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Rwanda : Les abus à l’encontre des journalistes doivent cesser

Absence de justice pour une mort suspecte ; un détenu dénonce des actes de torture devant un tribunal

Dieudonné Niyonsenga © Privé

(Nairobi) – Les autorités rwandaises devraient libérer le journaliste Dieudonné Niyonsenga, également connu sous le nom de Cyuma Hassan, enquêter de toute urgence sur ses graves allégations de torture et veiller à ce que ses droits à la liberté d’expression, un procès équitable et à ne pas être soumis à la torture et à des mauvais traitements soient respectés, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’absence de transparence des autorités par rapport à la mort suspecte d’un journaliste d’investigation, John Williams Ntwali, il y a un an, a aggravé le piètre bilan du Rwanda en matière de liberté des médias.

« Les récits terrifiants de torture en prison et l’incapacité à rendre justice pour la mort suspecte d’un journaliste d’investigation de premier plan marquent un début d’année sombre pour les journalistes au Rwanda », a indiqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le bilan du Rwanda en matière de liberté de la presse continuera très probablement à se détériorer, à moins que le système judiciaire ne commence à agir de manière indépendante et libère les journalistes emprisonnés en violation de leur droit à la liberté d’expression, et que les autorités cessent de cibler les journalistes une bonne fois pour toutes. »

Présentant une plaie au front et apparemment visiblement affaibli, Dieudonné Niyonsenga a déclaré devant un tribunal de Kigali le 10 janvier 2024 qu’il était détenu dans un « trou » qui se remplit souvent d’eau, sans accès à la lumière, et qu’il était fréquemment passé à tabac. Il a déclaré que son ouïe et sa vue étaient devenues déficientes du fait de sa détention de trois ans dans des conditions « inhumaines » et des passages à tabac, selon le procès-verbal de l’audience et comme l’a rapporté Voice of America. Le droit international interdit strictement la détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, et les tribunaux ne devraient pas permettre que la détention se poursuive dans de telles conditions.

Dieudonné Niyonsenga, propriétaire d’Ishema TV, et son chauffeur Fidèle Komezusenge ont été arrêtés une première fois en avril 2020 après avoir couvert l’impact des mesures contre le Covid-19 sur les populations vulnérables et ont été accusés de falsifier des documents, de se faire passer pour des journalistes et d’entraver les travaux publics. Ils ont tous deux été acquittés le 12 mars 2021, mais le ministère public a fait appel du verdict et Dieudonné Niyonsenga a été arrêté à nouveau le 11 novembre 2021, après que la Haute Cour de Kigali a infirmé son acquittement. Il comparaît actuellement devant la cour d’appel après avoir demandé une révision de son procès.

Pendant sa détention, Human Rights Watch a reçu de nombreux signalements de personnes qui ont vu des blessures sur son visage et son corps et ont indiqué que Dieudonné Niyonsenga avait mentionné des passages à tabac fréquents. Bien que Dieudonné Niyonsenga et d’autres aient évoqué ce traitement devant les tribunaux, selon les informations dont dispose Human Rights Watch, les autorités judiciaires n’ont pas ordonné d’enquête sur les abus ou agi pour y mettre fin.

Dieudonné Niyonsenga et ses avocats ont également déclaré au tribunal que les autorités pénitentiaires avaient confisqué des documents relatifs à son procès. Ce n’est pas la première fois que Dieudonné Niyonsenga et d’autres prisonniers signalent une telle ingérence, qui viole les droits des détenus à un procès équitable. Selon le procès-verbal, les avocats de Niyonsenga ont déclaré à la Cour que lorsqu'ils ont soulevé cette question auprès des autorités pénitentiaires, il leur a été répondu que Niyonsenga n'avait pas le droit d'accéder à ses documents. La confiscation de documents de la défense est une pratique courante dans les affaires jugées politiquement sensibles.

La combinaison de disparitions et décès suspects avec la menace constante d’arrestation et de poursuites constitue une manière efficace de s’assurer que les journalistes au Rwanda pratiquent l’autocensure, a déclaré Human Rights Watch.

Un an après la mort suspecte de John Williams Ntwali, il n’y a pas eu de compte rendu crédible de l’accident de la route présumé qui a causé sa mort. John Williams Ntwali était l’un des rares journalistes au Rwanda à avoir couvert des sujets sensibles, notamment les conditions de détention de journalistes et détracteurs emprisonnés comme Dieudonné Niyonsenga.

Le 19 janvier 2023, la police rwandaise a déclaré que John Williams Ntwali était décédé dans un accident de la route à Kimihurura, Kigali, le 18 janvier à 2h50 et que le conducteur de la voiture impliquée dans la collision avait été arrêté. Dans les semaines qui ont suivi, les autorités rwandaises n’ont apporté aucun renseignement sur le lieu exact de l’accident présumé et n’ont communiqué aucune preuve photographique ou vidéo ni aucune information précise sur les autres personnes impliquées. Un procès expéditif a eu lieu en l’absence d’observateurs indépendants – y compris de journalistes – et le conducteur a été reconnu coupable de lésions corporelles et d’homicide involontaire.

Les raisons pour lesquelles la mort de John Williams Ntwali est suspecte sont claires. Il avait été régulièrement menacé et attaqué dans les médias pro-gouvernementaux et avait fait part de craintes pour sa sécurité à des amis, à des collègues journalistes et à des chercheurs de Human Rights Watch. Human Rights Watch a reçu des informations indiquant que John Williams Ntwali était tellement inquiet pour sa sécurité qu’il cherchait à quitter le pays.

Le manque de détails dans le verdict suggère qu’il n’y a pas eu de véritable enquête approfondie sur la mort de John Williams Ntwali, malgré l’obligation légale du Rwanda d’en mener une. Face au manque de transparence entourant le procès, des dizaines d’organisations de la société civile et d’associations de médias partout dans le monde ont réitéré l’appel lancé aux autorités rwandaises de permettre une enquête indépendante, impartiale et efficace. Une telle enquête n’a pas eu lieu.

En novembre 2021, la cour d’appel a reconnu Dieudonné Niyonsenga coupable de faux, d’usurpation d’identité, d’entrave aux travaux publics et d’« outrage envers les autorités du pays et les agents du service public ». Ce dernier chef d’inculpation, qui a été ajouté lors de la procédure d’appel, n’est plus une infraction pénale au Rwanda puisqu’il a été retiré du Code pénal de 2018 par la Cour suprême en 2019. Le verdict d’un deuxième appel a confirmé la peine de sept ans de prison, mais a annulé la condamnation pour outrage envers les autorités nationales.

Bien que le Rwanda soit partie à la Convention des Nations Unies contre la torture, la détention illégale et la torture y sont monnaie courante. Human Rights Watch reçoit régulièrement des informations crédibles de la part d’anciens prisonniers faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés dans les prisons rwandaises, y compris à la prison de Nyarugenge (Mageragere) à Kigali, où certains ont déclaré être détenus à l’isolement et passés à tabac.

En 2017, le Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture a été contraint de suspendre puis d’annuler sa visite au Rwanda, invoquant l’obstruction des autorités et la crainte de représailles contre les personnes interviewées. C’était la première fois qu’il annulait une telle visite. Le Rwanda n’a pas non plus soumis son troisième rapport périodique au Comité contre la torture, attendu depuis le 6 décembre 2021, empêchant ainsi son examen par le Comité.

Les partenaires régionaux et internationaux du Rwanda devraient appeler le Rwanda à libérer tous les journalistes et détracteurs injustement emprisonnés et veiller à ce qu’une enquête efficace soit menée pour faire lumière sur la mort de John Williams Ntwali.

En décembre 2023, le gouvernement britannique a présenté un nouveau « projet de loi sur la sécurité du Rwanda (asile et immigration) » au Parlement et a signé un traité avec le Rwanda, afin de contourner la décision de la Cour suprême du 15 novembre selon laquelle le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr vers lequel le Royaume-Uni peut envoyer des demandeurs d’asile. La Cour a attiré l’attention sur les menaces auxquelles font face des Rwandais vivant au Royaume-Uni, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les décès en détention, les disparitions forcées, la torture et les restrictions des libertés médiatiques et politiques au Rwanda.

Le 28 décembre, Human Rights Watch a soumis une analyse au Comité des accords internationaux (International Agreements Committee) du Royaume-Uni concernant l’accord du gouvernement britannique avec le Rwanda et qui détaille ses préoccupations relatives au projet de loi et au traité, ainsi qu’au projet d’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda de manière générale. La Chambre des communes du Royaume-Uni a voté en faveur du projet de loi le 17 janvier. La Chambre des lords, qui va maintenant examiner le projet de loi, devrait le rejeter entièrement et le gouvernement devrait renoncer à son accord avec le Rwanda.

« De nombreux journalistes se sentent abandonnés en raison du silence assourdissant ainsi que les tentatives d’édulcorer la réalité par les partenaires du Rwanda face aux abus », a conclu Lewis Mudge. « Si les voix locales au Rwanda ont été réduites au silence, les voix régionales et internationales doivent se faire entendre à leur place – la sécurité des autres journalistes au Rwanda en dépend. »

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