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Mali

Événements de 2021

Des soldats maliens à bord d’un véhicule arrivent à l'aéroport de Bamako, en mai 2021.

© 2021 Nicolas Réméné/Le Pictorium/Cover Images/AP Images

La situation sécuritaire et des droits humains au Mali s’est détériorée en 2021. Les exactions perpétrées par les groupes armés islamistes se sont intensifiées, la crise politique s’est aggravée et l’impunité pour les atrocités commises aussi bien par le passé qu’à l’heure actuelle par tous les groupes armés s’est poursuivie. La transition du Mali vers un régime civil suite au coup d’État de 2020 a subi un revers après qu’un nouveau coup d’État a éclaté en mai de cette année, le troisième en moins de dix ans.

Les attaques lancées par les groupes armés islamistes contre les civils et les forces gouvernementales se sont intensifiées, tandis que les forces de sécurité maliennes ont sommairement exécuté de nombreux suspects. Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a considérablement augmenté, portant leur total à plus de 385 000.

Les autorités n’ont guère progressé en termes de lutte contre le banditisme généralisé ou de rétablissement de l’autorité et des services de l’État, y compris du système judiciaire, dans le nord et le centre du pays, ce qui a nui à l’État de droit et à la confiance dans l’État. Les autorités ont quelque peu avancé s’agissant de rendre justice pour des affaires de terrorisme, mais pas concernant les atrocités de grande ampleur impliquant des milices ethniques et des militaires lors d’opérations de lutte contre le terrorisme.

Crise politique

Le 24 mai, le vice-président, le colonel Assimi Goïta, a ordonné le placement en détention du Président de la Transition Bah N’Daw, du Premier ministre Moctar Ouane et d’autres membres du gouvernement de transition instauré après le coup d’État d’août 2020. Après les avoir privés de leurs pouvoirs, Goïta a été investi nouveau chef de l’État en juin.

Goïta a d’abord promis de respecter la période de transition de 18 mois destinée à ramener les civils au pouvoir, et d’organiser des élections législatives et présidentielles équitables d’ici février 2022, comme il en avait été convenu après le coup d’État de 2020 ; mais il a par la suite annoncé que ce délai ne pourrait être tenu. Au moment de la rédaction de ce chapitre, plusieurs échéances électorales clés n’avaient pas été respectées, notamment la mise à jour des listes électorales et un référendum constitutionnel prévu pour le 31 octobre.

Exactions commises par les groupes armés islamistes

Des groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique au Grand Sahara ont tué des dizaines de civils, ainsi qu’au moins 19 Casques bleus et plus de 120 membres des forces de sécurité gouvernementales.

Le 8 août, des islamistes armés ont massacré une cinquantaine de personnes de l’ethnie Songhaï lors d’une attaque qui visait plusieurs villages de la région de Gao. Le 3 juin, ils ont tué 11 personnes de l’ethnie Touareg près de Menaka. Au moins 33 civils ont été tués par des engins explosifs improvisés plantés sur les routes, dont 16 le 22 mai dans la région de Gao. Le 3 décembre, ils ont tué au moins 31 commerçants après avoir tiré sur un bus les amenant au marché de Bandiagara dans la région de Mopti.

Le nombre de civils enlevés ou kidnappés par des islamistes armés a augmenté durant l’année 2021, les victimes étant notamment des fonctionnaires locaux, des chefs religieux et de village, des travailleurs humanitaires et des ouvriers chinois. Le journaliste français Oliver Dubois a été pris en otage près de Gao. Une missionnaire suisse et au moins un travailleur humanitaire malien ont été exécutés alors qu’ils étaient détenus par des islamistes armés.  

Dans les zones placées sous leur contrôle, les groupes armés islamistes ont imposé la zakat (un impôt obligatoire), battu des civils qui refusaient de respecter leur code de conduite et d’habillement stricts et mis en œuvre la charia (droit musulman) par le biais de tribunaux qui ne respectent pas les normes requises en matière de procédure équitable. Ils ont également contribué à l’insécurité alimentaire en attaquant des agriculteurs et en assiégeant des villages. Au mois de mai, des groupes armés islamistes ont amputé des quatre membres trois hommes accusés de banditisme dans la région de Gao.

Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État

Entre décembre 2020 et octobre 2021, les forces de sécurité maliennes ont été impliquées dans plus de 40 exécutions extrajudiciaires de suspects et de civils, et dans au moins 20 disparitions forcées. La plupart des meurtres, qui ont eu lieu lors d’opérations de lutte contre le terrorisme dans les régions de Mopti et de Ségou, ciblaient des Peuls ethniques.

En janvier, des militaires ont été responsables de l’exécution extrajudiciaire de huit personnes et de la disparition de deux autres près de la frontière malienne avec le Burkina Faso. Le 23 mars, des militaires à Boni ont passé à tabac des dizaines de passagers d’un bus après avoir trouvé du matériel suspect dans la soute à bagages. Les corps d’au moins 13 des passagers seraient enterrés dans une fosse commune. En mars et avril, au moins sept autres hommes ont été victimes d’une exécution extrajudiciaire perpétrée par des militaires du camp militaire de Boni. En octobre, plusieurs hommes auraient été tués ou assujettis à des disparitions forcées après avoir été arrêtés par des militaires dans les villages de Sofara et de N’Dola.

La détention à Bamako d’anciens fonctionnaires et d’autres personnes par le gouvernement militaire a soulevé des inquiétudes quant au respect des procédures régulières. En décembre 2020, cinq hommes, dont un ancien premier ministre et un journaliste, ont été détenus au motif qu’ils auraient voulu fomenter un coup d’État contre le gouvernement de transition malien. Ils ont été libérés en avril faute de preuves.

À l’issue du coup d’État du mois de mai, le Président et le Premier ministre par intérim déchus ont été détenus illégalement sous résidence surveillée pendant trois mois. En juillet, un homme accusé d’avoir tenté de poignarder le Président par intérim Goïta est mort en détention dans des circonstances suspectes. Au moins trois hauts fonctionnaires arrêtés par les forces de sécurité à Bamako en septembre et octobre ont été détenus au secret et torturés pendant plusieurs semaines dans des centres de détention non autorisés.

Atteintes aux droits des enfants

Les Nations Unies ont signalé qu’en 2021, au moins 60 enfants avaient été tués et 71 autres mutilés par des groupes armés. Les groupes armés ont également recruté et utilisé plus de 200 enfants comme enfants soldats. En juin 2021, l’insécurité avait conduit à la fermeture de 1 595 établissements scolaires, privant plus de 478 000 enfants de leur scolarité.

Droits des femmes et des filles

D’après les estimations, 91 % des femmes et des filles maliennes continuaient de subir des mutilations génitales féminines et de nombreuses femmes faisaient l’objet d’abus sexuels perpétrés par différents groupes armés. En 2021, sept agents de la Fédération malienne de basket-ball ont été limogés ou suspendus, et le sélectionneur inculpé, pour leur implication dans une affaire d’abus sexuels commis à l’encontre d’adolescentes qui jouaient pour l’équipe junior nationale du Mali.

Violences communautaires

Des milices des ethnies Dogon et Bambara s’en sont de plus en plus pris à des membres de leurs propres communautés, vraisemblablement parce que ceux-ci ne fournissaient pas de nouvelles recrues et n’appuyaient pas leurs objectifs militaires. Dans le centre du Mali, des milices ont enlevé des dizaines de civils et réclamé des rançons importantes pour leur libération. Ces groupes ont tué plusieurs otages ainsi que d’autres personnes, dont certaines qu’ils avaient détenues à des postes de contrôle non autorisés dans le centre du Mali.

Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises

Des centaines de prévenus ont été détenus pour une durée prolongée en attendant d’être jugés. Le Pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transnationale (PJS), dont le mandat a été élargi en 2019 afin d’inclure les atteintes aux droits humains, a avancé sur certains dossiers dans des affaires de terrorisme et sur quelques dossiers relatifs à des atrocités. Des décisions ont été rendues fin 2020 et en 2021 concernant au moins quatre procès liés au terrorisme, notamment relativement à l’attentat contre une boîte de nuit et deux hôtels qui a tué 37 personnes en 2015.  

Le gouvernement de transition s’est penché sur quelques autres dossiers relatifs à des atteintes aux droits humains impliquant des suspects très en vue. En juillet, Moussa Diawara, ancien chef du renseignement malien, a été arrêté et inculpé pour avoir été impliqué dans la torture et la disparition en 2016 du journaliste Birama Touré. En rapport avec cette même affaire, Interpol a émis un mandat d’arrêt international contre Karim Keita, le fils de l’ancien Président, qui a fui en Côte d’Ivoire après le coup d’État de 2020. 

En août, un ancien ministre de la Défense et une ancienne ministre des Finances ont été arrêtés pour des faits de corruption liés à l’achat frauduleux d’un avion présidentiel en 2014. En septembre, le pouvoir législatif a mis en examen et détenu le commandant d’une unité de police d’élite en rapport avec le recours excessif à une force meurtrière qui a conduit à la mort de plusieurs manifestants en 2020. 

Le ministre de la Défense a signé dix ordres de poursuites à l’encontre des auteurs présumés de quatre dossiers lors desquels des atrocités ont été commises par des militaires en 2018 et 2020. À la fin de l’année, les procès n’avaient toujours pas eu lieu.

Le 15 mars, un tribunal de Bamako a abandonné les charges contre 16 militaires, dont Amadou Sanogo, l’instigateur d’un coup d’État, inculpé pour avoir tué 21 soldats d’une unité d’élite en 2012. Le tribunal a invoqué la loi 2019 sur l’Entente nationale qui accorde une amnistie pour certains délits commis sur le territoire national mais pas pour des délits internationaux.  

Le processus consistant à rendre justice pour les actes de violence communautaire a été entravé par la réticence de certains membres des forces de sécurité à aider les gendarmes à arrêter les suspects. Seul un petit nombre de dossiers de violence communautaire ont été jugés devant la Haute cour de Mopti, dont, en juin, un procès qui a conduit à la condamnation par contumace de 12 hommes dogons pour le meurtre en 2019 de 37 villageois peuls à Koulogon.

Le rapport de la Commission d’enquête internationale, créée en vertu de l’Accord pour la paix de 2015, dont le mandat est d’enquêter sur les exactions graves commises entre 2012 et janvier 2018, a été présenté devant le Conseil de sécurité des Nations Unies en décembre 2020. Le rapport documentait des preuves de crimes de guerre commis par les forces de sécurité maliennes et de crimes contre l’humanité perpétrés par des islamistes armés et des milices ethniques.

Les audiences publiques de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation, établie en 2014 pour enquêter sur les crimes et les causes profondes de la violence qui sévit au Mali depuis 1960, se sont poursuivies en 2021. Plus de 22 500 personnes ont témoigné devant cette Commission.

Principaux acteurs internationaux

Au lendemain du coup d’État du mois de mai, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine ont suspendu le Mali de leurs organes de décision. En octobre, le gouvernement de transition malien a expulsé le représentant spécial de la CEDEAO et, en novembre, la CEDEAO a imposé des sanctions, dont des interdictions de voyager et des gels d’actifs, à des membres du gouvernement de transition.

L’aide provenant des États-Unis continue d’être suspendue en attendant la tenue d’élections libres et équitables. 

L’Opération Barkhane, la force régionale française de lutte contre le terrorisme forte de 5 100 membres, a mené de nombreuses opérations mais, en juin, la France a annoncé une baisse significative de l’Opération, notamment une diminution de moitié de ses effectifs et la fermeture de bases militaires dans le nord du Mali d’ici début 2022. 

Le 3 janvier, une frappe aérienne française a tué au moins 22 personnes dans le centre du Mali. Une enquête des Nations Unies a conclu que la majorité des victimes étaient des civils qui assistaient à un mariage. Les autorités françaises ont rejeté ces conclusions, insistant sur le fait que les victimes étaient des combattants islamistes armés, et qualifié l’enquête de l’ONU de « biaisée ». 

La Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM) et la Mission de l’Union européenne chargée du renforcement des capacités (EUCAP) ont continué de former et de conseiller les forces de sécurité maliennes. En janvier 2021, le mandat de l’EUCAP a été modifié pour inclure le rétablissement d’une présence gouvernementale dans le centre du Mali. La force Takuba, composée de 600 forces spéciales européennes, a pris part à des opérations militaires pendant toute l’année 2021.

En mai, juin et septembre, l’UE a condamné le coup d’État et exhorté le gouvernement à organiser des élections d’ici février 2022. L’UE a également souligné devant le Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU l’importance de la lutte contre l’impunité pour les exactions commises par les groupes terroristes, les milices armées et les forces de sécurité maliennes.

En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a prorogé d’un an le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et l’a étendu pour qu’elle appuie désormais le rétablissement d’un régime démocratique au Mali. Lors d’une visite du Conseil de sécurité de l’ONU, des membres ont fait pression sur le gouvernement pour qu’il rétablisse rapidement un régime démocratique.

En mars, le CDH a prorogé le mandat de l’Expert indépendant sur le Mali d’une année supplémentaire. Lors d’une visite au Mali en août, l’Expert, Alioune Tine, a noté que la situation sécuritaire s’était détériorée à tel point que la « survie même de l’État » était mise en péril. En août, le Conseil de sécurité a prorogé d’un an le mandat du Groupe d’experts du Comité des sanctions concernant le Mali.

Le procès devant la Cour pénale internationale d’un ancien dirigeant du groupe armé islamiste Ansar Dine s’est poursuivi ; il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dont le viol et l’esclavage sexuel, commis en 2012-2013.