En 2014, le gouvernement haïtien et la communauté internationale ont fait des progrès limités pour répondre aux conséquences désastreuses des catastrophes naturelles récentes et de l'épidémie de choléra meurtrière ayant frappé ce pays. Les impasses politiques, le manque de ressources adéquates et la faiblesse des institutions gouvernementales ont continué de freiner les efforts gouvernementaux pour satisfaire les besoins fondamentaux du peuple haïtien et pour répondre aux problèmes de longue date liés aux droits humains, comme la violence contre les femmes et les conditions d'incarcération inhumaines.
Pour la quatrième année consécutive, Haïti n'a pas organisé d'élections nationales comme le prévoit la Constitution, ce qui conduit à un délitement du paysage politique. Le mandat d'un tiers du Sénat et d'un certain nombre de députés devait prendre fin début 2015, laissant la quasi-totalité des postes élus au niveau national et local, vacants ou pourvus par les titulaires.
À fin juin, 103 565 personnes déplacées à l'intérieur du pays (PDIP) vivaient dans des camps érigés au lendemain du tremblement de terre de 2010, selon l'Organisation internationale pour les migrations, en baisse de plus de 90 pour cent depuis 2010. Les Nations Unies estiment que quelque 70 000 personnes parmi les PDIP restants n'ont aucune perspective de solution durable.
En quatre ans,l'épidémie de choléra a fait plus de 8 500 morts et a infecté plus de 700 000 personnes. Toutefois, 2014 a vu une diminution marquée du nombre de cas suspects et une réduction considérable des décès, en baisse de 51 morts pour l'année à fin septembre, comparativement à plus de 4 100 décès dans les trois premiers mois de l'année 2010.
Système de justice pénale et conditions de détention
La surpopulation carcérale demeure très forte à Haïti, en grande partie en raison d'un nombre élevé d'arrestations arbitraires et de détentions préventives prolongées.
La faible capacité de la Police nationale d'Haïti (PNH) contribue à l'insécurité générale du pays. Tandis que le gouvernement et la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) — l'opération de maintien de la paix des Nations Unies dans le pays — ont fait des reformes policières une priorité, des difficultés pour former suffisamment de cadets de « niveau d'entrée » sont apparues. Le dernier rapport en date du Secrétaire général des Nations Unies pour la MINUSTAH a estimé que le ratio de policiers par habitant à fin 2014 serait vraisemblablement la moitié du nombre minimum recommandé.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions passées
L'ancien président Jean-Claude Duvalier est revenu à Haïti en janvier 2011, après presque 25 ans passés en exil. Il a été accusé de délits financiers et de violations des droits humains présumément commis au cours des 15 années qu'il a passées à la présidence du pays. De 1971 à 1986, Jean-Claude Duvalier a commandé un réseau de forces de la sécurité qui a perpétré de graves violations des droits humains, notamment des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions, des exécutions sommaires et de l'exil forcé.
En 2012, le juge d'instruction en charge du dossier a établi, contrairement aux normes internationales, que le délai de prescription s'appliquait, ce qui empêchait Jean-Claude Duvalier d'être poursuivi pour ses crimes en matière de droits humains. Une cour d'appel a entendu des témoignages afin de contester la décision rendue en 2013. Jean-Claude Duvalier s'est présenté à la barre pour répondre aux questions posées par la cour et les avocats des victimes. Dans une décision historique en date du 20 février, la cour d'appel de Port-au-Prince a jugé que le délai de prescription ne pouvait s'appliquer aux crimes contre l'humanité et a ordonné une enquête supplémentaire sur les charges pesant contre Jean-Claude Duvalier. Toutefois, Jean-Claude Duvalier est décédé le 4 octobre sans avoir eu à répondre de ses crimes en justice. Au moment de la rédaction du présent rapport, une nouvelle enquête ouverte contre les crimes commis par les collaborateurs de Jean-Claude Duvalier était toujours en cours.
Violences perpétrées contre les femmes
La violence à l'égard des femmes est un problème répandu. Un projet de loi luttant contre la violence faite aux femmes qui alignerait le Code pénal d'Haïti sur les normes internationales a fait l'objet de discussions parmi les membres du parlement, mais il n'a pas été présenté officiellement pour être débattu.
Un Comité de conseillers du président a examiné deux projets de révision en suspens du Code pénal haïtien, dont un projet sur les actes de violence fondés sur le genre comme le viol et l'agression sexuelle, qui ne figurent pas actuellement dans le Code, dans l'espoir qu'une version issue d’une conciliation soit présentée au parlement début 2015.
Travail domestique des enfants
L'utilisation d'enfants travailleurs domestiques, appelés restavèks, se poursuit. Les restavèks, majoritairement des jeunes filles, sont issues de familles à faible revenu qui les envoient vivre dans des familles plus riches dans l'espoir qu'elles iront à l'école et que l'on prendra soin d'elles en échange de l'exécution de menues tâches ménagères.
Bien que difficilement chiffrables, certaines estimations font état de 225 000 enfants travaillant en qualité de restavèks.Souvent, ces enfants ne sont pas payés, ne reçoivent aucune éducation et sont victimes de violences physiques ou sexuelles. Le Code du travail haïtien ne fixe pas d'âge minimum pour réaliser des services domestiques, bien que l'âge minimum pour travailler dans l'industrie, l'agriculture et les entreprises commerciales soit fixé à 15 ans. La plupart des cas de trafic à Haïti concernent des restavèks. En mai, Haïti a adopté une législation proscrivant de nombreuses formes de trafic, notamment l'hébergement d'un enfant à des fins d'exploitation.
Défenseurs des droits humains
Les défenseurs des droits humains continuent d'être exposés à de graves menaces de violence. Malya Vilard Apolon, cofondatrice de Komisyon Fanm Viktim Pou Viktim (KOFAVIV), organisation de défense des droits des femmes, a quitté Haïti en mars après des menaces de mort répétées, des actes renouvelés de harcèlement et l'empoisonnement des chiens de famille. Marie Eramithe Delva, l'autre cofondatrice de KOFAVIV, a signalé à la police en mai qu'elle recevait des menaces de mort par texto (SMS) d'une femme placée en garde à vue et a fourni des copies d'écran des menaces et du numéro de téléphone. À sa connaissance, il n'y a pas eu d'enquête complémentaire sur ses plaintes et elle n'a reçu aucune protection policière, la police l'ayant également incitée à quitter Haïti en juin.
En février, Daniel Dorsinvil, coordinateur général de la Plateforme des organisations haïtiennes de défense droits humains (POHDH) et son épouse Girldy Larêche ont été abattu tandis qu'ils marchaient dans un quartier de Port-au-Prince près des bureaux de la POHDH. Dans les jours qui ont suivi le meurtre, les responsables gouvernementaux ont affirmé que le crime avait été commis pendant un vol à main armée et qu'il n'était pas lié aux activités en matière de droits humains de Daniel Dorsinvil ou de ses critiques à l'égard du gouvernement. Cette allégation n'a toutefois pas été étayée par une enquête approfondie, selon les représentants de la société civile locale.
Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), a reçu une menace de mort en avril l'accusant de colporter de fausses revendications liées aux droits humains dans un effort de déstabilisation gouvernementale. La menace manuscrite s'accompagnait d'une balle et affirmait « cette fois tu n’y échapperas pas », faisant en cela référence à un incident survenu en 1999 lorsqu'il avait survécu à une tentative d'assassinat.
Principaux acteurs internationaux
La Mission de l'ONU, MINUSTAH, se trouve à Haïti depuis 2004 et apporte sa contribution aux efforts pour améliorer la sécurité publique, protéger les groupes vulnérables et renforcer les institutions démocratiques du pays. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a prolongé le mandat de la MINUSTAH jusqu'au 15 octobre 2015.
Selon des preuves de plus en plus nombreuses, l'épidémie de choléra qui a éclaté en octobre 2010 a probablement été introduite par les soldats de la paix de l'ONU. Un membre du Groupe d'experts de l'ONU sur l'apparition de l'épidémie a précisé que « la source la plus probable d'introduction du choléra en Haïti était une personne infectée par la souche de choléra liée au Népal, qui se trouvait dans un campement de l’ONU à Mirebalais ».
Réagissant au refus des Nations Unies d'accéder à la demande d'indemnisation présentée par 5 000 victimes de l'épidémie, l'Institut de la justice sociale et de la démocratie à Haïti et le Bureau des Avocats internationaux ont engagé une action auprès d'un tribunal américain. Au moment de la rédaction du présent rapport, un recours en annulation est en cours. À ce jour, il n'y a eu aucun arbitrage indépendant des faits entourant l'introduction du choléra et l'implication des Nations Unies.
Selon des chiffres communiqués par le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) de l'ONU, au moins 93 allégations d'abus sexuels ou d'exploitation ont été faites contre le personnel de la MINUSTAH au cours des huit dernières années, notamment 11 en 2014, et ce, au 30 septembre.
En février, l'expert indépendant de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Haïti, Gustavo Gallón, a demandé souligné la necessité d’un « traitement de choc » afin de réduire considérablement le nombre de personnes placées en détention préventive.
En mai, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a demandé à tous les états membres de l'Organisation des États Américains (OAS) de garder ouverts leurs dossiers officiels et leurs archives sur les atteintes aux droits humains commises sous le régime Duvalier pour les utiliser comme éléments de preuve dans l'enquête. On ignorait si les états membres de l'OAS avaient accédé à la demande de la Commission.