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Tunisie

Événements de 2021

Des manifestants réclamant des réformes politiques et des mesures de justice sociale affrontent des policiers devant le siège du Parlement au Bardo (Tunisie), le 26 janvier 2021.

© 2021 Ahmed Zarrouki

En 2021, les forces de sécurité ont continué à faire usage de la violence pour juguler les manifestations à motif socio-économique dans plusieurs régions du pays. En janvier, la police a frappé des manifestants dans plusieurs villes, plaçant des centaines d’entre eux en détention, dont beaucoup de mineurs. Des affrontements dans la ville de Sbeïtla ont causé la mort d’un jeune homme. Au moins deux autres hommes sont morts à Sfax et à Sidi Hassine au cours d’affrontements avec la police.

Le 25 juillet, le président Kaïs Saïed a annoncé qu’il endossait des pouvoirs exceptionnels, après des mois marqués par un blocage politique et une grave crise économique exacerbée par la pandémie de Covid-19. 

Entre autres mesures prises par le président Saïed, il a suspendu le Parlement, levé l’immunité des députés, démis de leurs fonctions le Premier ministre et d’autres hauts responsables, et pris le contrôle des services du procureur général. Le 24 août, il a étendu les mesures d’exception et annoncé qu’elles étaient prolongées jusqu’à nouvel ordre. Le 29 septembre, il a nommé une nouvelle Première ministre et le 11 octobre, fait prêter serment à un Conseil des ministres qu’il avait approuvé.

Le 24 juillet, le président Saïed a prolongé jusqu’à début 2022 l’état d’urgence, en vigueur presque en continu depuis qu’il a été décrété en 2015 suite à une série d’attentats terroristes.

Application de la Constitution

Les Parlements successifs ont échoué, depuis l’adoption de la Constitution en 2014, à mettre en place la Cour constitutionnelle, un organe judiciaire indépendant crucial chargé de faire respecter la Constitution. En effet, le Parlement n’a pas pu atteindre la majorité des deux tiers nécessaire pour sélectionner son quota de juges. Le président Saïed a refusé, en avril, de signer une loi qui aurait diminué ce seuil de deux tiers des voix.

Liberté d’expression, d’association, de réunion et de conscience

Des membres des forces de sécurité tunisiennes, a-t-il été rapporté, ont fait usage d’une violence excessive pour réprimer les manifestants dénonçant les difficultés économiques et réclamant la justice sociale ainsi que la fin de la répression policière, au cours de manifestations qui ont éclaté dans tout le pays le 15 janvier. D’après ces récits, des policiers ont frappé des manifestants, arrêté des centaines d’entre eux, dont de nombreux mineurs, tiré des gaz lacrymogènes de façon excessive pour disperser les manifestations, et agressé des journalistes. Haykel Rachdi, un jeune homme de 21 ans de Sbeïtla, est décédé le 18 janvier après avoir été blessé à la tête suite à une intervention policière au cours d’une manifestation.

Le 17 janvier, la police de la commune d’El-Mourouj, près de Tunis, a arrêté chez lui un étudiant de 25 ans, Ahmed Ghram, pour avoir critiqué sur Facebook la répression policière, l’impunité et la corruption des gouvernants. Les autorités l’accusaient d’« incitation à des actes de chaos et au désordre ». Ahmed Ghram a passé onze jours en détention provisoire avant d’être acquitté et remis en liberté.

Justice transitionnelle

Plus d’un an après la publication, le 24 juin 2020, du rapport final de l’Instance de la vérité et de la dignité, un organe étatique mis en place en 2013 pour exposer et enquêter sur les atteintes systématiques aux droits humains commises en Tunisie sur une période de 50 ans, ses recommandations en vue de réformes institutionnelles majeures n’ont toujours pas été mises en œuvre. Parmi les recommandations de l’Instance figurent la création de centres de réhabilitation et de services de soutien destinés aux victimes, un suivi judiciaire effectif des lieux de détention, et le fait de permettre aux services chargés de ce suivi d’avoir régulièrement et rapidement accès aux lieux de détention et de pouvoir interagir directement avec les prisonniers. Le gouvernement n’a pas encore rempli ses obligations vis-à-vis de l’article 70 de la Loi sur la justice transitionnelle de 2013, qui exige qu’il mette en place un plan de mise en œuvre des recommandations de l’Instance.

Lutte contre le terrorisme et détentions

Au moins dix femmes ayant des liens avec des membres présumés de l’État islamique, libérées de prisons libyennes et remises aux autorités tunisiennes en mars, demeurent en détention. Certaines ont rapporté avoir subi des abus en prison. Quatorze enfants ont également été rapatrié·e·s, dont douze ont été confié·e·s aux soins de membres de leur famille.

Au moins seize autres femmes et dix-neuf enfants suspecté·e·s de liens avec l’État islamique demeurent détenu·e·s dans la prison Mitiga de Tripoli, d’après l’Observatoire tunisien des droits de l’homme.

Droits des femmes

La loi tunisienne discrimine les femmes en matière de droits à l’héritage. À l’heure où nous écrivons, le Parlement n’a toujours pas approuvé le projet de loi soutenu par le défunt président Beji Caïd Essebsi en 2018, alors qu’il était encore en fonction, afin d’introduire l’égalité des droits d’héritage comme régime par défaut. Ce projet de loi permettrait aux personnes d’écarter le régime égalitaire et de choisir à la place que leurs biens soient distribués conformément au cadre légal précédent.

Au cours d’une séance plénière du Parlement le 30 juin 2021, deux députés ont agressé physiquement Abir Moussi, une députée de l’opposition. Elle avait été la cible d’une série d’agressions verbales et physiques à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement, notamment d’insultes sexistes. La Coalition nationale associative pour l’élimination de la violence, l’Association tunisienne des femmes démocrates et la Ligue tunisienne des droits de l’homme ont condamné ces attaques qu’elles jugent liées au genre.

En juillet, le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Personnes âgées a lancé le site web « Toutes et tous uni.e.s contre les violences », une plateforme apportant des informations et des aides disponibles en lien avec l’égalité des sexes, la violence à l’égard des femmes, la protection des femmes ainsi que la violence envers les enfants. Ce site Internet fournit des outils aidant à prévenir les violences à l’égard des femmes et à sensibiliser à ces questions.

Malgré la Loi de 2017 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui a instauré de nouveaux mécanismes de protection des survivantes, des lacunes ont été rapportées dans son application, surtout pour ce qui est de la façon dont la police traite les plaintes des femmes pour violences domestiques. Le 9 mai 2021, Refka Cherni, une mère de 26 ans, a présumément été abattue par balles par son mari, un agent de la Garde nationale, deux jours après s’être rendue au commissariat local pour porter plainte contre lui, affirmant qu’il avait tenté de l’étrangler. D’après un porte-parole du tribunal de première instance du Kef, la police ne l’avait pas arrêté, ni émis d’ordonnance de protection à son encontre, après la décision de Refka Cherni de retirer sa plainte.

Réfugiés et migrants

Les opérations maritimes visant à intercepter ou secourir les migrants naviguant au large de la Tunisie ont augmenté de 90 % au cours des six premiers mois de 2021, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Le 26 septembre, les autorités tunisiennes ont intercepté en mer puis expulsé une centaine de migrants d’Afrique subsaharienne, dont des enfants, dans le désert à la frontière avec la Libye, ce qui viole le principe de non-refoulement et l’interdiction des expulsions collectives inscrits dans le droit international et régional. En raison de l’absence persistante de cadre légal national sur le droit d’asile, les réfugiés et les demandeurs d’asile n’avaient toujours pas de statut légal formel en Tunisie, ce qui limite leur accès à certains services. Les réfugiés, demandeurs d’asile et migrants ont pourtant été intégrés à la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19 qui a démarré en mars 2021.

Orientation sexuelle et identité de genre

Les policiers tunisiens n’ont cessé de cibler les activistes lesbiennes, gays, bisexuel·le·s, transgenres et intersexes (LGBTI) au cours des manifestations générales ayant eu lieu en janvier à Tunis contre la détérioration des conditions économiques et la gestion de la pandémie par le gouvernement, leur infligeant des mauvais traitements particuliers par rapport aux autres manifestants. Les agents ont arrêté arbitrairement et agressé des activistes LGBTI. Ils ont menacé plusieurs d’entre eux·elles de viol et de meurtre. Certains se sont servis des médias sociaux pour harceler des activistes et divulguer leur identité en révélant des informations privées telles que leur adresse et leur numéro de téléphone et en incitant d’autres personnes à se moquer d’eux et les harceler.

Les autorités ont continué à poursuivre et emprisonner des hommes supposés homosexuels en vertu de l’article 230 du code pénal, qui punit la « sodomie » de jusqu’à trois ans de prison. L’Association Damj pour la justice et l’égalité, un groupe LGBT basé à Tunis, a déclaré qu’entre 2011 et 2020, il y avait eu 1 458 condamnations fondées sur l’article 230, allant de quatre mois à trois ans de prison.

Le 4 mars, un tribunal de Tunis a  condamné Rania Amdouni, une activiste LGBT et féministe, à six mois de prison et une amende pour « outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions », « gêne intentionnelle envers autrui » et « ivresse évidente ». La police l’avait arrêtée le 27 février parce qu’elle criait devant un poste de police, après que des agents avaient refusé d’enregistrer sa plainte pour les harcèlements répétés que, d’après elle, des policiers lui faisaient subir dans la rue et sur Internet. Le 17 mars, la Cour d’appel de Tunis a maintenu sa culpabilité mais ramené sa condamnation à une peine avec sursis. Après sa libération, Rania Amdouni a obtenu l’asile en France.