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Maroc et Sahara occidental

Événements de 2022

Le 24 juin 2022, au moins 23 hommes africains sont décédés à la frontière entre l’Espagne et le Maroc lorsque près de 2 000 personnes ont tenté d'entrer en Espagne en escaladant les hautes clôtures qui entourent l'enclave espagnole de Melilla en Afrique du Nord.

© 2022 AP Photo/Javier Bernardo 

Les autorités marocaines ont intensifié le harcèlement des militants et des voix critiques et ont poursuivi les arrestations et les procès iniques à l’encontre d’opposants, de journalistes, de blogueurs et de défenseurs des droits humains. Les lois portant atteinte aux libertés individuelles sont restées en vigueur, notamment les dispositions discriminatoires envers les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres (LGBT). La question du Sahara occidental est restée taboue, et le ministère public a eu recours à des lois draconiennes, allant jusqu’à entamer des poursuites pour les actions pacifiques en faveur de l’autodétermination.

Système de justice pénale

D’après le Code de procédure pénale, tout accusé a le droit de contacter un avocat après 24 heures de garde à vue, un délai qui peut être porté à 36 heures. Le droit à la présence d’un avocat lors des interrogatoires menés par des policiers n’est néanmoins pas automatique. Depuis des années, la police a recours à des méthodes coercitives pour obtenir des déclarations auto-incriminantes de la part de détenus, que les juges utilisent ensuite pour les condamner.

Lors des procès, les opposants de premier plan sont particulièrement confrontés à d’autres violations du droit à une procédure régulière, dont des détentions provisoires prolongées, le refus d’accéder au dossier judiciaire, le recours à la coercition à l’encontre d’ individus afin d’obtenir des témoignages à charge, ou l’absence de notification de la tenue des audiences, ce qui a conduit à des condamnations par contumace.

Liberté d’association et de réunion

Les autorités ont continué d’entraver les activités de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), la plus grande organisation indépendante du pays en matière de défense des droits humains. Selon l’AMDH, en date du 13 janvier, les autorités avaient refusé d’effectuer des formalités administratives concernant 74 des 99 branches locales de l’association, les empêchant d’ouvrir de nouveaux comptes bancaires ou de louer des locaux. L’AMDH a par ailleurs déclaré que d’autres groupes de défense des droits civiques, dont des groupes de jeunes ou de lutte contre les violences envers les femmes, avaient eux aussi vu les autorités refuser de leur accorder un statut légal ou de réaliser certaines démarches administratives.

Liberté d’expression et défenseurs des droits humains

Le Code pénal marocain punit par des peines de prison et des amendes les délits d’expression non violente, et notamment les « atteintes à l’Islam » et à la monarchie, et « l’incitation contre l’intégrité territoriale » marocaine, en référence aux revendications marocaines sur le Sahara occidental. Alors que le Code de la presse et des publications ne prévoit pas de peines de prison, des journalistes, des militants et des blogueurs des réseaux sociaux ont été poursuivis au titre du Code pénal en raison de leurs déclarations critiques non violentes.

Depuis le milieu des années 2010, les autorités marocaines ont par ailleurs poursuivi des journalistes et des militants de premier plan pour des délits autres que d’expression. Des détracteurs du régime ont fait l’objet de procès iniques pour des crimes graves tels que le blanchiment d’argent, l’espionnage, le viol, l’agression sexuelle ou la traite d’êtres humains. Parmi les méthodes employées pour museler les opposants, les autorités ont notamment recours à des procédures judiciaires inéquitables, à la surveillance numérique et vidéo, à des campagnes de harcèlement par le biais de médias proches du palais royal et pro-Makhzen, par la surveillance physique, l’agression, l’intimidation et en prenant pour cible des proches de militants.

Le 21 juillet, le Tribunal de première instance d’Oued Zem a condamné Saïd Amara, président de la section locale de l’AMDH, à sept mois de prison (dont quatre avec sursis) et à une amende de 6 000 dirhams (240 €) pour « insulte à un agent public dans l’exercice de ses fonctions », en référence à une altercation supposée entre Saïd Amara et le commissaire de police d’Oued Zem.  Selon l’AMDH, le tribunal n’a pas permis la comparution des témoins de la défense. Saïd Amara a été libéré le 7 septembre.

Le 15 août, la blogueuse Fatima Karim a été condamnée par le même tribunal à deux ans de prison pour avoir prétendument insulté publiquement l’Islam dans une publication sur sa page Facebook.

En janvier 2021, un tribunal de Rabat a condamné par contumace à un an de prison Maati Monjib, historien et militant de la liberté d’expression, ainsi que six autres accusés, pour avoir « reçu des fonds d'une organisation étrangère dans le but de porter atteinte à la sécurité intérieure du Maroc », à la suite d’une plainte déposée contre lui en 2015. Au moment de sa condamnation, Maati Monjib se trouvait en détention provisoire pour une autre affaire de détournement de fonds. Pourtant, les autorités ne l’ont pas emmené aux audiences concernant les autres faits qui lui étaient reprochés. Le 26 septembre, les deux affaires étaient toujours en cours. En 2021, les autorités marocaines ont émis une interdiction de voyager à l’encontre de Maati Monjib et ses avoirs ont été gelés.

Le 16 juin, la Cour d’appel d’Al Hoceïma a maintenu la peine de quatre ans de prison prononcée par le Tribunal de première instance de la même ville à l’encontre du commentateur sur les réseaux sociaux Rabie al Ablaq, pour avoir manqué de respect au roi. La Cour d’appel a par ailleurs doublé l’amende exigée par la juridiction inférieure, qui est passée de 20 000 à 40 000 dirhams (environ 3 600 €). Les accusations visant Rabie al Ablaq, actif au sein du mouvement de rue Hirak, qui lutte pour la justice sociale dans la région du Rif, reposaient sur deux vidéos publiées sur Facebook et YouTube, dans lesquelles il s’adressait au roi sur un ton familier et soulignait le contraste entre la richesse personnelle de celui-ci et la pauvreté largement répandue au Maroc.

En février, un tribunal de première instance de Rabat a condamné l’avocat et ancien ministre Mohamed Ziane à trois ans de prison pour différents chefs d’accusation, et notamment pour outrage à des fonctionnaires publics et aux institutions, diffamation, « diffusion de fausses informations sur une femme en raison de son genre », « complicité d’adultère », « harcèlement sexuel » et « participation à des écarts de conduite destinés à donner un mauvais exemple à des enfants ». Mohamed Ziane a fait appel de la décision et est resté en liberté provisoire. Le 21 novembre, Ziane a été incarcéré après qu'une cour d'appel a confirmé le verdict rendu en première instance.

Mohamed Ziane a été pris pour cible par les autorités à partir de 2017, lorsqu’il a publiquement critiqué des déclarations et des décisions du gouvernement en matière de sécurité en ce qui concerne le Hirak, et a accepté d’être le principal avocat de Nasser Zefzafi, chef de file du mouvement, poursuivi aux côtés de 52 autres figures de la contestation pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » et « rébellion ».

Le Security Lab d’Amnesty International a découvert en mars que deux téléphones appartenant à Aminatou Haidar, défenseure des droits humains originaire du Sahara occidental et lauréate de multiples prix, avaient été ciblés et infectés par le logiciel espion Pegasus entre 2018 et 2021. Une fois installé dans un téléphone, ce logiciel mis au point et commercialisé par NSO Group, une société basée en Israël, permet un accès complet à la caméra du téléphone, aux appels, aux médias, au microphone, aux courriels, aux SMS et à d’autres fonctions, devenant ainsi un puissant outil de surveillance. Il a été utilisé à l’encontre de militants des droits humains, de journalistes, de figures de l’opposition, de politiciens et de diplomates, y compris au Maroc.

Sahara occidental

Le processus de négociations mené sous l’égide des Nations Unies entre le Maroc et le Front Polisario, le mouvement qui réclame l’autodétermination pour le Sahara occidental contrôlé par le Maroc, est resté dans l’impasse. Le Sahara occidental a été qualifié par l’ONU de territoire non autonome. Un accord de cessez-le-feu avait été conclu en 1991 entre le Front Polisario et le Maroc. Pour autant, le référendum sur l’autodétermination de la région n’a pu être concrétisé et, en novembre 2020, le Front Polisario a déclaré qu’il mettait fin au cessez-le-feu.

Les autorités marocaines ont systématiquement empêché les rassemblements de soutien à l’autodétermination sahraouie et ont fait obstruction au travail de certains groupes locaux de défense des droits humains, notamment en bloquant leur accréditation.

Dix-neuf hommes sahraouis sont restés en prison après avoir été condamnés en 2013 et 2017, au terme de procès iniques, pour le meurtre de 11 membres des forces de sécurité marocaines, décédés en 2010 lorsque les autorités ont démantelé par la force un vaste campement de protestataires à Gdeim Izik, au Sahara occidental. En juin, 18 d’entre eux ont déposé une plainte contre le gouvernement marocain auprès du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, affirmant avoir été victimes de torture et de répression politique.

Droits des femmes et des filles

Le Code de la famille est discriminatoire envers les femmes quant aux questions d’héritage et aux décisions concernant les enfants après un divorce, si la femme se remarie. Si le texte fixe à 18 ans l’âge minimum du mariage, il permet aux juges d’accorder des « dérogations » pour permettre le mariage de filles âgées de 15 à 18 ans à la demande de leur famille.

Même si la Loi marocaine de 2018 relative aux violences envers les femmes érige en crimes certaines formes de violence domestique, crée des mesures de prévention et prévoit de nouvelles protections pour les victimes, elle exige que celles-ci engagent des poursuites criminelles afin d’obtenir ces protections, ce que peu d’entre elles sont en mesure de faire. De plus, elle n’énonce pas les obligations de la police, des procureurs et des juges d’instruction dans les affaires de violence domestique, et ne prévoit pas non plus de financement pour les refuges pour femmes. Le Code pénal tolère par ailleurs les châtiments corporels envers les enfants lorsqu’il s’agit de « violences légères ».

La loi marocaine ne considère pas explicitement le viol conjugal comme un crime. Les femmes qui signalent un viol s’exposent à des poursuites pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage si les autorités ne croient pas leur version des faits. Les filles enceintes et les mères adolescentes, qui encourent des sanctions pénales si elles ne sont pas mariées, ne sont pas censées rester scolarisées.  

En septembre, des femmes ont manifesté pour réclamer la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse après la mort d’une adolescente de 14 ans des suites d’un avortement clandestin. L’avortement est illégal au Maroc et peut être puni d’une peine de cinq ans de prison au maximum, excepté lorsque la santé de la femme est en danger.

Orientation sexuelle et identité de genre

Au Maroc, toute relation sexuelle consentie entre adultes non unis par le mariage peut être punie d’une peine de prison allant jusqu’à un an. La loi marocaine criminalise aussi ce qu’elle qualifie d’acte de « déviance sexuelle » entre personnes du même sexe. L’article 489 du Code pénal punit les relations homosexuelles de peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 1 000 dirhams (90 €) d’amende.

Dans un mémorandum publié en octobre 2019, le Conseil national des droits de l’Homme, dont les membres sont nommés par l’État, a recommandé de décriminaliser les relations sexuelles consenties entre adultes non mariés. Plus de 25 ONG ont exprimé leur soutien à cette recommandation. Toutefois, le gouvernement marocain n’a pas agi en conséquence

Réfugiés et demandeurs d’asile

Le gouvernement n’a toujours pas approuvé un projet de loi introduit en 2013, qui constituerait la première législation du Maroc sur le droit d’asile. Une loi de 2003 sur la migration, toujours en vigueur, comprend des dispositions qui érigent en crime toute entrée irrégulière, sans exception pour les personnes réfugiées et en quête d’asile. Des groupes de la société civile ont signalé que les autorités continuaient de placer arbitrairement des personnes migrantes dans des centres de détention prévus à cet effet, avant de les déplacer de force ou de les expulser. Selon le Mixed Migration Center, les arrestations de migrants et de réfugiés par les autorités marocaines ont augmenté à la mi-2022 à Laâyoune, au Sahara occidental. Des personnes y étaient détenues dans des conditions d’hygiène déplorables, puis envoyées vers des endroits éloignés dans le désert, notamment près de la frontière algéro-marocaine.

En juin, 23 hommes africains au moins ont trouvé la mort à Melilla, à la frontière entre le Maroc et l’Espagne. Ces décès sont survenus lorsque quelque 2 000 personnes (des migrants et des demandeurs d’asile venant majoritairement du Soudan, du Soudan du Sud et du Tchad) ont tenté d’entrer en Espagne en escaladant les hauts grillages entourant la ville de Melilla, l’une des deux enclaves espagnoles en Afrique du Nord. Des vidéos et des photographies de l’incident montrent les forces de sécurité marocaines faisant un usage excessif de la force, notamment par des passages à tabac, et la Guardia civil espagnole lançant des grenades lacrymogènes en direction des hommes qui escaladaient les clôtures. À la suite de cet incident survenu en juin, des tribunaux  marocains ont condamné des dizaines de migrants à des peines de prison pour de nombreux chefs d’accusation, dont le trafic d’êtres humains, l’entrée illégale sur le territoire marocain et la violence à l’encontre d’agents de la force publique. À la date du 19 septembre, les autorités espagnoles n’avaient toujours pas publié les conclusions d’une enquête annoncée en juin par le procureur général de l’État.

L’activiste ouïghour Yidiresi Aishan, également connu sous le nom d’Idris Hasan, demeure sous la menace d’une extradition du Maroc vers la Chine. Il avait été arrêté en juillet 2021, à son arrivée au Maroc en provenance de Turquie, sur la base d’une notice rouge diffusée par Interpol à la demande de la Chine et fondée sur des accusations d’« appartenance à une organisation terroriste ». L’extradition d’Idris Hasan serait contraire aux obligations internationales du Maroc de ne pas renvoyer de personnes vers un lieu où elles seraient exposées à la persécution et à la torture.