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Tunisie

Événements de 2023

Au cours d'un rassemblement à Sfax, sur la côte est de la Tunisie, le 7 juillet 2023, des migrants tenaient des pancartes où l'on pouvait lire en français et en anglais : « La vie des Noirs compte » (« Black Lives Matter »).

© 2023 AP Photo

En 2023, les autorités tunisiennes ont intensifié leur répression de l’opposition et d’autres voix critiques, emprisonnant plusieurs dizaines de personnes pour des motifs douteux et manifestement politiques.

Ayant éliminé presque tous les contrepouvoirs institutionnels existant face au pouvoir exécutif, le président Kais Saied a continué à exercer de façon presque incontesté. La nouvelle Assemblée qui a pris ses fonctions le 13 mars a des pouvoirs bien plus limités, en vertu de la constitution adoptée en 2022, que le Parlement qu’elle a remplacé. Saied a annoncé des élections locales pour le 24 décembre 2023 afin de remplacer les  conseils municipaux démocratiquement élus qu’il avait dissous unilatéralement en mars.

Au moment où le pays fait face à une grave crise économique, le président a accusé de façon répétée ses opposants de conspirer et de fomenter des tensions sociales dans un contexte de hausse des prix des denrées alimentaires. Le président a pris comme bouc émissaire la petite population de migrants noirs, demandeurs d’asile et réfugiés présente en Tunisie, qui ont également subi des abus de la part des forces de sécurité.

Répression politique

En février, une vague d’arrestations a ciblé des opposants de diverses appartenances politiques, des activistes, des avocats, des juges ainsi que le directeur d’une station de radio populaire. La plupart sont accusés de « conspiration contre la sûreté de l’État » et étaient toujours en détention provisoire au mois de septembre. Les arrestations se sont poursuivies tout au long de l’année dans les rangs de l’opposition et autres détracteurs du gouvernement, portant à au moins 40 le nombre de personnes considérées comme critiques à l’égard de Saied derrière les barreaux au mois de septembre.

Les autorités ont également démantelé, sans officiellement interdire, le plus grand parti d’opposition, Ennahda. Une vingtaine de membres du parti, dont ses premiers dirigeants, Rached Ghannouchi, Ali Laarayedh et Nourredine Bhiri, ont été arbitrairement placés en détention.

Le 15 mai, un tribunal de Tunis a condamné Ghannouchi à une peine d’un an d’emprisonnement et à une amende pour des accusations liées au terrorisme sur la base de commentaires qu’il avait faits en public. Ghannouchi fait également l’objet d’une enquête dans plusieurs autres affaires pénales, y compris pour des accusations de « conspiration contre l’État ».

Le 18 avril, la police a fermé le siège d’Ennahda à Tunis et empêché depuis tout accès aux bureaux du parti dans tout le pays. Le même jour, les autorités ont fermé le quartier général tunisois du parti Mouvement Tunisie Volonté, qui hébergeait les activités du Front de salut national (FSN), une coalition d’opposition cofondée par Ennahda.

Les autorités ont imposé au moins une dizaine d'interdictions de voyager en lien avec des enquêtes pénales visant des opposants et des personnes perçues comme critiques, comme la présidente de l’Instance vérité et dignité Sihem Bensedrine et l’ancien membre du Parlement Zied Ghanney, restreignant ainsi leur liberté de circulation.

Le nombre de civils poursuivis devant les tribunaux militaires a augmenté depuis que le président s’est arrogé des pouvoirs extraordinaires en juillet 2021. Le 20 janvier, six civils dont quatre membres de l’opposition du Parlement dissous et un avocat ont été reconnus coupables par la Cour d’appel militaire de plusieurs chefs d’inculpation comme « outrage à fonctionnaire public », en lien avec une manifestation à laquelle ils avaient participé à l’aéroport de Tunis, et condamnés à des peines allant jusqu’à 14 mois de prison.

Chaima Issa, une des leaders d’une coalition d’opposition, est poursuivie devant un tribunal militaire à cause des commentaires qu’elle a faits à la radio sur le rôle de l’armée dans l’organisation des élections. Issa a par ailleurs été détenue de février à juillet, inculpée de « conspiration contre la sûreté de l’État », une affaire pour laquelle elle n’a pas encore été jugée.

Le président Saied a poursuivi ses efforts visant à porter atteinte à l’indépendance judiciaire. Il a ignoré une décision du tribunal administratif ordonnant de réintégrer 49 juges et procureurs qu’il avait arbitrairement limogés en juin 2022. Au mois de septembre 2023, au moins 27 avocats faisaient face à des poursuites devant la justice civile ou militaire en raison d’activités entreprises pour défendre leurs clients ou pour avoir exprimé leur opinion. Plusieurs d’entre eux demeuraient accusés de « conspiration contre la sûreté de l’État ».

Liberté d’expression et de la presse

Des procureurs ont ouvert des enquêtes pénales contre une vingtaine de personnes, notamment des journalistes, des opposants politiques, des avocats et des activistes, en vertu du décret 54 sur la cybercriminalité que Saied a promulgué en septembre 2022. Ce décret prévoit de lourdes peines de prison pour la propagation de « fausses nouvelles » et de « rumeurs » sur Internet et dans les médias. De plus, il contient des dispositions qui octroient des pouvoirs étendus aux autorités pour intercepter, surveiller, collecter et stocker des données de communications privées, sans garanties de respect des droits humains.

Le 16 mai, le journaliste Khalifa Guesmi, correspondant à Kaïrouan de la radio privée Mosaïque FM, a été condamné en appel à cinq ans d’emprisonnement pour divulgation d’informations de sûreté nationale, en lien avec ses reportages sur le démantèlement d’une cellule terroriste supposée. Il a commencé à purger sa peine le 3 septembre. Également au mois de mai, un tribunal a libéré sous caution le directeur de Radio Mosaïque FM, Noureddine Boutar, après trois mois de détention. Boutar attend d’être jugé pour « conspiration contre la sûreté de l’État » et blanchiment d’argent.

Le 21 juillet, la journaliste Chadha Hadj Mbarek a été arrêtée en lien avec son travail pour une société de production de contenus numériques, Instalingo. Cette entreprise, qui compte parmi ses clients des organisations des médias critiquant Saied, fait l’objet d’une enquête depuis 2021. Hadj Mbarek, aux côtés d’autres anciens employés d’Instalingo et d’autres accusés, fait face, entre autres, à des chefs d’inculpation douteux de « conspiration ». Au mois de septembre  OU décembre ?  , elle était toujours détenue.

Racisme et droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile

Lors d’un discours prononcé le 21 février qui a été rendu public, le président Saied a associé les migrants africains noirs sans papiers à la criminalité et à un « complot » visant à modifier la composition démographique du pays. « Des hordes d’immigrés clandestins continuent d’arriver en provenance d’Afrique subsaharienne, source de violence, de crimes et d’actes illégaux et inacceptables », a-t-il déclaré. Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a qualifié le discours de Saied de raciste et considéré que ses paroles violaient la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dont la Tunisie est un État partie.

Même si cela fait des années que les étrangers africains noirs subissent sporadiquement des discriminations et des agressions racistes en Tunisie, c’est un déferlement d’attaques qu’ils ont connu après le discours du président, y compris des agressions violentes, des vols et des actes de vandalisme de la part de citoyens tunisiens, des expulsions arbitraires de la part de leurs propriétaires et des licenciements par leurs employeurs.

En février, les autorités auraient arrêté sans distinction au moins 850 étrangers africains noirs, apparemment en se fondant sur leur seule apparence physique, dont des personnes avec et sans permis de séjour, des demandeurs d’asile et des étudiants inscrits régulièrement, d’après Avocats sans frontières (ASF).

En 2023, la police, l’armée et la garde nationale tunisiennes, y compris les garde-côtes, ont commis de graves abus à l’encontre de migrants africains noirs, de réfugiés et de demandeurs d’asile. Parmi les abus documentés par Human Rights Watch, on peut citer des passages à tabac, l’usage d’une force excessive, quelques cas de torture, des arrestations et détentions arbitraires, des actions dangereuses en mer au cours d’interceptions d’embarcations, des expulsions forcées et des vols d’argent ou de possessions.

En juillet, les forces de sécurité tunisiennes ont procédé à des arrestations de masse et arbitraires d’étrangers africains noirs, aussi bien en situation irrégulière que régulière, dans la ville de Sfax et aux environs. Dans plusieurs cas, elles ont fait usage de force excessive ou se sont livrées à des agressions physiques ou sexuelles, y compris contre des femmes et des enfants. Les forces de sécurité ont sommairement et collectivement expulsé quelque 2 000 personnes, d’après le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme – des ressortissants d’au moins seize nationalités du continent africain, dont des demandeurs d’asile, des femmes enceintes et des enfants – vers des zones isolées le long de la frontière tunisienne avec la Libye et l’Algérie.

Les autorités ont abandonné ces personnes expulsées, coincées aux frontières pendant des jours ou des semaines, avec peu d’accès à l’eau, à la nourriture ou aux soins médicaux. De nombreuses personnes ayant été expulsées à la frontière algérienne sont toujours portées disparues. Même si les autorités tunisiennes et le Croissant-Rouge tunisien ont fini par évacuer plus de 700 personnes expulsées dans la zone militarisée entre Libye et Tunisie vers des refuges de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’autres centres publics en Tunisie, au moins 27 migrants ont trouvé la mort à la frontière, d’après les autorités libyennes et le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. À la suite d’un accord entre Tunisie et Libye, environ 160 personnes ont été évacuées vers la Libye et transférées dans des centres de détention, où elles risquent de subir de graves abus.

Droits des femmes

Les droits des femmes ont régressé sous la présidence de Saied. Sa constitution taillée sur mesure, adoptée en juillet 2022 par un référendum national lors duquel le taux d’abstention a atteint 69,5 %, édicte que les femmes et les hommes sont « égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans aucune discrimination ». L’article 5, cependant, stipule que « la Tunisie fait partie de la nation islamique [Oumma] », faisant de la réalisation des vocations de l’Islam une responsabilité de l’État. Ces dispositions pourraient être employées pour justifier des atteintes aux droits des femmes en se fondant sur des interprétations de préceptes religieux, comme l’ont fait d’autres États de la région.

La nouvelle loi électorale, adoptée unilatéralement par un décret du président Saied en septembre 2022, a supprimé les dispositions de la loi précédente qui visaient à atteindre une parité entre les sexes dans les assemblées élues de Tunisie. Résultat, seulement 25 femmes figurent dans la nouvelle Assemblée de 161 sièges.

Le droit tunisien continue à discriminer les femmes dans leur droit à l’héritage et Saied a exprimé sa ferme opposition à la réforme des lois régissant l’héritage qui avait été discutée au Parlement en 2019.

Même si la loi de 2017 sur les violences à l’encontre des femmes a mis en place de nouveaux services de soutien et de prévention ainsi que des mécanismes de protection pour les survivantes, il existe de nombreuses failles dans l’application de cette loi, surtout en ce qui concerne la façon dont la police et la justice traitent les plaintes pour violence domestique. Le manque de financement étatique dédié à l’application de cette loi est une défaillance cruciale, de même que le manque de refuges pour femmes.

Droits des personnes handicapées

En avril 2023, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies a appelé la Tunisie à réexaminer et révoquer ses lois privant les personnes présentant un handicap de leur droit à la capacité juridique et à garantir qu’elles aient droit à une prise de décisions assistée et à une autonomie individuelle. Le Comité a également appelé la Tunisie à s’assurer que toutes les personnes en situation de handicap aient droit à des services de santé de qualité accessibles, « en particulier des services de santé sexuelle et reproductive », sur la base du libre arbitre et du consentement éclairé.

Le Comité s’est dit par ailleurs inquiet de la faible participation des femmes handicapées à la vie politique et l’administration publique.

Orientation sexuelle et identité de genre

L’article 230 du code pénal punit les relations homosexuelles consensuelles, que ce soit entre hommes ou entre femmes, de jusqu’à trois ans de prison. En décembre 2022, deux personnes – une femme transgenre et un homme gay – ont été condamnées par des tribunaux tunisiens pour homosexualité, en vertu de l’article 230, respectivement à trois ans et un an d’emprisonnement.

Les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) continuent à subir des discriminations, des agressions violentes et des discours de haine en ligne, y compris des « coming-out forcés », ce qui a dans la vie réelle d’importantes répercussions qui menacent la sécurité des personnes.

Les acteurs étatiques en Tunisie ont également porté atteinte au droit à la vie privée et à d’autres droits humains des personnes LGBT en les prenant pour cible via les outils numériques, notamment par du harcèlement en ligne, la divulgation d’informations confidentielles et un coming-out forcé sur des plateformes de réseaux sociaux. Les autorités se fondent parfois, pour les poursuites judiciaires, sur des informations numériques obtenues de façon illégitime, comme des photographies privées et des conversations instantanées trouvées sur les téléphones des personnes LGBT à l’occasion de fouilles arbitraires de leur contenu.

Coopération internationale

Le 16 juillet, l’Union européenne a signé un Mémorandum d’accord avec la Tunisie sur un nouveau « partenariat stratégique » dans lequel l’UE promet de fournir au pays un programme de financement de jusqu’à 1 milliard d’euros (environ 1,085 milliard USD), dont 105 millions d’euros (114 millions USD) pour « lutter contre l’immigration irrégulière », qui seront alloués à « la gestion des frontières [...], les opérations de recherche et secours, la lutte contre la contrebande et les retours ».

Cet accord ne contenait ni des garanties sérieuses en matière de droits humains pour les migrants et les demandeurs d’asile, ni des dispositions pour empêcher que l’aide européenne ne soit destinée à des entités responsables de violations des droits humains. Il a été signé à un moment où des centaines de migrants africains noirs dépérissaient dans le désert le long des frontières tunisiennes, après que les forces de sécurité les avaient sommairement raflés et abandonnés à cet endroit.

Le 13 septembre, la Médiatrice de l’UE, Emily O’Reilly, a ouvert une enquête sur le respect des droits fondamentaux par le Mémorandum d’accord entre l’Union européenne et la Tunisie.

Le 22 septembre, la Commission européenne a annoncé le déblocage imminent de 127 millions d’euros (environ 138 millions USD) pour soutenir l’économie tunisienne, dont 42 millions USD (45,5 millions USD) issus de l’enveloppe de 105 millions (114 millions USD) allouée à la gestion des frontières.

En mars, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les atteintes « à la liberté d’expression, d’association et aux syndicats » en Tunisie.

Les autres institutions de l’UE, y compris le Conseil européen et la Commission européenne, ont dans l’ensemble omis d’évoquer publiquement les graves restrictions des droits humains et les atteintes aux droits des migrants ayant eu lieu au cours de l’année dans le pays.