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Burundi : Aggravation de la violence politique en 2011

Il faut agir rapidement pour mettre un terme à l’impunité et éviter de nouvelles tueries

(Bujumbura, le 2 mai 2012) – Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées dans des attaques politiques au Burundi depuis la fin de 2010, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les meurtres, certains commis par des agents de l'État et des membres du parti au pouvoir, d'autres par des groupes armés d'opposition, traduisent l'impunité généralisée, l'incapacité de l'État à protéger ses citoyens, et l’inefficacité du système judiciaire.

Le rapport de 89 pages, « ‘Tu n’auras pas la paix tant que tu vivras’ : L'escalade de la violence politique au Burundi », documente les assassinats politiques découlant des élections de 2010 au Burundi. Ces meurtres, qui ont culminé vers le milieu de 2011, ont souvent pris la forme d’attaques de représailles par des membres du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) et des Forces nationales de libération (FNL) de l’opposition. Dans la grande majorité des cas, les familles des victimes ont été privées de justice.

Le rapport documente également les tentatives du gouvernement burundais visant à restreindre les médias indépendants et les efforts de la société civile pour dénoncer la violence.

« Le parti au pouvoir a eu une chance de favoriser un nouveau départ pour le Burundi à la suite des élections de 2010 », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Au lieu de cela, nous avons constaté le ciblage systématique des anciens combattants rebelles et des membres de l'opposition politique. Un grand nombre de ceux qui ont refusé de céder aux pressions pour rejoindre le CNDD-FDD l’ont payé de leur vie. »

Human Rights Watch a appelé le gouvernement et les groupes d'opposition à dénoncer les meurtres commis par leurs membres et sympathisants et à prendre des mesures pour prévenir de nouvelles violences. Human Rights Watch a exhorté le gouvernement à s’attaquer à la tendance d'assassinats et de menaces de mort contre les membres ou anciens membres de groupes d'opposition par des membres des forces de sécurité, des services de renseignement et du groupe de jeunes du CNDD-FDD connus sous le nom d’Imbonerakure.

Le rapport est basé sur des recherches approfondies menées au Burundi du début de 2011 au début de 2012 et de nombreux entretiens auprès des victimes, des proches des victimes et des témoins. Il fournit un compte rendu détaillé de l'attaque la plus meurtrière au cours de cette période survenue dans la ville de Gatumba, où au moins 37 personnes ont été tuées dans un bar en septembre 2011.

Le rapport souligne également de nombreux cas dans lesquels des individus ont été menacés, contraints à se cacher et assassinés comme conséquence de leurs tendances politiques supposées. Par exemple, Audace Vianney Habonarugira, un combattant FNL démobilisé, a été tué en juillet 2011. Quelques jours avant d’être tué, il a donné à Human Rights Watch une description explicite de la façon dont il a été traqué à travers le pays par des agents de police, de l’armée et des renseignements.

Des membres du parti au pouvoir ont également été victimes d'assassinats ciblés. Pascal Ngendakumana et Albert Ntiranyibagira, deux membres de niveau inférieur du CNDD-FDD, ont été tués dans un bar en avril 2011 par des personnes considérées comme étant des membres des FNL. Une jeune fille qui se trouvait avec eux a également été tuée.

Tout au long du début de l’année 2011, le gouvernement a tenté de minimiser l'ampleur des tueries, affirmant que la plupart d’entre elles étaient l'œuvre de criminels de droit commun et que le Burundi était en paix. Mais une forte augmentation de la violence à partir du mois de juillet, suivie par l'attaque de septembre à Gatumba, a rendu impossible de maintenir cette version.

Cependant, au lieu de donner une priorité élevée à des enquêtes rigoureuses et à la poursuite des suspects, le gouvernement a permis à la majorité de ceux qui ont commis des meurtres politiques de rester en liberté, même si des témoins ont identifié certains des agresseurs présumés.

Dans un des rares cas au cours duquel des suspects ont été traduits en justice − l'attaque de Gatumba − la procédure a été profondément viciée. Plusieurs accusés ont déclaré au tribunal qu'ils avaient été torturés, mais les juges n’ont pas semblé en tenir compte et n’ont pas ordonné d’enquêtes sur les allégations de torture. En outre, les juges ont refusé d’entendre les personnes appelées à témoigner par les accusés, notamment plusieurs agents supérieurs de la police et des renseignements qui, selon les accusés, auraient été impliqués dans les événements qui ont conduit à l'attaque. Les failles dans la procédure ont conduit les avocats des 21 accusés à sortir de la salle d'audience. Le procès a été conclu en quelques jours à peine.

Le rapport d'une commission d'enquête mise en place par le gouvernement pour enquêter sur l'attaque de Gatumba, achevé en octobre, n'a pas été rendu public.

« Même dans un cas rare dans lequel des gens ont été poursuivis, de graves irrégularités ont miné l'équité et la crédibilité du procès », a déclaré Daniel Bekele. « Cela donne l’impression que la justice n'a pas été rendue. »

L'absence d'enquêtes et de poursuites approfondies a sapé la confiance de la population dans le système judiciaire et provoqué la désillusion parmi les survivants des violences et les familles des victimes, selon Human Rights Watch. Un survivant de l'attaque de Gatumba a déclaré à Human Rights Watch : « Souvent on [les autorités] dit qu’on va faire des enquêtes, puis rien. On est habitués. » Ce manque de confiance de la population envers la police et le système judiciaire risque d’entraver les enquêtes à venir, car les témoins ne pensent pas que les informations qu'ils fournissent seront prises en compte.

Le gouvernement a harcelé et intimidé des journalistes et des militants de la société civile, en les accusant de pactiser avec l'opposition quand ils ont signalé des incidents de meurtres. Bob Rugurika, rédacteur en chef d'une station de radio indépendante importante, Radio publique africaine (RPA), a été convoqué au parquet à huit reprises entre juillet et novembre 2011 pour répondre à des questions au sujet des programmes de RPA. Les autorités lui ont reproché de diffuser des informations qui « incitent à la haine ethnique » et « incitent la population à la désobéissance civile. » Il n'a pas été officiellement inculpé.

Pierre-Claver Mbonimpa, président de l'organisation de défense des droits humains APRODH, a été critiqué par de hauts responsables gouvernementaux pour avoir parlé publiquement des rumeurs d'un plan du gouvernement visant à éliminer des membres de l'opposition. Dans une lettre en février, le ministre de l'Intérieur l’a accusé d'entreprendre « une quasi-campagne de désinformation, de diabolisation et d’incitation de la population à la méfiance à l’endroit des autorités » et menacé d’imposer des sanctions à l’encontre de son organisation.

« Les médias et la société civile au Burundi ont le droit d'opérer librement et de faire état des incidents de violence », a déclaré Daniel Bekele. « À certains moments, le gouvernement a semblé plus axé sur le harcèlement des journalistes et des militants des droits humains qui ont dénoncé cette violence que sur les efforts visant à mettre fin à cette violence et à s’assurer que les personnes responsables seront traduites en justice. »

Human Rights Watch a constaté une amélioration de la situation sécuritaire au Burundi en 2012 et une diminution du nombre d'assassinats politiques.

« Il s'agit d'une occasion pour le gouvernement du Burundi de résoudre les problèmes fondamentaux qui ont conduit à la spirale de violence en 2011 et de prendre des mesures efficaces pour prévenir de nouvelles tueries », a conclu Daniel Bekele.
 

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