Skip to main content

Bélarus

Événements de 2021

La journaliste bélarussienne Katsiaryna Andreyeva (à droite) serre sa collègue Daria Chultsova dans les bras, dans la cage servant de box des accusés, lors de leur procès à Minsk, au Bélarus, le 18 février 2021.

© 2021 AP

Les manifestations pacifiques de masse déclenchées à travers le Bélarus par la réélection frauduleuse du président Alexandre Loukachenko en août 2020 ont perdu beaucoup de leur ampleur à la fin de l’année 2020 face à la répression féroce et impitoyable menée par le gouvernement. En revanche, les autorités ont multiplié les campagnes de dénigrement et les poursuites pénales à l’encontre d’activistes politiques et civiques, de journalistes indépendants et de défenseur·e·s des droits humains sur la base de chefs d’accusation fallacieux à caractère politique. En juillet, Alexandre Loukachenko a annoncé une « purge » de la société civile et les autorités ont fait fermer des dizaines d’organes de presse indépendants et de groupes de défense des droits humains, y compris les plus influents du pays.

Au moment de la rédaction de ce rapport, au moins 862 personnes se trouvaient derrière les barreaux pour des accusations inspirées par des motifs politiques. Plusieurs ont été battues, menacées, maltraitées et détenues dans des conditions inhumaines. Les autorités ont radié près de 30 avocat·e·s pour avoir représenté des victimes dans des affaires à caractère politique et pour avoir invoqué des violations de droits humains.

Répression des manifestations pacifiques par le gouvernement

Les autorités, notamment des agents du maintien de l’ordre habillés en civil, ont fait un usage excessif de la force pour disperser les manifestations pacifiques. La police a arrêté arbitrairement des personnes pour avoir porté ou arboré le motif blanc-rouge-blanc caractéristique de l’opposition, se livrant parfois à une violence brutale. Ces personnes ont été accusées de violer les règles relatives aux rassemblements publics, même lorsque leur arrestation s’est déroulée dans des immeubles d’habitations au cours de descentes de police.

Selon le Centre des droits humains Viasna, au moins 8 712 personnes ont été placées en détention en lien avec les manifestations entre novembre 2020 et octobre 2021, et nombre d’entre elles ont enduré des mauvais traitements ou des conditions de détention inhumaines. Les tribunaux en ont condamné plus de la moitié à des amendes administratives et à des peines de courte durée. Au moins 850 personnes ont été visées par des accusations criminelles.

En novembre 2020, l’activiste Raman Bandarenka a été battu à mort par ce qui semblerait être des policiers en civil ou des personnes agissant en leur nom. Les autorités ont prétendu que la police l’avait trouvé dans la rue, ivre et déjà dans cet état. Aucune véritable enquête n’a été effectuée sur sa mort.

En mars, les autorités ont durci les sanctions administratives applicables en cas de violation des règles relatives aux rassemblements publics. En juin, une série d’amendements à la loi sur les rassemblements de masse est entrée en vigueur, interdisant toute manifestation n’ayant pas été autorisée officiellement. Le même mois, les autorités ont introduit la responsabilité pénale pour quiconque participe à au moins deux manifestations non autorisées au cours d’une année, et ont renforcé les sanctions applicables en cas d’appel à participer à des manifestations non officielles et en cas de crimes extrémistes, lesquels répondent à une définition particulièrement large.

En août, le Comité d’enquête du Bélarus a clôturé son enquête préliminaire sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements commis par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestant·e·s pacifiques au mois d’août 2020. Cette agence gouvernementale a déclaré n’avoir trouvé aucun motif pour ouvrir des enquêtes criminelles sur les 4 644 plaintes déposées par les victimes présumées ou en leur nom.

Liberté d’expression et attaques à l’encontre des journalistes

L’Association bélarussienne des journalistes (BAJ) a recensé 184 cas de détention arbitraire, d’amende, d’arrestation administrative ou d’usage excessif de la force infligés à des journalistes entre janvier et mi-novembre 2021. Au moment de la rédaction de ce rapport, 26 journalistes se trouvaient derrière les barreaux sur la base d’accusations criminelles fallacieuses, deux autres professionnel·le·s des médias étaient sous le coup d’une assignation à résidence et un journaliste était condamné à 18 mois de restriction de liberté sans emprisonnement.

En mai, les autorités du Bélarus ont ordonné à un vol de la compagnie RyanAir d’atterrir, prétextant une alerte à la bombe, puis ont arrêté Roman Protassevitch, ex-rédacteur en chef de la chaîne Telegram du média d’opposition NEXTA, et sa petite-amie Sofia Sapega, ressortissante russe. Protassevitch avait été classé comme « extrémiste » par les autorités bélarussiennes. Dans les semaines qui ont suivi son arrestation, des vidéos d’interview ont été diffusées sur des chaînes progouvernementales : on y voit Roman Protassevitch « avouer », manifestement sous la contrainte, avoir organisé des émeutes de masse et donner le nom de ses complices présumés. Au moment de la rédaction de ce rapport, Protassevitch était assigné à résidence et faisait l’objet des accusations suivantes : « organisation d’émeutes de masse », « organisation d’actions troublant l’ordre public » et « incitation à la haine ». Sofia Sapega était également assignée à résidence et accusée d’« organisation d’émeutes de masse » et d’« incitation à la haine ».

Tout au long de l’année, les tribunaux ont condamné quatre journalistes — Katsiaryna Andreyeva (alias Bakhvalova), Daria Chultsova, Katsiaryna Barysevitch et Siarhei Hardziyevich — à des peines d’emprisonnement allant de 6 à 24 mois pour avoir couvert les manifestations pacifiques.

Les autorités ont ciblé des dizaines de journalistes, les invoquant comme témoins ou suspects dans des affaires criminelles forgées de toutes pièces et leur ont infligé des perquisitions, des interrogatoires et du harcèlement. Au moins quatre journalistes ont rapporté avoir été battus et maltraités lors de leur garde à vue en représailles à leur travail. Ils ont notamment enduré des conditions de détention inhumaines et été privés de soins médicaux.

Les autorités se sont également attaquées aux médias en ligne ayant couvert les manifestations publiques et mis à jour les violations des droits humains perpétrées dans le pays. Le gouvernement leur a retiré leurs accréditations, a perquisitionné leurs bureaux et le domicile de leurs employés, a bloqué leurs sites internet et a qualifié certains de ces médias d’« extrémistes ». La répression menée contre TUT.by, principal média d’information du pays, et contre la chaîne Belsat basée en Pologne a été particulièrement violente. Les autorités les ont classés comme « extrémistes », puis ont perquisitionné et arrêté des dizaines de leurs employés sur la base d’accusations criminelles et administratives.

Les maisons d’édition bélarussiennes détenues par l’État ont refusé d’imprimer au moins cinq journaux indépendants.

En juin, une série d’amendements à la loi sur les médias est entrée en vigueur étendant la liste de motifs officiels permettant de retirer des accréditations et de bloquer les sites internet des médias. Ces amendements interdisent les diffusions en direct des manifestations de masse non autorisées et rendent illégales les publications « portant atteinte » à l’État, coupant ainsi court à toute forme de critique.

Défenseures des droits humains, groupes de la société civile et avocates

Au cours des mois qui ont suivi les manifestations pacifiques après le scrutin présidentiel de 2020, les autorités ont intensifié les mesures répressives contre les groupes de défense des droits humains. Les défenseur·e·s des droits humains et leurs proches ont enduré des fouilles intrusives à répétition, détention arbitraire, parfois dans des conditions inhumaines, passages à tabac, interrogatoires, campagnes de dénigrement et harcèlement cruel et mesquin… Des dizaines de défenseur·e·s ont été mis sous les verrous sur la base d’accusations montées de toutes pièces.

En février, les forces de l’ordre ont mené une vague de perquisitions ciblant les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes dans tout le pays. Les autorités ont soutenu que ces perquisitions au domicile et dans les bureaux des personnes visées intervenaient dans le cadre d’une enquête sur le financement supposé des manifestationspar ces organisations. Le défenseur des droits humains Dzimitry Salauyou a été passé à tabac par des policiers pendant une perquisition à son domicile et immédiatement après.

En juillet, les autorités ont mené une vague de perquisitions encore plus dure, qui a résulté en l’arrestation de 11 défenseur·e·s des droits humains. La principale organisation locale de défense des droits humains Viasna a été particulièrement touchée par cette vague. Au moment de la rédaction de ce rapport, le président Ales Bialatski, le vice-président Valentin Stefanovich, l’avocat Uladzimir Labkovich et quatre autres membres de l’organisation étaient toujours en prison pour des accusations criminelles fallacieuses, notamment pour « fraude fiscale », « actions portant atteinte à l’ordre public » et « appartenance à une organisation criminelle ». 

Le 3 novembre, un tribunal de Gomel a condamné le directeur de la branche locale de Viasna, Leanid Sudalenka, et une bénévole, Tatsiana Lasitsa, respectivement à trois ans et deux ans et demi de prison.

À la mi-novembre, les autorités avaient entamé le démantèlement de 278 groupes et organisations de défense des droits humains, dont la BAJ. En septembre, la Cour suprême du Bélarus a répondu favorablement à la demande du ministère de la Justice de dissolution du Comité Helsinki du Bélarus, l’une des plus anciennes et plus éminentes ONG de défense des droits humains du pays.

Les autorités ont également fait fermer le Bureau des droits des personnes en situation de handicap (Office for the Rights of Persons with Disabilities), principale organisation de défense en la matière au Bélarus. Son directeur Siarhei Drazdouski et son avocat Aleh Hrableuski ont purgé chacun une peine de six mois, à résidence pour le premier et en prison pour le second, sous des prétextes de fraude. Ils demeurent suspects dans l’affaire.

Au cours de l’année, les représailles des autorités se sont multipliées contre les avocat·e·s ayant osé s’exprimer sur les questions des droits humains ou assurer la défense de client·e·s dans des affaires à motif politique. Le ministère de la Justice a procédé arbitrairement à la radiation ou la révocation de licence d’au moins 27 avocat·e·s. De plus, les avocat·e·s ont subi des accusations criminelles et administratives, des perquisitions et du harcèlement.

Les autorités ont violé les garanties fondamentales d’un procès équitable. Elles se sont notamment immiscées dans le travail des avocat·e·s en enregistrant des conversations privées avec des client·e·s et en partageant ces vidéos avec des chaînes gouvernementales ; elles les ont obligés à signer des accords de confidentialité aux dispositions excessivement larges ; elles leur ont refusé arbitrairement d’accéder à leurs client·e·s, et elles ont procédé à des interrogatoires sans la présence des avocat·e·s.

En novembre, les amendements apportés à la loi sur le barreau et sur les avocats sont entrés en vigueur. Selon ces modifications, tous les avocat·e·s en exercice doivent être employés par des associations régionales du barreau contrôlées par le ministère de la Justice, ce qui vient saper l’indépendance des professions juridiques au Bélarus.

Arrestations et harcèlement de membres et de partisans de l’opposition politique

Les autorités ont continué de poursuivre en justice des membres et des partisans de l’opposition politique dont l’arrestation datait d’avant l’élection présidentielle de 2020, mais aussi celles et ceux placés en détention après le scrutin.

En juillet, la Cour suprême a condamné Viktor Babariko, ex-candidat à l’élection présidentielle, à une peine de 14 ans de prison pour avoir reçu des « pots-de-vin en quantité importante » et pour « blanchiment d’argent à grande échelle ». En mars, les autorités ont inculpé Sergueï Tsikhanouski, également ex-candidat de l’opposition, d’« organisation d’émeutes de masse », d’« incitation à la haine », d’« obstruction à la Commission électorale » et d’« organisation d’actions troublant l’ordre public ». Son épouse, Svetlana Tsikhanouskia, actuelle représentante principale de l’opposition politique, est en exil. Sergueï Tsikhanouski est détenu depuis mai 2020. En septembre, un tribunal de Minsk a condamné Maria Kolesnikova et Maksim Znak, membres du Conseil de coordination de l’opposition, respectivement à 11 et 10 ans de prison. Ils ont été reconnus coupables de « complot visant à s’emparer du pouvoir » et d’« appels à des actions portant atteinte à la sécurité nationale ». Leur procès s’est tenu à huis clos. Lorsqu’elle était en détention provisoire, Maria Kolesnikova a rapporté avoir subi des menaces et des mauvais traitements.

Peine de mort

Le Bélarus est le seul pays d’Europe à appliquer la peine de mort. Actuellement, au moins une personne, Viktar Syarhel, se trouve dans le couloir de la mort au Bélarus.

En 2021, les autorités bélarussiennes auraient exécuté deux personnes. En septembre, la chaîne publique télévisée STV a relaté l’exécution de Viktar Skrundzik, qui avait été condamné à mort pour meurtre et tentative de meurtre. En juin, Viktar Paulau aurait été exécuté, selon sa sœur. Il avait été condamné à mort pour avoir tué deux personnes. Cependant, au moment de la rédaction de ce rapport, les familles de Skrundzik et de Paulau n’avaient reçu aucune confirmation officielle de leur exécution. Au Bélarus, les familles des personnes exécutées sont généralement informées de l’exécution par les autorités plusieurs semaines après.

En avril, Loukachenko a accordé sa « grâce » (peine de mort remplacée par la réclusion à perpétuité) à deux frères, Stanislau et Illia Kostseu, reconnus coupables de meurtre, qui se trouvaient dans le couloir de la mort depuis janvier 2020. Il s’agissait de la deuxième « grâce présidentielle » accordée par Loukachenko en 27 ans d’exercice.

En septembre, Loukachenko a déclaré qu’il envisageait d’organiser un référendum sur la peine de mort.

Principaux acteurs internationaux

En mars, le Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations Unies a condamné les violations graves des droits humains qui se poursuivent au Bélarus et a chargé la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, avec l’aide d’experts en la matière, de faire un compte-rendu sur la situation et de rassembler et conserver des éléments de preuve sur les violations commises. En conséquence, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a nommé trois expert·e·s pour mener un examen de la situation au Bélarus, analyser les preuves et, si possible, faire en sorte que les responsables rendent des comptes.

En juillet, le CDH a prolongé d’un an le mandat de la Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus et a exhorté les autorités bélarussiennes à coopérer avec elle. Le rapport annuel de la rapporteure actuelle, Anaïs Marin, fait état d’une crise sans précédent pour les droits humains au Bélarus, avec notamment des violences policières contre les manifestant·e·s pacifiques, des disparitions forcées, des allégations de torture et de mauvais traitement et des mesures répressives contre la société civile.

Au cours de l’année précédente, Anaïs Marin et d’autres mandataires de l’ONU spécialisés en droits humains n’ont eu de cesse de demander au Bélarus de mettre fin à l’usage excessif de la force, aux arrestations, à la détention arbitraire et aux mauvais traitements à l’encontre des manifestant·e·s et de cesser la répression des journalistes et des professionnel·le·s des médias. Le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres a condamné le recours à la force contre les manifestants.

En mars, 14 organisations bélarussiennes et internationales de défense des droits humains ont lancé la Plateforme internationale de reddition des comptes pour le Bélarus avec le soutien de nombreux gouvernements. Cette plateforme permet de collecter les preuves des allégations de violations des droits humains, qui pourront servir à de futures poursuites en justice.

Certains pays européens, dont la Lituanie, l’Allemagne, la Pologne et la République tchèque, ont ouvert des enquêtes criminelles, sur la base de la compétence universelle, sur les violations graves des droits humains perpétrées par les autorités bélarussiennes.

En réponse à l’atterrissage forcé du vol RyanAir, à l’arrestation de Protassevitch et aux violations flagrantes des droits humains au Bélarus, l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont imposé de nouvelles sanctions aux entités et individus bélarussiens jugés responsables des violations des droits humains et de la répression, et ont prévu également des sanctions économiques ciblées.

Le HCDH et les experts en droits humains de l’ONU se sont dits choqués par le détournement du vol RyanAir. Antonio Guterres a appelé à « une enquête indépendante, transparente et complète » sur cet atterrissage forcé et sur l’arrestation de Protassevitch qui s’est ensuivie. Le Parlement européen a aussi adopté une résolution condamnant l’atterrissage forcé du vol RyanAir et la répression politique au Bélarus. Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, a critiqué à maintes reprises les attaques lancées contre les détracteur·e·s du gouvernement, les journalistes et les manifestant·e·s.

En janvier, le Rapporteur général de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a condamné le verdict de peine de mort rendu pour Viktar Skrundzik et a appelé le Bélarus à abolir la peine capitale. En juin, l’UE a condamné l’exécution probable de Viktar Paulau et a réclamé plus de transparence dans le système pénal bélarussien.