(New York, le 25 juillet 2010) - Aux États-Unis, les personnes souffrant d'une incapacité mentale, y compris de nombreux citoyens américains, sont particulièrement exposées au risque d'être expulsées à tort par les services de l'immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE) parce que les tribunaux ne garantissent pas aux personnes incapables d'assurer leur propre représentation le droit à une audience dans des conditions équitables. Tel est le constat dressé par Human Rights Watch et l'Association américaine de défense des libertés civiles (American Civil Liberties Union, ACLU) dans un rapport commun publié aujourd'hui. Les deux organisations ont exhorté le Congrès américain à adopter une loi exigeant la désignation d'avocats chargés de représenter les personnes souffrant d'une incapacité mentale auprès des tribunaux spécialisés dans l'immigration.
Le rapport de 98 pages, intitulé « Deportation by Default: Mental Disability, Unfair Hearings, and Indefinite Detention in the US Immigration System » (« Expulsion par défaut : Incapacité mentale, iniquité des auditions, durée de détention indéfinie dans le système d'immigration américain ») précise que les immigrants mentalement déficients font l'objet de détentions sans motifs pendant des années, parfois sans aucun délai légal fixé. Au fil des cas exposés, le document démontre que des personnes ayant une déficience mentale ont été empêchées de présenter un recours contre leur expulsion, et de demander la citoyenneté américaine, du fait qu'elles n'étaient pas en mesure de se représenter elles-mêmes. Certaines personnes interrogées pour le rapport ignoraient leur propre nom, étaient délirantes, ne pouvaient se situer dans le temps, ou ne savaient pas qu'une expulsion impliquait leur transfert hors des États-Unis.
« Peu de domaines de la législation américaine sont aussi complexes que l'expulsion. Pourtant, chaque jour, des personnes souffrant d'une déficience mentale doivent se rendre au tribunal sans avocat ni aucune garantie d'être entendues de manière équitable », a déclaré Sarah Mehta, titulaire d'une bourse « Aryeh Neier Fellowship » décernée conjointement par Human Rights Watch et l'ACLU. « Certaines personnes présentent des incapacités si graves qu'elles ne savent ni comment elles s'appellent, ni ce qu'est un juge. »
Parmi les immigrants en détention menacés d'expulsion en 2008, au moins 57 000 (soit 15 %) souffraient d'une déficience mentale. En vertu de la législation et des pratiques actuelles de l'immigration, les immigrants détenus n'ont droit ni à un avocat désigné par le tribunal, ni à d'autres formes de protection telles que l'évaluation de leur capacité à être entendus avec équité tout au long de la procédure d'expulsion, ont indiqué Human Rights Watch et l'ACLU. Même si certains bénéficient d'une représentation gratuite de la part d'organismes de conseil juridique ou si d'autres peuvent payer un avocat avec l'aide de leur famille, la très grande majorité ne va jamais avoir les moyens de rétribuer ni de trouver un avocat, ce qui les expose à une détention prolongée, voire indéfinie.
Par exemple, un homme en résidence permanente légale qui séjourne aux États-Unis depuis quarante ans, mais qui est dans l'incapacité de se souvenir de sa date de naissance ou des raisons de son traitement médical, encoure une expulsion vers le Mexique. Interrogé pendant sa détention au Texas, il a déclaré à l'auteur du rapport qu'il voulait être assisté d'un avocat.
« Le juge se contente de m'accorder des délais pour voir si je peux trouver un avocat. [...] C'est difficile parce que ma tête ne va pas bien, et j'ai du mal à décider quoi lui dire », a-t-il précisé.
Questionné sur ses déficiences mentales, il a évoqué le fait d'avoir reçu plusieurs balles à la tête, lesquelles n'ont pas été extraites : « Je crois que je suis mort, c'est sûr parce que je me rappelle avoir vu des enfants avec des ailes. »
Le rapport de Human Rights Watch et de l'ACLU réunit les cas de 58 personnes souffrant d'une incapacité mentale, qui sont menacées d'expulsion et détenues dans plusieurs États : Arizona, Texas, Californie, Floride, Illinois, Wisconsin, Caroline du Sud, Pennsylvanie et Virginie. La plupart sont des résidents permanents légaux aux États-Unis qui encourent une expulsion pour des infractions criminelles sans voies de fait, telles que violation de propriété ou possession de drogue. Avant d'être arrêtés, beaucoup recevaient, au sein de la communauté, un traitement pour leur déficience mentale. Le rapport fait apparaître combien les immigrants, et même les citoyens américains, ayant une déficience mentale sont à la merci d'arrestations sans discernement de la part des services d'immigration.
Le rapport montre également que, non seulement les personnes mentalement déficientes risquent d'être arrêtées et expulsées sans mesures de protection, mais qu'elles sont détenues d'office par l'ICE pendant leurs auditions. La détention se prolonge souvent indûment lorsque les immigrants souffrant d'une incapacité mentale ne sont pas en mesure de parler pour leur propre compte, ce qui conduit même les membres des tribunaux à admettre que les audiences ne peuvent ou ne devraient pas se poursuivre. Dans certains cas, des individus ont été détenus pendant dix années sans que leur affaire ne soit réglée.
« Comme personne ne sait quoi faire des détenus ayant une déficience mentale, toutes les branches du système d'immigration renoncent à leurs responsabilités », a précisé Sarah Mehta. « Le résultat, ce sont des gens qui se morfondent en détention pendant des années tandis que leur dossier juridique - et donc leur vie - passe de main en main ou reste indéfiniment en suspens. »
Human Rights Watch et l'ACLU ont signalé que le 26 juillet 2010 est le vingtième anniversaire de la loi fédérale en faveur des handicapés (Americans with Disabilities Act) et que, il y a un an, le président Barack Obama signait la Convention sur les droits des personnes ayant un handicap. Le ministère fédéral de la Justice et le Bureau exécutif de contrôle de l'immigration (Executive Office of Immigration Review) devraient respecter l'esprit de ces engagements destinés à concevoir des procédures grâce auxquelles les individus souffrant d'une incapacité mentale pourraient être identifiés et recevoir une assistance pendant leurs auditions, ont insisté Human Rights Watch et l'ACLU. L'ICE devrait également examiner les politiques existantes pour que la détention des immigrants mentalement déficients ne soit ni arbitraire ni indéfinie.