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Qatar

Événements de 2021

Des travailleurs posent du gazon dans le stade de Lusaïl, qui accueillera la finale de la Coupe du monde de football « Qatar 2022 », au Qatar, le 18 novembre 2021.

© Reuters/Hamad I Mohammed

Les abus et l’exploitation envers l’importante main-d’œuvre migrante du pays ont perduré en 2021, en dépit de l’adoption de réformes du travail, en partie à cause de leur application inefficace, et en partie parce que certains éléments du système de kafala (parrainage) demeurent en place. Les femmes au Qatar ont continué à subir de graves discriminations et violences dues aux politiques abusives de tutelle masculine.

En juillet, le Qatar a promulgué de nouvelles lois pour réglementer ses premières élections législatives, qui ont eu lieu en octobre. Cependant, ces lois privaient de fait des milliers de Qatariens du droit de voter ou de se présenter en raison de la nationalité de leurs ancêtres. Cela a suscité un vif débat sur les médias sociaux qatariens, ainsi que des manifestations de petite échelle sous l’impulsion d’une des plus grandes communautés semi-nomades du pays. Des arrestations et des détentions politiquement motivées se sont ensuivies.


Travailleurs immigrés

La main-d’œuvre migrante du Qatar, formée de plus de 2 millions de personnes, représente près de 95 % de sa main-d’œuvre totale. Près d’un million de travailleurs sont employés dans le bâtiment, tandis qu’environ 100 000 sont des employé·e·s domestiques.

En février, pile six mois après l’adoption par le Qatar de réformes importantes en matière de travail, qui autorisent les travailleurs migrants à changer d’emploi sans la permission de leur employeur et fixent un salaire minimum plus élevé pour les travailleurs de toutes nationalités, le Conseil consultatif de la Shura est revenu en arrière en émettant des recommandations qui, de fait, auraient détricoté une avancée cruciale visant à protéger les travailleurs migrants. Ces recommandations n’ont pas été adoptées. Le ministre du Travail du Qatar avait auparavant souligné à l’adresse des membres du Conseil de la Shura, afin d’alléger l’inquiétude de la communauté d’affaires qatarienne, que même si la loi permettait aux travailleurs de soumettre une requête pour changer d’employeur, elle restait « soumise à l’approbation ou au rejet après avoir communiqué avec les parties concernées ». Les recommandations du Conseil de la Shura et les commentaires du ministre du Travail, indiquant une volonté de revenir sur les réformes, jettent le doute sur leur efficacité à favoriser une réelle mobilité de l’emploi.

En mars, le nouveau salaire minimum, qui s’applique à tous les travailleurs, est entré en vigueur. Outre le salaire de base minimum mensuel de 1 000 rials du Qatar (275 USD), la législation stipule que les employeurs doivent verser des allocations de 300 et 500 rials du Qatar, respectivement pour la nourriture et l’hébergement, à moins qu’ils ne les fournissent directement aux travailleurs. Cependant, des employeurs de tout le Qatar continuent à bafouer fréquemment les droits des travailleur·euse·s à toucher leur salaires entièrement et ponctuellement. Les efforts des autorités pour détecter les infractions et décréter des amendes rapides et dissuasives ont dans l’ensemble échoué. Les défauts de paiement n’ont fait que s’aggraver lors de la pandémie de Covid-19.

D’autres éléments abusifs du système de kafala perdurent, puisque notamment le statut légal d’un travailleur au Qatar reste lié à un employeur spécifique, qu’un employeur peut déposer, renouveler ou annuler le permis de séjour d’un travailleur, tandis que la « fuite », c’est-à-dire le fait de quitter un employeur sans permission, reste un crime. Les travailleurs, surtout les ouvriers recevant un faible salaire et les employé·e·s domestiques, dépendent souvent de leur employeur non seulement pour leur emploi, mais aussi pour le logement et la nourriture. Les confiscations de passeport, les honoraires de recrutement élevés et les pratiques de recrutement mensongères demeurent largement impunis. Les travailleurs n’ont pas le droit d’adhérer à des syndicats ni d’exercer leur droit de grève. Cette impunité, ainsi que les aspects persistants du système de kafala, continuent à favoriser les abus, l’exploitation et les pratiques de travail forcé.

Même si le Qatar a introduit en mai des mesures plus strictes pour protéger les travailleurs du stress thermique, les autorités se sont contentées de continuer à appliquer une interdiction rudimentaire de travail pendant les heures d’été les plus chaudes. De plus, pendant sept ans, le Qatar n’a pas rendu publiques de données détaillées ou significatives sur les décès de travailleurs migrants, qui permettraient d’évaluer dans quelle mesure elles étaient dues au stress thermique. Des recherches médicales publiées en juillet 2019 ont conclu que l’insolation était une cause probable d’accidents cardiovasculaires chez les travailleurs migrants au Qatar. Or on s'attend à ce que le changement climatique entraîne des températures de plus en plus élevées au Qatar.

En mai, les autorités qatariennes ont causé la disparition forcée d’un agent de sécurité et activiste des droits du travail, Malcolm Bidali, le détenant à l’isolement pendant un mois, avant de le placer en liberté conditionnelle et de le renvoyer dans le logement de travailleurs de son entreprise. Le 14 juillet, le Conseil supérieur de la magistrature du Qatar a émis une ordonnance pénale énonçant que Bidali avait diffusé et publié « de fausses nouvelles dans l’intention de porter atteinte au système public de l’État » en vertu de l’article 6 de la loi controversée sur la cybercriminalité – une condamnation découlant simplement du fait d’avoir exercé sa liberté d’expression. Le tribunal l’a condamné à une amende de 25 000 rials du Qatar (environ 6 800 USD), à la confiscation de son téléphone portable et au blocage au Qatar de ses comptes Twitter et Instagram, à travers lesquels « le crime avait été commis ». Le 19 août, Human Rights Watch et d’autres organisations internationales ont appelé les autorités qatariennes à annuler cette condamnation et à réformer urgemment leurs procédures judiciaires, y compris la loi sur la cybercriminalité. Bidali a quitté le Qatar le 16 août.

Droits des femmes

Dans un rapport publié en mars, Human Rights Watch a décrit en quoi le concept discriminatoire de tutelle masculine, qui s’incarne dans la loi, les réglementations et les pratiques qatariennes, prive les femmes du droit de prendre des décisions capitales sur leur vie. Au Qatar, les femmes doivent obtenir la permission de leurs tuteurs masculins pour se marier, étudier à l’étranger grâce aux bourses d’État, occuper de nombreux emplois publics, voyager à l’étranger jusqu’à un certain âge, ou bénéficier de certains soins de santé procréative. Le système discriminatoire prive également les femmes de l’autorité d’agir comme responsable légal principal de leurs enfants, même lorsqu’elles sont divorcées et en ont la garde, au détriment de l’intérêt supérieur des enfants.

Les Qatariennes de moins de 25 ans doivent obtenir la permission de leur tuteur pour voyager en-dehors du Qatar. De plus, les femmes peuvent faire l’objet à tout âge d’une interdiction de voyager de la part de leur mari ou de leur père. Les Qatariennes ont aussi l’obligation d’obtenir la permission de leur tuteur afin de travailler pour certains ministères et institutions du gouvernement, et les femmes qui étudient à l’Université du Qatar sont soumises à des restrictions de déplacement. Certains hôtels interdisent par ailleurs aux femmes qatariennes célibataires de moins de 30 ans de louer une chambre, et les femmes sont bannies de certains événements et bars servant de l’alcool.

Le code de la famille du Qatar discrimine par ailleurs les femmes en matière de mariage, divorce, garde des enfants et d’héritage. Les femmes doivent avoir la permission d’un tuteur masculin pour se marier. Une fois mariée, la femme est censée obéir à son mari et peut perdre son soutien financier si elle travaille, voyage ou refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui, sans raison « légitime ».  Les hommes ont le droit unilatéral de divorcer, tandis que les femmes doivent requérir le divorce devant le tribunal, pour des motifs limités. Selon les dispositions en matière d’héritage, les filles reçoivent la moitié du montant reçu par leurs frères. 

Même si le code de la famille interdit aux maris de faire mal à leur femme physiquement et moralement, et qu’il existe dans le code pénal des dispositions générales portant sur l’agression, le Qatar n’a pas de loi sur la violence domestique ni de mesures pour protéger les survivantes et poursuivre les auteurs des abus. Aucune loi n’interdit non plus explicitement les châtiments corporels à l’encontre des enfants.

Les femmes peuvent être forcées par la police de retourner dans leur famille si elles partent de chez elles, même lorsqu’elles fuient des abus. En janvier, une femme yéménite a été tuée par son ex-mari qatarien à la sortie du tribunal des affaires familiales qui avait tranché en sa faveur dans un litige concernant leur enfant.

Le Qatar permet aux hommes de transmettre leur nationalité à leurs épouses et enfants, alors que les enfants de femmes qatariennes et d’hommes non qatariens ne peuvent prétendre à la nationalité que dans des conditions très limitées. Cela constitue une discrimination à l’encontre des Qatariennes mariées à des étrangers, de leurs enfants et de leurs époux.

Des femmes continuent à rapporter qu’elles subissent des intimidations de la part des services gouvernementaux de cybersécurité pour leurs tweets et d’autres actions en ligne traitant des droits des femmes ou d’autres sujets politiques, et qu’il leur est demandé de signer des promesses de ne plus aborder ces questions, mais aussi de donner aux autorités accès à leurs comptes Twitter ou de leur livrer leurs appareils électroniques.

Liberté d’expression

Le code pénal qatarien pénalise le fait de critiquer l’émir, d’insulter le drapeau du Qatar, de dénigrer la religion, y compris par blasphème, et d’inciter à « renverser le régime ». La loi qatarienne de 2014 sur la cybercriminalité prévoit un maximum de trois ans de prison et/ou une amende de 500 000 rials du Qatar (environ 137 325 USD) pour toute personne reconnue coupable d’avoir diffusé des « fausses nouvelles » (un terme qui n’est pas défini) sur Internet, ou publié des contenus en ligne qui « bafouent les valeurs ou les principes de la société » ou qui « insultent ou diffament autrui ».

En janvier 2020, Qatar a amendé son code pénal pour infliger jusqu’à cinq ans de prison pour la diffusion de rumeurs ou de fausses nouvelles dans l’intention de nuire, et/ou une amende de 100 000 rials du Qatar (environ 27 465 USD). Le nouveau texte ne définit pas qui détermine ce qui constitue une rumeur ou de « fausses nouvelles », comment effectuer une telle détermination, ni sur quelle norme on doit s’appuyer pour le faire.

En août et en septembre, les lois électorales nouvellement promulguées, qui privaient de fait des milliers de Qatarien·ne·s du droit de voter ou de se présenter aux premières élections législatives du pays, ont suscité la controverse et le débat sur les médias sociaux qatariens, ainsi que des manifestations de petite échelle. Les autorités qatariennes ont répondu aux critiques en poursuivant sept personnes pour « diffusion de fausses nouvelles » et « incitation aux conflits raciaux et tribaux ». Des sources bien informées ont confié à Human Rights Watch que les autorités qatariennes avaient arrêté et placé en détention au moins quinze personnes à la suite de ces événements, dont certaines restaient détenues sans inculpation un mois après.

Apatrides

La décision du Qatar de déchoir arbitrairement de leur nationalité, à partir de 1996, les familles du clan Ghufran de la tribu Al-Murra fait que vingt ans après, certains de leurs membres sont toujours apatrides, ce qui les empêche d’avoir accès à plusieurs droits humains fondamentaux. En 2021, le Qatar ne s’est pas engagé à rectifier leur statut.

Les membres apatrides du clan Ghufran sont privés de leurs droits au travail, aux soins médicaux, à l’éducation, à la propriété, à la liberté de déplacement, ainsi que du droit de se marier et de fonder une famille. Sans documents d’identité valides, ces personnes ont un accès limité à des services de base comme le fait d’ouvrir un compte bancaire ou de passer le permis de conduire, et risquent d’être arbitrairement détenues. Celles qui parmi elles vivent au Qatar se voient également refuser divers avantages octroyés par l’État aux citoyens qatariens, comme les postes de la fonction publique, les subventions alimentaires et énergétiques et la gratuité des soins médicaux de base.

Orientation sexuelle et lois sur la moralité

Le code pénal du Qatar pénalise les relations sexuelles hors mariage. Les personnes reconnues coupables de zina (relations sexuelles hors mariage) peuvent être condamnées à jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Outre l’emprisonnement, en cas de zina, les musulman·e·s peuvent être condamné·e·s à des coups de fouet (pour les célibataires) ou à la peine de mort (pour les personnes mariées). Ces lois ont un impact disproportionné sur les femmes, puisque la grossesse sert à prouver les relations sexuelles hors mariage et que les femmes qui dénoncent un viol peuvent se trouver elles-mêmes poursuivies pour relations sexuelles consenties.

En plus d’interdire aux musulman·e·s les relations sexuelles hors mariage, le code pénal du Qatar punit les relations sexuelles entre hommes de plus de seize ans, musulmans ou non, de jusqu’à sept ans d’emprisonnement (article 285). Le code pénal prévoit également des peines d’un à trois ans (article 296) pour tout homme qui « pousse » ou « incite » un autre homme à « commettre un acte de sodomie ou immoral ». Une peine de dix ans d’emprisonnement (article 288) est également infligée à toute personne qui se livre à des relations sexuelles consensuelles hors mariage avec une personne de plus de seize ans, ce qui peut s’appliquer aux relations homosexuelles consensuelles entre femmes, entre hommes ou entre partenaires hétérosexuels.

Le travail des journalistes et des imprimeurs relève de la section 47 de la Loi de 1979 sur la presse et les publications, qui interdit la publication de « tout contenu imprimé qui est jugé contraire à l’éthique, bafoue la morale ou porte atteinte à la dignité des personnes ou leur liberté individuelle ».

Politiques et actions en matière de changement climatique

En tant qu’émetteur majeur de gaz à effet de serre, le Qatar contribue à la crise climatique qui affecte de plus en plus les droits humains sur toute la planète. Le pays est classé au sixième rang mondial des émissions de gaz à effet de serre par habitant, en grande partie à cause du recours à la climatisation. Le Qatar n’a pris que peu de mesures pour se détourner de la production et de la consommation de carburants fossiles, accélérant même sa production de gaz naturel liquéfié (GNL) destiné à l’exportation. Détenteur de la troisième réserve de gaz naturel au monde, il était jusqu’à récemment le premier exportateur mondial de GNL. Le Qatar n’a pas encore soumis sa deuxième Contribution déterminée au niveau national (CDN), un plan d’action quinquennal en matière de changement climatique exigé par l’Accord de Paris, qui était attendue pour la fin 2020. Sa première CDN ne mentionnait aucun objectif chiffré.

Le Qatar, un des pays les plus chauds du monde, est particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique. Pas moins de 97 % de la population du Qatar vit le long d’une côte exposée, ce qui la rend particulièrement vulnérable à la fois à la montée du niveau de la mer et aux phénomènes climatiques extrêmes.

Principaux acteurs internationaux

En janvier, l’Arabie saoudite a mis fin à l’isolement qu’elle imposait au Qatar depuis 2017, lorsque l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis avaient fermé leurs frontières avec le Qatar et expulsé les citoyens qatariens en réponse aux allégations selon lesquelles le Qatar soutenait le terrorisme et entretenait des liens avec l’Iran. Les quatre pays ont repris leurs relations diplomatiques lorsque le Qatar a abandonné sa procédure auprès de l’Organisation mondiale du commerce pour se plaindre des mesures d’isolement économique des EAU.

Le Qatar a joué un rôle clé en Afghanistan après que le retrait militaire des États-Unis, en août, a abouti à la prise de Kaboul par les talibans, à la fois en aidant de manière soutenue les États-Unis à évacuer des dizaines de milliers de personnes vulnérables d’Afghanistan et en mettant en place des vols quotidiens à partir de début septembre pour apporter une aide humanitaire au pays.