La situation des droits humains au Mali s’est dégradée en 2019, des centaines de civils ayant été tués par des groupes d’autodéfense ethniques lors de nombreux incidents, dans la plupart des cas en raison de leur prétendu soutien aux groupes islamistes, et lors d’attaques lancées par les islamistes dans les régions du nord et du centre du pays. Ces groupes, liés à Al-Qaïda et à l’État islamique, ont ciblé les services de sécurité maliens, les agents chargés du maintien de la paix, les forces internationales et, de plus en plus, les civils. Les forces de sécurité maliennes ont soumis de nombreux suspects à de graves formes de mauvais traitements, et plusieurs sont morts en détention ou ont fait l’objet d’une disparition forcée.
L’aggravation de la situation sécuritaire dans le pays a provoqué une crise politique et des retards dans le processus de révision constitutionnelle ainsi que dans la tenue des élections législatives. Le processus de paix envisagé pour mettre fin à la crise de 2012-2013 dans le Nord n’a guère progressé, notamment en termes de désarmement et de rétablissement de l’autorité de l’État.
En 2019, plus de 85 000 civils ont fui leur domicile à cause de la violence. Des agences humanitaires ont été attaquées, dans la plupart des cas par des bandits, ce qui a nui à leur capacité à apporter une aide. Le banditisme généralisé a continué de mettre à mal les moyens de subsistance, et les mouvements de contestation contre le gouvernement au sujet de la corruption se sont poursuivis.
Peu de progrès ont été réalisés en termes de justice rendue aux victimes d’exactions, et les institutions chargées du respect de l’État de droit sont restées inefficaces. Le nouveau ministre de la Justice a amélioré les conditions de détention et s’est engagé à s’atteler en priorité à la lutte contre l’impunité. Le système de justice militaire a quelque peu progressé, des enquêtes ayant été menées sur certains cas parmi les dizaines de précédentes exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces de l’armée.
Les atrocités contre les civils et la détérioration de la situation sécuritaire au Sahel ont suscité une forte attention de la part des partenaires internationaux du Mali, notamment des Nations Unies, de la France, de l’Allemagne, de l’Union européenne et des États-Unis. Ces acteurs ont régulièrement dénoncé les atrocités dans des déclarations publiques, mais leurs appels au respect de l’obligation de rendre des comptes ont été irréguliers.
Violence communautaire
En 2019, au moins 400 civils ont été tués lors d’incidents de violence communautaire dans le centre et le nord du Mali. Cette violence a vu s’opposer des groupes d’auto-défense répondant à des critiques ethniques similaires à des communautés ethniques principalement peules ou fulani accusées de soutenir les groupes armés islamistes.
Dans le centre du Mali, les attaques les plus meurtrières ont été commises par des miliciens dogons, y compris la pire des atrocités jamais commise dans l’histoire récente du Mali, lorsqu’au moins 150 civils ont été massacrés le 23 mars dans le village d’Ogossagou ; une attaque le 1er janvier contre le village de Koulogon qui a conduit à la mort de 37 civils ; et des attaques en juin dans les villages de Bologo et de Saran qui ont fait plus de vingt morts. Après le massacre d’Ogossagou, le gouvernement s’est engagé à désarmer et dissoudre la milice impliquée, mais il n’a pas tenu cet engagement. Des miliciens peuls ont été impliqués dans le massacre de 35 civils dogons le 9 juin dans le village de Sobane-da.
Des dizaines de fermiers, d’éleveurs et de commerçants ont été tués par différentes milices ethniques lors de meurtres de représailles alors qu’ils s’occupaient de leurs champs ou de leurs bêtes ou qu’ils se rendaient au marché, provoquant des déplacements généralisés et une crise alimentaire.
Exactions commises par des groupes armés islamistes
Les attaques lancées par des islamistes armés alliés à Al-Qaïda, et dans une moindre mesure l’État islamique au Sahel affilié, ont tué plus de 150 civils, ainsi que des dizaines de membres des forces gouvernementales et au moins 16 agents de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dont l’attaque du 20 janvier lancée contre la base de l’ONU à Aguelhok qui a fait 11 morts parmi les Casques bleus tchadiens.
Des islamistes armés ont massacré de nombreux civils, y compris dans la région de Menaka, et au moins 38 dans les villages de Yoro et de Gangafani II près de la frontière avec le Burkina Faso. Dans plusieurs cas, ils ont expulsé des hommes des véhicules de transport public au bord desquels ils se trouvaient et les ont tués, notamment autour des villes de Sévaré et de Bandiagara.
Plus d’une cinquantaine de civils ont été tués par des engins explosifs improvisés plantés sur les routes, notamment dans le centre du Mali. Le 3 septembre, une explosion a tué 14 passagers d’un autobus près de Dallah, et en juin, une attaque près de Yoro a fait 11 morts. Des islamistes armés ont planté des explosifs sur le corps de membres des forces de sécurité ainsi que sur la dépouille d’un civil, en février, qui a explosé lors de ses funérailles, faisant 17 morts.
Les islamistes armés ont continué de menacer, voire de tuer, des chefs locaux dont ils estimaient qu’ils avaient collaboré avec le gouvernement et ont parfois tué ceux qui se livraient à des pratiques culturelles qu’ils avaient interdites. Ils ont aussi imposé leur version de la charia (droit musulman) en instaurant des tribunaux qui ne respectent pas les normes requises en matière de procédure équitable.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État
Depuis la fin 2018, de nombreux hommes détenus par les forces de sécurité lors d’opérations de lutte contre le terrorisme ont été soumis à des disparitions forcées ; cinq auraient été exécutés ou seraient morts en détention, et des dizaines d’autres ont subi des sévices graves lors de leur détention. De nombreux hommes accusés de délits relatifs au terrorisme ont été détenus par l’agence nationale du renseignement dans des centres de détention non agréés et sans respecter les normes requises en matière de procédure équitable.
Les enquêtes militaires sur l’allégation d’exécution extrajudiciaire de près de 50 suspects à Diourra, Boulikessi et Nantaka en 2018 ont avancé mais, au moment de la rédaction des présentes, aucun militaire n’avait été poursuivi en justice.
Des progrès en matière de professionnalisation des forces de sécurité ont été manifestes à travers une présence accrue de membres de la gendarmerie prévôtale chargés de la discipline lors des opérations militaires et d’une hausse du nombre de patrouilles destinées à protéger les civils.
Droits des enfants
Plus de 150 enfants ont été tués lors de violences communautaires, par des engins explosifs ou lors d’échanges de tirs. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a signalé 99 cas de recrutement et d’utilisation d’enfants par les groupes armés lors du premier semestre 2019, soit plus du double par rapport à l’année précédente. Plus de 900 établissements scolaires sont restés fermés et 270 000 enfants se sont vu refuser le droit à l’éducation en raison de l’insécurité et des déplacements.
Cadre judiciaire et juridique dédié aux droits humains
Le système judiciaire malien a continué d’être affecté par des problèmes de négligence et mauvaise gestion, et l’insécurité a conduit de nombreux membres du personnel à abandonner leur poste dans le nord et le centre du pays. Des centaines de détenus ont fait l’objet d’une détention prolongée en attendant d’être jugés, les tribunaux ne pouvant pas traiter les dossiers de manière adéquate.
Le ministre de la Justice Malick Coulibaly, nommé en mai, a pris des mesures concrètes pour améliorer les conditions carcérales et s’est engagé à améliorer l’accès à la justice et à faire avancer les affaires d’atrocité.
En juillet, le Parlement a adopté une loi d’« entente nationale » qui, d’après des groupes de société civile, pourrait entraîner une impunité en cas de graves atteintes aux droits humains.
Le mandat du Pôle judiciaire spécialisé contre le terrorisme et le crime organisé transnational, créé par une loi en 2013, a été élargi en juillet afin d’inclure les délits internationaux en matière de droits humains.
En octobre, le gouvernement a prorogé d’un an l’état d’urgence déclaré en 2015. L’état d’urgence procure aux services de sécurité une autorité supplémentaire et limite les rassemblements publics.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises
Rares ont été les progrès réalisés en matière de justice rendue pour les atrocités commises depuis 2012-2013. Cependant, plusieurs enquêtes ont été ouvertes par des tribunaux locaux et le Pôle judiciaire spécialisé, notamment sur le massacre d’Ogossagou. Des groupes locaux ont déclaré que le gouvernement rechignait à interroger ou inculper les chefs de milice impliqués de manière crédible dans des massacres, préférant prendre des mesures de réconciliation à court terme pour atténuer les tensions communautaires.
En revanche, le Pôle spécialisé a enquêté activement sur plus de 200 affaires de terrorisme en 2018 et mené à bien dix procès.
Droits humains et mécanismes de recherche de la vérité et de réconciliation
La Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a enquêté sur certaines exactions, publié plusieurs communiqués, visité des centres de détention et instauré un programme d’assistance juridique pour les personnes indigentes.
La Commission Vérité, Justice et Réconciliation, établie en 2014 pour enquêter sur les crimes et les causes profondes de la violence depuis 1960, a recueilli plus de 14 000 déclarations de victimes et de témoins, mais sa crédibilité a été mise à mal par l’inclusion de membres de groupes armés et par l’exclusion de représentants des victimes. Des audiences publiques devaient démarrer en décembre.
Principaux acteurs internationaux
La France et les États-Unis ont occupé une place de premier plan sur les questions militaires, l’UE sur la formation et la réforme du secteur de la sécurité, et l’ONU sur l’État de droit et la stabilité politique.
Le G5 Sahel, force militaire multinationale de lutte contre le terrorisme instaurée en 2017 et composée de forces armées maliennes, mauritaniennes, burkinabé, nigériennes et tchadiennes, n’est pas devenu pleinement opérationnel faute d’équipement et de soutien financier.
En septembre, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est engagée à verser un milliard de dollars US pour contribuer à soutenir le G5 Sahel et les armées nationales dans la lutte contre le terrorisme sur la période 2020- 2024.
L’Opération Barkhane, force régionale de lutte contre le terrorisme lancée par la France et forte de 4 500 hommes, a mené de nombreuses opérations au Mali. La Mission de formation de l’UE au Mali (EUTM) et la Mission de l’UE chargée du renforcement des capacités (EUCAP) ont continué de former et de conseiller les forces de sécurité maliennes.
En août, le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé d’un an le mandat du Groupe d’experts du Comité des sanctions concernant le Mali et imposé un gel des avoirs et l’interdiction de voyager à tout individu qui entrave l’accord de paix de 2015 et commet des atteintes aux droits humains. En juillet, le Conseil a placé cinq hommes – deux hommes d’affaires, deux islamistes armés et un député – sur la liste des sanctions.
La MINUSMA a apporté un soutien utile au gouvernement, notamment dans le cadre des enquêtes sur les atrocités, ainsi qu’en matière de réconciliation communautaire, et augmenté le nombre de patrouilles. Cependant, son mandat ferme de protection des civils a été mis à rude épreuve en raison d’attaques persistantes contre les Casques bleus et d’un manque d’équipement.
La Commission d’enquête internationale pour le Mali, établie en 2018 par le Secrétaire-général de l’ONU conformément à l’accord de paix de 2015, a enquêté sur des atteintes graves aux droits humains et au droit humanitaire internationaux commises entre 2012 et janvier 2018.
En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé et renforcé le mandat de la MINUSMA en faisant de la détérioration de la situation sécuritaire dans le centre du Mali une deuxième priorité stratégique.
La Mission, forte de 13 000 membres, a également été chargée de prendre davantage de mesures pour protéger les civils et soutenir les efforts consentis pour traduire en justice les auteurs de ces délits.
L’expert indépendant sur le Mali s’est rendu dans le pays en février et a émis plusieurs déclarations sur l’importance de la lutte contre l’impunité. Lors de sa session du mois de mars, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a décidé de proroger d’un an le mandat de l’expert indépendant.
La Cour pénale internationale (CPI) a poursuivi son enquête ouverte en 2013 sur les allégations de crimes de guerre commis au Mali et, en mars, le Greffier de la CPI s’est rendu au Mali. Cependant, au moment de la rédaction des présentes, la Cour n’avait encore demandé de mandat d’arrêt pour aucun individu.