Les violences et notamment les attaques contre les civils ont continué à travers le pays tandis que les forces gouvernementales, appuyées par l’armée rwandaise et les mercenaires russes, affrontaient les vestiges d’une coalition rebelle qui contrôle d’importantes parties du pays. La Coalition des patriotes pour le changement (CPC) a attaqué plusieurs grandes villes fin 2020, empêchant des centaines de milliers de personnes de voter lors des présidentielles du 27 décembre, remportées par le président Faustin Archange Touadéra. Les élections législatives tenues en mars se sont mieux déroulées, et seules certaines parties du pays ont connu des violences liées à la contre-offensive contre la CPC.
Une offensive de la CPC contre la capitale, Bangui, a été déjouée le 13 janvier, et la ville a conservé une relative stabilité. L’essentiel des zones rurales, et notamment le nord-ouest et l’est, restent des territoires disputés, et les civils sont régulièrement pris en tenaille entre les rebelles et les forces gouvernementales ainsi que leurs alliés étrangers.
Des groupes alliés à la CPC, et tout particulièrement l’Union pour la paix en Centrafrique, à l’est et 3R, au nord-ouest, ont perpétré de nombreuses exactions, prenant délibérément les civils pour cibles. Des témoignages crédibles, y compris de la part des Nations Unies, indiquent que les forces de sécurité et les mercenaires russes ont également commis de graves violations des droits humains. Le 21 juillet, des assaillants non identifiés ont mené une attaque dans la province d’Ouham, aux environs de Bossangoa, faisant au moins 13 morts. Le gouvernement s’est engagé à enquêter sur ce crime via une commission d’enquête spéciale.
Plus de 2 000 mercenaires russes, soupçonnés d’appartenir à Wagner – un groupe de mercenaires affilé à Yevgeniy Prigozhin, un oligarque russe que l’on dit proche du président russe Vladimir Poutine – sont déployés en République centrafricaine. S’ils sont officiellement présents dans le pays pour servir comme instructeurs militaires, l’ONU a rassemblé des informations montrant qu’à plusieurs occasions, ces mercenaires ont participé activement aux combats et ont été impliqués dans des violations des droits humains et du droit humanitaire international.
En avril, il a été confirmé que Sidiki Abass, commandant de 3R et qui avait fait l’objet de sanctions de l’ONU et des États-Unis, avait été tué lors de combats.
Plusieurs procédures d’investigations restaient en instance à la Cour pénale spéciale (CPS), un tribunal pour les crimes de guerre basé à Bangui et animé par des juges et procureurs locaux et internationaux. En septembre, la CPS a annoncé les charges retenues contre un membre haut-gradé de la garde présidentielle de l’ancien président François Bozizé. La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert un procès contre deux suspects anti-balaka et organisé une audience de confirmation des charges dans le procès d’un dirigeant de la Seleka.
Le pays restait parmi les endroits les plus dangereux au monde pour les travailleurs humanitaires, avec 261 attaques enregistrées contre des travailleurs humanitaires entre janvier et octobre.
Attaques perpétrées contre les civils par des combattants rebelles
Entre le 15 décembre et le 21 juin, les combattants de la CPC ont tué au moins 61 civils, selon les Nations Unies. La plupart semblent avoir été pris pour cible parce qu’ils avaient participé ou étaient soupçonnés d’avoir voté aux élections présidentielles. D’après l’ONU, lors d’un incident daté de mars dans la province de Ouaka, des combattants de l’UPC affiliés à la CPC ont ligoté, torturé et tué trois hommes avant d’abandonner leurs cadavres sur une route, des cartes d’électeurs accrochées au cou.
Human Rights Watch a également recueilli des témoignages crédibles pendant toute l’année 2021, selon lesquels des dizaines de civils ont été tués par des combattants de l’UPC dans la province de Ouaka et par des membres de 3R dans celle d’Ouham Pende. Des mines terrestres installées par les combattants de 3R, dans ce qui semble être une tentative de prévenir les attaques des forces nationales et de leurs alliés étrangers dans la province d’Ouham Pende, ont fait au moins 20 morts parmi les civils, et notamment un employé d’une mission catholique et un travailleur humanitaire.
Violations commises par les forces nationales et leurs alliés étrangers
Des membres de l’armée nationale, les Forces armées centrafricaines (FACA), auraient commis de graves violations des droits humains, parmi lesquelles l’exécution extrajudiciaire de huit personnes soupçonnées d’appartenir à la CPC dans la province d’Ombella M’Poko, entre la fin décembre et la mi-janvier 2021. Au cours d’opérations militaires, ils ont également attaqué des civils, occupé des écoles et pillé des propriétés privées, selon les Nations Unies.
Human Rights Watch a entendu des victimes, témoins et autres sources crédibles qui rapportent des violations des droits humains commises par des mercenaires présumés de Wagner au nord-ouest et à l’est. Dans un cas, des mercenaires présumés membres de Wagner ont collaboré avec les troupes de la FACA pour détenir des hommes soupçonnés d’être des combattants de la CPC dans des conditions inhumaines, dans la province de Basse-Kotto. Trois anciens détenus de Basse-Kotto ont raconté à Human Rights Watch que les mercenaires de Wagner avaient abattu d’autres prisonniers dans le cadre d’exécutions extrajudiciaires.
Un rapport du gouvernement de la République centrafricaine publié en octobre accusait les formateurs russes d’avoir commis des violations des droits humains.
Rétrécissement de l’espace politique
Les dirigeants de l’opposition, parmi lesquelles l’ancienne présidente par intérim Catherine Samba-Panza, se sont vu interdire de quitter le pays en début d’année en raison « d’enquêtes judiciaires en cours » sur leurs liens présumés avec les groupes armés affiliés à la CPC. Une procédure judiciaire engagée en janvier contre François Bozizé et d’autres membres de son parti incrimine également vaguement les autres leaders de l’opposition, sans étayer clairement ces accusations.
Certains programmes de Radio Centrafrique, ainsi que toutes les émissions autorisant les appels d’auditeurs – que ce soit sur les stations publiques ou privées – ont été suspendus par le Haut conseil de la communication pendant la période des élections présidentielles. Officiellement pour des motifs sécuritaires, les autorités ont restreint les déplacements des journalistes en dehors de Bangui tout au long de l’année, limitant leurs capacités à rendre compte correctement des violations commises par les rebelles, les forces nationales et les forces internationales alignées avec le gouvernement.
Justice pour les crimes graves
En janvier, le commandant de la Seleka Mahamat Saïd Abdel Kani a été transféré au siège de la CPI à la Haye. Il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis à Bangui en 2013. C’est le premier dirigeant de la Seleka à être poursuivi devant la CPI. Celle-ci prévoit une audience pour confirmer les charges en octobre, qui devra déterminer s’il existe suffisamment de preuves pour aller au procès.
En février, la CPI a ouvert le procès des dirigeants anti-balaka Patrice-Edouard Ngaïssona et Alfred Yékatom. Les chefs d’accusation incluent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis entre décembre 2013 et décembre 2014. Patrice-Edouard Ngaïssona a été arrêté en France et transféré à la CPI en décembre 2018. Alfred Yékatom a été transféré à la CPI par les autorités de la République centrafricaine en novembre 2018.
Le 10 septembre, la CPS a annoncé avoir inculpé Eugène Ngaïkosset de crimes contre l’humanité, mais sans préciser les détails des chefs d’accusation. Ancien capitaine de la garde présidentielle, Eugène Ngaïkosset était à la tête d’une unité impliquée dans de nombreux crimes, parmi lesquels le meurtre d’au moins douze civils et l’incendie de milliers de maisons dans le nord-ouest et le nord-est du pays, entre 2005 et 2007. Il est également soupçonné d’avoir commis des crimes quand il dirigeait le mouvement anti-balaka.
Malgré quelques avancées pour rendre justice, Human Rights Watch a recueilli des témoignages crédibles de victimes de crimes commis par la FACA ou des membres présumés de Wagner, qui déclarent avoir trop peur pour déposer une plainte en justice.
En réaction au rapport conjoint de la mission de maintien de la paix de l’ONU, la MINUSCA, et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies (UNHCR) publié en juillet, le gouvernement de la République centrafricaine, qui conteste certaines conclusions du rapport sur les abus perpétrés par les forces de la FACA, s’est à nouveau déclaré prêt à engager des procédures judiciaires contre les responsables de crimes graves, pour mettre un terme aux violations des droits humains.
Réfugiés et déplacés internes
Le nombre total de personnes déplacées a augmenté suite à la recrudescence des affrontements. En septembre 2021, plus d’1,4 millions de personnes, selon l’ONU, étaient soient réfugiées dans les pays voisins (710 000), soient déplacées à l’intérieur du pays (712 000). Plus de 233 000 personnes, parmi lesquels 70 000 enfants sont venus grossir les rangs des déplacés internes, dont 131 000 sont devenus réfugiés suite aux violences électorales. Les conditions de vie des personnes déplacées et des réfugiés, dont la plupart vivent dans des camps, restent difficiles. L’aide aux personnes déplacées a été sérieusement entravée par les attaques perpétrées contre les travailleurs humanitaires, et par l’insécurité générale qui prévaut dans le pays.
Environ 2,8 millions de personnes, sur une population totale de 4,6 millions, avaient besoin d’aide humanitaire. Le plan d’intervention humanitaire était sous-financé, avec un déficit budgétaire d’environ 176 millions de dollars en octobre 2021.
Principaux acteurs internationaux
La mission de maintien de la paix des Nations Unies, la MINUSCA, a déployé 11 938 soldats de la paix et 2 182 policiers dans de nombreuses régions du pays. En vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, la mission est autorisée à prendre tous les moyens nécessaires pour protéger la population civile contre la menace de violence physique et à « mettre en œuvre une stratégie de protection à l’échelle de la mission ». En novembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a prolongé le mandat de la mission pour une année supplémentaire.
Le 15 septembre, la mission a annoncé le rapatriement du contingent de 450 soldats du Gabon après qu’une enquête interne a révélé des cas d’exploitation sexuelle et d’abus envers cinq jeunes filles. Le secrétariat des Nations Unies a appelé les autorités gabonaises à diligenter une enquête nationale sous 90 jours, et a lancé sa propre procédure via le Bureau des services du contrôle interne. Cela faisait plusieurs années que des allégations de violences sexuelles et d’abus étaient portées contre le contingent gabonais.
En mars, un groupe d’experts des Nations Unies, parmi lesquels les membres du Groupe de travail sur l’utilisation de mercenaires, a exprimé ses inquiétudes suite au signalement de crimes et de violations des droits humains attribuables aux combattants de Wagner, qui opèrent conjointement avec les forces de sécurité gouvernementales (et dans certains cas, avec les casques bleus de l’ONU). Parmi ces exactions figurent des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et de détention arbitraire, des disparitions forcées et des déplacements forcés. En octobre, le même groupe d’experts de l’ONU s’est déclaré préoccupé par les actes d’intimidation et le harcèlement violent commis par les « instructeurs russes » de Wagner sur des civils, parmi lesquels des personnes impliquées dans le maintien de la paix, des journalistes, des travailleurs humanitaires et des membres de minorités.