La violence politique et les mesures de répression du gouvernement se sont intensifiées en 2016 alors que le Président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats, qui a pris fin le 19 décembre 2016, malgré une opposition généralisée et une condamnation internationale. Alors que les autorités retardaient délibérément les projets d’organisation d’élections, des agents gouvernementaux et des membres des forces de sécurité ont systématiquement cherché à faire taire, réprimer et intimider la coalition grandissante de voix demandant des élections crédibles dans un délai court.
Après des semaines de négociations intenses, les participants à des pourparlers organisés sous la médiation de l'Église catholique ont conclu un accord à la Saint-Sylvestre. Cet accord, signé par des représentants de la Majorité présidentielle, de l'opposition politique et d'organisations de la société civile, contient des dispositions claires selon lesquelles une élection présidentielle se tiendra avant la fin de 2017, Kabila ne briguera pas un troisième mandat et il n'y aura ni référendum ni modification de la constitution. Cependant, les signataires ne s’étaient pas mis d’accord sur un calendrier ou un plan détaillés pour mettre en œuvre l’accord, Kabila n’avait pas signé l’accord lui-même, et il n’était pas clair si des mesures seraient prises pour mettre fin au climat de répression.
Dans l’est de la RD Congo, la situation sécuritaire est restée volatile, de nombreux groupes armés et, dans certains cas, les forces de sécurité du gouvernement, attaquant des civils avec une grande violence.
Libertés d’expression et de réunion pacifique
Les agents du gouvernement et les forces de sécurité ont à maintes reprises interdit les manifestations de l’opposition, fait usage de gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques, fermé des médias et empêché des dirigeants de l’opposition de se déplacer librement.
Plus d’une centaine d’activistes et de dirigeants ou sympathisants de l’opposition ont été arrêtés de manière arbitraire entre janvier et décembre 2016 et détenus pendant au moins 48 heures. Certains d’entre eux ont été détenus au secret pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois et gravement maltraités, tandis que d’autres étaient jugés pour des chefs d’accusation forgés de toutes pièces. Au moment de la rédaction de ce chapitre, au moins 35 activistes et prisonniers politiques étaient toujours emprisonnés.
Neuf jeunes activistes et au moins 30 sympathisants de l’opposition politique ont été arrêtés à Kinshasa et Goma le 16 février—ou aux alentours de cette date—en relation avec une grève générale, ou journée « ville morte », afin de protester contre les retards pris dans l’organisation de l’élection présidentielle.
Le 4 mai, le ministre congolais de la Justice a ouvert une enquête concernant Moïse Katumbi, l’une des principales personnalités de l’opposition du pays, pour recrutement supposé de mercenaires. Après que la police ait tiré des gaz lacrymogènes et jeté des pierres aux manifestants réunis pour soutenir Katumbi lors de sa convocation devant le parquet général de Lubumbashi, dans le sud-est du pays, le procureur national a autorisé Katumbi à quitter le pays pour raisons de santé.
Dans une affaire distincte, Katumbi a ensuite été déclaré coupable par défaut de faux et usage de faux dans le cadre d'une transaction immobilière remontant à plusieurs années et condamné à trois ans d’emprisonnement et à une amende d’un million de dollars US. L’une des juges a par la suite décrit comment elle avait été menacée par le directeur de l’Agence nationale de renseignements (ANR), Kalev Mutondo, et forcée à prononcer la condamnation—un exemple flagrant de l’ingérence du service de renseignements dans l’indépendance du système judiciaire.
Le 26 mai, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes et à balles réelles alors qu’elles cherchaient à empêcher la poursuite de manifestations à Goma, tuant au moins une personne et en blessant au moins 11 autres, dont quatre enfants. Des leaders de l’opposition avaient appelé à des manifestations à l’échelle du pays pour protester contre la décision de la Cour constitutionnelle selon laquelle le président pourrait rester en fonction « jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ».
Le gouvernement a également fermé des médias proches de l’opposition, dont au moins sept restaient bloqués au moment de la rédaction de ce chapitre. En novembre, le ministre de la Communication Lambert Mende a publié un arrêté ministériel, rendant de plus en plus difficile pour les chaînes de télévision et les stations de radio étrangères d’opérer en RD Congo. Cette initiative est intervenue une semaine après que les autorités aient complètement coupé le signal émetteur de Radio France Internationale (RFI) à Kinshasa et brouillé provisoirement la réception du signal de Radio Okapi, qui est soutenue par les Nations Unies.
En août 2016, le gouvernement congolais a empêché une chercheuse senior de Human Rights Watch de continuer à travailler dans le pays.
Un grand nombre de Congolais sont redescendus dans la rue la semaine du 19 septembre pour manifester contre le fait que la commission électorale n’avait pas annoncé la tenue d’une élection présidentielle, trois mois avant la fin du mandat de Joseph Kabila. Les forces de sécurité ont répondu avec une force excessive, tuant au moins 66 personnes et incendiant le siège d’au moins trois partis d’opposition. Certains des manifestants ont aussi eu recours à la violence, frappant ou brûlant à mort plusieurs agents de police. Au moins huit journalistes ont été placés en détention dans le but manifeste d’empêcher les observateurs indépendants de rendre compte de la situation.
Alors que le mandat de Kabila prenait fin, les forces de sécurité se sont déployées en grand nombre dans les villes principales les 19 et 20 décembre pour essayer d’empêcher les manifestations. Au moins 40 personnes ont été tuées et des centaines d’autres ont été arrêtées – dont de nombreuses qui étaient sorties dans les rues, se servant de sifflets et tapant sur des casseroles ou des poêles, pour signifier à Kabila que « son époque était révolue ».
Le dirigeant d'opposition Franck Diongo a été arrêté le 19 décembre, puis déclaré coupable et condamné à cinq ans de prison le 28 décembre, à la suite d'un procès expéditif lors duquel il a comparu en fauteuil roulant et sous perfusion intraveineuse à la suite de mauvais traitements endurés lors de son arrestation. Le parlement provincial du Haut-Katanga a voté le 27 décembre la levée de l'immunité parlementaire du dirigeant d'opposition Gabriel Kyungu, accusé d'avoir insulté Kabila.
Attaques menées contre des civils par des groupes armés
Des dizaines de groupes armés sont restés actifs dans l’est de la RD Congo. Un grand nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, y compris des massacres ethniques, des meurtres de civils, des viols, des recrutements forcés d’enfants et des actes de pillage.
Dans le territoire de Beni, au Nord-Kivu, des combattants non-identifiés ont continué de soumettre les civils à des attaques de grande envergure, tuant plus de 150 personnes en 2016 d’après les recherches de Human Rights Watch et des rapports crédibles d’activistes congolais et de l’ONU. Au moins 680 personnes ont été tuées depuis le début de la série de massacres en octobre 2014. D’après des rapports crédibles, des éléments de l’armée congolaise ont été impliqués dans la planification et l’exécution de certaines de ces attaques.
Les violences intercommunautaires se sont intensifiées alors que des combattants de trois groupes armés, à savoir Nduma Défense du Congo-Rénové (NDC-R), l’Union des patriotes pour la défense des innocents (UPDI) et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ont lancé des attaques motivées par des critères ethniques contre des civils, tuant au moins 170 personnes et incendiant au moins 2 200 foyers.
Les enlèvements de civils congolais et de travailleurs humanitaires ont continué d’affecter certaines régions des territoires de Rutshuru, de Lubero et de Masisi, dans l’est de la RD Congo. Au moins 175 personnes ont été enlevées contre rançon en 2015. En 2016, les enlèvements se sont poursuivis, plus de 20 travailleurs humanitaires faisant partie des victimes, rendant l’espace humanitaire encore plus étroit.
En 2015, l’armée congolaise a détenu illégalement au moins 29 enfants dans de rudes conditions dans la prison militaire d’Angenga, au nord-ouest du pays. D’après les autorités, ces garçons auraient été membres d’un groupe rebelle armé. La plupart d’entre eux ont été libérés en avril à la suite de pressions exercées par Human Rights Watch et l’ONU. Les autres sont toujours détenus à Angenga.
Au cours de la semaine du 19 décembre, d’importants combats ont éclaté dans plusieurs régions du pays, y compris à Lisala, Kananga et Manono, lors desquels un grand nombre de personnes ont été blessées ou tuées. Il n’est pas clair si ces affrontements étaient liés à la crise politique plus large.
Justice et obligation de rendre des comptes
Le 19 décembre 2015, deux dirigeants rebelles congolais, déjà condamnés par la Cour pénale internationale (CPI), Germain Katanga et Thomas Lubanga, ont été transférés en RD Congo afin de purger à Kinshasa le restant de leur peine. Bien que Katanga ait fini de purger la peine que lui avait infligée la CPI en janvier, il demeure en détention et est poursuivi pour des accusations de crimes de guerre portées contre lui au niveau national avant son transfert à la CPI.
Le 21 mars, la CPI a reconnu Jean-Pierre Bemba, homme politique congolais et ancien dirigeant rebelle, coupable de viol, de meurtre et de pillage en République centrafricaine, pays voisin de la RD Congo. Le 19 octobre, la CPI a reconnu Bemba et son équipe de défense coupables d’avoir suborné des témoins pour qu’ils mentent en sa faveur lors du procès.
Le 23 mars, la CPI a confirmé 70 chefs d’accusation de crimes de guerre et crimes contre l’humanité présentés contre le chef de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) Dominic Ongwen, ancien enfant soldat devenu haut commandant de la LRA. Le procès s’est ouvert en décembre 2016.
En octobre, le seigneur de guerre Gédéon Kyungu Mutanga s’est rendu aux autorités. Au lieu de l’arrêter, les responsables locaux de Lubumbashi ont réservé un accueil festif à Gédéon, nom sous lequel il est connu. Au moment de la rédaction de ce chapitre, on ignorait s’il devra finir de purger la peine qui lui avait été infligée en 2009.
La situation n’a pas progressé concernant la traduction en justice, d’une part, des auteurs de l’exécution sommaire d’au moins 51 jeunes hommes et garçons et de la disparition forcée de 33 autres lors d’une campagne menée par la police à Kinshasa, connue sous le nom d’Opération Likofi, de novembre 2013 à février 2014 ou, d’autre part, des responsables d’exactions sommaires perpétrées pendant les manifestations de janvier.
Développements régionaux et internationaux
Face à l’intensification de la répression politique, les États-Unis ont imposé des sanctions ciblées à l’encontre du général Célestin Kanyama, commissaire de la police nationale à Kinshasa, en juin, puis, en septembre, du général Gabriel Amisi Kumba et de l’ancien inspecteur général de la police nationale, John Numbi. En décembre, les États-Unis ont sanctionné Évariste Boshab, alors ministre de l'Intérieur, et Kalev Mutondo, le chef des services de renseignements. Ce mois-là, l’Union européenne a sanctionné sept responsables de haut rang du secteur de la sécurité qui avaient joué un rôle dans la répression en 2015 et 2016.
Fin septembre, suite à la répression gouvernementale des manifestations à Kinshasa, la procureure de la CPI a lancé un avertissement clair pour faire savoir que la Cour suivait de près la détérioration de la situation.
Début novembre, une équipe d’experts des droits humains des Nations Unies a appelé les autorités de la RD Congo à lever l’interdiction des rassemblements politiques publics dans plusieurs villes congolaises.
La version en ligne du chapitre du Rapport mondial sur la République démocratique du Congo est une mise à jour de l’édition imprimée.