Le processus est on ne peut plus universel : à la naissance d'un bébé, un docteur, un parent ou une sage-femme annonce s'il s'agit d'une « fille » ou d'un « garçon ». Une assignation formulée en une fraction de seconde mais qui régira de nombreux aspects de notre vie. Et que la plupart d'entre nous ne remettent jamais en question.
La plupart, mais pas tous. Certains se détournent de leur assignation de naissance, et leur genre se développe parfois au-delà des notions rigides et traditionnelles du féminin et du masculin.
Quelle que soit la manière dont se développe son identité de genre, une personne devrait pouvoir jouir de ses droits fondamentaux et notamment être reconnue par le gouvernement de son pays ou encore avoir accès à la santé, à l'éducation ou à l'emploi. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas pour les personnes transgenres qui sont confrontées à l'humiliation, à la violence, voire parfois à la mort.
Le projet Trans Murder Monitoring (Observatoire des meurtres de personnes transgenres), qui répertorie et analyse les assassinats de personnes transgenres signalés dans le monde entier, a enregistré 1 731 meurtres de personnes transgenres entre 2007 et 2014 à l'échelle internationale. Les victimes de ces meurtres d'une brutalité souvent choquante ont parfois été aussi torturées et mutilées.
La violence caractérisée n'est pas la seule menace qui plane sur la vie des personnes transgenres. Elles n’ont pas moins de 50 fois plus de risques de contracter le VIH que le reste de la population, en partie à cause du stigmate et de la discrimination dont elles sont victimes et qui compliquent l'accès aux soins. Selon des études menées aux États-Unis, au Canada et en Europe, les taux de tentatives de suicide sont élevés chez les personnes transgenres, conséquence de la marginalisation et de l'humiliation systématiques dont elles sont victimes.
Plusieurs pays, dont la Malaisie, le Koweït et le Nigéria, pénalisent le fait « d'imiter » l'apparence d'une personne de sexe opposé : c'est l'existence même des personnes transgenres qui est hors-la-loi. Nombreux sont les autres pays où les personnes transgenres sont arrêtées en vertu de lois qui criminalisent les relations sexuelles entre personnes du même sexe.
Ces données fournissent seulement un aperçu des différentes formes terribles de violence et de discrimination auxquelles sont confrontées les personnes transgenres. En l'absence de reconnaissance légale dans le genre auquel ils et elles s'identifient et de droits et protections associés, leur vie quotidienne devient un calvaire jalonné de violences et d'humiliations chaque fois que leur apparence est examinée ou qu’on leur demande de présenter leurs papiers d’identité, ce qui pousse beaucoup de personnes transgenres à vivre cachées.
La demande de reconnaissance légale du genre suscite souvent la panique morale de nombreux gouvernements. Mais c'est un combat crucial à mener. Afin de permettre l'épanouissement des communautés transgenres et le respect des droits à la vie privée, à la libre expression et à la dignité pour tous et toutes, le mouvement pour la défense des droits humains doit donner la priorité à l'élimination des procédures abusives et discriminatoires qui entravent arbitrairement le droit à la reconnaissance. Les gouvernements devraient admettre qu'il n'appartient plus à l'État de refuser ou de restreindre injustement le droit fondamental des personnes à l'identité de genre. [1]
Un tournant
Ces dernières années, les personnes transgenres dans le monde entier ont accompli d'énormes progrès vers l'obtention de la reconnaissance légale.
En 2012, l'Argentine devint une référence mondiale en adoptant une loi pionnière en matière de reconnaissance légale du genre : toute personne majeure de plus de 18 ans peut choisir son identité de genre, bénéficier d'une réassignation de genre, et obtenir un changement d'état civil sans aucune autorisation juridique ou médicale préalable ; les enfants peuvent également faire de même avec l'autorisation de leurs représentants légaux ou d'un juge par l’intermédiaire de procédures sommaires.
Dans les trois années qui ont suivi, quatre autres pays —la Colombie, le Danemark, l'Irlande et Malte — ont explicitement levé des mesures restrictives significatives relatives à la reconnaissance légale du genre. Ce progrès les distingue des pays qui ne permettent en aucun cas à une personne de changer son sexe sur son état civil, ou qui ne le permettent que sous certaines conditions, telles que les interventions chirurgicales, la stérilisation forcée, l'évaluation psychiatrique, des périodes d'attente prolongées, et le divorce. Pour la première fois, les personnes peuvent modifier leur sexe dans leur état civil sur simple présentation des formulaires requis.
Ce progrès, fruit d'un long effort, s'est souvent fait aux dépens d'individus courageux qui ont accepté de voir leur vie et leur identité jugées par des tribunaux souvent hostiles.
Par exemple, le projet de loi irlandais de 2015 sur la reconnaissance du genre fut le fruit d’une bataille juridique longue de 22 ans menée par Lydia Foy, une dentiste à la retraite. Bravant le défi des procédures judiciaires, elle a présenté ses arguments pour être reconnue en tant que femme devant le Tribunal de grande instance irlandais à deux reprises, en 1997 et en 2007. Elle fut soutenue par des organes nationaux et internationaux de défense des droits humains qui ont appelé l'Irlande à instituer une procédure de reconnaissance du genre basée sur l'identité et les droits humains, et non sur les opérations chirurgicales et l'avis des experts. Malgré la pression constante, il a fallu attendre 2015 et une victoire écrasante du « oui » au référendum sur le mariage entre personnes de même sexe, pour que le gouvernement institue la reconnaissance légale du genre sur la base de l'identité.
En Asie du sud – où les hijras, catégorie identitaire de personnes assignées mâles à la naissance et qui développent une identité de genre féminine, ont longtemps été reconnues culturellement, si ce n’est légalement – les activistes se sont fixé un but connexe : la reconnaissance officielle d'un troisième genre. Le statut traditionnel des hijras, qui participent notamment à la bénédiction des jeunes mariés, leur conférait une certaine protection et un semblant de respectabilité. Mais plutôt que d'être considérées comme égales au reste de la population devant la loi, elles étaient vues comme exotiques et marginales, rendant leur existence dictée par les restrictions et les limites, et non par les droits.
La Cour suprême du Népal, par une décision de 2007 d'une portée considérable, a ensuite ordonné au gouvernement de reconnaître une troisième catégorie de genre sur la base du « ressenti personnel » d'un individu. La décision a largement reposé sur les tout nouveaux Principes de Jogjakarta, premier document codifiant des principes internationaux sur l'orientation sexuelle, l'identité de genre et les droits humains. Armé-e-s de cette décision, les activistes ont préconisé avec succès aux organismes gouvernementaux l'inclusion de la troisième catégorie de genre sur les listes électorales (2010), pour le recensement fédéral (2011), sur les documents d'état civil (2013), et sur les passeports (2015).
De même, en 2009, la Cour suprême du Pakistan a réclamé la reconnaissance d'une troisième catégorie de genre, et au Bangladesh, le cabinet a publié un décret en 2013 qui reconnaît les hijras en tant que genre légal à part entière. En 2014, la Cour suprême de l'Inde a rendu un jugement exhaustif identifiant un troisième genre, affirmant « le droit de chaque personne à choisir son genre » et réclamant l'inclusion des personnes transgenres au sein des programmes d'aide sociale de l'État.
C'est maintenant l'utilité même de la mention de genre qui est remise en question dans quelques pays. La Nouvelle Zélande et l'Australie offrent à présent la possibilité de choisir la mention de genre « non spécifié » à l'état civil, alors que le parlement des Pays-Bas a commencé à débattre de si le gouvernement devait tout simplement abandonner toute mention de genre à l'état civil.
Une question de dignité
De nombreux traités relatifs aux droits humains garantissent le droit à la reconnaissance en tant que personne devant la loi, un aspect fondamental de l'affirmation de la dignité et de la valeur de chaque personne. Cependant, même dans les pays qui permettent aux personnes d'être reconnues selon le genre auquel elles s'identifient, les procédures requises peuvent exposer les candidat-e-s à l'humiliation et aux mauvais traitements.
Par exemple, en Ukraine, les personnes transgenres qui souhaitent être reconnues légalement doivent subir : une évaluation psychiatrique obligatoire pouvant aller jusqu’à 45 jours d'hospitalisation pour confirmer ou infirmer un diagnostic de « transsexualisme » ; une stérilisation forcée ; de nombreux tests médicaux auxquels la personne doit consacrer énormément de temps, d'argent et de déplacements, tests pourtant indépendants des exigences de la procédure de reconnaissance légale du genre ; et une évaluation en personne humiliante, réalisée par une commission gouvernementale pour confirmer une fois encore le diagnostic de « transsexualisme » et pour autoriser le changement d'état civil. Ces procédures ne respectent pas le droit à la santé et peuvent exposer les personnes transgenres à des traitements inhumains ou dégradants interdits.
Dans son témoignage à Human Rights Watch, Tina T., une femme transgenre ukrainienne de 38 ans, a indiqué qu'au cours de son séjour dans un établissement psychiatrique, le personnel l'avait forcée à vivre au sein du service de haute sécurité pour hommes, derrière des barreaux et des portes en métal. Elle a indiqué qu'on lui autorisait seulement 45 minutes de promenade par jour autour du périmètre d'une cour de 30 mètres carrés ; les toilettes étant dépourvues de verrou, elle se sentait menacée ; et elle s'est vue refuser la prise d'hormones féminines par les médecins à qui elle avait été confiée.
Il semble évident qu’imposer des interventions médicales non désirées ou inutiles à des personnes n'a pas sa place dans un processus de reconnaissance d'une identité. Pourtant, même dans les pays qui s'estiment progressistes en termes de droits LGBT, y compris dans certains pays d'Europe occidentale et d'Amérique latine ainsi qu’aux États-Unis, les personnes transgenres sont encore forcées de subir des interventions dégradantes, et même une stérilisation, pour changer leur sexe sur leur état civil. Ces conséquences négatives qui marquent le parcours de reconnaissance légale du genre limitent sérieusement et dangereusement la capacité d'un individu à accéder à des services essentiels et à vivre en sécurité, à l'abri de la violence et de la discrimination.
Un tremplin vers d'autres droits
La reconnaissance légale du genre est également une composante essentielle d'autres droits fondamentaux, dont le droit à la vie privée, le droit à la liberté d'expression, le droit de ne pas faire l'objet d'une arrestation arbitraire, et les droits liés à l'emploi, à l'éducation, à la santé, à la sécurité, à l'accès à la justice, et à la liberté de circulation.
En octobre 2015, une décision du Tribunal de grande instance de Delhi a énoncé le lien intrinsèque entre le droit à la reconnaissance légale du genre et d'autres droits. Affirmant le droit d'un homme transgenre de 19 ans à saisir la justice face au harcèlement qu'il subissait de la part de ses parents et de la police, le juge Siddharth Mridul a écrit :
L'identité de genre et l'orientation sexuelle sont fondamentales au droit à l'autodétermination, à la dignité et à la liberté. Ces libertés se trouvent au cœur de l'autonomie personnelle et de la liberté des individus. Le ressenti ou l'expérience d'une personne transgenre vis-à-vis du genre est un élément déterminant de sa personnalité et de son sentiment d'existence. Au sens où je comprends la loi, chacun-e a le droit fondamental d'être reconnu-e dans le genre de son choix.
Emploi et logement
Les personnes transgenres indiquent régulièrement qu’elles essuient des refus en termes d'emploi et de logement dès qu'il devient évident que leur apparence ne correspond pas à la mention de genre sur leur état civil. Aux États-Unis, selon une enquête nationale menée en 2011 par le Centre national pour l'égalité transgenre et le Groupe de travail national LGBTQ (National LGBTQ Taskforce), parmi les personnes sondées et dont l'état civil ne « reflétait » pas le genre de leur apparence, 64% disaient avoir vécu des discriminations à l'emploi, contre 52% chez les personnes sondées qui avaient mis à jour la mention de genre sur leur état civil. Les preuves étaient similaires en matière de discrimination à la location ou à l'achat d'une maison ou d'un appartement envers les personnes transgenres dépourvues de pièce d'identité « adéquate ».
Sharan, une femme transgenre en Malaisie, a signalé à Human Rights Watch que bien qu'elle se présente en tant que femme, en l'absence de reconnaissance légale du genre en Malaisie, lorsqu'elle postule à un emploi elle se voit contrainte de présenter une pièce d’identité portant une mention de genre masculin. Elle a décrit son expérience lors des entretiens d'embauche :
Quand je me rends à un entretien, si le recruteur est un homme, il commence par me demander : « Est-ce que vos seins sont vrais ? Quand avez-vous décidé de changer ? » J'explique que je suis une femme transsexuelle. « Est-ce que vous avez un pénis ou un vagin ? Avez-vous des relations sexuelles avec des hommes ou avec des femmes ? Quelles toilettes utilisez-vous ? Avez-vous fait votre opération ? Pourquoi avez-vous choisi de prendre des hormones ? » Cela n'a rien à voir avec le travail (…). Ensuite ils vous disent qu'ils vont vous rappeler dans deux semaines, mais ils ne vous rappellent jamais.
Éducation
Les enfants et les jeunes adultes transgenres sont confrontés à des mauvais traitements en milieu scolaire, allant des agressions sexuelles au harcèlement, en passant par l'inscription forcée dans une école non-mixte ou le port d'un uniforme correspondant au genre qu'on leur a assigné à la naissance.
Au Japon, des collégiens et des lycéens ont expliqué à Human Rights Watch combien les règles strictes en matière d'uniformes filles/garçons, qui ne permettent souvent pas aux enfants de changer d'uniforme sans diagnostic de « trouble de l'identité de genre », avaient provoqué chez eux une extrême anxiété, menant à des absences prolongées et répétées, voire à une déscolarisation. Dans ce pays, où la chirurgie de réassignation sexuelle est une étape obligatoire de la procédure de reconnaissance légale du genre, certain-e-s ont indiqué s'être senti-e-s incité-e-s à suivre la procédure dans son intégralité avant l'âge adulte, afin de pouvoir entrer à l'université ou sur le marché du travail sous le genre auquel ils s’identifient.
En Malaisie, le ministère de l'éducation du territoire fédéral (Kuala Lumpur) applique une politique explicitement discriminatoire qui prévoit des sanctions pour homosexualité et « confusion de genre », telles que les coups de canne ou bien le renvoi temporaire ou définitif.
Malte est devenue pionnière dans la reconnaissance du droit à l'éducation des enfants transgenres : après l’adoption de sa législation de reconnaissance légale du genre en avril 2015, le gouvernement a lancé des directives complètes pour que les écoles tiennent compte des élèves de genre non-conforme, notamment sur les questions liées aux uniformes et aux toilettes.
Santé
En l'absence de pièces d'identité qui correspondent à leur genre apparent, les personnes transgenres qui nécessitent des soins sont exposées aux questions indiscrètes et à l'humiliation. En Malaisie, Erina, une femme transgenre, a été hospitalisée pendant deux jours en 2011 suite à une forte fièvre. Elle a signalé à Human Rights Watch qu'elle avait été placée dans un service pour hommes à cause de la mention du genre « masculin » sur sa carte d'identité, en dépit de sa demande d'être placée dans un service pour femmes. Les médecins et les infirmières l'ont interrogée sur son identité de genre, en lui posant des questions sans lien avec le problème de santé pour lequel elle voulait se faire soigner.
Là où les identités transgenres sont criminalisées, l'accès à la santé est d'autant plus semé d'embuches. Au Koweït, des femmes transgenres ont signalé à Human Rights Watch que des médecins les avaient dénoncées à la police après avoir constaté que le genre sur leurs papiers d'identité délivrés par le gouvernement ne correspondait pas à leur apparence et à leur présentation, limitant de fait leur accès aux soins.
Après que l'Ouganda a adopté son tristement célèbre projet de loi Anti-Homosexualité en février 2014, les responsables de l'application des lois et les citoyens ordinaires ont pris pour cible les personnes transgenres ainsi que les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles. Jay M., un homme transgenre, a indiqué à Human Rights Watch qu'alors qu'il consultait pour une fièvre :
Le docteur m'a demandé : « Mais êtes-vous une femme ou un homme ? » J'ai dit : « Peu importe, je peux juste vous dire que je suis un homme trans. » Il a dit : « C'est-à-dire, un homme trans ? Vous savez qu'ici nous n'offrons pas de services aux personnes gays. Les gens comme vous ne devraient même pas vivre dans notre communauté. Je peux même appeler la police et vous dénoncer… »
Jay a finalement versé au docteur un pot-de-vin de 50 000 shillings ougandais (environ 14 dollars) et s'est enfui du cabinet.
Déplacements
Le simple fait de se déplacer d'un endroit à un autre peut s’avérer être une expérience dangereuse et humiliante pour les personnes dont les papiers d'identité ne reflètent pas l'expression de leur genre. Les enjeux sont considérables, en particulier pour les voyages internationaux : les personnes transgenres s'exposent à des accusations de fraude, à des contrôles approfondis et aux humiliations.
Aux Pays-Bas, une femme transgenre a expliqué à Human Rights Watch : « Quand je voyage internationalement, ils me font souvent sortir de la file d'attente pour m'interroger : les gens pensent que j'ai volé mon passeport. » Au Kazakhstan, un homme transgenre a déclaré : « Chaque fois que je suis passé par l'aéroport d'Almaty —les quatre fois—, j'ai été humilié par les agents de sécurité. » Il a décrit comment « d'abord, l'agent regarde ma pièce d'identité d'un air perplexe, puis il me regarde et me demande ce qu'il se passe ; alors je lui dis que je suis transgenre et je lui montre mes certificats médicaux ; à ce moment-là il appelle ses collègues, tous ceux qu'il peut trouver, et là ils me regardent tous, me pointent du doigt, se moquent de moi, puis ils finissent par me laisser partir. »
Les experts des droits humains des Nations Unies ont condamné ce ciblage des personnes transgenres au cours des processus de sécurité.
Accès à la protection de la police et à la justice
Le manque de reconnaissance de base devant la loi empêche les victimes de crimes de saisir la justice, un problème significatif pour une population exposée à des taux extrêmement choquants de violence. L'inadéquation entre leurs papiers d'identité et leur apparence peut exacerber les abus lorsqu'elles tentent de porter plainte auprès des autorités.
À Mombasa, au Kenya, une femme transgenre, Bettina, a indiqué à Human Rights Watch que des vandales avaient détruit son étalage au marché où elle vendait de la nourriture lors d'une vague d'attaques homophobes et transphobes en octobre 2014. Lorsque Bettina a porté plainte au commissariat, la police l'a questionnée sur son identité de genre et a refusé de lui donner un numéro de dossier pour pouvoir suivre l'évolution de sa plainte. « Je suis partie, car ils n'allaient rien faire pour moi », a-t-elle déclaré.
Droit de ne pas être exposé à la violence
Dans de nombreux pays, les détenu-e-s transgenres sont placé-e-s en cellule avec les personnes du genre auquel elles ne s'identifient pas, ce qui les expose aux mauvais traitements et aux agressions sexuelles. Les normes internationales en matière de détention publiées par l'Office des Nations Unies conte la drogue et le crime avertissent : « Lorsque les prisonniers transgenres sont détenus en fonction de leur genre de naissance, en particulier lorsque les prisonnières transgenres MTF sont placées avec les hommes du fait de leur assignation au genre masculin à la naissance, cela ouvre la voie aux agressions sexuelles et aux viols. »
Aux États-Unis, où la plupart des établissements correctionnels affectent les détenu-e-s au quartier qui correspond au sexe qui leur a été assigné à la naissance plutôt qu'en fonction de leur identité, les données recueillies indiquent qu'un-e détenu-e transgenre sur trois est agressé-e sexuellement en prison.
Vie privée
Le refus d'un gouvernement de reconnaître des personnes selon le genre auquel elles s'identifient peut équivaloir à une violation du droit à la vie privée. Dans une affaire de 2002 au Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le refus de modifier les papiers d'identité et l'état civil pourrait constituer une discrimination et une violation du droit au respect de la vie privée. Dans une autre affaire datant de 2003, cette même cour a estimé que l'Allemagne n'avait pas respecté « la liberté de la requérante de se définir en tant que personne de genre féminin, l'une des bases les plus fondamentales de l'autodétermination ».
Droit fondamental à la liberté
Trop nombreux sont les pays où les personnes transgenres sont criminalisées simplement pour ce qu’elles sont. La charia de l'État malaisien interdit à « une personne de sexe masculin de se faire passer pour une femme » et, dans quelques États, à « une personne de sexe féminin de se faire passer pour un homme. » Cela a entraîné d’innombrables arrestations de personnes transgenres pour le simple fait de marcher dans la rue en portant des vêtements que les autorités religieuses étatiques jugent inappropriés au sexe assigné à la naissance. Elles sont condamnées à des peines d'emprisonnement, à des amendes, ou à un « suivi psychologique » obligatoire.
Le Nigéria, le Koweït, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont également procédé à des arrestations pour « travestissement » ces dernières années ; bien qu'aucune loi ne criminalise spécifiquement les personnes transgenres en Arabie Saoudite, les juges saoudiens ont ordonné que les hommes accusés de se comporter comme des femmes soient emprisonnés et fouettés.
Les lois qui interdisent les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont aussi utilisées pour arrêter ou harceler les personnes transgenres et au genre non-conforme, indépendamment du fait qu'il n'y a aucune corrélation directe entre l'identité de genre et l'orientation sexuelle ou le comportement sexuel, comme Human Rights Watch l’a documenté au Malawi, en Ouganda et en Tanzanie.
Les personnes transgenres sont également arrêtées sous d'autres prétextes. Au Népal, la police a arrêté et agressé sexuellement des femmes transgenres en 2006 et 2007 sous couvert de nettoyer les espaces publics. De même, en Inde, les femmes transgenres ont été la cible d'arrestations et d'expulsions par la police en 2008 dans un effort similaire de « nettoyage social ». En 2013, en Birmanie, la police a procédé à l'arrestation arbitraire d'un groupe de dix hommes gays et femmes transgenres et leur a fait subir des violences en détention.
Pour la plupart des victimes de ces mauvais traitements, un futur où elles pourraient être reconnues légalement, et où elles ne risqueraient plus d'être emprisonnées pour avoir voulu être elles-mêmes, semble bien éloigné. C'est pourtant précisément la persécution à laquelle ces personnes sont confrontées qui confère à la lutte pour la reconnaissance légale du genre une urgence particulière. Elle montre que les États ne devraient pas intervenir pour réguler l'identité des personnes.
Un tournant dans la mentalité du corps médical
Selon les principes de Jogjakarta, l’autodéfinition de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre font « partie intégrante de la personnalité » et sont l’un des aspects les plus fondamentaux de l’autodétermination, de la dignité et de la liberté. Les principes énoncent clairement que la reconnaissance de genre peut impliquer, « si consentie librement (c'est nous qui soulignons), une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres ».
En clair, le processus de reconnaissance légale devrait être indépendant de toute intervention médicale. Mais si le parcours personnel de transition d'un individu exige un soutien médical, ces services devraient être disponibles et accessibles.
En 2010, l'Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (World Professional Association of Transgender Health, WPATH), une association internationale, professionnelle et multidisciplinaire déclarait : « Aucune personne ne devrait avoir à subir une intervention chirurgicale ou accepter la stérilisation comme condition de la reconnaissance de son identité. » En 2015, la WPATH a élargi la portée de ses revendications et a invité les gouvernements à « éliminer les obstacles inutiles et instituer des procédures administratives simples et accessibles pour permettre aux personnes transgenres d'obtenir la reconnaissance légale du genre, reflet de l'identité de chaque individu, lorsque la mention de genre à l'état civil est considérée comme nécessaire ».
L'Organisation mondiale de la santé envisage d'effectuer des changements importants à sa version révisée de la Classification internationale des maladies, à paraître d'ici 2018, qui transformeront de manière significative les modes de codification et de catégorisation des expériences des personnes transgenres utilisés par les médecins à travers le monde. Les révisions proposées, bien qu'il s'agisse encore d'une version provisoire, ne classeraient plus les diagnostics liés aux identités transgenres parmi les troubles mentaux, ce qui constitue une étape importante vers la déstigmatisation des personnes transgenres.
Un paradigme des droits en transition
Intégrant les leçons retenues au fil de plusieurs décennies de travail assidu par les activistes transgenres du monde entier, le mouvement international pour la défense des droits humains a lentement commencé à reconnaître les violations des droits humains basées sur l'identité et l'expression de genre, et à documenter et à condamner les abus.
En 2011, un rapport historique du Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la violence et la discrimination basées sur l'identité de genre et l'orientation sexuelle a constaté que la plupart des pays ne permettent pas la reconnaissance légale du genre, de sorte que les personnes transgenres sont confrontées à de nombreuses difficultés, par exemple dans leur recherche d'emploi, de logement, de prêt bancaire ou d'aides de l'État, ou lors de voyages à l'étranger. Le rapport de suivi, publié en 2015, a constaté des progrès dans dix pays, mais aussi que le manque de progrès en général affectait encore un large éventail de droits pour les personnes transgenres.
Constatant la mobilisation pour la reconnaissance légale du genre et son urgence intersectionnelle, 12 agences techniques de l'ONU, allant de l'UNICEF au Programme alimentaire mondial, ont fait une déclaration commune en 2015 et ont invité les gouvernements à garantir « la reconnaissance légale de l’identité de genre des personnes transgenres sans conditions abusives », telles que la stérilisation, les traitements ou le divorce forcés. En avril 2015, le Conseil de l'Europe a publié une résolution, adoptée par son Assemblée parlementaire, qui invitait les gouvernements à adopter des procédures rapides et transparentes de reconnaissance du genre basées sur l'autodétermination.
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La loi ne devrait pas forcer des personnes à porter une mention de genre qui ne reflète pas qui elles sont. La reconnaissance devant la loi du genre auto-défini par les personnes ne revient pas à demander aux gouvernements de concéder des droits nouveaux ou spéciaux ; il s'agit plutôt d'un engagement envers l'idée essentielle selon laquelle chacun-e peut décider de qui elle est sans ingérence de l'État ou d’autres acteurs.
L'obtention du droit à la reconnaissance du genre est cruciale pour permettre aux personnes transgenres de tourner la page d'une vie marginalisée et d’apprécier une vie digne. Le mouvement s'accélère vers un changement simple qui permettrait à chacun-e de décider de la manière dont son expression de genre est exprimée et enregistrée. Il était grand temps.
Neela Ghoshal est chercheuse senior et Kyle Knight est chercheur au sein de la division LGBT de Human Rights Watch.
[1] Même si cet essai se concentre sur les personnes transgenres, plusieurs des réformes juridiques et politiques liées à la reconnaissance légale du genre qu'exigent les obligations relatives aux droits humains pourraient également améliorer la situation des personnes intersexes. Les personnes intersexes sont nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas au modèle corporel binaire masculin et féminin, et sont elles aussi confrontées à des violations de leurs droits et à des obstacles spécifiques. Elles sont notamment soumises à des procédures chirurgicales inutiles pour tenter de rendre leur apparence conforme aux stéréotypes sexuels binaires.