La forte croissance économique qui s’est maintenue en Côte d’Ivoire en 2019 a permis des améliorations dans le domaine des droits économiques et sociaux. Le gouvernement s’est cependant montré incapable de s’attaquer aux racines profondes des violences politiques passées, et notamment l’impunité endémique, la politisation de l’appareil judiciaire, et les tensions politiques et ethniques de longue date.
L’acquittement en janvier 2019 par la Cour pénale internationale (CPI) de l’ancien président Laurent Gbagbo et de son ministre de la Jeunesse, l’ex-chef de milice Charles Blé Goudé, ainsi que l’interruption des poursuites au niveau national, n’ont fait que renforcer l’impunité systématique pour les crimes commis après les élections de 2010-11 et qui ont fait des milliers de morts.
Une rhétorique politique fondée sur la division, des tensions résiduelles suite aux élections locales de 2018, ainsi que des conflits récurrents autour de l’accès à la terre ont conduit à une recrudescence des tensions intercommunautaires. Au moins 14 personnes sont mortes et des dizaines ont été blessées lors d’affrontement entre communautés à Boum, dans le nord de la Côte d’Ivoire, le 15 et le 16 mai.
Toute une série de réformes du droit ont permis quelques améliorations du système de protection juridique des droits humains. Le gouvernement a adopté des lois définissant la torture comme un crime à part entière, et pris des mesures qui pourraient permettre de diminuer le recours à la détention préventive, et d’améliorer l’égalité face au mariage. Certaines dispositions de ces nouvelles lois pourraient cependant être utilisées pour restreindre les libertés de réunion et d’expression. L’arrestation de plusieurs personnalités de l’opposition ou de la société civile pour avoir organisé des manifestations anti-gouvernementales a suscité des inquiétudes quant au possible verrouillage de l’espace public en amont des élections présidentielles de 2020.
Responsabilité pour les crimes passés
Une chambre d’instance de la CPI a acquitté Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé le 15 janvier pour le chef d’accusation de crimes contre l’humanité, après un procès qui a duré près de trois ans, mettant un terme à la procédure avant même d’avoir demandé à la défense de présenter des éléments de preuve. Dans la décision écrite rendue le 16 juillet, les deux juges majoritaires ont durement critiqué la faiblesse des preuves présentées par l’accusation.
La Procureure de la CPI a fait appel de ces acquittements le 16 septembre, sollicitant une annulation du procès auprès des juges. À l’heure où nous écrivons, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont en liberté conditionnelle, respectivement en Belgique et aux Pays-Bas.
La CPI a poursuivi ses enquêtes sur les crimes commis par les forces pro-Ouattara au cours de la crise post-électorale, mais n’a toujours pas émis de mandats d’arrêt. Le président Alassane Ouattara a déclaré que plus aucun suspect ne serait transféré à la Haye.
Au cours de l’année qui a suivi l’amnistie annoncée en août 2018 par le président Ouattara pour les crimes commis pendant les violences post-électorales de 2010-11, les procédures engagées au niveau national par la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction ont très peu avancé. Créée en 2011, cette cellule avait inculpé les années précédentes plus d’une vingtaine de hauts responsables militaires et de dirigeants politiques, pour crimes contre l’humanité ou crimes de guerre.
Le gouvernement ivoirien a déclaré en février que la loi d’amnistie n’empêchait pas les juges ivoiriens d’enquêter sur les pires crimes commis pendant la crise, précisant qu’elle ne s’appliquait pas aux « membres de l’armée et des groupes armés ». Le 6 novembre, des juges ivoiriens ont confirmé les charges pesant sur Charles Blé Goudéa en Côte d’Ivoire pour des crimes présumés au cours de la crise post-électorale de 2010-11, et notamment des meurtres, viols et actes de torture. En dehors du cas de Charles Blé Goudé, la Cellule spéciale a cependant gelé ses enquêtes, et il est donc peu probable que les responsables présumés se retrouvent un jour devant la justice.
Le 4 avril, trois organisations de défense des droits humains – deux organisations ivoiriennes et une organisation internationale – ont déposé une plainte auprès de la Cour suprême pour contester l’autorité du président Ouattara en matière d’amnistie, affirmant que celle-ci viole les obligations de la Côte d’Ivoire au regard des traités internationaux sur les droits humains. À l’heure où nous écrivons, aucune décision n’a encore été rendue sur ce dossier.
Ni la Cellule spéciale de la Côte d’Ivoire ni la CPI n’ont enquêté sur les crimes commis au cours des violences liées aux élections de l’an 2000, ou sur le conflit armé de 2002-2003. Un programme gouvernemental de réparations a continué à offrir des versements financiers aux victimes des conflits de la période 2002-2011, ainsi que des soins médicaux et d’autres formes d’aide.
Système judiciaire et conditions de détention
Le système judiciaire manque d’indépendance et les juges font régulièrement l’objet de pressions de la part de l’exécutif. Les juges signalent que les risques d’ingérence sont renforcés pour les dossiers politiques, mais peuvent aussi concerner n’importe quel procès au civil ou au pénal.
Les conditions de vie en prison et la surpopulation continuent de poser problème. Par exemple, la prison centrale d’Abidjan accueillait en octobre 7 100 personnes dans un centre conçu pour 1 500, dont 2 500 personnes en détention préventive. Malgré des efforts pour rénover les prisons, les détenus souffrent toujours d’un accès insuffisant aux soins médicaux et sont victimes d’extorsion de la part des gardiens de prison et d’autres prisonniers.
Le 21 décembre 2018, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau Code de procédure pénale qui remplace la Cour d’assises, une instance pénale qui ne se réunit que périodiquement, par des tribunaux permanents compétents pour juger les crimes. Selon les magistrats, avec le personnel requis, il devrait être possible de réduire le retard dans les dossiers criminels en instance de procès. La nouvelle loi devrait également introduire des limites temporelles à la détention préventive, et si elle est correctement appliquée, elle pourra offrir des alternatives aux peines de prison, comme la probation ou les travaux d’intérêt général.
Exactions des forces de sécurité et réforme du secteur
Des efforts particulièrement nécessaires ont permis de continuer à professionnaliser l’armée et d’améliorer la discipline aux seins des forces de sécurité, en combinant formation et réforme des instances dirigeantes de l’armée.
Plusieurs anciens commandants de zone (« comzones »), des commandants militaires haut placés impliqués dans de graves violations des droits humains entre 2002 et 2011, ont été déclassés en mars. D’autres sont cependant toujours en position d’autorité au sein des forces armées.
Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestants qui protestaient contre l’arrestation d’un homme politique de l’opposition à Bouaké le 3 octobre, faisant un mort et blessant plusieurs autres personnes.
Des membres des forces de sécurité ont continué à s’adonner au racket et à l’extorsion, notamment au niveau des postes de contrôle sur les routes secondaires. L’activiste web Soro Tangboho a été arrêté en novembre 2018 pour avoir diffusé en direct les actes d’agents de police en train, selon lui, d’extorquer de l’argent aux automobilistes. Il a été condamné le 7 juin pour des infractions à l’ordre public ; sa peine initiale d’un an de prison a été augmenté à deux après un procès en appel le 31 juillet. Les membres de l’armée, de la police ou de la gendarmerie ont rarement été sanctionnés pour corruption ou autres crimes plus graves.
Cadre électoral
L’Assemblée nationale et le Sénat ont promulgué en juillet et en août des réformes modifiant la composition de la commission électorale, comme l’exigeait un jugement rendu en 2016 par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. L’opposition et certaines organisations de la société civile ont fortement critiqué les réformes, arguant que le rôle du gouvernement dans la nomination des membres de la commission implique que cette dernière continuera à être soumise à l’influence de l’exécutif. Deux des plus grands partis d’opposition ont refusé en septembre de nominer des membres de la commission.
Liberté de réunion et d’expression
Le gouvernement a interdit à plusieurs reprises des rassemblements de l’opposition, et policiers et gendarmes ont à de nombreuses occasions arrêté et brièvement incarcéré des politiciens de l’opposition et des militants de la société civile qui avaient organisé des démonstrations anti-gouvernementales.
Le 26 juin, le président Ouattara a promulgué un nouveau code pénal qui rend l’organisation d’une manifestation « non-déclarée ou interdite » passible d’un à trois ans de prison et d’une sanction financière. Les normes internationales des droits humains stipulent que les organisateurs de manifestations ne peuvent être sanctionnés uniquement pour défaut d’information des autorités en amont.
Le nouveau code pénal crée aussi des infractions aux contours flous, passibles de peines de prison, et qui menacent la liberté d’expression, et notamment le délit de « divulgation de fausses nouvelles qui ont pour résultat ou peuvent avoir pour résultat » de perturber l’ordre public et de « porter offense au président ou au vice-président ».
Le parlementaire de l’opposition Alain Lobognon a été condamné à un an de prison le 29 janvier, réduit en appel à six mois avec sursis, pour divulgation de « fausses nouvelles », après avoir affirmé sur les réseaux sociaux que la police prévoyait d’emprisonner un maire d’opposition que le gouvernement accusait de corruption.
Réforme agraire et instabilité dans l’ouest du pays
Une agence foncière rurale, créée en 2016, a enfin commencé à lancer des programmes destinés à accélérer la mise en œuvre d’une loi foncière de 1998 conçue pour réduire les conflits en enregistrant les droits de propriété foncière coutumiers et en délivrant des titres de propriété légaux. La grande majorité des terres rurales ne sont cependant toujours pas enregistrées.
En juillet 2019, la Côte d’Ivoire a adopté un nouveau code forestier qui témoigne d’une relance des efforts pour protéger et restaurer les forêts protégées du pays, dévastées par la culture du cacao. Les efforts de réhabilitation forestière menés par le gouvernement dans le passé ont laissé des milliers de familles de cultivateurs victimes d’évictions sans accès suffisant à la nourriture, à l’eau ou à un abri.
Droits des femmes et des filles
Le corps législatif a adopté en juillet de nouvelles lois relatives au mariage et à l’héritage, qui instaurent une propriété conjointe des biens matrimoniaux. La loi accorde par ailleurs à toute veuve le droit à un quart de la succession de son mari, tandis que les trois quarts restants reviennent aux enfants. Aux termes de l’ancienne loi, les veuves ne recevaient souvent rien. La loi a confirmé l’âge de consentement au mariage fixé à dix-huit ans, mais les unions d’enfants restent répandues.
Le nouveau code de procédure pénale crée une présomption de consentement aux rapports sexuels au sein du couple marié, ce qui pourrait empêcher les victimes de viol conjugal de faire condamner de tels actes en justice. Il criminalise également l’avortement, sauf quand il est nécessaire pour protéger la vie de la mère, ou pour les victimes de viol.
Orientation sexuelle et identité de genre
Les rapports sexuels consensuels entre personnes consentantes de même sexe ne sont pas sanctionnés en Côte d’Ivoire. Le nouveau code de procédure pénale a supprimé la mention d’actes entre personnes de même sexe comme circonstance aggravante dans les cas d’outrage à la pudeur. Pourtant, la nouvelle loi sur le mariage définit celui-ci comme l’union d’un homme et d’une femme, et les cas de discrimination contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenre (LGBT), y compris les agressions physiques, restent nombreux.
Principaux acteurs internationaux
La France, les États-Unis et l’UE restaient les principaux bailleurs de fonds, notamment dans les secteurs de la justice et de la sécurité, bien que la Côte d’Ivoire entretienne des relations économiques de plus en plus étroites avec la Chine.
La Côte d’Ivoire est parvenue au terme de son mandat de deux ans en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations Unies en décembre 2019.