveaux affrontements entre groupes locaux indigènes et travailleurs agricoles du nord et des pays voisins ont fait grimper à au moins 89 le nombre total de morts dans l’ouest de la Côte d’Ivoire depuis février. Les tensions ethniques existant dans cette région fertile productrice de cacao sont antérieures à la guerre civile entre les rebelles basés dans le nord et le gouvernement ivoirien, lequel est principalement composé d’officiers du sud et de l’ouest.

En dépit de la fin de la guerre en 2003, les tensions sont toujours aussi importantes entre les groupes indigènes de l’ouest et les travailleurs du nord et d’origine étrangère qui, depuis des décennies, travaillent dans les plantations locales de cacao. Au cours des dernières années, ces tensions ont été à la fois exploitées et exacerbées par les divisions politiques et militaires qu’a connues le pays.

Les rebelles basés dans le nord et les forces gouvernementales ne sont séparés que par la force de l’ONU composée de quelque 6.000 soldats de la paix et une force française de 4.000 hommes plus lourdement armés qui sont sous des commandements séparés. Les Nations Unies ont déclaré que cette force était trop petite pour maintenir la paix et protéger les civils. Le Conseil de Sécurité examinera une proposition visant à envoyer 2.076 soldats de la paix onusiens supplémentaires.

“Les tueries de cette semaine en Côte d’Ivoire mettent tragiquement en lumière la raison pour laquelle le Conseil de Sécurité doit renforcer sa force de maintien de la paix,” a déclaré Peter Takirambudde, directeur à la division Afrique de Human Rights Watch. “La crédibilité du gouvernement ivoirien dépendra de sa volonté de mettre fin à ces violences et de faire en sorte que les responsables de ces atrocités répondent de leurs actes.”

Au moins trois vagues de violences communautaires ont éclaté en Côte d’Ivoire au cours des quatre derniers mois. Le 28 février, une attaque menée par les milices soutenues par le gouvernement contre la ville de Logoualé, aux mains des rebelles, a déclenché des violences ethniques entre les indigènes de la tribu Wê et les travailleurs agricoles immigrés, originaires principalement du Burkina Faso, causant la mort de 16 personnes. Les violences ont également provoqué la fuite de plus de 13.000 villageois et ont laissé plusieurs villages en feu. Fin avril, plusieurs journées de combats interethniques dans les environs de Duékoué ont fait au moins 15 victimes dans les tribus indigènes guéré et les tribus dioula du nord.

La dernière vague de violences a commencé il y a une semaine lorsque des membres de la tribu des Guéré auraient tué au moins quatre fermiers de la tribu ethnique des Sénoufo, qui provient de la partie nord du pays. Le 31 mai, des hommes non identifiés ont attaqué Guitrozon et Petit Duékoué, deux villages à majorité guéré, provoquant la mort d’au moins 41 personnes, abattues, poignardées ou brûlées. Cette incursion a, à son tour, déclenché d’autres attaques contre les Dioula et les Burkinabés (originaires du Burkina Faso), dont le bilan au 1er juin s’élevait à au moins 11 morts.

“Les tensions intenses très alarmantes qui touchent la ceinture du cacao de la Côte d’Ivoire pourraient aboutir à des violences sur une grande échelle, surtout en raison de la volonté dont ont fait preuve dans le passé les dirigeants politiques et locaux d’exploiter les différences ethniques et les ressentiments économiques,” a souligné Takirambudde. “Il est grandement nécessaire d’augmenter le nombre de soldats de la paix de l’ONU. En cas d’approbation, ils doivent être immédiatement déployés dans la région occidentale vulnérable de la Côte d’Ivoire.”

La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, est, depuis septembre 2002, divisée entre les rebelles basés au nord, qui ont tenté de renverser le président ivoirien Laurent Gbagbo, et le sud qui se trouve sous contrôle gouvernemental. Duékoué, qui est contrôlée par le gouvernement, se situe juste au sud de la zone tampon où patrouille l’ONU, zone qui sépare l’armée ivoirienne et les milices pro-gouvernementales indisciplinées des rebelles des Forces Nouvelles basées dans le nord.

La région ouest de la Côte d’Ivoire, cœur de l’industrie du cacao et du café vitale pour le pays, est une zone où couve l’instabilité, laquelle si elle se déchaîne, pourrait enflammer l’ensemble de la sous-région. Pendant des dizaines d’années, des immigrés originaires du Burkina Faso, du Mali, du Niger et de Guinée ont fourni une main d’œuvre bon marché aux propriétaires terriens locaux, ce qui a permis de faire de la Côte d’Ivoire le premier producteur mondial de cacao.

Néanmoins, la concurrence à propos des droits fonciers, le déclin économique et la guerre civile de 2002-2003 ont abouti à des tensions ethniques qui n’ont cessé de croître. Résultat, tant les groupes indigènes que les paysans immigrés se sont organisés en milices et en groupes d’autodéfense, ce qui a mené à une dynamique meurtrière de représailles entre les groupes. L’ouest de la Côte d’Ivoire a connu les combats les plus intenses dans les mois qui ont suivi la rébellion de septembre 2002.

Human Rights Watch appelle le gouvernement ivoirien à mener sans délai une enquête à propos des responsables de l’organisation et de la perpétration des récentes attaques et à leur faire répondre de leurs actes au cours d’une procédure judiciaire équitable et compétente.

“Le gouvernement de Côte d’Ivoire doit montrer son engagement à combattre le cycle destructeur de violence et d’impunité ,” a déclaré Takirambudde. “Les autorités doivent mener une enquête et traduire en justice les responsables de l’organisation de ces attaques meurtrières.”

Repères

La junte militaire au pouvoir en 1999-2000 et le conflit armé entre le gouvernement et les rebelles basés au nord en 2002-2003 ont été marqués par des atrocités commises tant par les forces gouvernementales que par les rebelles, notamment des assassinats politiques, des massacres, des “disparitions” et des actes de torture. L’impunité généralisée dont jouissent toutes les forces armées, et tout particulièrement les milices pro-gouvernementales, a abouti à des incidents violents de plus en plus fréquents à l’égard des civils. Le climat politique et social est de plus en plus polarisé et marqué par l’intolérance, la xénophobie et la suspicion, soulevant des craintes quant à ce qui pourrait arriver s’il devait y avoir une reprise totale des hostilités.

Depuis le coup d'Etat militaire de 1999, la Côte d'Ivoire, qui était un modèle de stabilité socioéconomique en Afrique, s'est vue plonger dans l'une des crises les plus dures du continent. Le climat politique et social est dangereusement polarisé et marqué par l'intolérance, la xénophobie et la suspicion. La junte militaire au pouvoir en 1999-2000, la guerre civile de 2002-2003 entre le gouvernement et les rebelles basés dans le nord, ainsi que les troubles politiques et l'impasse qui s'est ensuivie ont conduit à une désintégration continue, pernicieuse et meurtrière de l'Etat de droit et à l’exploitation des différences ethniques par toutes les parties en vue d’éliminer les rivaux politiques et d’en tirer des avantages sur le plan politique.

Les efforts de médiation du Président sud-africain Thabo Mbeki ont abouti, le 6 avril, à la signature d’un accord entre toutes les parties, lequel engageait réellement toutes les forces en présence à désarmer et à œuvrer en faveur d’élections en octobre. Les progrès opérés dans la médiation parrainée par l’Union africaine avaient été lents jusqu’à la rencontre dirigée par Mbeki à Pretoria, annoncée comme l’ultime tentative pour empêcher la Côte d’Ivoire de replonger dans une guerre totale.

Les observateurs politiques restent sceptiques quant aux perspectives de mise en œuvre de l’initiative signée à Pretoria sous les auspices de l’Union africaine, étant donné que les deux accords de paix antérieurs—Linas-Marcoussis en janvier 2003 et Accra III en juillet 2004—n’ont jamais connu le moindre prélude de mise en oeuvre. La volonté de Gbagbo de suivre la proposition de Mbeki et de s’ouvrir à d’autres candidats, et par là-même d’accepter son principal rival politique, reste le problème central dont dépendront les perspectives d’une fin de la guerre ou d’une reprise des hostilités.

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