La constitution du Maroc de 2011 a incorporé de fortes dispositions relatives aux droits humains, mais ces réformes n'ont pas conduit à une amélioration significative des pratiques, à l’adoption de mesures legislatives significatives concernant l’application de ces dispositions, ni à la révision des lois répressives. En 2014, les Marocains ont exercé leur droit à manifester pacifiquement dans les rues, mais la police a continué à parfois les disperser violemment. Les lois qui criminalisent des actes considérés comme portant atteinte au roi, à la monarchie, à l’islam, ou à la revendication de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental ont limité les droits à l'expression, la réunion et l’association pacifiques. Les tribunaux ont continué de condamner et d’emprisonner des manifestants et des opposants dans des procès inéquitables. Sur un plan plus positif, le Maroc a mis en œuvre des réformes annoncées en 2013 à ses politiques relatives aux migrants, accordant un statut juridique temporaire à des centaines de réfugiés et à des milliers d’autres étrangers, dont la plupart originaires d’Afrique sub-saharienne.
Liberté d’expression
Les médias imprimés et en ligne indépendants continuent d'enquêter et de critiquer les membres et les politiques du gouvernement, mais sont confrontés à des poursuites et au harcèlement dès qu’ils franchissent certaines lignes. Le code de la presse prévoit des peines de prison pour diffusion « de mauvaise foi » d’une « nouvelle fausse » susceptible selon les autorités de troubler l'ordre public, ou pour des propos jugés diffamatoires.
La télévision d'État marocaine offre une certaine marge pour le débat et le journalisme d’investigation, mais peu de latitude pour la critique directe du gouvernement ou pour les points de vue éloignés des positions officielles sur les questions clés. Les autorités ont continué leur enquête sur des accusations de terrorisme à l’encontre d’Ali Anouzla, directeur du site d’information indépendant Lakome.com, en raison d'un article décrivant, et fournissant un lien indirect vers, une vidéo militante islamiste de recrutement. En 2013, Anouzla a passé cinq semaines en détention après avoir publié cet article.
Le rappeur Mouad Belghouat, connu sous le nom d « Al-Haqed » (L’Indigné), dont les chansons dénoncent la corruption et les abus commis par la police, a passé quatre mois en prison après avoir été condamné sur des accusations d’agressions contre des policiers, lors d’un procès où le juge a refusé de convoquer des témoins à décharge ou des victimes présumées. Les autorités en février ont empêché une librairie de Casablanca d’accueillir un événement à l’occasion du nouvel album d’Al-Haqed. Othmane Atiq, un rappeur âgé de 17 ans connu sous le nom de « Mister Crazy », a purgé une peine de trois mois de prison pour insultes à la police et incitation à la consommation de drogue à cause de ses clips dépeignant la vie de la jeunesse urbaine marginalisée.
Abdessamad Haydour, un étudiant, a continué à purger une peine de trois ans de prison pour avoir traité le roi de « chien », de « meurtrier » et de « dictateur » dans une vidéo sur YouTube. Un tribunal l'a condamné en février 2012 en vertu d'une disposition du Code pénal criminalisant toute « offense commise envers la personne du Roi ».
Liberté de réunion
Les autorités ont toléré de nombreuses marches et rassemblements pour demander des réformes politiques et protester contre les actions du gouvernement, mais elles ont dispersé par la force certains rassemblements, s’en prenant aux manifestants. Au Sahara occidental, les autorités ont interdit tout rassemblement public considéré comme hostile à la souveraineté contestée du Maroc sur ce territoire, déployant des forces de police nombreuses qui ont bloqué l’accès aux lieux de manifestations et qui ont souvent dispersé violemment les Sahraouis cherchant à se rassembler.
Le 6 avril, la police a arrêté onze jeunes hommes lors d’une marche en faveur de réformes à Casablanca et les a accusés de coups et blessures et outrage à agents des forces de l’ordre. Le 22 mai, un tribunal de première instance a condamné neuf d’entre eux à des peines allant jusqu’à une année de prison et deux autre jeunes hommes à des peines de prison avec sursis en utilisant des « aveux » formulés de la même façon qu’ils auraient fait selon la police pendant leur détention préventive, alors que les accusés les avaient récusés au tribunal. Le 17 juin, le tribunal a placé les neuf accusés en liberté provisoire dans l’attente du résultat de leur procès en appel, qui se poursuivait au moment de la rédaction de ce rapport.
Liberté d’association
Les autorités continuent d’entraver arbitrairement ou d'empêcher de nombreuses associations d'obtenir une reconnaissance légale, alors que la constitution de 2011 garantit le droit de former une association. En mai, les autorités ont refusé d’enregistrer Freedom Now, une nouvelle organisation de défense de la liberté d’expression, et l’a empêchée d’organiser une conférence à l’association du barreau à Rabat. Parmi les autres associations qui se sont vu refuser leur enregistrement légal, figurent des associations caritatives, culturelles et éducatives dont les dirigeants comprennent des membres d'Al-Adl wal-Ihsan (Justice et spiritualité), un mouvement national qui milite pour un État islamique et conteste l’autorité spirituelle du roi.
Au Sahara occidental, les autorités ont refusé la reconnaissance juridique à toutes les organisations locales de droits humains dont les dirigeants soutiennent l'indépendance de ce territoire, même aux associations qui ont bénéficié de décisions administratives des tribunaux comme quoi elles s’étaient vu refuser à tort cette reconnaissance.
Les autorités ont également interdit des dizaines d’activités publiques ou internes préparées par des associations de défense des droits humains légalement reconnues, par exemple un camp international de jeunesse que la section marocaine d’Amnesty International avait organisé chacun des étés précédents ; ainsi que de nombreuses conférences, sessions de formation et activités destinées à la jeunesse organisées par l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et ses sections.
Entre avril et octobre, la Maroc a expulsé au moins 40 visiteurs étrangers du Sahara occidental. La plupart d’entre eux étaient soit des partisans européens du droit des Sahraouis à l'autodétermination, soit des journalistes freelance ou des chercheurs qui n’avaient pas organisé leur visite en coordination avec les autorités. Ces expulsions, ainsi que la lourde surveillance exercée par la police marocaine sur les étrangers qui ont effectivement rencontré des militants des droits des Sahraouis, ont porté atteinte aux tentatives du Maroc pour présenter le Sahara occidental comme un espace transparent exposé au regard d’observateurs internationaux.
Comportement policier, torture et système pénal
Les réformes légales ont progressé lentement. Une loi promulguée en septembre autorise la Cour constitutionnelle nouvellement créée à bloquer une législation proposée si elle contrevient à la nouvelle constitution, notamment à ses clauses relatives aux droits humains. Une proposition de loi qui exclurait les civils de la compétence des tribunaux militaires attend d’être approuvée par le parlement.
Pendant ce temps, les tribunaux militaires ont continué à juger des civils, notamment Mbarek Daoudi, un militant sahraoui détenu depuis septembre 2013, pour possession d’armes. Vingt-et-un autres Sahraouis se trouvaient toujours en prison purgeant de longues peines infligées par un tribunal militaire en 2013. Ces hommes ont été inculpés sur des accusations relatives aux violences qui se sont produites le 8 novembre 2010, lorsque les forces de sécurité ont démantelé le campement de protestation de Gdeim Izik au Sahara occidental. Onze membres des forces de sécurité sont morts au cours de ces violences. Le tribunal n'a pas enquêté sur les allégations faites par les accusés selon lesquelles les policiers les avaient torturés ou contraints de signer de fausses déclarations, et il s’est basé principalement sur ces déclarations pour prononcer un verdict de culpabilité.
Les tribunaux n'ont pas respecté le droit des accusés à bénéficier d'un procès équitable dans les affaires à coloration politique. Les autorités ont maintenu en détention des centaines de militants islamistes présumés qu’elles avaient arrêtés au lendemain des attentats de Casablanca de mai 2003. Un grand nombre d’entre eux ont été condamnés lors de procès inéquitables après avoir été maintenus en détention secrète et soumis à de mauvais traitements et, dans certains cas, à la torture. La police a arrêté des centaines d’autres militants soupçonnés suite à d’autres attaques terroristes en 2007 et 2011. Les tribunaux ont condamné et emprisonné un grand nombre d'entre eux sur des accusations d'appartenance à un « réseau terroriste » ou de se préparer à rejoindre des militants islamistes combattant en Irak ou ailleurs. La loi marocaine de 2003 sur la lutte contre le terrorisme contient une définition vague du « terrorisme » et autorise jusqu’à douze jours de détention en garde à vue.
Après s’être rendu au Maroc et au Sahara occidental en décembre 2013, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu : « Le système judiciaire marocain pénal repose largement sur les aveux en tant que principale source de preuve à conviction. Les plaintes reçues par le Groupe de travail indiquent l’utilisation de la torture par des agents de l’État pour obtenir des preuves ou des aveux pendant la phase initiale des interrogatoires…. Les tribunaux et les procureurs ne [respectent] pas l’obligation d’ouvrir d’office une enquête lorsqu’il y [a] des motifs raisonnables de croire que des aveux avaient été obtenus par la torture et des mauvais traitements. » Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a indiqué que les autorités lui avait permis de se rendre dans les lieux de détention qu’il avait demandés, et d’interroger en privé les détenus de son choix.
Les tribunaux marocains continuent d'imposer la peine de mort, mais les autorités n’ont procédé à aucune exécution depuis le début des années 1990.
Selon diverses sources, les conditions de vie dans les prisons seraient très dures, surtout en raison de la forte surpopulation, un problème aggravé du fait que les juges ont souvent recours à la détention provisoire des suspects. Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH), qui a exhorté le gouvernement à promouvoir des peines alternatives, a indiqué que la population carcérale avait atteint 72 000 personnes en 2013, dont 42 % en détention préventive, avec une moyenne de 2 m2 d’espace par détenu. Le CNDH est un organisme financé par l'État qui dépend du roi.
Le 12 août, un tribunal a condamné la militante de gauche Wafae Charaf à une peine d’un an de prison et à une amende, assortie de dommages et intérêts, pour calomnie et « allégation mensongère » de délit, à la suite d’une plainte qu’elle a déposée après que des hommes inconnus l’auraient enlevée et torturée à la fin d’une manifestation ouvrière au mois d’avril à Tanger. Jugée en appel le 20 octobre par le tribunal de cette ville, Charaf a vu sa peine de prison doublée. Un tribunal de Casablanca a condamné un militant local à trois ans de prison, une amende et des dommages, sur les mêmes chefs d’accusation, après qu’il a indiqué avoir été enlevé et torturé par des inconnus. Les peines dans ces deux cas pourraient avoir un effet dissuasif sur les personnes souhaitant déposer plainte pour des abus commis par les forces de sécurité.
Orientation sexuelle et identité de genre
Les tribunaux marocains ont continué à emprisonner les personnes pour conduite homosexuelle en application de l’article 489 du code pénal, qui interdit « les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe ». Deux des six hommes arrêtés à Béni Mellal en avril et inculpés à ce titre ont été condamnés à des peines de prison pour ce délit, entre autres.
Le 2 octobre, un tribunal a condamné un touriste britannique et une connaissance marocaine à quatre mois de prison pour homosexualité. Après avoir passé environ trois semaines en prison, les deux hommes ont été mis en liberté provisoire en attendant le jugement d’appel.
Migrants et réfugiés
La mise en œuvre d’un plan de 2013 pour réviser les politiques nationales envers les migrants s’est poursuivie. L’agence marocaine chargée des réfugiés a accordé des permis de résidence d’une année renouvelable à plus de 500 réfugiés reconnus par le HCR. Au moment de la rédaction de ce rapport, le Maroc n’avait pas encore déterminé le statut qu’il accorderait à plus de 1 300 Syriens, que le HCR reconnaît comme des réfugiés. Le Maroc a également accordé des permis de résidence d’une année renouvelable à des milliers de migrants d’origine sub-saharienne qui n’étaient pas des demandeurs d’asile mais qui remplissaient certains critères. Toutefois, les forces de sécurité ont continué à faire un usage excessif de la force contre les migrants, en particulier les migrants originaires d’Afrique sub-saharienne qui campaient à proximité des clôtures – ou tentaient de les escalader- séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla (voir également chapitre sur l’Espagne).
Droits des femmes et des filles
La constitution de 2011 garantit l'égalité pour les femmes, « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume ». En janvier, le parlement a retiré de l’article 475 du code pénal une clause qui avait, de fait, permis à certains hommes d’échapper aux poursuites pour avoir violé une mineure s’ils acceptaient de se marier avec elle. Le code comporte d’autres dispositions discriminatoires, notamment l’article 490, qui criminalise les relations sexuelles consenties entre personnes non mariées, mettant ainsi les victimes de viol en danger de faire l’objet de poursuites si le violeur accusé est acquitté.
Le Code de la famille contient des dispositions discriminatoires pour les femmes en matière de succession et le droit pour les maris de répudier unilatéralement leurs épouses. Les réformes apportées au Code en 2004 ont amélioré les droits des femmes en matière de divorce et de garde des enfants et ont élevé l'âge du mariage de 15 à 18 ans. Toutefois, les juges autorisent régulièrement des filles à se marier avant cet âge. En septembre 2014, le Comité des droits de l’enfant a exprimé sa préoccupation quant au fait que le Maroc n’avait pas adopté une législation criminalisant toutes les formes de violence domestique, notamment le viol conjugal, alors que la violence contre les femmes et les filles au domicile est signalée comme étant omniprésente.
Employé(e)s domestiques
Malgré des lois interdisant l'emploi des enfants de moins de 15 ans, des milliers d'enfants en-dessous de cet âge — principalement des filles — travailleraient comme domestiques. Selon les Nations Unies, les organisations non gouvernementales et des sources gouvernementales, le nombre d’enfants travailleurs domestiques a diminué ces dernières années, mais des filles dès l’âge de 8 ans continuent à travailler dans des domiciles privés jusqu’à 12 heures par jour pour des salaires modiques, dans certains cas seulement 11 US$ par mois. Dans certains cas, les employeurs frappent les filles et les agressent verbalement, les empêchent de recevoir une éducation et ne les nourrissent pas correctement. En janvier 2014, un tribunal d’Agadir a condamné une employeuse à vingt ans de prison pour violence ayant entraîné la mort d’une enfant travailleuse domestique qu’elle employait. En septembre 2014, le Comité des droits de l’enfant a exprimé sa préoccupation quant au fait que le gouvernement n’avait pas pris de mesures efficaces pour retirer les enfants du travail domestique dangereux.
Le droit du travail au Maroc exclut les travailleurs domestiques de ses mécanismes de protection, notamment un salaire minimum, la limitation du temps de travail, ainsi qu'un jour de repos hebdomadaire. En 2006, les autorités ont présenté un projet de loi visant à réglementer le travail domestique et à renforcer les interdictions en vigueur portant sur les travailleurs domestiques âgés de moins de 15 ans. Le projet de loi a été révisé mais au moment de la rédaction de ce rapport, il n’avait pas encore été adopté.
Principaux acteurs internationaux
La France, proche allié du Maroc et son principal partenaire commercial, s'est abstenue de toute critique publique relative aux violations de droits humains dans le royaume. Le Maroc a suspendu ses accords de coopération judiciaire bilatéraux avec la France en février, après qu’une juge d’instruction française a convoqué un commandant de police marocain lors de son passage en France sur la base d’une plainte pour complicité de torture. Les États-Unis sont également un proche allié du Maroc. Le Secrétaire d’État, John Kerry, à Rabat en avril pour le « Dialogue stratégique » bilatéral, a évité toute mention publique de préoccupations relatives aux droits humains.
Au cours des dernières années, le gouvernement a autorisé l’accès à plusieurs mécanismes de l’ONU chargés des droits humains qui souhaitaient se rendre au Maroc et au Sahara occidental, notamment le Groupe de travail sur la détention arbitraire en décembre 2013 (voir ci-dessus). Le 29 mai, Navi Pillay, alors Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme en visite officielle, a noté les « grands progrès [du Maroc] dans la promotion et la protection des droits de l’homme », mais a cité plusieurs domaines de préoccupation, notamment la torture, les restrictions de la liberté d’expression, et la nécessité de mettre en application les lois garantissant les droits contenues dans la constitution de 2011.
Comme les années précédentes, le Conseil de sécurité des Nations Unies a renouvelé le mandat de la force de maintien de la paix au Sahara occidental (MINURSO), sans toutefois l’élargir pour y inclure la surveillance de la situation des droits humains, élargissement auquel le Maroc est fortement opposé.