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Rapport mondial 2015 : Liban

Événements de 2014

Affiche annonçant la mise en place d’un couvre-feu à Wadi Chahrour, au Liban : « La municipalité de Wadi Chahrour annonce un couvre-feu à partir du samedi 9 février 2013, pour tous les étrangers résidant dans la ville, en vigueur tous les jours de 20h30 jusqu’à 5h30. […] ». Photo prise le 11 avril 2013.

© 2013 Reuters

La situation sécuritaire au Liban s’est détériorée en 2014. Le conflit en Syrie a provoqué des retombées de violences, et les institutions démocratiques ont fait preuve de faiblesse quand le Parlement n’a pas été en mesure d’élire un président. Les élections législatives, programmées initialement en juin 2013 puis en novembre 2014, ont été à nouveau repoussées jusqu’en 2017.

Le nombre de réfugiés syriens au Liban a atteint 1 143 000 au mois de novembre, et ils ont été victimes d’un nombre croissant d’abus, tels que des couvre-feux imposés au niveau local, des expulsions, et des violences de la part d’acteurs non-étatiques, tandis que la réaction des autorités libanaises est restée très faible. Avec très peu de soutien international, le gouvernement a eu du mal à répondre aux besoins des réfugiés. Des projets de loi pour mettre fin à la torture et améliorer le traitement des employées domestiques migrantes sont restés bloqués, mais une loi visant à protéger les femmes des violences domestiques a été adoptée en avril, représentant une avancée majeure pour les droits des femmes.

Retombées des violences en Syrie

En 2014, de nombreux bombardements depuis la Syrie ont touché le nord du Liban et la vallée de la Bekaa, tuant au moins 10 civils et en blessant au moins 19.

Il y a eu 14 attentats à la voiture piégée ou attentats suicide, dont au moins cinq ont visé des civils. Sur ces 14 attentats, trois ont eu lieu dans les banlieues chiites de Beyrouth et trois dans la ville chiite d’Hermel, dans la Bekaa, faisant 32 morts et blessant au moins 332 personnes. Le groupe extrémiste de l’État islamique, également connu sous le nom d’EIIL, a revendiqué la responsabilité d’un de ces attentats, tandis que Jabhat al-Nusra en a revendiqué quatre, et les Brigades Abdullah Azzam, un groupe affilié à Al-Qaïda, un. Cinq autres attentats ont semblé viser des personnels de sécurité ou des responsables du Hezbollah. Ces attentats ont fait 11 morts, dont cinq soldats et un responsable du Hezbollah, et ont blessé 50 autres personnes.

Des affrontements opposant l’armée libanaise et des militants basés en Syrie, dont certains étaient membres de l’EIIL et de Jabhat al-Nusra, ont éclaté entre le 2 et le 5 août à Ersal, et ont pris fin quand l’armée libanaise a repoussé les militants hors de la ville. Au cours de ces combats, des personnels de sécurité libanais ont été pris en otage par les militants, et à l’heure où nous écrivons trois d’entre eux avaient été exécutés.

Des habitants libanais d’Ersal et des Syriens qui y vivent ont rapporté que les soldats libanais avaient refusé de laisser les Syriens fuir la ville pendant les combats, et que des campements de réfugiés et d’autres cibles civiles avaient essuyé des tirs à l’aveugle, y compris de la part de l’armée libanaise. Un hôpital de campagne d’Ersal a affirmé que 489 personnes avaient été blessées, et au moins 59 civils tués dans les combats – 44 Syriens et 15 personnes originaires d’Ersal.

La prise en otage de soldats libanais et de membres des Forces de sécurité intérieure a provoqué une série de mesures de représailles contre les Syriens dans les semaines qui ont suivi, et notamment une vague générale de couvre-feux imposés par des municipalités dans tout le pays, des expulsions forcées, et des violences commises par des acteurs non-étatiques. En septembre, au moins 40 municipalités avaient imposé des couvre-feux aux Syriens. Les forces de sécurité libanaises ont également mené des campagnes d’interpellation, visant parfois des campements de fortune de réfugiés, et ont dans certains cas violenté ou détenu arbitrairement des Syriens, selon les témoignages.

Réfugiés

En novembre, plus de 1 143 000 réfugiés syriens au Liban avaient sollicité l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) afin de s’enregistrer. Cet enregistrement ne leur offre pas de statut légal, mais permet aux Syriens de recevoir de l’aide dans certains cas. Les Syriens qui entrent dans le pays par un poste frontière officiel se voient accorder un permis de séjour de six mois, avec possibilité de renouvellement une fois, suite à quoi toute extension impose le paiement de 200 USD (160 euros) de frais. Sans statut légal, les réfugiés risquent d’être placés en détention pour présence illégale dans le pays.

Le gouvernement libanais a commencé à appliquer en 2014 des mesures visant à réduire le nombre de Syriens dans le pays. Le 23 octobre, le gouvernement libanais a décidé d’interdire aux réfugiés syriens de pénétrer dans le pays, sauf en cas de « situation humanitaire extrême », mais n’a pas défini les critères d’une telle situation. Selon des réfugiés et des travailleurs humanitaires, les agents de la Sécurité générale postés à la frontière ont semblé appliquer leur propre interprétation de cette annonce récente du gouvernement, et décider de façon arbitraire et discriminatoire d’autoriser ou non l’entrée dans le pays.

Environ 45 000 Palestiniens de Syrie ont cherché refuge au Liban, s’ajoutant aux 300 000 réfugiés palestiniens environ qui y vivent déjà. En mai, de nouvelles réglementations du Ministère de l’intérieur ont limité les possibilités pour les Palestiniens d’entrer dans le pays ou de renouveler leur titre de séjour. Ces restrictions faisaient suite à l’expulsion forcée d’une trentaine de Palestiniens vers la Syrie, le 4 mai. Dès août 2013, les autorités s’étaient mises à interdire arbitrairement aux Palestiniens d’entrer dans le pays.

Affrontements à Tripoli

En mars, dans la ville de Tripoli au nord du pays, deux semaines de violences meurtrières ont opposé des groupes armés, faisant au moins 30 morts et 175 blessés, parmi lesquels 33 soldats. Les combats étaient surtout concentrés dans le quartier majoritairement alaouite de Jabal Mohsen et le quartier sunnite voisin de Bab al-Tabbaneh.

Le 1er avril, l’armée a mis en œuvre un plan de sécurité à Jabal Mohsen et Bab al-Tabbaneh, pour arrêter les militants et confisquer les armes. Des dirigeants des milices locales et des combattants ont été emprisonnés, dont certains sont toujours en détention, mais de nombreux membres et responsables de ces milices sont toujours en liberté, et les affrontements ont repris les 5 et 6 août quand l’armée s’est retirée de Bab al-Tabbaneh. Une petite fille de 8 ans a été tuée dans ces affrontements.

Les combats ont repris entre l’armée et des militants armés au mois de septembre et se sont poursuivis en octobre, causant des victimes dans les deux camps et parmi les habitants.

Détention provisoire prolongée et mauvais traitements

En 2014, les forces de sécurité libanaises ont mené des enquêtes et des arrestations en lien avec les attentats à la voiture piégée et les autres attaques de civils au Liban. Certains des suspects arrêtés, comme ceux emprisonnés suite aux affrontements qui avaient opposé l’armée aux partisans de l’Imam Sheikh Ahmed al-Assir, de l’opposition pro-syrienne, à Saida en juin 2013, ont subi de longues périodes de détention provisoire et ont rapporté avoir été battus et torturés par les forces de sécurité.

Le Liban n’a pas encore mise en place de mécanisme national de prévention pour visiter et contrôler les lieux de détention, ainsi que l’exige le Protocole facultatif de la Convention contre la torture, que le pays a ratifiée en 2008. Dans son rapport annuel publié en octobre, le Comité des Nations Unies contre la torture estime qu’« au Liban, la torture est une pratique largement répandue et couramment utilisée par les forces de l'ordre et les organismes d'application de la loi… »

Liberté d’expression

En 2014, les accusations et les poursuites engagées contre des médias, des journalistes et des blogueurs ont menacé la liberté d’expression. Diffamer ou critiquer le président libanais ou l’armée est considéré comme un acte criminel au Liban, et peut entraîner une peine de prison. Le 12 février, le tribunal chargé de la presse et des publications a condamné Jean Assy, un blogueur, à deux mois de prison pour diffamation et insultes à l’encontre du Président Michel Sleiman, via Twitter.

Des définitions ambiguës de la diffamation ou de la calomnie ouvrent la porte à ceux qui veulent faire taire la critique légitime des responsables de l’État. Le 13 mars, le Bureau de lutte contre la cybercriminalité des Forces de sécurité intérieure a convoqué le blogueur Imad Bazzi pour l’interroger, l’accusant de diffamation parce qu’il avait critiqué les abus de pouvoir de l’ancien Ministre d’État Panos Mangyan.

Le 26 février, le tribunal chargé de la presse et des publications a infligé une amende de 27 millions de livres libanaises (18 000 USD, soit environ 15 000 euros) à Mohammed Nazzal, journaliste à Al Akhbar, pour un article sur la corruption judiciaire. En février toujours, Rasha Abou Zaki, contributrice d’Al Akhbar, a reçu une amende de 4 millions de livres libanaises (2 667 USD, soit environ 2 180 euros) de la part de ce même tribunal, pour diffamation à l’encontre de l’ancien Premier Ministre Fouad Siniora, après qu’elle ait dénoncé la corruption et des détournements de fonds au sein du Ministère des Finances.

Droits des employé(e)s migrant(e)s

Les employées domestiques migrantes sont exclues du droit du travail et soumises à une réglementation restrictive de l'immigration basée sur le système du kafala, le parrainage des visas qui les attache à leurs employeurs et les expose à des risques d'exploitation et d'abus. En juin, un juge a rendu un verdict en faveur d’une employée domestique migrante qui poursuivait son patron pour avoir confisqué son passeport, et a estimé que cette pratique était discriminatoire et représentait une violation illégale de la liberté de mouvement de l’employée.

Les employées domestiques migrantes qui poursuivent leurs patrons pour abus continuent cependant à affronter des obstacles juridiques, et sont menacées d'emprisonnement et d'expulsion en raison des restrictions du système de visas. Depuis mai 2014, et peut-être même avant, le Liban s’est mis à refuser le renouvellement du permis de séjour pour un certain nombre d’enfants nés aux Liban de parents migrants à faible revenu, ainsi que pour ces derniers, et à les expulser.

Droits des femmes

Le 1er avril, le Parlement a adopté la Loi sur la protection des femmes et des membres de la famille contre la violence conjugale. Ce nouveau texte juridique instaure des mesures de protection importantes et des réformes politiques et juridiques associées, mais laisse les femmes à la merci du viol conjugal et d’autres formes d’abus. Un mois après l’entrée en vigueur de la loi, quatre ordonnances de protection avaient été délivrées dans ce nouveau cadre.

En septembre, un verdict qui fera jurisprudence a été rendu par un juge qui a ordonné l’éviction permanente de leur domicile du mari, du fils et de la belle-fille d’une femme, après avoir établi qu’ils avaient abusé de cette dernière. Aux termes des 15 codes du statut personnel différents en vigueur au Liban, qui sont définis par l’appartenance religieuse de la personne, les femmes continuent à subir des discriminations, et notamment un accès inégal au divorce et à la garde des enfants. Les femmes libanaises, au contraire des hommes, ne peuvent pas transmettre leur nationalité à un mari et des enfants étrangers, et continuent à pâtir de lois discriminatoires en matière d'héritage.

Séquelles des conflits et des guerres passées

En octobre 2012, le ministre de la Justice Shakib Qortbawi a présenté un projet de décret au gouvernement, visant à créer une commission nationale pour enquêter sur le devenir des Libanais et ressortissants d'autres pays « disparus » pendant et après la guerre civile libanaise de 1975-1990. Le gouvernement a formé un comité ministériel afin d'étudier le projet de décret, mais aucune mesure n’a été prise en 2014.

Le 4 mars, le Conseil d’État libanais a jugé que les proches de personnes disparues au Liban avaient le droit de savoir ce qui était arrivé aux membres de leurs familles. Le 20 septembre, les familles des disparus se sont vu remettre une copie du dossier de l’enquête du gouvernement, après que l’appareil judiciaire ait demandé en mai le report de cette divulgation, au motif que ce geste pourrait fragiliser la paix civile.

En janvier, le procès par contumace de quatre membres du Hezbollah accusés du meurtre en 2005 de l’ancien Premier Ministre Rafik Hariri s’est ouvert au Tribunal spécial des Nations Unies pour le Liban. Un cinquième suspect, inculpé en 2013, a été inclus dans le procès en février.

Principaux acteurs internationaux

La Syrie, l'Iran et l'Arabie saoudite conservent une forte influence sur la politique libanaise par le biais de leurs alliés locaux, et cette influence ne fait que croître avec l'implication croissante du Liban dans le conflit en Syrie.

De nombreux pays ont octroyé au Liban une aide conséquente, quoi qu’insuffisante, afin d’affronter la crise des réfugiés syriens et de renforcer la sécurité dans un contexte de débordement de la violence.

Les forces armées libanaises et les Forces de sécurité intérieure reçoivent également de l’aide de divers bailleurs internationaux, parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni, et l’Union européenne, qui ont tous pris des mesures pour améliorer le respect du droit international des droits humains par ces forces armées.