Skip to main content

Cameroun

Événements de 2019

Une mère et un enfant passent devant une voiture détruite dans une petite ville près de Buea, dans le sud-ouest du Cameroun, le 11 mai 2019. La violence dans les régions anglophones s’est intensifiée alors que les forces gouvernementales menaient des opérations de sécurité à grande échelle et que les séparatistes armés menaient des attaques de plus en plus sophistiquées.

© 2019 Giles Clarke/UNOCHA via Getty Images

Tout au long de l’année 2019, les groupes armés et les forces gouvernementales ont commis des atteintes aux droits humains généralisées à travers le Cameroun. Les libertés d’expression, d’association et de réunion ont continué d’être restreintes après que le Président Paul Biya, 86 ans, eut remporté son septième mandat en octobre 2018, lors d’élections entachées par un faible taux de participation et des allégations de fraude. En avril, le gouvernement a refusé l’accès au pays à une chercheuse de Human Rights Watch.

Le groupe armé islamiste Boko Haram a lancé plus d’une centaine d’attaques dans la région de l’Extrême-Nord du pays depuis janvier 2019, tuant plus de cent civils. Le conflit entre les forces gouvernementales et Boko Haram a provoqué la mort de milliers de Camerounais et le déplacement de plus de 270 000 autres depuis 2014, entraînant une hausse du nombre de groupes d’autodéfense.

Dans les régions anglophones, la violence s’est intensifiée alors que les forces gouvernementales menaient des opérations sécuritaires de grande ampleur et que des séparatistes armés lançaient des attaques de plus en plus sophistiquées. Plus de 3 000 civils et des centaines de membres des forces de sécurité ont été tués dans les régions anglophones depuis le début de la crise en 2016. Les troubles auxquels ces régions sont en proie ont entraîné le déplacement de plus d’un demi-million d’individus. En août, dix dirigeants d’un groupe séparatiste, le Gouvernement intérimaire d’Ambazonie, ont été condamnés à la réclusion à perpétuité par un tribunal militaire à l’issue d’un procès qui a soulevé des inquiétudes quant à la régularité de la procédure et aux violations du droit à un procès équitable.

Des membres des forces gouvernementales et des séparatistes armés ont tué, violemment attaqué ou enlevé des personnes en situation de handicap alors qu’elles tentaient de fuir les attaques ou parce qu’elles avaient été abandonnées sur place.

Les autorités camerounaises ont tenté de museler l’opposition politique, violemment dispersé des manifestations pacifiques et arrêté des centaines de dirigeants, de membres et de sympathisants de partis de l’opposition. 

La crise anglophone

Les régions anglophones du Cameroun sont en crise depuis fin 2016, lorsque des avocats, des étudiants et des enseignants anglophones ont commencé à protester contre ce qu’ils considéraient comme leur sous-représentation au sein du gouvernement central et leur marginalisation culturelle par ce dernier.

La réponse des forces de sécurité gouvernementales a notamment consisté à tuer des civils, à incendier des villages et à recourir à la torture et à la détention au secret. Des séparatistes armés ont aussi tué, torturé et enlevé des dizaines de civils, dont des enseignants, des étudiants et des agents du gouvernement.

Le 10 septembre, dans un contexte de violence de plus en plus intense et en réponse aux pressions soutenues exercées par les acteurs internationaux, le Président Biya a appelé à un « dialogue national », à savoir une série de discussions à mener à l’échelle nationale pour répondre à la crise anglophone. Ce dialogue s’est conclu par l’adoption d’un statut spécial pour les deux régions anglophones et la libération de centaines de prisonniers politiques, dont Maurice Kamto, chef du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), parti de l’opposition, ainsi que d’autres personnes qui avaient été arrêtées durant les troubles survenus dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Meurtres, destruction de biens et torture perpétrés par les forces gouvernementales

En réponse à l’intensification des attaques lancées par les groupes séparatistes armés, les forces de sécurité ont tué des dizaines de personnes, incendié des centaines d’habitations et d’autres biens dans des villages et villes des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et ont torturé en détention des personnes qu’elles soupçonnaient d’être des séparatistes.

Le 6 février, les forces de sécurité, dont des militaires du Bataillon d’intervention rapide (BIR), ont pris d’assaut le marché du village de Bole Bakundu, dans la région du Sud-Ouest, tuant jusqu’à dix hommes.

Le 4 avril, des militaires, des gendarmes et des membres du BIR camerounais ont mené une attaque meurtrière contre le village de Meluf, dans la région du Nord-Ouest, tuant cinq hommes, dont un avait un handicap mental, et blessant une femme ; toutes les victimes étaient des civils. Les auteurs de ces actes ont pénétré de force dans au moins 80 habitations de Meluf, en ont pillé quelques-unes et en ont incendié sept.

Le 15 mai, des soldats de l’armée de l’air et des militaires du BIR ont attaqué Mankon, à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, incendiant plus de 70 habitations et tuant un homme. Le 10 juillet, des soldats de l’armée de l’air sont retournés à Mankon et ont tué deux hommes.

Le 24 septembre, des militaires du BIR ont attaqué le Palais royal de Bafut, site du Patrimoine mondial de l’UNESCO, blessé un homme par balle et pillé le musée du palais, s’emparant de plusieurs objets précieux.

L’année a été marquée par l’utilisation généralisée de la détention au secret et de la torture de personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec des groupes séparatistes armés à la prison du Secrétariat d’État à la défense (SED) à Yaoundé. Des gendarmes et d’autres membres du personnel de sécurité du SED ont recouru à la torture, y compris à de graves passages à tabac et des quasi-noyades, ainsi qu’à d’autres mauvais traitements pour contraindre les suspects à avouer des crimes ou pour les humilier et les punir.

Bien que le gouvernement ait maintenu qu’il ne tolérait pas les crimes commis par les forces de sécurité, il n’a pas fait preuve de progrès dans les enquêtes et les sanctions.

Enlèvements, torture et occupation d’établissements scolaires perpétrés par les séparatistes armés

Les séparatistes armés ont tué, torturé, attaqué et enlevé des dizaines de personnes, y compris des élèves, des enseignants, des membres du clergé et des agents des autorités administratives et traditionnelles.

Le 16 février, un groupe de séparatistes armés a enlevé 170 élèves – pour la plupart des filles âgées de moins de 18 ans –, un enseignant et deux gardiens d’un pensionnat à Kumbo, dans la région du Nord-Ouest. Ils ont tous été libérés le lendemain, sur fond de rumeurs concernant le paiement d’une rançon. Au moment de la rédaction des présentes, le pensionnat restait fermé.

Human Rights Watch a authentifié une vidéo montrant des séparatistes armés à la mi-mai en train de torturer un homme dans une école abandonnée du village de Bali, dans la région du Nord-Ouest. L’école est fermée depuis la mi-2017 à cause de la violence et du boycott de l’éducation imposé par les séparatistes. Les séparatistes armés se sont servis des écoles comme de bases, déployant des combattants et des armes et prenant des personnes en otages dans ces bâtiments et à proximité.

Le 18 juin, des séparatistes ont enlevé au moins 40 personnes, dont des femmes et des enfants, et les ont battues et dévalisées à Bafut, dans la région du Nord-Ouest. Elles ont été libérées le lendemain.

Le 28 juin, des séparatistes armés ont passé à tabac et enlevé John Fru Ndi, homme politique camerounais bien connu, à son domicile à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest. Trois jours avant, des séparatistes armés avaient enlevé, puis relâché, une autre personnalité en vue, Cornelius Fontem Esua, archevêque de Bamenda.

Mesures répressives contre l’opposition politique

Depuis les élections d’octobre 2018, le gouvernement a pris de plus amples mesures pour restreindre l’opposition politique. Les forces de sécurité camerounaises ont recouru à une force excessive et aveugle pour mettre fin aux manifestations organisées par les membres et sympathisants du MRC, le principal parti d’opposition camerounais.

En janvier, le dirigeant du MRC Maurice Kamto et certains de ses plus proches alliés ont été arrêtés avec 200 autres membres et sympathisants du parti après avoir organisé des mouvements de contestation à travers le pays. Un procès s’est ouvert en août, alors qu’ils se trouvaient toujours en détention sur la base d’inculpations à caractère politique.

Le 5 avril, le ministère de l’Administration territoriale a publié un communiqué de presse interdisant une semaine de manifestations prévue par le MRC, accusant le parti de déstabiliser le pays. 

Les 1er et 2 juin, au moins 350 membres et sympathisants du MRC, dont son vice-président, ont été arrêtés à travers le pays après avoir tenté d’organiser des manifestations.

Le 25 septembre, des gendarmes ont arrêté Abdul Karim Ali, un activiste et analyste politique anglophone ayant ouvertement exprimé ses points de vue, à Yaoundé. Abdul Karim a été placé en détention au SED et s’est vu refuser l’accès à un avocat pendant cinq jours. Il a été libéré le 1er novembre.

En novembre, les autorités ont interdit trois réunions du MRC dans les villes d’Ebolowa, de Yaoundé et de Douala. Défiant l’interdiction de réunion, des centaines de sympathisants du MRC se sont rassemblés à Yaoundé, la capitale, le 2 novembre, avant d’être violemment dispersés par la police anti-émeute. La police a gravement battu et blessé au moins dix manifestants. Trente-trois membres et sympathisants du MRC ont été arrêtés, mais ils ont été remis en liberté le jour même.

Orientation sexuelle et identité de genre

Le code pénal camerounais prévoit que toute personne ayant des « rapports sexuels avec une personne de son sexe » risque jusqu’à cinq années de prison, et la loi relative à la cybercriminalité prévoit qu’« est puni d’un emprisonnement d’un ou deux ans celui qui par voie de communications électroniques fait des propositions sexuelles à une personne de son sexe ». Les policiers et les gendarmes ont continué d’arrêter et de harceler des personnes dont ils estimaient qu’il s’agissait de lesbiennes, de gays, de bisexuels ou de transgenres (LGBT). Humanity First Cameroun et Alternatives-Cameroun, deux organisations non gouvernementales (ONG) actives sur les questions relatives aux personnes LBGTI, ont signalé que 60 personnes avaient été arrêtées sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre en 2018, tandis que plus de 200 avaient fait l’objet d’une violence physique.

Justice et obligation de rendre des comptes

Dans une lettre adressée à Human Rights Watch en mars, des représentants du gouvernement ont déclaré qu’une trentaine d’affaires étaient en instance de jugement devant les tribunaux militaires de Bamenda et de Buea pour différents crimes commis par les forces de sécurité, dont des actes de torture, la destruction de biens, le non-respect de consignes et des vols. Les responsables ont ajouté que, tant que les enquêtes étaient en cours, les informations les concernant seraient confidentielles. Cependant, l’absence manifeste d’obligation de rendre des comptes semble avoir alimenté la commission d’exactions telles que des meurtres, la destruction de biens et des actes de torture.

Le procès de sept militaires qui apparaîtraient dans une vidéo montrant l’exécution en 2015 de deux femmes et deux enfants dans la région de l’Extrême-Nord a démarré en août ; cependant, les audiences ont été retardées à plusieurs reprises, y compris en raison du fait que les avocats de la défense ont demandé à ce que ce procès se tienne à huis clos.

En mai, les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête sur la mise à feu d’au moins 70 habitations qu’auraient menée les forces de sécurité à Mankon, Bamenda, le 15 mai, ainsi que l’instauration d’une commission d’enquête pour évaluer les dégâts matériels et les biens détruits. Cette commission était censée remettre son rapport au plus tard le 24 mai mais les autorités n’ont rendu publique aucune de ses conclusions.

Le 12 avril, dans ce qui semble avoir été une tentative d’entraver l’émission de rapports sur les abus perpétrés par les forces de sécurité, le gouvernement a refusé de laisser une chercheuse de Human Rights Watch entrer dans le pays. Malgré plusieurs demandes d’explications, Human Rights Watch ignore toujours précisément sur quelles bases le gouvernement s’est appuyé pour justifier ce refus d’entrée sur le territoire.

Principaux acteurs internationaux

La France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont les principaux partenaires du Cameroun, essentiellement dans le cadre des opérations de lutte contre Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord du pays. La France et les États-Unis apportent au Cameroun une assistance et une formation significatives dans les domaines militaires et de la sécurité.

En février, les États-Unis ont annoncé une réduction de leur aide sécuritaire au Cameroun, invoquant des allégations crédibles selon lesquelles l’armée camerounaise aurait commis des atteintes aux droits humains. En juillet, l’Allemagne a également annoncé qu’elle mettait fin à sa coopération militaire avec le Cameroun. En octobre, les États-Unis ont décidé de retirer au Cameroun ses privilèges commerciaux prévus par la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (African Growth and Opportunity Act, AGOA) en raison d’abus.

La communauté internationale a de plus en plus pris conscience des crimes graves commis dans les régions anglophones, malgré les mesures prises par le gouvernement camerounais pour empêcher que les abus ne soient couverts et documentés. La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, qui s’est rendue au Cameroun en mai, a déploré les allégations d’atteintes graves aux droits humains et exhorté le gouvernement à mener des enquêtes transparentes. Son bureau a réalisé une mission exploratoire en septembre.

Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont publiquement fait part de leurs préoccupations quant à la situation dans les régions anglophones et aux restrictions affectant les libertés et les droits fondamentaux. En mars, le Royaume-Uni, au nom de 38 membres du Conseil des droits de l’homme, s’est déclaré profondément préoccupé par la dégradation de la situation en matière de droits humains dans les régions anglophones et a appelé le Cameroun à coopérer pleinement avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Le 4 avril, le Parlement européen a adopté une résolution faisant part de son inquiétude quant aux exactions commises dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays et demandé au Président Biya de libérer le chef du parti de l’opposition Kamto ainsi que toutes les autres personnes détenues sur la base d’inculpations à caractère politique.

En mai, le Conseil de sécurité de l’ONU a organisé une réunion informelle sur la situation humanitaire au Cameroun, malgré la résistance manifestée par le gouvernement camerounais et les trois membres africains du Conseil.