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Yémen

Événements de 2016

Des habitants de Sanaa, la capitale du Yémen, contemplent les décombres d’une maison détruite par un raid aérien mené par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, le 25 février 2016.

© 2016 Reuters

La campagne aérienne et terrestre menée par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite contre les forces houthistes et les forces fidèles à l’ancien Président Ali Abdullah Saleh a continué en 2016. Démarrée le 26 mars 2015 pour soutenir le gouvernement du Président Abdu Rabu Mansour Hadi, cette campagne est appuyée par les États-Unis et le Royaume-Uni.

D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), au 10 octobre, au moins 4 125 civils avaient été tués et 7 207 blessés depuis le début de la campagne, la plupart par des frappes aériennes de la coalition. 

Des dizaines de frappes aériennes menées par la coalition ont tué sans distinction ou de façon disproportionnée des milliers de civils en violation des lois de la guerre. La coalition a aussi utilisé des armes à sous-munitions, faisant l’objet d’une interdiction internationale.

Les forces houthistes et alliées ont commis de graves violations des lois de la guerre en posant des mines antipersonnel, interdites dans les traités internationaux, en maltraitant les détenus et en tirant des roquettes à l’aveugle sur des zones peuplées du Yémen et du sud de l’Arabie saoudite, tuant ainsi des centaines de civils.

Les belligérants yéménites ont entamé des pourparlers de paix au Koweït en avril, après cessation des hostilités, mais les frappes aériennes et les combats terrestres ont continué. Cette dernière série de pourparlers a pris fin en août ; les efforts consécutifs pour ramener les parties vers la négociation ont échoué et les frappes aériennes et les combats au sol par la coalition continuent.

Aucun des États prenant part au conflit n’a mené d’enquête sérieuse sur les violations présumées de leurs forces.

Frappes aériennes

Human Rights Watch a fait état de 58 frappes aériennes apparemment illégales de la coalition depuis le début de la campagne, qui ont tué presque 800 civils et touché des maisons, des marchés, des hôpitaux, des écoles, des commerces civils et des mosquées. Certaines attaques pourraient s’apparenter à des crimes de guerre, notamment les frappes aériennes sur un marché fréquenté dans le nord du Yémen le 15 mars qui ont tué 97 civils, dont 25 enfants, et une autre dirigée contre une cérémonie funéraire à Sanaa en octobre ayant tué plus de 100 civils et blessé des centaines d’autres.

Les frappes aériennes répétées menées par la coalition contre des usines et d’autres structures économiques civiles soulèvent des préoccupations graves que la coalition ait délibérément cherché à infliger des dommages à la capacité de production limitée du Yémen. Human Rights Watch a enquêté sur 18 frappes apparemment illégales, dont certaines recouraient à des armes fournies par les États-Unis ou le Royaume-Uni, contre 14 sites économiques civils. Les frappes ont tué 130 civils et en ont blessé 173 autres. À la suite des attaques, de nombreuses usines ont cessé leur production et des centaines de travailleurs ont perdu leurs moyens de subsistance.

Armes à sous-munitions

Human Rights Watch a documenté l’utilisation par la coalition d’armes à sous-munitions, interdites par des traités internationaux, dans au moins 16 attaques contre des zones peuplées, tuant et blessant de dizaines de personnes.

Human Rights Watch a identifié six types d’armes à sous-munitions larguées par avion et tirées à partir du sol à plusieurs endroits au Yémen, y compris celles produites aux États-Unis et au Brésil. Amnesty International a, en outre, enregistré l’utilisation d’armes à sous-munitions fabriquées au Royaume-Uni.

En mai, l’administration Obama a suspendu les livraisons d’armes à sous-munitions à l’Arabie saoudite après les rapports indiquant leur utilisation dans des zones civiles au Yémen. Textron, fabricant américain de CBU-105, a annoncé qu’il cesserait la production de cette arme en août.

Le Yémen, l’Arabie saoudite et les autres États de la coalition ne font pas partie de la Convention sur les armes à sous-munitions de 2008. Lors d’une réunion à Genève le 19 mai, un représentant yéménite a déclaré que le gouvernement dirigé par Abdu Rabu Mansour Hadi envisageait de ratifier la convention suite à l’utilisation de ces armes au Yémen.

Mines terrestres

Depuis le début du conflit en cours, les forces houthistes et alliées ont posé de nombreuses mines terrestres, y compris des mines antipersonnel interdites, dans les gouvernorats d’Aden, Abyan, Marib, Lahij et Taizz dans le sud et l’est du Yémen. Les mines terrestres ont tué et blessé des dizaines de civils, y compris des enfants.

Human Rights Watch a enquêté sur les cas de cinq personnes mutilées par des mines antipersonnel à Taizz depuis mars 2016, dont un homme qui essayait de rentrer chez lui avec son frère après des mois de déplacement. Les mines terrestres ont tué au moins 18 personnes et en ont blessé plus de 39 dans deux quartiers du gouvernorat de Taizz entre mai 2015 et avril 2016, d’après une organisation non gouvernementale (ONG) locale. Des professionnels de santé et des Yéménites chargés de déminage ont indiqué à Human Rights Watch que le nombre réel de victimes des mines était probablement beaucoup plus élevé. En juin, un médecin a annoncé qu’il avait traité 50 personnes à Taizz depuis avril, dont un ou plusieurs des membres avaient été amputés, d’après lui suite à des blessures par mines terrestres.

Le Yémen souffre d’une pénurie de personnel équipé et formé pouvant sonder et déminer systématiquement les mines et les restes d’explosifs de guerre.

Attaques menées sans discernement

Avant la campagne aérienne de la coalition et depuis son commencement, les forces houthistes et alliées ont utilisé des roquettes d’artillerie lors d’attaques menées sans discernement contre les villes d’Aden, Taizz, Lahj et al-Dale’a dans le sud du pays.

Depuis mars 2015, Human Rights Watch a documenté sept attaques menées sans discernement par les forces houthistes et alliées à Aden et Taizz, qui ont tué 139 personnes, dont au moins 8 enfants.

 Les bombardements par les Comités populaires affiliés aux houthistes et par les unités militaires fidèles à l’ancien Président Saleh ont causé la mort de 475 civils et en ont blessé 1 121 entre le 1er juillet 2015 et le 30 juin 2016, d’après l’ONU.

Les houthistes ont aussi tiré des roquettes d’artillerie sur les régions de Najran et de Jazan dans le sud de l’Arabie saoudite. D’après un communiqué de Reuters, les autorités saoudiennes ont déclaré que 29 civils avaient été tués et 300 avaient été blessés à Najran en août à cause du bombardement transfrontalier uniquement.

Attaques contre les professionnels de santé et restrictions de l’accès humanitaire

Human Rights Watch a documenté de nombreuses frappes aériennes ayant atteint ou endommagé illégalement des installations médicales au Yémen. Le 15 août 2016, une frappe aérienne de la coalition menée par l’Arabie saoudite a touché un hôpital financé par Médecins sans frontières (MSF) à Hajja, causant la mort de 19 personnes et constituant la 4e attaque contre un établissement de MSF. Après cette frappe, l’organisation a retiré son personnel de six hôpitaux au nord du Yémen.

Les forces houthistes et alliées engagées dans des opérations militaires autour d’Aden, Taizz et dans d’autres régions ont à plusieurs reprises exposé des hôpitaux, des patients et du personnel de santé à des risques injustifiés.

Selon le HCDH, en 2016, plus de 600 établissements de santé ont été fermés à cause des dommages causés par le conflit, par la pénurie de fournitures critiques et par le manque de professionnels de santé.

Plus de 80 % de la population totale du pays (20 millions d’habitants) nécessitent une assistance humanitaire. Les parties au conflit ont continué d’entraver ou de restreindre l’approvisionnement des civils en denrées de secours critiques.

Les forces houthistes et alliées ont confisqué de la nourriture et des fournitures médicales aux civils entrant dans Taizz et ont empêché l’assistance humanitaire d’accéder à la ville, contribuant au quasi-effondrement du système de santé.

La coalition a imposé un blocus naval au Yémen, limitant l’importation de denrées vitales comme le fioul, requis en urgence pour alimenter les générateurs des hôpitaux et pour pomper l’eau dans les résidences civiles. En août 2016, la coalition a suspendu tous les vols commerciaux vers Sanaa. Cette action « a de graves conséquences pour les patients nécessitant des traitements médicaux urgents à l’étranger », d’après l’ONU.

Des travailleurs humanitaires ont été enlevés, détenus illégalement et tués alors qu’ils étaient engagés dans des opérations humanitaires au Yémen. Les agences d’aide humanitaire se voient souvent refuser l’accès aux zones contrôlées par les forces houthistes et affiliées avec Ali Abdallah Saleh.

Impact du conflit armé sur les enfants

Parmi les violations répétées contre les enfants commises par les parties au conflit, Human Rights Watch a documenté 58 frappes aériennes apparemment illégales menées par la coalition qui ont tué au moins 192 enfants, et plusieurs autres ayant frappé ou endommagé des écoles. Les houthistes ont également mis en danger des écoles et recruté des enfants soldats.

Le Secrétaire général des Nations Unies a inclus les houthistes, les forces du gouvernement, les milices progouvernementales, Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) et, pour la première fois, la coalition menée par l’Arabie saoudite dans sa « liste de la honte » des violations graves commises contre des enfants en temps de conflit armé.

D’après le rapport, la coalition est responsable de 60 % des 785 enfants tués et des 1 168 enfants blessés, et de près de la moitié des 101 attaques contre des écoles et des hôpitaux.

Les forces houthistes, gouvernementales et progouvernementales ainsi que d’autres groupes armés ont eu recours à des enfants soldats, qui représentaient, selon les estimations, un tiers des combattants au Yémen. L’ONU a constaté que 72 % des 762 cas avérés de recrutement d’enfants en 2015 étaient attribuables aux houthistes, soit cinq fois plus d’enfants recrutés et une évolution vers le recrutement forcé ou involontaire.

Le droit yéménite fixe l’âge minimum pour servir dans l’armée à 18 ans. En 2014, le gouvernement yéménite a signé un plan d’action de l’ONU pour mettre fin au recrutement d’enfants soldats. En l’absence d’un gouvernement efficace, ce plan d’action n’a pas encore été mis en œuvre.

Le 6 juin 2016, le bureau du Secrétaire général de l’ONU a annoncé une revision de sa « liste de la honte », en en retirant la coalition menée par l’Arabie saoudite « dans l’attente des conclusions d’[un] examen joint » des cas inclus dans le texte du rapport. Cette décision a été annoncée après que le gouvernement saoudien a apparemment menacé d’arrêter de financer des programmes de l’ONU, ce qui aurait pu mettre en danger les enfants dépendant de ces programmes.

Les États-Unis ont placé de nouveau le Yémen sur leur liste de pays auxquels les ventes d’armes sont restreintes en vertu de la Loi sur la prévention des enfants soldats des États-Unis, bien que le Président Barack Obama ait accordé au Secrétaire d’État John Kerry le pouvoir de relancer l’aide au Yémen qui devrait être interdite par cette loi.

Terrorisme et lutte anti-terroriste

L’AQPA et les milices fidèles à l’État islamique ont revendiqué de nombreux attentats-suicide et autres attaques à la bombe qui ont causé la mort de dizaines de civils.

Les États-Unis ont continué leurs attaques de drones contre des militants présumés d’AQPA et ont commencé à publier des données relatives aux attaques. En novembre, les États-Unis ont signalé avoir mené 28 attaques de drones au Yémen, tuant au moins 80 personnes décrites comme des agents de l’AQPA. Le Bureau of Investigative Journalism, organisation de presse consacrée au journalisme d’investigation, a rapporté que les États-Unis avaient probablement effectué 11 attaques de plus sur la même période.

Détention arbitraire, torture et disparitions forcées

Après avoir pris le contrôle de Sanaa, la capitale, fin 2014, les forces houthistes et alliées ont réprimé toute opposition. Les autorités houthistes ont fait fermer des dizaines d’ONG et interdit des défenseurs des droits de voyager. En mars, des représentants houthistes ont confisqué le passeport de l’éminent militant pour les droits, Abdulrasheed al-Faqih ; il s’agit de la deuxième interdiction de voyage de ce genre que les houthistes ont imposée à un défenseur des droits. En novembre, le passeport d’Abdulrasheed al-Faqih n’avait toujours pas été rendu.

Les forces houthistes et alliées ont procédé à des disparitions forcées, torturé des détenus et détenu arbitrairement de nombreux activistes, journalistes, chefs de tribu et opposants politiques. Depuis août 2014, Human Rights Watch a documenté la détention arbitraire ou abusive d’au moins 61 personnes par les autorités basées à Sanaa. En 2016, Human Rights Watch a fait état de deux morts en garde à vue et de 11 cas d’allégations de torture ou d’autre mauvais traitement, y compris l’abus d’un enfant.

Droits des femmes, orientation sexuelle et identité de genre

Les femmes yéménites subissent une grave discrimination tant sur le plan juridique qu’en pratique. Elles ne peuvent pas se marier sans l’autorisation de leurs tuteurs masculins et elles n’ont pas les mêmes droits en matière de divorce, de succession ou de garde parentale. De plus, l’absence de protection juridique les expose à des actes de violence conjugale et sexuelle. En l’absence d’un gouvernement fonctionnel, le projet de nouvelle constitution est resté lettre morte. Ce projet contenait des dispositions claires et explicites pour garantir l’égalité hommes/femmes, interdire la discrimination basée sur le genre, et une proposition de loi sur les droits des enfants qui criminaliserait le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines. D’après l’UNFPA, le nombre de mariages forcés a augmenté pendant le conflit en cours.

Selon le Code pénal de 1994, les relations homosexuelles sont punies par la loi par des peines allant de 100 coups de fouet à la lapidation.

Obligation de rendre des comptes devant la justice

Aucun des belligérants n’a effectué d’enquêtes crédibles sur les allégations de violations des lois de la guerre commises par leurs forces au Yémen.

L’équipe d’évaluation conjointe des incidents (JIAT, Joint Incidents Assessment Team) désignée par la coalition a apporté ses conclusions aux enquêtes initiales sur neuf attaques supposées illégales. Les résultats du JIAT différaient grandement de ceux de l’ONU, de Human Rights Watch et d’autres ayant répertoriés certaines de ces attaques. Le JIAT n’a pas publié de rapports d’enquête complets ni d’informations détaillées sur leurs membres, leur méthodologie, notamment sur la façon dont ils déterminent les attaques sur lesquelles enquêter, ou s’ils ont le pouvoir ou non de veiller à la poursuite judiciaire des personnes responsables des crimes de guerre présumés.

On ne sait pas si les États-Unis ont mené des enquêtes sur les attaques supposées illégales auxquelles leurs forces pourraient avoir participé.

En août, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a recommandé l’établissement d’un mécanisme indépendant et international pour enquêter sur les abus présumés commis par toutes les parties au Yémen, car il trouvait que la commission nationale yéménite d’enquête soutenue par la coalition n’avait « pas été capable de mettre en œuvre son mandat dans le respect des standards internationaux ». En septembre, trois commissions parlementaires britanniques ont demandé au Royaume-Uni de soutenir une enquête internationale indépendante « de toute urgence ».

Le même mois, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution prévoyant deux procédés d’enquête complémentaires, par le biais de l’HCDH lui-même, renforcé par l’attribution d’experts en droits humains supplémentaires, et par le biais de la Commission nationale d’enquête yéménite avec le soutien de l’HCDH.

Principaux acteurs internationaux

Les États-Unis ont été une partie au conflit dès les premiers mois des combats, offrant des renseignements sur le ciblage et du ravitaillement en vol. En mai, les États-Unis ont déclaré avoir déployé plusieurs troupes au Yémen afin d’aider les Émirats arabes unis et dans le cadre de leur propre campagne contre l’AQPA. En octobre, les États-Unis ont répondu aux lancements de missile houthistes contre des navires de guerre américains, opérations niées ultérieurement par les houthistes, par de multiples frappes contre les sites radar houthistes.

Le Royaume-Uni a « fourni un soutien technique, des armes guidées de précision, et a échangé des informations avec les forces armées saoudiennes », a déclaré le ministre de la Défense britannique. Le Royaume-Uni est en charge de la rédaction de tous les projets de résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies concernant le Yémen. Le Conseil de sécurité a adopté des résolutions relatives à la crise au Yémen en février et en avril 2015.

Les gouvernements étrangers ont continué de vendre des armes à l’Arabie saoudite en dépit des preuves grandissantes que la coalition commettait des frappes aériennes illégales. Les législateurs américains et britanniques, dont les gouvernements ont approuvé respectivement plus de 20 milliards de dollars US et 4 milliards de dollars US de ventes d’armes à l’Arabie saoudite en 2015 uniquement, ont de plus en plus remis en question la poursuite de ces ventes. Human Rights Watch a demandé à l’ensemble des pays vendant des armes à l’Arabie saoudite de suspendre ces ventes jusqu’à ce qu’elle cesse ses frappes aériennes illégales au Yémen et enquête de manière crédible sur les violations présumées.

Le 25 février, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini d’« œuvrer pour imposer un embargo européen sur les armes à l’Arabie saoudite » compte tenu de sa conduite au Yémen.