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Rapport mondial 2016 : Nigeria

Événements de 2015

Manifestation de membres du Mouvement islamique du Nigeria, appelant à la libération du Cheikh Ibrahim Zakzaky, le Secrétaire général de ce groupe chiite, suite à son arrestation le 14 décembre 2015.

© AP Photo/Muhammed Giginyu

En mars et avril 2015, le déroulement relativement pacifique des scrutins tenus pour élire le président et les gouverneurs a montré une évolution positive par rapport à la violence politique historique dont a pâti le Nigeria. Cependant, l’investiture du Président Muhammadu Buhari n’a pas diminué la gravité des défis auxquels le pays est confronté en matière de droits humains. La violence et l’insécurité persistent dans le nord-est du pays, et ce, bien que des dizaines de villes aient été reprises au groupe militant Boko Haram et que plus de 1 000 otages aient été libérés par les forces nigérianes et de pays voisins. Le nom Boko Haram signifie « L’éducation occidentale est interdite ».

C’est sans doute en janvier que Boko Haram a commis son attaque la plus brutale, autour de Baga, ville de pêcheurs de l’État de Borno, dans le nord-est du Nigeria. Cette attaque a fait au moins 2 000 morts et a conduit au pillage de la base militaire de la Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF). Le conflit a fait plus de 9 500 morts parmi les civils et le nombre de déplacés est passé d’un peu plus d’un million fin 2014 à près de deux millions en 2015. Les forces de sécurité nigérianes n’ont pas pris les mesures adéquates, que ce soit pour protéger les civils pendant les opérations de lutte contre Boko Haram ou pour garantir les droits des otages libérés.

Dans d’autres régions du pays, les incidents violents et fréquents opposant fermiers et éleveurs de bétail dans les États du Centre-Nord n’ont toujours pas pu être résolus en 2015. Les auteurs de cette violence n’ont guère fait l’objet d’enquêtes ou de poursuites en justice. Le manque d’accès à la justice pour les victimes a alimenté des attaques de représailles, entraînant des cycles de violence permanents. L’impunité à l’égard des crimes commis dans le domaine des droits humains—tels que des actes de torture perpétrés par les forces de sécurité, dont la police—est restée omniprésente.

Exactions commises par Boko Haram

En 2015, le conflit qui sévit dans le nord-est du pays, opposant le groupe militant Boko Haram aux forces de sécurité nigérianes, a été plus meurtrier que lors des années précédentes. Au début de l’année, Boko Haram avait pris le contrôle de 17 Zones de gouvernement local (local government areas, LGA) dans différentes parties du Nord-Est, plus précisément dans les États d’Adamawa, de Bauchi, de Borno et de Yobe. Les LGA représentent le troisième niveau, et donc l’échelon inférieur, de la hiérarchie administrative du Nigeria, après le niveau fédéral et celui des États.

Depuis, les forces de sécurité du Nigeria et de pays voisins ont repris le contrôle de la plupart des villes, mais les rebelles sont restés actifs dans de nombreuses zones rurales. En juillet, les gouverneurs des États de Borno et de Yobe ont déclaré que Boko Haram conservait le contrôle de cinq LGA dans leurs États. D’après les estimations, 3 500 personnes ont trouvé la mort dans le conflit en 2015, tandis que, sur les deux millions de personnes déplacées, une majorité n’a qu’un accès limité à certains droits fondamentaux tels que la nourriture, un abri et des soins de santé.

La terrible attaque de Baga et du siège de la MNJTF, situé à proximité de cette ville, a été suivie en janvier et février de plusieurs tentatives par Boko Haram de s’emparer d’installations militaires à Maiduguri et Monguno, dans l’État de Borno. L’intensification des attaques transfrontalières a conduit, avec l’autorisation de l’Union africaine, au renouvellement de l’accord de la MNJTF, et à la mobilisation de forces nigérianes, camerounaises, tchadiennes et nigériennes. Depuis février, la violence de Boko Haram s’est intensifiée, plus de 200 attaques ayant ciblé des communautés de ces pays, manifestement en représailles pour le rôle joué par leurs forces de sécurité dans les opérations militaires.

Boko Haram a également continué d’attaquer des écoles, d’enlever des centaines de femmes et de recourir à un nombre croissant d’enfants pour des attaques kamikazes. Le 26 juillet, dans un style caractéristique des attentats perpétrés par Boko Haram, une fillette de dix ans s’est fait exploser dans un marché très fréquenté de Damaturu, dans l’État de Yobe, tuant au moins 15 personnes et en blessant 46. Les forces gouvernementales ont réussi à libérer plus de 1 300 otages, mais aucune des 219 écolières portées disparues que des insurgés avaient enlevées en avril 2014. Certaines des personnes libérées sont détenues dans des centres militaires depuis le mois de mai, sans que l’on sache précisément si elles ont le statut de victimes ou de détenus.

Comportement des forces de sécurité

Les autorités nigérianes n’ont toujours pas ouvert d’enquêtes crédibles sur les allégations de réactions brutales et violentes à l’insurrection lancées par les forces de sécurité. Depuis 2009, des centaines d’hommes et de garçons soupçonnés d’être membres de Boko Haram ou d’apporter un soutien à ce groupe ont été appréhendés, puis placés en détention dans des conditions inhumaines dans le nord-est du pays.

Diverses allégations circulent concernant le recours par les militaires à une force excessive et l’inadéquation de leurs mesures de protection des civils, y compris à l’égard des otages de Boko Haram, lors des opérations en cours dans le nord-est du pays. Lorsque des véhicules de l’armée nigériane se sont introduits à grande vitesse dans la réserve forestière de Sambisa fin avril, certains otages de Boko Haram, pour la plupart des femmes et des enfants, ont été écrasés par ces camions militaires. Des survivants ont expliqué que les soldats n’avaient pas donné de consignes pour éviter de mettre les otages en danger.

Le comportement abusif des forces de sécurité ne se limite pas au nord-est du pays. Le 11 avril, pendant l’élection des gouverneurs, des militaires auraient tué quatre électeurs dans un bureau de vote de Bayan Dutse, État de Kebbi, dans le nord-ouest du Nigeria.

Les poursuites judiciaires à l’encontre de policiers et de militaires impliqués dans des exactions ont été rares. Si certains soldats ont été poursuivis par des tribunaux militaires pour des délits tels que des actes de lâcheté et de mutinerie, la culture d’impunité omniprésente fait que pratiquement personne n’a été tenu de rendre compte de crimes relatifs aux droits humains.

Semblant reconnaître ces problèmes, le Président Buhari a désigné une nouvelle équipe dirigeante pour l’armée. Il a également déplacé le centre de commandement et de contrôle de l’armée d’Abuja à Maiduguri—l’épicentre du conflit.

En juillet et en septembre, l’armée a libéré 310 personnes, dont des femmes et des enfants, détenus sans inculpation depuis au moins deux ans dans les États de Borno et de Yobe. Par ailleurs, en mai, le Nigeria a avalisé la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, manifestant ainsi son engagement envers la mise en œuvre des Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conflits armés.

Ces démarches n’ont pas été à la hauteur des engagements que Buhari avait pris lors de son investiture, à l’égard d’une réforme de l’armée. Le Président a tenu des propos décevants lors d’une visite à Washington en juillet, quand il a affirmé que l’application de l’amendement à la loi Leahy américaine, qui interdit tout soutien américain aux unités militaires étrangères responsables d’exactions, avait contribué à appuyer Boko Haram.

Des groupes d’autodéfense locaux qui aident les forces de sécurité nigérianes à appréhender les militants et à repousser les attaques sont également impliqués dans le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, ainsi que dans des homicides volontaires de personnes soupçonnées d’être membres de Boko Haram et dans de mauvais traitements à leur encontre.

Violence intercommunale et politique

Dans la « ceinture centrale » du Nigeria, région volatile, des années de tensions économiques et politiques entre communautés ethniques et religieuses ont à plusieurs reprises entraîné une violence incontrôlée en 2015. Cette violence est alimentée par la concurrence autour du pouvoir et de l’accès à la terre qui oppose les communautés nomades et agricoles. Des foules déchaînées ont tué plusieurs de leurs victimes sur la simple base de leur identité ethnique ou religieuse.

Les autorités nigérianes n’ont pas traité les causes profondes de la violence et n’ont guère poursuivi en justice ses auteurs, notamment les policiers ou les militaires impliqués dans de graves exactions. Le 2 mai 2015, d’après des médias et des sources locales, les forces de sécurité ont tué au moins 28 individus lors de leur attaque des communautés Langtang et Wase suite au meurtre de six soldats quelques jours auparavant.

Corruption dans le secteur public

La faiblesse de la gouvernance et la corruption empêchent de nombreux Nigérians vivant dans une pauvreté abjecte de jouir de droits humains fondamentaux. Le taux de chômage élevé, ainsi que la présence d’une corruption et d’une insécurité dans le secteur public, ont été des thèmes majeurs lors des élections nationales de mars. Le Président Buhari a remporté ces élections grâce à son programme anti-corruption, promettant de faire face à la corruption et au manque de transparence dans les activités gouvernementales.

Depuis l’investiture du Président Buhari en mai, plusieurs hauts fonctionnaires de l’administration de l’ancien Président Goodluck Jonathan ont été arrêtés et ont fait l’objet de poursuites devant la Commission nigériane contre les délits économiques et financiers (EFCC). Cet organe s’est ensuite retrouvé au cœur d’une controverse, ayant été visé en août par des accusations de mégestion et de détournement de fonds recouvrés auprès de personnes reconnues coupables de corruption. Le 9 novembre 2015, Ibrahim Lamorde, président de l’EFCC, a été remplacé par Ibrahim Mustafa Magu, nommé à titre intérimaire.

Orientation sexuelle et identité sexuelle

L’adoption en janvier 2014 d’une loi interdisant le mariage entre personnes du même sexe—qui rend ainsi illégaux les « clubs et organisations homosexuels », tout soutien accordé à ce type d’organisations et les signes d’affection en public entre personnes du même sexe—a eu pour effet de brimer la liberté d’expression des personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles et transgenres, des organisations de défense des droits humains et des écrivains, entre autres. Depuis l’adoption de la loi, des organisations ont signalé des cas de chantage et d’expulsions ainsi qu’une peur de se faire soigner.

 

En vertu des lois préexistantes, les « relations charnelles contraires à l’ordre de la nature » sont passibles d’une peine de prison de 14 ans. Dans 12 États du Nord où la charia est appliquée, les actes homosexuels sont passibles d’emprisonnement, d’une peine de bastonnade ou de mort par lapidation. Les activistes n’ont pas connaissance de cas récents ayant entraîné l’application de la peine de mort. La police a arrêté 12 hommes pour homosexualité dans l’État de Kano en janvier et 21 hommes dans l’État d’Oyo en mai, même si tous ont été relâchés quelques heures plus tard.

 

Liberté d’expression, des médias et d’association

Si les médias restent en grande partie libres et dynamiques, le Nigeria conserve des dispositions obsolètes en matière de droit pénal qui entravent la liberté de parole et d’expression. Il est également fréquent que des journalistes fassent l’objet de mesures d’intimidation ou de harcèlement en rapport avec leur travail.

 

Le 29 mai, un journaliste du quotidien Daily Trust, Joseph Hir, a été roué de coups par des individus qui seraient des sympathisants du gouverneur de l’État de Nassarawa, au motif qu’il avait écrit un article « négatif » sur le gouverneur. Un mois plus tard, Yomi Olomofe, directeur exécutif du magazine Prime, et McDominic Nkpemenyie, correspondant du journal Tide, ont été gravement battus et blessés par un groupe d’individus au poste douanier de Seme à Lagos. Les agresseurs auraient été indignés par les informations peu favorables que les journalistes avaient publiées sur leurs activités.

 

Principaux acteurs internationaux

Des acteurs internationaux, notamment le Royaume-Uni, les États-Unis et les Nations Unies, se sont montrés optimistes dans leur soutien au programme de réforme du nouveau gouvernement visant la sécurité et la corruption dans le secteur public. Le Royaume-Uni, les États-Unis, les Nations Unies et l’Union européenne ont aidé le Nigeria à parvenir à une issue pacifique lors des élections du mois de mars.

 

Le Royaume-Uni apporte au Nigeria et à ses voisins une série imposante d’aides dans les domaines militaire, du renseignement, du développement et de l’humanitaire pour faire face au défi posé par Boko Haram. En juillet, le vice-secrétaire d’État américain Anthony Blinken a déclaré que les États-Unis accroîtraient leur soutien au Nigeria afin d’élaborer une stratégie globale propice à la défense des droits humains face à Boko Haram. Blinken s’est rendu au Nigeria avant que le Président Buhari ne se déplace à Washington quelques jours plus tard, toujours au mois de juillet.

 

Lors d’une visite en août, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a noté que « la remise en question du respect des droits humains est particulièrement manifeste dans le contexte de la menace posée par Boko Haram ». Il a exhorté le gouvernement à s’assurer que sa réponse en matière de lutte contre le terrorisme ne soit pas « contreproductive ». Lors d’une réunion de mise à jour devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juin, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein a déclaré, concernant Boko Haram, que le Nigeria devrait adopter « une réponse politique profonde qui s’appuie fermement sur un besoin de responsabilité et de réconciliation ».

 

En janvier, l’Union africaine a approuvé l’instauration de la MNJTF, à l’initiative du Nigeria et de ses pays voisins qui sont membres de la Commission du bassin du lac Tchad. Cette mesure a été mentionnée par le Conseil de sécurité de l’ONU dans le cadre d’une déclaration présidentielle sur Boko Haram adoptée le 28 juin.

 

Le 12 novembre, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a publié un rapport identifiant six affaires potentielles se rapportant à Boko Haram et deux affaires potentielles visant les forces de sécurité nigérianes pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre dans le contexte de l’insurrection dans le nord-est du pays. La CPI a indiqué qu’elle poursuivrait son « examen préliminaire » sur la situation au Nigeria en mettant l’accès sur l’adéquation des efforts pour que la responsabilité envers les crimes graves soit établie devant les tribunaux nationaux.