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Mali : L’aggravation des tensions ethniques laisse présager de nouvelles violences

Le nouveau Premier ministre doit lutter contre la montée des tensions et mettre fin aux abus commis par l’armée

(Nairobi, le 20 décembre 2012) – Le Premier ministre du Mali tout juste nommé, Diango Sissoko, doit prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux atteintes aux droits par les forces de sécurité et trouver une solution aux tensions croissantes liées à l’occupation des provinces du Nord, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Diango Sissoko a été nommé Premier ministre du gouvernement de transition du pays le 11 décembre 2012, un jour après que l’armée a forcé le Premier ministre Cheick Modibo Diarra, en fonction depuis avril, à démissionner.

L’occupation du Nord et l’absence de responsabilisation pour les abus commis par tous les camps ont exacerbé les tensions ethniques, a expliqué Human Rights Watch. Des milices pro-gouvernementales et des groupes de jeunes appartenant à des ethnies alliées ont préparé des listes de personnes dans le Nord qui seraient visées par des représailles une fois que les forces du gouvernement auront repris le contrôle, ont indiqué à Human Rights Watch des personnes ayant participé à la préparation de ces listes. Les personnes répertoriées incluraient des combattants et des partisans de factions qui ont pris part à la conquête du Nord, ainsi que leurs « collaborateurs ».

« Le nouveau Premier ministre du Mali doit s’attaquer à un grand nombre de problèmes de droits humains, mais les abus commis par l’armée et l’escalade des tensions ethniques dans le pays doivent être en tête de liste », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « S’ils ne sont pas traités, ces abus viendront contrecarrer sérieusement l’organisation des élections nationales et aggraveront les conditions dans le Nord. »

Human Rights Watch a mené quatre missions de recherche au Mali depuis avril, la plus récente ayant eu lieu en novembre. Human Rights Watch s’est entretenu avec des victimes, des témoins et des résidents déplacés issus de groupes ethniques touareg, songhaï, peul, bella et arabe, des membres des milices Ganda-Izo et Ganda-Koi, des membres des factions belligérantes, ainsi qu’avec des représentants du gouvernement, des dirigeants politiques et religieux, des diplomates, des journalistes et des membres de la société civile.

La situation des droits humains au Mali s’est dramatiquement détériorée en 2012 suite à la rébellion séparatiste touareg, à l’occupation islamiste du nord du pays et aux bouleversements politiques engendrés par le coup d’État militaire du mois de mars, a expliqué Human Rights Watch. Les recherches de Human Rights Watch conduites au Mali depuis avril ont permis de constater que les forces de sécurité loyales au leader du coup d’État, le capitaine Amadou Sanogo, ont été impliquées dans de nombreux abus graves, notamment des actes de torture, des disparitions forcées et des actes d’intimidation des voix de l’opposition. En dehors de la capitale, l’armée malienne a arbitrairement arrêté et exécuté des hommes essentiellement touaregs et arabes pour leurs liens présumés avec les groupes rebelles dans le Nord. Les séparatistes touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et les groupes armés islamistes qui ont pris le contrôle du nord du Mali depuis le début de l’année 2012 ont aussi été impliqués dans de nombreux abus graves. Les groupes islamistes ont commis des exécutions, des flagellations et des amputations en guise de châtiments, ont recruté des enfants au sein de leurs forces et ont détruit des sanctuaires religieux et des sites culturels.

Des personnes de différents groupes ethniques ont aussi raconté à Human Rights Watch qu’elles étaient préoccupées par le fait que les tensions ethniques étaient alimentées par la manipulation politique de l’ethnicité par certains dirigeants politiques et militaires. Ces personnes craignaient d’assister à des incidents de punitions collectives et de violences ethniques meurtrières si les tensions n’étaient pas prises en main.

Un aîné songhaï ayant eu connaissance des listes de représailles a raconté à Human Rights Watch : « Les milices comme les résidents locaux ont fait des listes de ceux qui devront payer... Qu’il s’agisse de rebelles, d’islamistes, de trafiquants de drogue ou de ceux qui ont profité personnellement de la souffrance des résidents, ils sont dessus. »

Le 12 octobre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution n° 2071 en réponse à la demande du Mali d’envoi d’une force armée internationale pour reprendre le contrôle du Nord. Beaucoup de résidents et de miliciens du Nord qui se sont entretenus avec Human Rights Watch ont exprimé leur inquiétude de voir une telle intervention devenir un possible catalyseur d’actes de punitions collectives, notamment à l’encontre des Touaregs. L’un d’eux a dit : « Le danger surviendra au moment même où l’intervention démarrera. »

Le gouvernement malien doit accepter et adopter rapidement des programmes pour faire face au risque de violences ethniques. Un homme touareg âgé a dit : « L’État doit prendre des mesures pour enterrer la hache de guerre. Sinon, les gens pourraient s’entretuer et personne ne serait capable d’y mettre fin. »

Le gouvernement de Diango Sissoko doit prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les abus commis par les forces de sécurité et pour mener des enquêtes et poursuivre en justice de manière appropriée les membres des forces de sécurité responsables d’abus récents, quel que soit leur rang, a indiqué Human Rights Watch. Ces étapes exigeront le renfort des capacités des systèmes de justice pénale civil et militaire. Le gouvernement doit aussi adopter de toute urgence des initiatives pour faire face aux tensions ethniques croissantes dans le pays, y compris en surveillant les discours qui incitent à la violence et en répondant aux ressentiments de tous les groupes dans le Nord, pas seulement de ceux qui ont pris les armes.

Pour lutter contre le problème récurrent de l’impunité au Mali, le gouvernement doit établir une commission d’enquête nationale indépendante sur les abus perpétrés pendant les précédentes rébellions en vue de formuler des recommandations sur l’obligation de rendre des comptes. Il doit également instaurer un mécanisme de recherche de la vérité pour explorer les dynamiques qui ont conduit à la crise multifacette du Mali et faire des recommandations destinées à garantir une meilleure gouvernance et à empêcher une répétition des violations du passé. Tout arrangement négocié à l’avenir entre les factions belligérantes doit rejeter une amnistie pour les responsables de crimes graves commis en violation du droit international.

« Le coup d’État au Mali a marqué l’avènement d’une période qui inscrit le pouvoir des armes au-dessus de l’État de droit », a expliqué Corinne Dufka. « Le nouveau Premier ministre doit agir rapidement pour inverser la situation et placer la protection des droits humains en haut de son agenda. »

Abus perpétrés par l’armée
L’année passée, des soldats maliens ont arbitrairement arrêté et, dans de nombreux cas, torturé et exécuté sommairement des collaborateurs rebelles présumés et des membres d’unités militaires rivales. Beaucoup de ces abus ont été commis par les forces de sécurité loyales au capitaine Amadou Sanogo, qui a conduit le coup d’État de mars contre le président d’alors Amadou Toumani Touré en protestation contre sa gestion de la rébellion séparatiste de l’ethnie touareg dans le nord du Mali, qui a commencé en janvier.

Les soldats maliens chargés de faire face à la rébellion et à l’occupation dans le Nord ont aussi commis bon nombre d’abus graves. En avril dernier, suite aux pressions internationales, notamment de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Sanogo a accepté de céder le pouvoir à un gouvernement de transition chargé d’organiser des élections et d’assurer le retour du pays à un régime démocratique. Cependant, avec le soutien des forces de sécurité qui lui sont restées fidèles, Sanogo a continué à exercer une influence considérable, à s’immiscer dans les affaires politiques et à intimider les voix de l’opposition, a déclaré Human Rights Watch.

Suite à une tentative de contre-coup d’État le 30 avril contre Sanogo, ses forces de sécurité ont fait disparaître de force au moins 20 soldats du gouvernement pour leur participation présumée. Aux premières heures du 3 mai, des témoins ont vu ces soldats être emmenés, mains liées et yeux bandés, depuis les casernes de Kati vers l’extérieur de la capitale, Bamako. Depuis ce jour-là, on n’a pas eu de nouvelles d’eux. Les forces de Sanogo ont aussi commis des actes de torture et d’autres abus contre des dizaines d’autres soldats du gouvernement.

Ceux qui ont été détenus ont raconté à Human Rights Watch qu’ils ont été battus avec des matraques, des bâtons et des crosses de fusil, qu’ils ont reçu des coups de pied dans le dos, à la tête, dans les côtes, dans les parties génitales, qu’ils ont reçu des coups de couteau aux extrémités, qu’ils ont été brûlés avec des cigarettes et des briquets et ont été forcés sous la menace d’une arme à pratiquer la sodomie entre eux. Certes, les personnes qui ont participé à la tentative de contre-coup d’État pourraient légitimement faire l’objet d’arrestations et de poursuites, mais les actes attribués aux forces de sécurité de Sanogo ont été accomplis en dehors de tout cadre légal.

Les forces de sécurité considérées comme fidèles à Sanogo se sont également livrées à une campagne d’intimidation contre les détracteurs du commandement du coup d’État. Plusieurs journalistes écrivant des articles sur le commandement ont été arrêtés, interrogés et menacés. En juillet, deux journalistes ont été enlevés par des hommes armés et masqués. Ils ont été violemment passés à tabac et abandonnés à la périphérie de Bamako après avoir été avertis qu’ils devaient cesser de critiquer l’armée.

Des témoins ont raconté à Human Rights Watch qu’en septembre, un dirigeant local d’Ansongo (à 976 kilomètres de Bamako) a été enlevé dans un hôtel de Bamako par quatre hommes qui conduisaient un véhicule sans plaque d’immatriculation. On ignore toujours où il se trouve. Les voisins d’un musicien qui avait écrit une chanson de rap critique à l’égard de l’armée ont décrit comment, en octobre, de nombreux hommes armés, dont plusieurs en uniforme, ont fait une descente au domicile du rappeur dans la ferme intention de l’arrêter. Depuis, il vit caché. Le 27 novembre, des fidèles présumés de Sanogo des casernes militaires de Kati ont fait irruption dans l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (APEJ) et ont tenté de placer en détention sa directrice récemment nommée, Sina Damba Maiga.

Malgré l’implication de ses forces dans des actes de torture et des disparitions forcées, Sanogo a été placé en août à la tête du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité du Mali.

Des soldats du gouvernement malien en dehors de la capitale ont aussi été impliqués dans des abus graves, notamment la détention arbitraire et l’exécution sommaire d’hommes qu’ils accusaient de collaborer avec les groupes rebelles dans le Nord. La majorité des victimes étaient touaregs, arabes ou mauritaniennes. Le 8 septembre, 16 prédicateurs islamiques en route pour une conférence religieuse à Bamako ont été arrêtés et exécutés quelques heures plus tard au camp militaire de Diabaly, à environ 430 kilomètres au nord de la capitale, pour leurs liens présumés avec les groupes islamistes.
 

Le gouvernement a affirmé que les hommes refusaient de s’arrêter à un point de contrôle, une version contredite par un survivant de l’incident et d’autres témoins interrogés par l’Associated Press. L’homme conduisant le véhicule ce jour-là a été vu en détention chez les militaires plusieurs jours après les meurtres. Sa famille a indiqué à Human Rights Watch qu’il avait disparu depuis. Le 21 octobre, toujours à Diabaly, des soldats ont exécuté au moins huit gardiens de troupeaux touaregs. Dans une déclaration du 30 octobre, le ministère de la Défense a allégué que ces hommes étaient des bandits armés. Les membres des familles interrogés par un activiste de défense des droits humains basé en Mauritanie ont contredit cette version des meurtres.

Aucun effort significatif n’a été mis en œuvre par le gouvernement pour enquêter sur les membres des forces de sécurité impliqués dans ces incidents et encore moins pour les poursuivre en justice.

Montée des tensions ethniques
La résurgence du conflit armé en janvier s’est accompagnée d’une exacerbation des tensions ethniques au Mali. D’après les entretiens de Human Rights Watch avec des membres de plusieurs groupes ethniques et factions belligérantes, les clivages les plus profonds se sont avérés être les divisions entre les groupes ethniques qui résidaient essentiellement dans le Nord, notamment les Songhaï et les Peuls, d’un côté et les Touaregs qui ont soutenu le MNLA séparatiste de l’autre.

Des civils touaregs ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils craignaient des représailles, principalement de la part de plusieurs milices pro-gouvernementales, dont les quelque milliers de membres sont essentiellement songhaïs et peuls. Depuis juin, ces milices se sont concentrées dans plusieurs camps dans la ville de Sévaré et dans ses environs, à 623 kilomètres de Bamako. Sévaré est située juste au sud de la ligne de séparation informelle entre le Nord contrôlé par les islamistes et le Sud contrôlé par le gouvernement. Les plus importantes milices, Ganda-Koi et Ganda-Izo, ont bénéficié d’un entraînement et d’un certain soutien logistique de la part de l’armée malienne, mais elles n’ont reçu ni armes ni rôle formel de maintien de la sécurité, selon des membres des milices.

De nombreux membres des milices ont raconté à Human Rights Watch que ces milices ainsi que les groupes de jeunes composés de membres de groupes ethniques du Nord – Songhaï, Peuls, Bozos et Bellas – avaient des intentions manifestes de « régler des comptes » avec leurs opposants supposés dans le nord du pays.

Plus d’une dizaine de témoins ont expliqué à Human Rights Watch que les milices pro-gouvernementales et les groupes de jeunes ont préparé des listes de ceux qui seraient visés par des représailles si les forces du gouvernement reprenaient le contrôle du Nord. Beaucoup des personnes interrogées par Human Rights Watch étaient des hommes qui affirmaient avoir participé à l’établissement des listes.

Les listes contiennent essentiellement les noms de personnes des régions du nord de Gao et de Tombouctou. Les noms répertoriés correspondent à des membres de groupes armés qui ont pris part à la conquête du Nord, notamment des combattants du MNLA, d’Ansar Dine, du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les autres personnes inscrites sur les listes avaient été impliquées dans des abus contre des résidents locaux, dont des violences sexuelles, des vols, des pillages et des abus liés à l’application de la charia. Les « collaborateurs » qui ont fourni des renseignements, participé au recrutement d’hommes et de garçons locaux dans les groupes armés et servi de liens avec les communautés seraient ciblés, tout comme le seraient les hommes d’affaires locaux qui ont profité financièrement de leur association avec les factions armées du Nord.

Un milicien a déclaré à Human Rights Watch : « Certains noms sur [la liste] ne font aucun doute parce qu’ils ont pris les armes et pillé tout ce que nous avons acquis si difficilement, ou parce qu’ils battaient les personnes qui fumaient ou les femmes qui ne se couvraient pas la tête qu’ils rencontraient sur leur chemin. Les autres ont collaboré, en cuisinant, en encourageant nos enfants à s’enrôler. Pensent-ils que nous ne savons pas qui ils sont ? »

Un autre milicien a raconté : « Nous savons qui est qui. Nous savons qui a montré au MNLA et au MUJAO où nous cachions nos voitures, nos motos et nos ordinateurs. Nous savons qui a volé nos générateurs, les a peints et les a installés dans leurs maisons. Nous savons qui a violé nos femmes. »

Un jeune de Niafounké à Tombouctou qui a suggéré des noms pour la liste a expliqué : « Nous regardions [les combattants] alors qu’ils chargeaient nos affaires dans des camions en direction de la Mauritanie, pas seulement nos affaires personnelles mais aussi des choses prises de l’hôpital... Ils ont emporté des millions de francs CFA sous la forme de médicaments, de motos et d’une ambulance. Pour ceux qui ont trahi la nation, il y aura des règlements de compte. »

Bon nombre des personnes interrogées craignaient que des punitions collectives puissent être infligées à la population touareg à l’avenir. « Nous avons dû abandonner nos villages, nos femmes ont été violées et ils [le MNLA et les groupes islamistes] ont volé tout ce que nous avons acquis si difficilement », a indiqué un membre d’une milice. « Cette rage conduira [les anciennes victimes] à tuer des gens, des personnes innocentes. C’est très dangereux. »

Un membre d’une milice a tenté de laisser entendre que les listes ont été établies soigneusement : « Nous ne mettons pas tout le monde sur la liste – nous enquêtons d’abord. Cela évitera une campagne massive ciblant tous ceux qui nous ont trahis. Ce n’est pas seulement contre les Tamasheks [Touareg] qui sont là, mais aussi contre les Bellas, les Songhaïs... Ils savent que le moment des règlements de compte approche. »

Alors que certains hommes âgés des tribus avaient davantage confiance dans le fait que la longue histoire de coexistence ethnique de la région empêcherait les violences communautaires, ils ont aussi exprimé leurs inquiétudes sur ce que l’un d’eux a appelé des « discours de division » tenus par certains leaders du gouvernement du nord déplacés, ainsi que par les dirigeants du MUJAO à Gao et aux alentours qui, a-t-il dit, ont désigné le MNLA et les Touaregs comme la source de « tous leurs problèmes ».

Un résident de Gao a fait écho à cette inquiétude : « La vacance du pouvoir après que les villes auront été reprises sera très dangereuse. Il sera très important d’avoir une forte présence de soldats disciplinés dans les villes pendant cette période. Honnêtement, c’est un travail pour les Casques bleus [de l’ONU]. Ils seraient plus neutres que nos propres hommes. »

Les familles touaregs interrogées à Bamako et par téléphone depuis la région de Tombouctou étaient tout aussi préoccupées à l’idée que l’intervention militaire pourrait déclencher une période de punitions collectives. Un commerçant touareg vivant près de Tombouctou a dit : « Les hommes du MNLA n’étaient pas les seuls à piller... mais on nous rend responsables de tout ! J’ai vraiment peur que mes enfants, ma famille soient tués par l’armée, par [la milice] Ganda-Koi, tout comme ils l’ont fait lors des rébellions précédentes. Beaucoup d’entre nous partent avant le début de l’intervention. »

Un artisan touareg à Bamako a raconté : « Parfois les gens vous parlent avec de l’hostilité dans la voix. Lorsque je marche, je les entends dire : "Eh, toi, le rebelle". On n’ose pas répondre. »

Les dirigeants politiques des milices Ganda-Koi et Ganda-Izo interrogés par Human Rights Watch semblaient véritablement préoccupés par le risque de punitions collectives. Ils ont décrit les efforts accomplis, dont l’entraînement informel des dirigeants des milices pour éviter cela.
 

« Nous essayons de les former à respecter la vie, à se conformer aux Conventions de Genève, mais sur le terrain, on a peur que les garçons oublient tout ça, surtout s’il n’y a pas de tribunal pour juger les accusés », a raconté l’un d’eux à Human Rights Watch.

Les combattants du MNLA et les hommes âgés ont cité le manque de justice pour les crimes de guerre, dont plusieurs massacres perpétrés par l’armée malienne et la milice alliée Ganda-Koi contre des villages touaregs pendant les rébellions précédentes depuis les années 1960, comme étant l’une des motivations pour prendre à nouveau les armes plus tôt cette année. De même, des hommes âgés songhaïs et peuls ont constaté que l’absence de justice pour les crimes commis sous l’occupation du Nord par le MNLA et les islamistes cette année a alimenté le risque de violence par les membres de leurs communautés.

Un commandant de rang intermédiaire de la milice songhaï a raconté à Human Rights Watch : « Pour que nos communautés soient capables de vivre ensemble à nouveau, ceux qui ont violé, pillé et détruit nos vies doivent simplement être jugés... ce n’est qu’après que nous pourrons restaurer les relations. » Un homme touareg âgé a fait la même remarque : « Le ministère de la Justice doit nous garantir que ces crimes ne resteront pas impunis. L’État doit inscrire les tensions ethniques dans son agenda. Il doit réunir les dirigeants de tous les groupes au sein d’un processus de recherche de la vérité [comme une Commission de vérité et de réconciliation].Même si les milices ont une liste, celle-ci peut être utilisée pour rassembler tout le monde devant une commission de vérité et de réconciliation ! »

Recommandations
Pour endiguer une nouvelle détérioration de la situation des droits humains au Mali, le nouveau Premier ministre et son gouvernement devraient :

Établir les responsabilités des abus commis par les forces de sécurité

  • Mener des enquêtes et poursuivre en justice, conformément aux normes internationales de procès équitable, les membres des forces de sécurité impliqués dans les récentes violations graves des droits humains, quel que soit leur rang ou leur position, y compris ceux assumant la responsabilité du commandement pour ne pas avoir empêché ou fait condamner ces crimes.
  • Placer en congé administratif le personnel militaire en charge du camp de Diabaly pendant l’enquête sur les meurtres de 16 prédicateurs islamiques le 8 septembre et les meurtres de huit gardiens de troupeaux touaregs le 21 octobre.
  • Demander une assistance internationale si les autorités locales disposent d’une capacité insuffisante pour mener des enquêtes et des poursuites dignes de foi, impartiales et indépendantes.
  • S’opposer à l’amnistie pour les crimes graves en violation du droit international dans tout accord négocié avec les groupes armés d’opposition.
  • Prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que le système judiciaire militaire devienne une institution fonctionnelle, mandatée pour juger le personnel militaire uniquement pour des infractions militaires. Veiller à ce que les membres du tribunal, dont les juges et l’avocat de la défense, soient entièrement indépendants de la chaîne de commandement militaire.
  • Mettre en place une ligne téléphonique d’assistance 24 h/24, gérée par des policiers civils et militaires, pour que les victimes et les témoins puissent signaler des actes criminels et d’autres abus commis par le personnel militaire.

 

Juguler la montée des tensions ethniques

  • S’assurer que pendant les négociations à venir, les aspirations et les ressentiments de tous les résidents du Nord, pas seulement de ceux qui ont pris les armes, soient entendus.
  • Adopter de toute urgence une stratégie de communication, comprenant un soutien aux stations de radio communautaires, qui s’attache à réduire les tensions ethniques croissantes dans le pays.
  • Enjoindre la Commission nationale des droits de l’Homme du Mali de donner une priorité particulière à la surveillance et à l’établissement de rapports sur les discours de haine tenus par des personnes détentrices de l’autorité et les discours incitant à la violence ethnique.
  • Autoriser la police judiciaire à ouvrir des enquêtes dans tout le pays pour permettre aux victimes de crimes dans les zones du Nord contrôlées par islamistes de déposer plainte sans avoir à se rendre à Bamako. En novembre, la Cour suprême a décidé d’autoriser le tribunal de Bamako à juger des affaires criminelles des trois provinces du Nord.
  • Veiller au respect permanent par le gouvernement malien de ses obligations légales internationales pour protéger les individus et les communautés particulièrement concernés par un risque de violences.

 

Déterminer les responsabilités pour les abus passés

  • Établir une commission d’enquête nationale indépendante sur les abus associés aux violences pendant les rébellions armées précédentes dans le but de formuler des recommandations sur la responsabilisation.
  • Mettre en place un mécanisme de recherche de la vérité pour mettre au jour les atrocités sous-exposées commises pendant les conflits, explorer les dynamiques qui ont conduit à la crise multifacette du Mali, y compris la mauvaise gouvernance et la corruption, et pour faire des recommandations visant à empêcher une répétition des violences passées.

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