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Haïti

Événements de 2019

Un rassemblement majoritairement pacifique de milliers de personnes, organisé par la communauté artistique à Port-au-Prince (Haïti), le dimanche 20 octobre 2019. L’indignation face à la corruption, à l’inflation et à la pénurie de produits de base, notamment de l’essence, a conduit à plus d’un mois de manifestations causant la paralysie du pays,  et marquées par des appels à  la démission du président Jovenel Moïse. 

© 2019 AP Photo/Rebecca Blackwell

En 2019, l’instabilité politique a continué d’entraver la capacité du gouvernement haïtien à répondre aux besoins fondamentaux de la population, à résoudre des problèmes de longue date en matière de droits humains et à remédier aux crises humanitaires.

En juillet 2018, l’annonce par le gouvernement de la suppression de subventions, laquelle a entraîné une hausse des prix du carburant pouvant atteindre 50 %, a conduit à des protestations massives et aux troubles civils les plus graves que le pays ait connus depuis des années. En février 2019, les mouvements de contestation se sont amplifiés lorsque le gouvernement a déclaré l’état d’urgence économique, des groupes de l’opposition réclamant la démission du président Jovenel Moïse, accusé de mauvaise gestion de fonds publics destinés à des programmes sociaux. En septembre, les manifestations anti-gouvernement se sont intensifiées et la police a riposté dans plusieurs cas par un usage excessif de la force. Au moment de la rédaction de ce rapport, Haïti entrait dans sa 10e semaine de manifestations et d’affrontements politiques.

La corruption, la vulnérabilité aux catastrophes naturelles, la résurgence de la violence des gangs et l’usage excessif de la force par la police contre les manifestants demeurent des préoccupations majeures en matière de droits humains en Haïti.

Personnes déplacées

Les Haïtiens, vulnérables aux catastrophes naturelles, notamment aux tempêtes tropicales et aux ouragans, restent susceptibles d’être déplacés. Plus de trois ans après l’ouragan Matthew, qui a fait entre 540 et 1 000 morts selon les estimations, plus de 140 000 familles attendent toujours d’obtenir un logement décent. En 2018, près de 9 000 personnes supplémentaires ont été déplacées, la plupart après avoir vu leur habitation détruite par un séisme en octobre.

En janvier 2019, près de 35 000 personnes, dont plus de 50 % de femmes et d’enfants, vivaient dans des camps de déplacés installés après le séisme de 2010. Aucune aide visant à les reloger ou à leur permettre de retourner d’où elles venaient ne leur a été fournie par les autorités.

Droits à la santé, à l’eau et à une alimentation suffisante

Les communautés les plus vulnérables du pays continuent d’être exposées à des risques environnementaux, tels que la déforestation massive et la pollution industrielle, et ne bénéficient que d’un accès limité à l’eau potable et à des installations sanitaires. Quelque 2,6 millions d’Haïtiens, soit un quart de la population environ, se trouvent en insécurité alimentaire. Par ailleurs, les faibles précipitations posent régulièrement problème dans une grande partie du pays.

Depuis son introduction en Haïti par des Casques bleus en 2010, le choléra a contaminé plus de 820 000 personnes et a causé près de 10 000 décès. Cependant, grâce à l’intensification des mesures pour lutter contre cette maladie, notamment une ambitieuse campagne de vaccination, le nombre de cas a significativement baissé pour passer de plus de 41 000 cas suspects et 440 décès en 2016 à un peu plus de 300 cas suspects et 3 décès entre janvier et avril 2019.

Système de justice pénale

Le système carcéral haïtien reste caractérisé par une surpopulation importante, et de nombreux détenus vivent dans des conditions inhumaines. Plus de 115 décès ont eu lieu dans les prisons haïtiennes en 2018, et 19 décès entre le 1er mars et le 15 mai 2019. D’après le précédent expert indépendant des Nations Unies, cette surpopulation est essentiellement due au nombre important d’arrestations arbitraires et au recours fréquent à la détention préventive. En mai 2019, les prisons haïtiennes comptaient un peu plus de 11 000 détenus, dont 73 % attendaient d’être jugés.

Analphabétisme et entraves à l’éducation

L’analphabétisme est un problème majeur en Haïti. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), environ la moitié des Haïtiens âgés de 15 ans et plus sont analphabètes. Dans l’ensemble, la qualité de l’enseignement est mauvaise et 85 % des écoles sont gérées par des entités privées qui imposent des frais de scolarité élevés, lesquels peuvent s’avérer prohibitifs pour des familles à faibles revenus. Partout dans le pays, près de 180 000 enfants et adolescents demeurent non scolarisés, que ce soit dans l’enseignement primaire ou secondaire.

Abus commis par les forces de sécurité

D’après une enquête menée par la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH), lors des manifestations d’octobre 2018, la police a été responsable de 3 exécutions sommaires et de 47 cas de recours excessif à la force, ayant fait 44 blessés et entraîné la mort de trois manifestants. Le rapport de la MINUJUSTH indique également qu’au cours des manifestations de novembre 2018, 21 victimes, dont 6 morts, auraient résulté d’un usage excessif de la force par des agents de la police. En février 2019, alors que la police s’efforçait de lever des barricades et de maîtriser d’importantes manifestations anti-gouvernement, des affrontements ont éclaté, au cours desquels au moins 34 personnes ont été tuées et plus de 100 ont été blessées, y compris 23 agents de police.

Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a indiqué qu’au moins huit journalistes avaient été blessés au cours des manifestations entre le 16 septembre et le 17 octobre. Parmi eux, un photojournaliste de l’agence Associated Press a été touché à la mâchoire par un sénateur haïtien qui a ouvert le feu devant le parlement, et un caméraman de Radio Sans Fin a été blessé au poignet à la suite de tirs de police dans la foule. En octobre, un journaliste radio qui couvrait les manifestations a été retrouvé mort dans sa voiture, tué par balles.

En novembre, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié un communiqué sur les troubles à Haïti, dans lequel il déclare les forces de sécurité du pays responsables d’au moins 19 morts sur les 42 qui se sont produites dans le cadre des manifestations depuis mi-septembre.

Le RNDDH a indiqué qu’au moins 71 personnes avaient été tuées au cours d’un massacre perpétré en novembre 2018 dans le quartier de La Saline, à Port-au-Prince. Des rapports réalisés en juin par les Nations Unies et par la police haïtienne ont fait état de l’implication de deux anciens agents de la Police nationale d’Haïti et de deux hauts représentants du gouvernement. En septembre, lorsque les protestations ont pris de l’ampleur, ces deux derniers ont été démis de leurs fonctions.

Obligation de rendre des comptes pour les abus commis dans le passé

En Haïti, obliger les responsables de précédentes violations des droits humains à rendre des comptes reste une vraie difficulté. En novembre, une enquête rouverte sur des crimes commis par les collaborateurs de Jean-Claude Duvalier, l’ancien président, était toujours en cours. Celui-ci est décédé en 2014, six mois après que la cour d’appel de Port-au-Prince a jugé que le délai de prescription ne s’appliquait pas dans des cas de crimes contre l’humanité et a ordonné que soient poursuivies les enquêtes sur les crimes qu’il aurait commis au cours de son mandat présidentiel (1971-1986). Les allégations de violations portent notamment sur des cas de détentions arbitraires, de torture, de disparitions, d’exécutions sommaires et d’exil forcé.

Droits des femmes et des filles

Les violences faites aux femmes constituent un problème largement répandu. Haïti ne dispose pas de législation spécifique contre la violence domestique, le harcèlement sexuel ou d’autres formes de violence à l’égard des femmes et des jeunes filles. Le viol n’est explicitement pénalisé que depuis un décret ministériel datant de 2005.

Très peu d’avancées ont été enregistrées en ce qui concerne l’adoption d’une réforme du Code pénal proposée au Parlement en avril 2017 visant à combler certaines de ces lacunes en matière de protection. Ce projet de réforme inclut également la dépénalisation partielle de l’avortement, qui est actuellement interdit, quelles que soient les circonstances, y compris dans les affaires de violence sexuelle.

Parmi les survivants du massacre du quartier de La Saline perpétré en novembre 2018, 11 femmes et jeunes filles ont subi des viols collectifs et n’ont reçu aucun soutien ni avis médical.

Orientation sexuelle et identité de genre

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) subissent toujours d’importantes discriminations. En 2017, le Sénat haïtien a approuvé deux propositions de loi anti-LGBT, qui étaient en cours d’examen par la Chambre des députés au moment de la rédaction de ce rapport.

La première proposition de loi porte sur la réglementation relative aux conditions de délivrance du Certificat de bonne vie et mœurs, attestation requise par nombre d’employeurs et d’universités comme preuve qu’une personne n’a pas commis de délit. Selon ce texte, l’homosexualité peut justifier un refus de délivrance de certificat, au même titre que la pornographie infantile, l’inceste et l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.

La seconde proposition de loi interdit le mariage gay, ainsi que toute manifestation publique de soutien ou de défense des droits de la communauté LGBT. Si cette loi est adoptée, « les auteurs, coauteurs et complices » d’un mariage homosexuel s’exposent à une peine de trois ans de prison et à une amende d’environ 8 000 dollars US (environ 7 000 euros).

Expulsions et apatridie de Dominicains d’origine haïtienne

Le statut précaire de nombreux Dominicains d’origine haïtienne et migrants haïtiens travaillant en République dominicaine est resté une préoccupation majeure en 2019. Au moins 250 000 d’entre eux sont revenus en Haïti entre 2015 et 2018 lorsque les autorités dominicaines ont commencé à mener des expulsions en application du Plan national de régularisation des étrangers mis en place en 2015 en République dominicaine et sujet à controverse. Lors de nombreux renvois, les normes internationales n’ont pas été respectées et beaucoup de personnes ont été expulsées de manière arbitraire et sommaire. Bien d’autres ont fui la République dominicaine à cause de pressions ou de menaces.

Selon certaines sources, à la moitié de l’année 2018, plus de 200 000 Haïtiens en République dominicaine vivaient en situation irrégulière, risquant à tout moment de se faire expulser. Au cours du premier semestre 2019 uniquement, plus de 10 000 Haïtiens en moyenne ont été renvoyés dans leur pays chaque mois.

Exploitation minière et accès à l’information

Ces dix dernières années, des investisseurs étrangers sont venus développer le secteur minier haïtien naissant. En 2017, le gouvernement a présenté au Parlement un projet de loi minière. Selon la Global Justice Clinic de la faculté de droit de l’Université de New York, le texte ne fait aucune mention des droits des individus dont l’activité minière entraînerait l’expulsion et ne prévoit pas assez de temps pour la préparation d’une analyse environnementale correcte, ce qui limite les chances du gouvernement de pouvoir examiner minutieusement la documentation, mais également la possibilité pour le grand public de participer et de réagir.

De plus, certaines des dispositions du projet de loi prévoient de rendre confidentiel pour une durée de 10 ans tout document appartenant aux sociétés minières, y compris ceux traitant des impacts environnementaux et sociaux, ce qui empêcherait les communautés touchées par ces projets miniers de participer à des consultations sérieuses à cet égard. Au moment de la rédaction du présent rapport, le projet de loi était en instance d’examen par le Parlement.

Principaux acteurs internationaux

En avril, la MINUJUSTH, visant à promouvoir l’État de droit, le développement de la police et la défense des droits humains, a vu son mandat prorogé d’une période finale de six mois. En octobre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a assuré la transition vers une mission politique spéciale n’ayant pas de vocation de maintien de la paix : le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).

En 2016, le Secrétaire général des Nations Unies s’est excusé au nom de l’Organisation pour son rôle dans le déclenchement de l’épidémie de choléra, et a annoncé l’intensification des efforts pour traiter et éliminer la maladie, ainsi que la création d’un fonds d’affectation destiné à récolter 400 millions de dollars US (361 millions d’euros) afin de fournir « une assistance matérielle » aux personnes les plus touchées par l’épidémie. En novembre 2019, seuls 27,7 millions de dollars US (25 millions d’euros) de promesses de don avaient été enregistrés.

En octobre, les victimes de l’épidémie de choléra ont déposé une requête devant la Cour suprême des États-Unis pour qu’elle étudie l’affaire LaVenture et al contre l'ONU le but étant de remettre en question l’immunité de l’ONU dans les procès portant sur le choléra. La Cour a refusé d’entendre l’affaire.

Comme suite au rapport de l’ONU sur le massacre du quartier de La Saline, le secrétaire général des Nations Unies António Guterres a fait savoir en juillet que « [l]es allégations selon lesquelles au moins deux agents de police et un représentant de l’État se seraient rendus complices des faits doivent pousser les autorités à prendre rapidement des mesures pour que les responsables de ces crimes répondent de leurs actes devant la justice ».

En octobre 2018, un juge fédéral des États-Unis a émis une injonction préliminaire pour bloquer la décision de l’administration du président Donald Trump visant à mettre fin au statut de protection temporaire des Haïtiens à compter de juillet 2019, une mesure qui menacerait d’expulsion 60 000 Haïtiens autorisés à rester sur le sol américain après le séisme de 2010. Parmi eux se trouvent les parents de plus de 27 000 enfants nés aux États-Unis au cours de cette période. En février 2019, l’administration Trump a annoncé qu’elle prolongeait ce statut pour les migrants haïtiens jusqu’en janvier 2020.

En avril, un autre juge fédéral a émis une nouvelle injonction pour empêcher le gouvernement de supprimer ce statut. Soucieux de respecter ces injonctions, le Département américain de la Sécurité intérieure a annoncé en novembre qu’il prorogeait le statut de protection temporaire des Haïtiens jusqu’au 4 janvier 2021.

En 2019, Haïti a approuvé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, engagement international en faveur de la protection de l’éducation dans les conflits armés.