Le maintien de la stabilité politique de la Côte d’Ivoire et sa forte croissance macroéconomique ont fourni en 2016 des conditions propices à une amélioration progressive de l’état de droit et de la réalisation des droits économiques et sociaux. Une nouvelle constitution a supprimé une clause de nationalité source de clivages, qui exigeait que le père et la mère de tout candidat à la présidence soit ivoirien, et qui avait contribué à une décennie de troubles politiques. Il y a cependant eu peu de progrès en ce qui concerne les problématiques clés des droits humains qui sont à la racine des violences politiques, et notamment la lutte contre l’impunité et la quête de justice pour les victimes de plus de dix ans de violences politiques, parmi lesquelles figurent les 3 000 victimes de la crise post-électorale de 2010-11.
La campagne qui a précédé le référendum sur la nouvelle constitution, organisé le 30 octobre, a été marquée par un certain nombre de violations du droit à la liberté de réunion et d’expression. La nouvelle constitution comprend des clauses contestées par l’opposition, qui renforcent de façon significative les pouvoirs de la présidence. La Côte d’Ivoire devait organiser des élections législatives le 18 décembre.
Le 13 mars, un attentat terroriste contre un complexe balnéaire à Grand-Bassam a tué 22 personnes, les trois agresseurs compris. L’attentat, revendiqué par Al-Mourabitoune, une branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, a mis en lumière la menace que les groupes extrémistes de la région font peser sur la Côte d’Ivoire.
Liberté de réunion et d’expression
En amont du référendum constitutionnel, la capacité des partis d’opposition à manifester leur opposition au projet de constitution a été entravée par la brièveté de la campagne (qui a duré sept jours), le manque d’accès aux médias d’état, et la suspension de deux journaux favorables à l’opposition.
Selon cette dernière, l’adjonction d’un vice-président et d’un sénat nommé pour un tiers par le président, de même qu’une disposition prévoyant que la constitution puisse être amendée par un vote aux deux-tiers de l’assemblée nationale et du sénat, sont des amendements qui donnent trop de pouvoir à l’exécutif.
Dans les semaines qui ont précédé le vote, les forces de sécurité ivoiriennes ont à deux reprises au moins dispersé des manifestants opposés au projet de constitution, et ont emprisonné brièvement plusieurs dirigeants de l’opposition. De nombreux autres rassemblements de l’opposition se sont déroulés sans incidents. Beaucoup de partis d’opposition ont boycotté le vote, qui a été entaché par un faible taux de participation et des actes de vandalisme contre des dizaines de bureaux de vote dans les bastions de l’opposition.
Responsabilité pour les exactions passées
Le processus visant à assurer une justice impartiale aux victimes des violences politiques passées n’a que lentement progressé. En janvier 2016, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert le procès de l’ancien président Laurent Gbagbo et de l’ancien Ministre de la jeunesse et chef de milice, Charles Blé Goudé, pour des crimes contre l’humanité commis au cours de la crise de 2010-11.
Un tribunal ivoirien a jugé l’ancienne première dame Simone Gbagbo pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis pendant la crise. La CPI et des juges nationaux enquêtent actuellement sur des auteurs de crimes de haut niveau appartenant aux forces pro-Ouattara, mais n’ont pas encore traduit ces derniers en justice à l’heure où nous écrivons.
La Cellule spéciale d'enquête et d'instruction créée en 2011 a poursuivi son enquête sur les crimes des droits humains commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011. La cellule a inculpé des auteurs de crimes issus des deux camps, et notamment plusieurs commandants pro-Ouattara qui occupent désormais des postes à responsabilité au sein de l’armée ivoirienne.
A l’heure actuelle, le seul procès civil organisé au niveau national pour des crimes relatifs aux droits humains reste cependant celui de Simone Gbagbo. Ce procès mené par la plus haute juridiction pénale de Côte d’Ivoire (la cour d’assises) et qui concerne des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, s’est ouvert le 31 mai 2016. Des organisations de défense des droits humains représentant les victimes ont décidé de ne pas participer à ce procès, invoquant des violations du droit à une procédure équitable pour les victimes. En mai, la Cour suprême ivoirienne a rejeté l’appel déposé par Simone Gbagbo pour sa condamnation en mars 2015 à une peine de 20 ans de prison, pour crimes contre l’Etat commis au cours de la crise post-électorale.
La CPI a également mis Simone Gbagbo en accusation, mais le gouvernement ivoirien a refusé de la transférer à la Haye. L’enquête longtemps retardée de la CPI sur les crimes commis par les forces pro-Ouattara s’est poursuivie pendant l’année 2016, bien que le Président Ouattara lui-même ait déclaré que tous les dossiers relatifs à la crise post-électorale à venir seraient instruits par des tribunaux nationaux.
Le 18 février, un tribunal militaire a condamné 13 membres de l’armée, parmi lesquels le Général Dogbo-Blé, ancien chef de la Garde Républicaine de Laurent Gbagbo, et le Commandant Anselme Séka Yapo, ancien chef de l’unité de protection rapprochée de Simone Gbagbo, pour l’assassinat en 2002 de l’ancien meneur d’un coup d’état et ancien président ivoirien, le Général Robert Gueï ainsi que celui de sa famille. Ni la cellule spéciale ni la CPI n’enquêtent actuellement sur les crimes commis pendant les violences relatives aux élections en 2000, ou le conflit armé de 2002-2003.
L’organe d’indemnisation de Côte d’Ivoire avait, au moment de rendre son rapport en avril 2016, dressé une liste de plus de 316 000 victimes potentiellement éligibles pour recevoir des indemnités, bien que la grande majorité de ces victimes n’aient encore bénéficié d’aucune aide. Le 25 octobre, le gouvernement a publié le rapport de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, qui avait achevé sa mission en décembre 2014. Le rapport n’apporte cependant que peu d’éléments pour identifier les responsables des crimes commis pendant le conflit de 2002-2003 ou la crise de 2010-11.
Système judiciaire
La cour d’assises a tenu des audiences à Abidjan et dans plusieurs tribunaux régionaux, une avancée essentielle pour apurer l’arriéré de procédures pénales pour crimes graves restées en suspens. Pourtant, les personnes placées en détention préventive, parfois pendant plusieurs années, représentent toujours environ 40 pour cent de la population carcérale. Malgré la libération conditionnelle depuis décembre 2015 de quelques 100 accusés pro-Gbagbo arrêtés pour leur rôle présumé dans la crise post-électorale ou les attaques contre l’Etat qui ont suivi, plus de 200 autres sont toujours en détention préventive prolongée.
La plupart des prisons sont surpeuplées et les détenus sont privés d’une alimentation adaptée, d’équipements sanitaires et de soins médicaux. Le 20 février 2016, une révolte à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan, prison centrale de la capitale, a entraîné la mort d’un gardien de prison et de 10 détenus, parmi lesquels un chef de gang responsable de racket systématique au sein de l’établissement.
La crainte suscitée par des crimes violents commis par les gangs de rue, dont certains par des enfants, a alimenté plusieurs lynchages publics de personnes soupçonnées d’être des criminels. Bien que le gouvernement ait pris des mesures pour cesser d’utiliser le terme « microbe » pour désigner les enfants impliqués dans des bandes criminelles, il n’a pas encore développé de stratégie globale pour s’attaquer aux facteurs sociaux, psychologiques et économiques qui favorisent l’implication d’enfants dans des crimes violents.
Comportement des forces de sécurité
Les arrestations arbitraires, les mauvais traitements aux détenus, et les assassinats illégaux commis par les forces de sécurité ont diminué en fréquence en 2016. Le nombre d’enquêtes et de procédures judiciaires engagées contre les responsables d’abus a légèrement augmenté, mais elles sont restées rares. Le système judiciaire militaire manque toujours cruellement de moyens, et a besoin de réformes pour renforcer son indépendance par rapport à l’exécutif.
Les forces de sécurité ont continué à être impliquées dans des actes d’extorsions, des systèmes d’impôts parallèles et d’autres agissements criminels, pour tirer profit de l’exploitation illégale du cacao, des diamants et d’autres ressources naturelles. Des commandants présumés coupables de graves violations des droits humains occupent toujours des postes à responsabilité au sein des forces armées, et plusieurs se seraient personnellement enrichi et auraient illégalement amassé des stocks d’armes.
Les actes d’extorsion commis par les forces de sécurité positionnées sur des postes de contrôle illégaux restent un problème prégnant sur les routes secondaires dans les zones rurales. Les Nations Unies ont signalé qu’en mars, à Assuéfry, au nord-est de la Côte d’Ivoire, l’armée ivoirienne a tiré sur des manifestants furieux de ces extorsions systématiques commises par des militaires, ce qui a entraîné la mort de trois personnes.
Violences communautaires et droits fonciers
En mars, des affrontements intercommunautaires violents entre éleveurs et agriculteurs à Bouna, au nord-est, ont fait au moins 27 morts et provoqué le déplacement de milliers de personnes. Des chasseurs traditionnels armés, connus sous le nom de Dozo, sont intervenus dans le conflit et sont responsables d’au moins 15 de ces meurtres. Le gouvernement a inculpé par la suite le chef Dozo de Bouna de meurtre, et 70 Dozos figuraient parmi les 115 personnes arrêtées pour le rôle qu’elles avaient joué dans ces violences. A l’heure où nous écrivons, plus de 75 personnes sont toujours en détention, en attente de leur procès.
Les conflits fonciers entre communautés migrantes et autochtones ont constitué l’un des facteurs à l’origine des violences épisodiques qui affectent le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, comme l’attaque menée le 2 décembre 2015 par des miliciens ivoiriens et libériens à Olodio, lors de laquelle sept militaires ivoiriens ont été tués. La reprise en décembre 2015 du rapatriement des réfugiés du Libéria, suspendue pendant la crise Ebola, a renforcé la concurrence relative aux terres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Dans un effort pour restaurer les forêts en déclin de la Côte d’Ivoire, le gouvernement a expulsé en juillet plus de 15 000 cultivateurs de cacao du Parc National du Mont Péko, privant de nombreuses familles d’une alimentation suffisante, de toit ou d’accès à des installations sanitaires. Des opérations d’expulsion à plus petite échelle de personnes vivant dans les forêts protégées ont été souvent menées sans avertissement préalable adéquat, et des agriculteurs ont été victimes de coups et d’extorsions au cours de ces opérations.
Violences contre les femmes et les filles
Les violences basées sur le genre restent répandues, en particulier contre les filles. Un rapport publié par l’ONU en juillet a constaté que sur 1 129 viols signalés entre 2012 et 2015, plus des deux tiers des victimes étaient des enfants. Parce que la cour d’assises mandatée pour instruire les affaires de viol est rarement en fonctionnement, les juges ivoiriens reclassent régulièrement les affaires de viols en délits moins graves. La cour d’assises a cependant instruit au moins 15 affaires de viol en 2016, et prononcé plus d’une dizaine de condamnations.
Orientation sexuelle et identité de genre
Aucune loi n’interdit les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, ou le statut intersexué. La Côte d’Ivoire ne pénalise pas les relations entre personnes de même sexe, mais le code pénal prévoit des sanctions plus élevées pour les couples de même sexe condamnés pour actes indécents en public. En novembre, deux hommes ont été jugés coupables de tels actes, et condamnés à des peines de trois mois d’emprisonnement après avoir été accusés de relations entre personnes de même sexe. Deux hommes gays ont été agressés en juin après la publication d’une photo d’eux en train de signer un registre de condoléances pour les victimes de la fusillade qui s’est déroulée dans une boîte de nuit gay en Floride, aux Etats-Unis.
Défenseurs des droits humains
Bien que le gouvernement ait adopté en juin 2014 une loi renforçant la protection des défenseurs des droits humains, il n’a toujours pas adopté de décret pour accompagner sa mise en œuvre. Les organisations internationales et nationales des droits humains mènent globalement leurs activités sans restriction de la part du gouvernement.
Principaux acteurs internationaux
Le 28 avril 2016, le Conseil de sécurité de l’ONU a étendu le mandat de la mission de maintien de la paix des Nations Unies, l’Opération en Côte d’Ivoire de l’ONU (ONUCI) pour une dernière période qui court jusqu’au 30 juin 2017. Le Conseil de sécurité de l’ONU a également mis fin à l’embargo sur les armes et aux sanctions individuelles imposées à partir de 2004. L’ONUCI a progressivement réduit sa présence militaire et civile tout au long de l’année 2016, laissant la France, l’Union européenne et les Etats-Unis demeurer les principaux partenaires du gouvernement en ce qui concerne la réforme des secteurs de la justice et de la sécurité.