Bien qu’il restait de la latitude, au Maroc, pour les discours d’opposition – tant que la monarchie et autres « lignes rouges » restaient à l’abri des critiques virulentes – les autorités ont continué à cibler certains détracteurs en particulier, à les traduire en justice, à les emprisonner et à les harceler. Elles ont aussi continué de faire appliquer des lois répressives, notamment vis-à-vis des libertés individuelles.
Liberté de réunion, violences policières et système pénal
Le 6 avril, la Cour d’appel de Casablanca a confirmé les verdicts prononcés en première instance contre des leaders du « Hirak » dans la région du Rif au Maroc. En juin 2018, ces derniers avaient été condamnés à des peines de prison allant jusqu’à vingt ans, et ce principalement sur la base de déclarations qu’ils affirment avoir faites sous la torture, dans des locaux de police.
Le Hirak, mouvement de protestation né dans la région du Rif en 2016, a organisé plusieurs grandes manifestations pacifiques afin de lutter pour de meilleures conditions socioéconomiques, jusqu’à ce qu’une vague de répression policière en mai 2017 conduise à l’arrestation de plus de 450 activistes, dont une cinquantaine de leaders, qui seront par la suite jugés à Casablanca, dans un procès collectif qui durera plus d’un an.
Depuis la confirmation des verdicts, les leaders du Hirak sont détenus dans différentes prisons marocaines. Plusieurs d’entre eux ont observé des grèves de la faim pour dénoncer ce qu’ils estiment être un procès politique.
Selon le code de procédure pénale, un accusé a le droit de contacter un avocat au bout de 24 heures de garde à vue, laquelle peut être prolongée jusqu’à 36 heures. Cependant, les détenus n’ont pas le droit à la présence d’un avocat lors de leur interrogatoire par la police, ou lors de la signature de leur déclaration.
Liberté d’association
Le 16 avril, la Cour d’appel de Casablanca a confirmé la dissolution de l’association culturelle Racines, quatre mois après qu’un tribunal de première instance en ait donné l’ordre. Ce verdict clôturait un procès intenté par le gouverneur de Casablanca à l’association, au motif qu’elle avait « organisé une activité incluant des interviews parsemées d'outrages évidents aux institutions ». À l’origine de la plainte : en août 2018, Racines avait prêté ses bureaux de Casablanca pour l'enregistrement d’une émission diffusée sur YouTube, au cours de laquelle des invités avaient critiqué les discours et les politiques du roi Mohammed VI.
Les autorités ont régulièrement empêché la tenue d’activités organisées par des sections locales de l’Association marocaine des droits humains (AMDH,) en leur refusant l’accès aux locaux prévus pour abriter ces activités. À au moins cinq reprises en 2019, notamment à Azrou, Tiznit et Benslimane, les autorités ont bloqué l’entrée de centres communautaires et autres salles de réunion où devaient se tenir des événements de l’AMDH.
Selon l’AMDH, en septembre 2019, les autorités avaient refusé de procéder aux formalités administratives de 62 parmi ses 99 sections locales, les empêchant ainsi de mener des activités basiques telles que l’ouverture d’un nouveau compte bancaire ou la location d’une salle.
Liberté d’expression
Bien qu’un nouveau Code de la presse et de l’édition expurgé des peines de prison ait été adopté par le Parlement en juillet 2016, le Code pénal prévoit toujours de la prison pour des « délits d’expression » non violente, dont le fait de « porte[r] atteinte » à l’Islam ou à la monarchie, ou encore d’« incite[r] à porter atteinte à l'intégrité territoriale » du Maroc, en référence à la revendication marocaine sur le Sahara occidental.
Arrêtée le 31 août par la police, Hajar Raissouni, une journaliste de 28 ans, a été condamnée le 30 septembre par un tribunal de Rabat à un an de prison pour avortement et relations sexuelles hors mariage. Un procureur a divulgué des détails personnels sur sa vie sexuelle et reproductive, et un juge a refusé de la placer en liberté provisoire en attendant son procès.
Le tribunal a condamné le fiancé de Raissouni, Rifaat Al-Amin, à un an d’emprisonnement. Le médecin accusé d’avoir pratiqué l’avortement s’est vu infliger une peine de deux ans de prison. Un assistant médical et une secrétaire ont quant à eux écopé de peines avec sursis pour avoir participé à l’intervention. Tous ont nié les accusations. Raissouni, Al-Amin et le médecin ont été libérés le 16 octobre après une grâce royale. Cette affaire était probablement motivée par l’appartenance de Raissouni à une famille de dissidents, ainsi qu’à la rédaction d’Akhbar Al Yaoum, un quotidien qui s’est souvent vu attaquer par les autorités pour ses articles et reportages indépendants.
Le 6 avril, une cour d’appel a maintenu la peine de trois ans de prison prononcée contre le journaliste indépendant Hamid El Mahdaoui pour non-dénonciation d’une menace contre la sécurité de l’État. Le verdict reposait sur l’appel téléphonique donné, en mai 2017, à El Mahdaoui par un homme qui prétendait vouloir déclencher un conflit armé au Maroc. Le tribunal a récusé la ligne de défense du journaliste, selon laquelle il avait conclu que les déclarations de cet homme, qu’il ne connaissait pas, étaient un discours creux qui ne justifiait pas d'alerter les autorités. Cette condamnation n’est que la dernière d’une longue liste d’attaques des autorités contre El Mahdaoui.
Le 11 février, la cour d’appel de Tétouan a condamné Soufian al-Nguad, 29 ans, à un an de prison pour « incitation à la rébellion » après sa publication d’un post sur Facebook encourageant à manifester contre la mort de Hayat Belkacem. En septembre 2018, cette marocaine de 20 ans avait été tuée quand des garde-côtes ont ouvert le feu sur une embarcation dans laquelle elle se trouvait, et qui tentait apparemment de traverser le détroit de Gibraltar pour conduire des migrants clandestins en Europe. Un tribunal de première instance avait condamné al-Nguad à deux ans de prison. Bien que les autorités se soient engagées à enquêter sur le décès de Belkacem, leurs conclusions n’avaient toujours pas été divulguées plus d’un an plus tard, au moment de la rédaction du présent rapport.
Sahara occidental
Le processus de négociation, sous l'égide des Nations Unies, entre le Maroc et le Front Polisario en vue de l'autodétermination du Sahara occidental — dont l’essentiel du territoire se trouve de facto sous contrôle marocain — est resté au point mort après la démission en mai de Horst Köhler, envoyé du Secrétaire général de l'ONU. À l’heure où s’écrit ce rapport, aucun remplaçant n’a été désigné. Le Maroc propose un plan d’autonomie sous son égide mais rejette tout référendum sur l'indépendance.
Au Sahara occidental, les autorités marocaines empêchent systématiquement les rassemblements en faveur de l'autodétermination du peuple sahraoui, et font obstruction au travail de certaines ONG locales de défense des droits humains, en bloquant notamment leur enregistrement légal. Elles ont aussi parfois battu des activistes et des journalistes, en détention ou dans les rues.
En 2019, 23 Sahraouis demeuraient en prison après leur condamnation à l’issue de procès iniques en 2013 et 2017 pour le meurtre de 11 membres des forces de sécurité lors d'affrontements ayant éclaté après le démantèlement forcé par les autorités d'un vaste camp de manifestants à Gdeim Izik, au Sahara occidental, en 2010. Les deux tribunaux s’étaient fondés presqu’entièrement sur les aveux des accusés à la police, sans enquêter sérieusement sur le fait que les accusés avaient renié ces aveux, selon eux obtenus sous la torture.
En février, les autorités ont permis à Claude Mangin, une militante pour les droits du peuple sahraoui et l’épouse française du détenu Naama Asfari, membre du groupe de Gdeim Izik, d’entrer sur le territoire marocain pour la première fois depuis 30 mois pour rendre visite à son mari. Elle a toutefois été de nouveau interdite d’accès en juillet.
Le 8 juillet, à El-Ayoun, au Sahara occidental, un tribunal a condamné Nezha Khalidi, membre d’Équipe Media, un collectif d’activistes médiatiques qui défend l’autodétermination du Sahara occidental, à une amende pour pratique du journalisme sans accréditation officielle. La police l’avait arrêtée alors qu’elle diffusait en direct une scène de rue pour dénoncer la « répression » marocaine.
Réfugiés
Le gouvernement n’a pas encore adopté le projet de loi sur le droit d'asile, appelé à être le premier du genre au Maroc. En juin 2019, le ministère des Affaires étrangères avait délivré (ou lancé le processus administratif pour délivrer) des cartes de réfugiés, des permis de résidence spéciaux ainsi que des permis de travail à 803 personnes, d’origine sub-saharienne pour la plupart, reconnues comme réfugiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). D’après le bureau local du HCR, l’ensemble des 6 244 réfugiés reconnus par le HCR au Maroc depuis 2007 ont accès aux services publics d’éducation et de santé, et la plupart disposent de permis de résidence et de permis de travail réguliers.
Droits des femmes et des filles
Le Code de la famille contient des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, en matière de succession et de procédures de divorce. Il fixe à 18 ans l’âge minimum du mariage, mais permet aux juges d’accorder une « dérogation » pour marier des jeunes filles de 15 à 18 ans lorsque leur famille le demande. 40 000 dérogations de ce genre ont été accordées en 2018, soit près de 20 % des mariages enregistrés cette année-là – une augmentation que le précédent ministre de la Justice Mohamed Aujjar a qualifié d’« alarmante ».
Une loi sur les violences faites aux femmes érige en crime certaines formes de violence domestique et établit des mesures de prévention, mais elle n’énonce pas les obligations de la police, des procureurs et des juges d’instruction dans les affaires de violence conjugale, ni ne finance des centres d’hébergement pour femmes victimes de violences.
Au Maroc, l’avortement est prohibé, ce qui met en danger les droits des femmes, y compris le droit à la vie, le droit à la santé, le droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit au respect de la vie privée. D’après l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin, 600 à 800 avortements ont lieu chaque jour au Maroc, les deux tiers environ étant pratiqués par des médecins diplômés.
Travailleuses et travailleurs domestiques
Une loi entrée en vigueur en 2018 offre aux travailleuses et travailleurs domestiques des protections sur le plan du travail. Elle exige des contrats de travail, fixe un âge minimum pour ce type d’emploi, limite les heures de travail hebdomadaires, garantit des jours de congé, et fixe un salaire minimum. Elle prévoit des sanctions financières pour les employeurs qui ne respectent pas la loi, et des peines de prison pour les récidivistes. Cependant, les autorités n’ont pas déployé suffisamment d’efforts pour communiquer de manière visible sur cette loi et la faire connaître au grand public, y compris aux travailleuses et travailleurs domestiques, et à leurs employeurs.
Droit au respect de la vie privée, orientation sexuelle et identité de genre
Dans un rapport publié en juin, le bureau du Procureur général a indiqué que, affaires de prostitution mises à part, 17 721 adultes avaient été poursuivis en 2018 au Maroc pour relations sexuelles hors mariage. Parmi eux, 3 048 ont été poursuivis pour adultère, 170 pour homosexualité, et tous les autres pour relations sexuelles entre personnes non mariées.
Au Maroc, les relations sexuelles consenties entre adultes non mariés sont punies d’une peine de prison allant jusqu’à un an ; deux ans si l’un des protagonistes est marié à une tierce personne. L’article 489 du code pénal prévoit six mois à trois ans de prison pour « acte impudique ou contre nature avec un individu [du même] sexe ».
Principaux acteurs internationaux
Afin d’appliquer des arrêts de la Cour européenne de justice déclarant que les accords commerciaux entre l’UE et le Maroc ne peuvent s’appliquer au Sahara occidental qu’avec le « consentement de son peuple », la Commission et le Parlement européens ont mené des consultations avec certains membres de la population sahraouie. Le Front Polisario a refusé d’y participer.
En janvier et février, déclarant avoir pris « toutes les mesures possibles et raisonnables » pour s’assurer du consentement de la population concernée, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont approuvé les accords commerciaux avec le Maroc, ouvrant ainsi la voie à l’exploitation des ressources agricoles et piscicoles du Sahara occidental. En avril, le Front Polisario a attaqué ces décisions auprès de la Cour européenne de justice.
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