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Tunisie : La loi sur le droit à l'information à l’épreuve de la réalité

La portée de la loi va dépendre de sa mise en application

Un formulaire type utilisé pour demander des informations auprès d’organismes d’État en Tunisie, en vertu de la Loi relative au droit d’accès à l’information (Loi n ° 2016-22) adoptée en 2016.

(Tunis) – La première loi sur la liberté de l'information dont s'est dotée la Tunisie, il y a près de trois ans, permet de faire progresser de manière significative le droit des citoyens à obtenir de l'information auprès d'institutions financées par l'État, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Toutefois, le véritable impact de cette loi dépendra de l’autorité effective d'un organe qui a été créé pour contraindre les institutions peu coopératives à répondre à de telles demandes.

« Avec sa loi relative au droit d'accès à l'information, la Tunisie est une nouvelle fois à la pointe du monde arabe en matière de promotion de la transparence dans les institutions publiques », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Mais il reste encore à voir si le système mis en place pour faire en sorte que les informations relatives au gouvernement soient accessibles au public sera efficace. »

La Tunisie a adopté la « Loi organique relative au droit d'accès à l'information » (Loi n°- 2016-22) en mars 2016, rejoignant ainsi les quelques pays arabes qui possèdent aussi une telle législation. La loi tunisienne oblige les organismes d'État à fournir un éventail plus large d'informations que les législations similaires en vigueur en Jordanie (adoptée en 2007), au Yémen (2012), au Liban (2017) et au Maroc (2017). Et elle limite également quelles informations peuvent être maintenues confidentielles. En Irak, le Gouvernement régional kurde dispose également d'une loi similaire depuis 2013.

La loi tunisienne exige que tous les organes gouvernementaux, les institutions publiques et toute autre institution recevant des fonds de l'État rendent publiques sur demande toute une gamme d'informations, dont leurs organigrammes, leurs textes juridiques, leurs accords avec des États, leurs politiques et programmes qui concernent le public, leurs processus d'achat, leurs statistiques, ainsi que « toute information relative aux finances publiques, y compris les données détaillées liées au budget au niveau central, régional et local ». La loi tunisienne est la première dans le monde arabe à prévoir la création d'une commission indépendante chargée de superviser l'application de la loi, l'Instance d'accès à l'information (INAI).

L'INAI a émis plus de 200 décisions en réponse à plus de 600 recours. Dans sa première décision, prise en février 2018, elle a ordonné à un comité d'État sur le transport régional de communiquer à une association de chauffeurs de taxi les procès verbaux d'une réunion lors de laquelle les procédures d'octroi de licences de taxi avaient été discutées.

Dans un autre cas, l'INAI a statué en faveur d'IWatch, une organisation locale pro-transparence et anti-corruption, qui avait sollicité auprès du directeur général de l'Agence nationale de protection de l'environnement une copie de l'accord de concession octroyé à la compagnie pétrolière Total pour construire une station d'essence. Dans une autre requête, un citoyen a obtenu un jugement favorable à sa demande de communication d'une correspondance entre le ministère de la Défense et le bureau du Premier ministre sur les méthodes de calcul des indemnités dues aux militaires blessés pendant leur service

Les décisions de l'INAI peuvent faire l'objet d'un appel devant les tribunaux administratifs.

Un premier décompte informel effectué et présenté par l'INAI en juin fait apparaître que l'Instance avait statué en faveur du pétitionnaire dans près des deux tiers de ses décisions. Dans près de huit pour cent des cas, l'organisme concerné avait satisfait à la requête avant que l'INAI n'ait eu le temps de statuer. Ceci indique, selon un membre du conseil de l'INAI avec qui Human Rights Watch s'est entretenu, que le simple fait de déposer un recours était parfois suffisant pour obtenir une réponse de l'agence concernée.

Les activistes tunisiens ont mené une campagne intense pour l'adoption d'une loi relative au droit d'accès à l'information. Cette loi a remplacé un décret présidentiel de portée plus limitée qui avait été émis en 2011, peu après la chute de l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali.

Cependant, des défenseurs du droit à l'accès à l'information, dont un membre du conseil de l'INAI, un membre d'IWatch et un chercheur indépendant bon connaisseur de la loi, ont exprimé à Human Rights Watch diverses préoccupations concernant la loi et sa mise en œuvre. L'une d'elles est que les organes exécutifs ne répondent pas toujours aux demandes, même après en avoir reçu l'ordre de la part de l'INAI et de tribunaux administratifs. De part la loi, un agent de l'État qui bloque délibérément l'accès à l'information est passible d'une amende de 500 à 5 000 dinars (de 170 à 1 700 dollars) et de sanctions disciplinaires. Mais l'INAI n'a eu connaissance d'aucune poursuite judiciaire engagée en vertu de cette disposition.

Le chercheur indépendant a déclaré que le problème venait parfois du fait qu'au sein d'une agence gouvernementale, le bureau chargé de répondre aux demandes d'information ne parvient pas à obtenir l'information de la part des collègues qui la détiennent.

L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Tunisie a ratifié, consacre le droit « de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce. » Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui est habilité à interpréter le PIDCP, a stipulé, dans son Observation générale n° 34 sur cet article 19, que : « Les États parties devraient entreprendre activement de mettre dans le domaine public toute information détenue par le gouvernement qui est d’intérêt général. Les États parties devraient faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique à cette information. Les États parties devraient aussi établir les procédures nécessaires permettant d’obtenir l’accès à cette information, par exemple en promulguant un texte de loi relatif à la liberté d’information. Les procédures devraient permettre le traitement diligent des demandes d’information, en fixant des règles claires qui soient compatibles avec le Pacte. »

La loi tunisienne sur le droit à l'information identifie certains types d'information que les institutions ne sont pas obligées de fournir, notamment les informations relatives à la sécurité ou à la défense nationale, aux relations internationales, ainsi qu'à la propriété intellectuelle et aux données personnelles et privées. Toutefois, la loi souligne explicitement que ces exceptions « ne s'appliquent pas aux informations dont la divulgation est nécessaire en vue de dévoiler des violations graves [des] droits de l'Homme ou des crimes de guerre ou les investigations [qui] y [sont] liées ou la poursuite de [leurs] auteurs. »

En outre, tout cas dans lequel une institution invoquerait une telle exception est « soumis au test de l’intérêt public de l’accessibilité ou l’inaccessibilité à l’information quant à chaque demande. La proportionnalité entre les intérêts voulant les [protéger] et la raison de la demande d’accès, sera prise en compte. »

La loi considère qu'une absence de réponse à une demande dans un délai de 20 jours équivaut à un refus et constitue une base suffisante pour fonder un recours devant l'INAI.

La loi n'impose pas de frais pour le dépôt d'une demande d'information ou pour faire appel d'un refus auprès de l'INAI. Bien que le Bureau du Premier ministre ait créé un formulaire type de dépôt d'une demande, l'utilisation de ce formulaire n'est pas obligatoire et seules des informations de base telles que le nom, l'adresse, et les détails de la demande et de son destinataire sont exigées pour le dépôt d'une requête, qui peut être soumise par courriel, par la poste, par fax ou en personne à l'institution auprès de laquelle l'information est demandée.

« La Tunisie a pris un bon départ en donnant au public un accès aux informations concernant le gouvernement », a affirmé Eric Goldstein. « Mais le gouvernement devrait indiquer de façon claire que toutes ses agences et employés doivent se conformer à la loi sur le droit à l'information, sous peine de conséquences en cas contraire. »

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