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UE : Le soutien à l’Égypte risque de se traduire par une complicité dans ses abus

Le « partenariat stratégique » avec l’Égypte ignore la répression dans ce pays et y renforce le régime autoritaire

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, aux côtés du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, lors d’une visite au Caire, le 15 juin 2022. ​© 2022 UE/Direction générale du voisinage et des négociations d'élargissement (DG NEAR)

(Bruxelles) – Les négociations de l’Union européenne sur un partenariat bilatéral renforcé avec l’Égypte risquent d’entraver la possibilité pour l’UE de faire pression sur ce pays en faveur de réformes en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, en rendant publique une lettre adressée le 6 décembre aux dirigeants de l’UE et à ses États membres ; l’Égypte traverse actuellement une double crise, au niveau économique et dans le domaine des droits humains.

Le partenariat inclura probablement un soutien politique et économique supplémentaire à l’Égypte, sans s’attaquer à certaines des causes profondes de la situation économique désastreuse que traverse le pays, notamment la répression brutale et systématique exercée par les autorités. L’UE pourrait se rendre complice de nouveaux abus si elle ne prend pas les mesures qui s’imposent pour s’assurer qu’elle ne les finance pas. Human Rights Watch a critiqué le partenariat envisagé et la réticence de longue date de l’UE à s’attaquer aux abus du gouvernement égyptien, et a exhorté l’Union à tirer parti de son prochain plan d’aide pour obtenir des améliorations structurelles au bilan catastrophique de l’Égypte en matière de droits humains.

« Les difficultés économiques de l’Égypte sont étroitement liées à la crise des droits humains dans ce pays, et ne peuvent pas être abordées séparément », a déclaré Claudio Francavilla, responsable senior chargé du plaidoyer auprès de l’UE à Human Rights Watch. « La répression généralisée, la mauvaise gestion et la corruption ont conduit l’Égypte au bord de l’effondrement économique, et risquent de se poursuivre à moins que les alliés de ce pays ne prennent au sérieux la nécessité d’y mener des réformes dans le domaine des droits humains. »

Les négociations en vue d’un « partenariat stratégique » avec l’Égypte font suite au regrettable engagement pris en juillet par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de se servir de l’accord controversé conclu entre l’UE et la Tunisie comme d’un « schéma directeur » pour toute la région. Une telle approche signifie que l’UE accordera des incitations financières aux pays méditerranéens afin d’empêcher les départs de migrants vers l’Europe, tout en fermant les yeux sur leur mauvais bilan en matière de droits humains et en renforçant les régimes autoritaires dans la région.

L’Égypte est dirigée d’une main de fer depuis le coup d’État militaire du président Abdel Fattah al-Sissi en 2013. Des milliers de personnes perçues comme des détracteurs du gouvernement ont été emprisonnées arbitrairement, souvent dans des conditions épouvantables. Le pouvoir judiciaire a été réduit à un outil qui sert la répression mise en place par le gouvernement, et l’opposition, la société civile indépendante et les médias libres ont été quasiment anéantis. Il est donc pratiquement impossible pour les Égyptiens de surveiller, de dénoncer et de critiquer la mauvaise gestion économique, la corruption et les violations des droits humains de leur gouvernement. Abdel Fatah Al-Sissi vient de décrocher un troisième mandat de six ans, à la suite d’une campagne d’arrestations, d’intimidations et d’exigences coûteuses imposées aux candidats, qui ont effectivement empêché toute véritable concurrence.

Sous le règne d’al-Sissi l’armée a renforcé son contrôle sur tous les aspects de la vie des Égyptiens. En décembre 2020 et février 2021, le gouvernement a arrêté les hommes d’affaires Safwan Thabet et Seif Thabet, apparemment parce qu’ils refusaient de céder à une société d’État les parts qu’ils détenaient dans leur entreprise. Les deux hommes ont finalement été libérés en janvier 2023. Les autorités égyptiennes n’ont pas non plus mené d’enquête crédible sur la mort suspecte d’un économiste de renom, Ayman Hadhoud, disparu de force le 5 février 2022 et décédé en détention un mois plus tard. Les forces de sécurité égyptiennes sont connues pour les tortures et autres mauvais traitements qu’elles pratiquent systématiquement, ainsi que pour leur refus de fournir en temps voulu des soins de santé adéquats aux personnes détenues.

Les politiques abusives du gouvernement ont contribué à l’aggravation de la crise économique qui, selon les analystes, fait de l’Égypte le deuxième pays, après l’Ukraine, à être le plus exposé au risque de défaut de paiement. En janvier, le Fonds monétaire international a approuvé un accord de prêt de 3 milliards de dollars des États-Unis avec l’Égypte, le quatrième depuis 2016. Si l’accord prévoit que certains efforts devront être consentis pour résoudre des problèmes structurels profondément ancrés, tels que le rôle opaque de l’armée dans l’économie ou l’inadéquation de la protection sociale, d’autres dispositions, telles que des mesures d’austérité et la vente d’actifs de l’État, risquent de porter atteinte aux droits.  

Pourtant, l’UE semble déterminée à n’insister que sur la mise en œuvre des demandes du FMI comme condition préalable à l’octroi d’un nouveau soutien direct à l’Égypte. Les droits humains continuent d’être relégués à des discussions sporadiques et largement infructueuses avec les autorités égyptiennes, qui devraient devenir encore moins productives à mesure que les autorités égyptiennes soulignent la politique du deux poids deux mesures de certaines parties de l’UE concernant la crise actuelle à Gaza.  

Le plan d’aide renforcé de l’UE, qui fait encore l’objet de négociations bilatérales avec l’Égypte et entre États membres de l’UE, devrait inclure au moins des centaines de millions d’euros d’aide directe. Il devrait également ouvrir la voie à des prêts de la Banque européenne d’investissement et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, qui pourraient se traduire par un afflux de liquidités de 9 milliards d’euros pour l’Égypte.

La question migratoire reste un élément clé de la coopération bilatérale entre l’UE et l’Égypte. L’UE a déjà approuvé une aide de 110 millions d’euros (environ 120 millions de dollars des États-Unis) pour renforcer les capacités des garde-frontières et garde-côtes égyptiens, et devrait fournir trois navires de recherche et de sauvetage à l’Égypte. D’autres fonds devraient être versés dans le cadre du nouveau plan d’aide.

Human Rights Watch a documenté les graves abus commis par les autorités égyptiennes à l’encontre des demandeurs d’asile et des réfugiés, notamment des détentions arbitraires et des abus physiques, la détention d’enfants, l’expulsion illégale de demandeurs d’asile érythréens assimilable à un refoulement, et l’incapacité à protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile vulnérables contre des violences sexuelles omniprésentes. L’Égypte a également empêché les personnes qui fuient le conflit au Soudan  d’entrer sur son territoire sans visa, ce qui a entraîné des retards dans l’accès à l’asile, qui mettent en danger la vie des personnes concernées.

L’inquiétude grandit aussi face à l’éventuel afflux massif de personnes en Égypte en provenance de Gaza, où les actions du gouvernement israélien contre la population civile de Gaza, notamment ses crimes de guerre, ont précipité une catastrophe humanitaire. Human Rights Watch a mis en garde les partenaires internationaux d’Israël et de l’Égypte contre le risque de complicité dans le crime de guerre que constitue le déplacement forcé des habitants de Gaza.

La région égyptienne du Nord-Sinaï, qui borde Gaza, est également une zone de conflit où les forces militaires et policières égyptiennes commettent des abus graves et généralisés à l’encontre des civils. Certains de ces abus, qui s’inscrivent dans le cadre d’une campagne menée contre les membres de la Province du Sinaï, la branche locale du groupe État islamique, sont assimilables à des crimes de guerre.

Toute coopération bilatérale sur les questions migratoires conclue avec l’Égypte devrait s’inscrire dans un processus approfondi de diligence raisonnable qui permette de garantir qu’aucun financement de l’UE ne contribue à des abus contre les migrants, les réfugiés ou les demandeurs d’asile. L’UE devrait d’ores et déjà faire pression sur l’Égypte pour qu’elle mette fin à sa pratique généralisée de la torture et à d’autres formes de persécution, et qu’elle veille à ce que les personnes fuyant les violations aient accès à une protection internationale.

« Renforcer le soutien aux autorités égyptiennes responsables d’abus, sans exiger de garanties en matière de droits humains, conduira sûrement à de nouvelles violations », a conclu Claudio Francavilla. « L’UE le sait pertinemment, mais est si aveuglée par son obsession de contenir à tout prix les flux migratoires qu’elle est prête à bafouer ses propres engagements en matière de droits humains, à favoriser l’oppression et à accepter d’être complice de tels abus. »

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