La situation au Mali en matière de droits humains s’est aggravée en raison d’une hausse significative de la violence et d’une nette détérioration des conditions sécuritaires, et ce, en dépit de la signature en juin d’un accord de paix destiné à mettre fin à la crise militaire et politique qui sévit dans le nord du pays. Des attaques et des actes violents se sont peu à peu répandus depuis le Nord vers plusieurs régions du sud du pays ainsi que vers la capitale, Bamako.
L’année 2015 a été marquée par de fréquents incidents de banditisme et de criminalité endémique ; des affrontements entre groupes armés ; et des attaques meurtrières lancées par des groupes islamistes armés contre des Casques bleus des Nations Unies, des membres des forces gouvernementales maliennes et, dans une moindre mesure, des civils. La violence a gravement nui à l’acheminement de l’aide humanitaire. Les forces gouvernementales ont répondu à ces attaques par des opérations militaires qui, à plusieurs reprises, ont conduit à des arrestations arbitraires, des exécutions, des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
Les autorités maliennes n’ont guère déployé d’efforts pour mener des enquêtes et traduire en justice les personnes impliquées dans de graves exactions commises pendant le conflit armé de 2012-2013. En 2015, la libération de quelque 70 détenus, dont certains étaient impliqués dans de graves violations, a soulevé des inquiétudes quant à la possibilité qu’une amnistie de facto soit accordée pour ces crimes.
À travers le pays, les institutions chargées d’assurer l’État de droit ont démontré certaines faiblesses, en partie en raison de leur manque de professionnalisme—exigeant notamment des pots-de-vin—et de l’insuffisance des budgets alloués au système de justice pénale. La corruption, endémique à tous les niveaux du gouvernement, a par ailleurs gêné l’accès des Maliens à l’éducation et aux soins de santé de base. Peu de progrès ont été relevés au niveau de la réforme du secteur de la sécurité et de la justice ou des défis en matière de développement, par exemple la prestation d’une éducation et de soins de santé de base.
La communauté diplomatique a continué de s’intéresser au Mali en raison de préoccupations relatives à la dégradation de la situation sécuritaire et au déplacement vers le sud du pays de groupes qui seraient affiliés à Al-Qaïda. Le gouvernement français a joué un rôle clé dans les questions d’ordre militaire ; l’Union européenne (UE), dans la formation et la réforme du secteur de la sécurité ; et les Nations Unies, dans les domaines de l’État de droit et de la stabilité politique, par l’intermédiaire de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Cependant, ces acteurs ont dans une large mesure rechigné à réclamer publiquement l’ouverture d’enquêtes sur les crimes passés et actuels.
Exactions commises par des groupes armés dans le Nord
Tout au long de l’année 2015, des groupes armés affiliés à Al-Qaïda, ainsi que des mouvements d’ethnies touaregs et arabes, ont pris part à de nombreux affrontements, à des attaques ciblant des soldats maliens et, malgré leur neutralité, des membres des forces de maintien de la paix, ainsi que, dans une moindre mesure, des travailleurs humanitaires et d’autres civils. De nombreux civils ont été blessés ou tués, soit lors de ces attaques, soit par des mines antipersonnel et des engins explosifs improvisés placés sur les grands axes. Ces groupes ont détenu des personnes de manière arbitraire et ont souvent assujetti les combattants de camps opposés à de mauvais traitements.
Les attaques lancées par des groupes armés islamistes se sont multipliées dans le Nord et propagées jusqu’au centre et au sud du pays. Des attaques ont ainsi eu lieu dans les régions de Mopti, de Ségou, de Sikasso et de Koulikoro, ainsi qu’à Bamako, où des assaillants islamistes ont tué cinq personnes lors de l’attaque d’une boîte de nuit en mars, et au moins 18 autres, dont de nombreux étrangers, lors d’une opération visant un hôtel de luxe. Au mois d’août, l’attaque d’un hôtel dans la ville de garnison de Sévaré, dans le centre du Mali, a tué cinq civils, dont quatre sous-traitants de la mission des Nations Unies. Ces groupes ont exécuté au moins 13 civils accusés d’être des informateurs du gouvernement, la majorité dans le centre du Mali.
En 2015, des hommes armés ont lancé au moins 30 attaques contre des agences humanitaires, entravant leurs efforts visant à acheminer une aide. En mars, un chauffeur du Comité international de la Croix-Rouge a été tué à bord d’un camion clairement identifié par l’emblème de l’organisation dans une embuscade tendue par un groupe armé islamiste.
Au moins 10 Casques bleus des Nations Unies ont été tués en 2015 après avoir été délibérément pris pour cible par des groupes armés islamistes, portant à 42 le nombre de Casques bleus tués depuis la création de la MINUSMA en 2013. Des groupes armés ont revendiqué un grand nombre de ces attaques, dont une en juillet qui a tué six Casques bleus burkinabè.
Au moment de la rédaction de ce chapitre, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) détenait encore deux otages étrangers : un Suédois et un détenteur de la double nationalité britannique et sud-africaine. AQMI a libéré un otage français en décembre 2014, et les forces françaises ont libéré un otage néerlandais lors d’une opération militaire en avril 2015.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État
Les forces gouvernementales ont commis de nombreuses exactions à l’encontre de personnes soupçonnées d’être des partisans ou des membres de groupes armés islamistes. Parmi ces atteintes, citons des détentions arbitraires, des actes de torture et autres mauvais traitements, et des exécutions extrajudiciaires. Les exactions les plus fréquentes et les plus graves ont été commises par des soldats de l’armée et des membres de la milice progouvernementale appelée Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), ciblant majoritairement des hommes issus des groupes ethniques peul et touareg. En mai, des miliciens du GATIA auraient exécuté six hommes touaregs, dont un travailleur humanitaire dans le village de Tin Hamma, dans le nord du pays.
Les exactions ont généralement cessé une fois les détenus remis entre les mains des gendarmes, lesquels ont de plus en plus assumé leur rôle officiel de grand prévôt. Les militaires n’ont guère cherché à enquêter sur les soldats ou les miliciens impliqués dans des violations et à les traduire en justice. Des membres des forces de sécurité, notamment de l’armée, ont également été impliqués dans des actes d’extorsion, de pots-de-vin et de vol visant dans la plupart des cas des détenus.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises lors du conflit armé de 2012-2013
Le gouvernement a fait peu de progrès quant à la traduction en justice des membres de toutes les factions belligérantes responsables d’atteintes aux lois de la guerre lors du conflit armé de 2012-2013. À quelques exceptions près, les autorités judiciaires n’ont pas enquêté sur la centaine de dossiers déposés par des victimes et des membres de leurs familles. En outre, au moment de la rédaction de ce chapitre, la torture et la disparition forcée en 2012 de 21 « Bérets rouges », militaires d’élite, événements qui avaient entraîné en 2013 et 2014 la condamnation de quelque 25 militaires, dont celle du général Amadou Haya Sanogo, auteur d’un coup d’État, n’avaient pas dépassé le stade de l’enquête.
En 2015, les autorités ont libéré au moins 74 détenus, dont plusieurs auraient été impliqués dans des crimes internationaux graves pendant le conflit armé de 2012-2013. Ces libérations, qualifiées par le gouvernement de « mesures de confiance » dans le contexte des négociations, ont eu lieu sans tenir compte de la possibilité que ces hommes aient été responsables de délits graves. L’accord de paix ne comprenait pas de dispositions permettant de lutter contre l’impunité et de répondre au besoin que justice soit faite dans le cas de crimes sérieux commis par toutes les parties lors du conflit.
Le 18 septembre, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé son premier mandat d’arrêt dans le cadre de son enquête sur le Mali. Le 26 septembre, Ahmad Al Mahdi Al Faqi a été transféré à la CPI depuis le Niger après avoir été reconnu coupable d’avoir détruit des monuments historiques, première affaire de ce type à être portée devant la CPI. En juillet 2012, le Mali, État partie à la CPI, a déféré « la situation au Mali depuis le mois de janvier 2012 » à la Procureure de la CPI afin qu’elle enquête sur cette question.
Mécanisme de recherche de la vérité et de réconciliation
En 2014, le Président Ibrahim Boubacar Keïta a créé par décret exécutif la Commission Vérité, Justice et Réconciliation. La Commission disposera d’un mandat de trois ans pour couvrir la période allant de 1960 à 2013. Elle se composera de 15 membres et de sept groupes de travail. Elle relèvera du ministère de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord. En août, le gouvernement a nommé Ousmane Oumarou Sidibé au poste de président de la Commission ; sa nomination et la crédibilité de cette instance sont toutefois limitées, le gouvernement n’ayant pas mené une consultation suffisante auprès d’un large éventail de parties prenantes pour décider de la composition de la Commission, de ses pouvoirs et de son degré d’indépendance.
Système judiciaire
Courant 2015, des progrès ont été réalisés en matière de rétablissement du système judiciaire pour les résidents des régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal, dans le nord du pays, comme l’ont démontré la poursuite des activités des tribunaux et prisons locaux et le redéploiement des procureurs, des juges et des membres de la police judiciaire qui avaient pris la fuite lors du conflit armé. Leur capacité à enquêter en dehors des grandes villes a été limitée par la précarité de la situation sécuritaire. Certains membres du personnel judiciaire et correctionnel ont fui leur poste dans le centre du Mali après avoir été attaqués par des groupes armés.
La négligence et la mégestion dont pâtit le système judiciaire malien à travers le pays ont entraîné des insuffisances graves, notamment un manque de personnel et des contraintes logistiques. Ces manques ont entravé les démarches destinées à résoudre le problème de l’impunité des auteurs de tous crimes, contribué à des atteintes au droit de bénéficier d’une procédure équitable et engendré des incidents d’auto-justice. Par exemple, en mars, deux enfants soupçonnés d’avoir planté un engin explosif à proximité d’un poste de police à Gao ont été battus à mort par une foule déchaînée.
Du fait de l’incapacité des tribunaux à traiter les dossiers de manière satisfaisante, des centaines de détenus font l’objet d’une détention prolongée en attendant d’être jugés, dans des prisons et des centres de détention surpeuplés.
Recrutement d’enfants
Des groupes armés dans le Nord ont continué de recruter et d’utiliser des enfants soldats, dont certains avaient tout juste 12 ans. En 2015, une quinzaine d’écoles du nord du pays ont été occupées à différents moments par des membres de groupes armés et, dans une moindre mesure, des forces gouvernementales. Plusieurs enfants soupçonnés d’avoir soutenu des groupes armés ont été placés en détention dans la Prison centrale de Bamako, ce qui constitue une atteinte à un protocole de 2013 qui stipule que les enfants doivent être placés dans un centre d’accueil géré par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
Principaux acteurs internationaux
En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé le mandat de la MINUSMA et autorisé le déploiement de 12 680 Casques bleus, dont 40 observateurs militaires. Une enquête de l’ONU sur le meurtre de trois hommes abattus par des policiers de l’ONU originaires du Rwanda lors d’une manifestation à Gao a conclu qu’ils avaient « fait usage de la force de manière excessive et non autorisée ». Le Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix a soutenu des projets axés sur la réconciliation et la justice. L’expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits humains au Mali, Suliman Baldo, a mené deux missions au Mali.
L’Algérie a dirigé des pourparlers de paix, avec l’aide de membres de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union européenne, de l’ONU et de l’Organisation de la coopération islamique, ainsi que de gouvernements régionaux.
L’opération militaire menée par la France dans la région et regroupant 3 000 hommes—connue sous le nom d’Opération Barkhane—a poursuivi ses activités au Mali ainsi qu’en Mauritanie, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad. L’armée américaine a apporté un soutien logistique à l’opération Barkhane.
La Mission de formation de l’UE au Mali a continué de former des soldats et, en février, a conduit à l’instauration de la Mission de l’UE chargée du renforcement des capacités pour former la police, la gendarmerie et la Garde nationale.
La MINUSMA, le Programme de développement de l’ONU, l’UE, les Pays-Bas et le Canada ont montré l’exemple en instaurant des programmes visant à soutenir le secteur de la justice et à venir à bout de la corruption. Cependant, leur manque de coordination a entravé la réalisation de progrès propices à ce secteur.