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Les années perdues

L’éducation secondaire pour les enfants en situations d’urgence

© 2016 Human Rights Watch

Amin a 18 ans. Il est réfugié au Liban depuis que sa famille a fui la Syrie il y a cinq ans et n'a pas mis les pieds à l'école depuis son arrivée dans le pays. Sans permis de séjour, son père n’a pas de travail et c'est à Amin que revient la responsabilité de soutenir matériellement sa famille de sept personnes. Quand il a dû quitter son école à Homs, Amin avait 13 ans et était en classe de cinquième. Il travaille aujourd’hui dans le bâtiment et transporte des blocs de ciment pour construire de nouveaux immeubles d'habitation. « Je suis ici depuis cinq ans et j'ai perdu cinq ans de ma vie », raconte-t-il.

En 2015, chaque jour dans le monde, quelques 17 000 enfants ont fui leurs foyers à cause des persécutions et des conflits. C’est le droit de ces enfants déplacés de force, et parmi eux les réfugiés, d’avoir accès à une éducation secondaire de qualité, ouverte et accessible à tous, sans discrimination. Cet accès à l'éducation est crucial pour les enfants : il les protège physiquement, crée une routine essentielle pour leur guérison et leur bon rétablissement, leur offre un espace sûr à un âge critique pour leur développement, accroit leur aptitude à résoudre les problèmes, leur ouvre la voie à de meilleures opportunités économiques et leur offre de l'espoir.

Mais pour de nombreux enfants plus âgés, l'école reste un rêve impossible.

Selon l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), si la moitié des 3,5 millions d'enfants réfugiés dans le monde vont à l’école, seul un quart des 1,95 millions d'enfants en âge de suivre un enseignement secondaire ont cette chance. En Turquie – pays qui accueille à lui seul le plus grand nombre de réfugiés au monde, dont près de 3 millions de Syriens –, seuls 13 % des enfants réfugiés en âge de fréquenter l'école secondaire y sont accueillis. Ils sont 6 % au Cameroun et à peine 5 % au Pakistan et au Liban.

Les chiffres sont pires pour les filles : la proportion de filles qui vont à l'école secondaire dans le monde est de 7 pour 10 garçons. Et si les chiffres relatifs aux enfants handicapés déplacés de force sont rares, ces derniers sont clairement confrontés à d'énormes obstacles et, pour la plupart, totalement exclus de l'enseignement secondaire.

Le nombre record de réfugiés et de personnes déplacées dans le monde a focalisé l'attention sur la nécessité d’inscrire les enfants déplacés à l'école. Mais la réponse humanitaire aux crises a tendance à se concentrer sur l'éducation primaire plutôt que secondaire.

Cet essai examine les problématiques de l’enseignement secondaire dans les situations d’urgence – plus particulièrement lors des conflits, qui déplacent les enfants de force. Il propose aussi des solutions aux pays hôtes, aux donateurs et aux acteurs humanitaires pour promouvoir et garantir l'enseignement secondaire dans les pays touchés par les crises ou qui accueillent des flux importants de réfugiés et bénéficient à ce titre de l’aide humanitaire.

Les politiques d’accueil des réfugiés et de financement sont à la racine de ces problèmes et c’est en elles que se trouvent aussi les solutions à apporter. À l’échelle mondiale, moins de 2 % du soutien des donateurs est consacré à l’éducation dans les situations d'urgence. Et parmi ces 2%, l’essentiel du soutien est consacré à l’enseignement primaire, bien plus qu’à l'enseignement secondaire. Ces ressources inadaptées coïncident avec les politiques restrictives des pays d'accueil des réfugiés, qui frappent souvent de plein fouet les enfants précisément lors du passage à l'adolescence.

Une éducation secondaire de qualité représente un réel bénéfice pour les sociétés où les enfants déplacés viennent chercher refuge. Les enfants qui ont fait des études secondaires gagnent généralement mieux leur vie quand ils deviennent adultes. En meilleure santé, ils augmentent la productivité tout en réduisant le coût des soins de santé. Ils sont plus à même de trouver du travail et d'échapper à la pauvreté. Lorsque davantage de filles vont au bout de leurs études secondaires, elles sont en mesure de réduire l'écart de rémunération entre les sexes.

Or malgré l’importance de l’éducation secondaire, les obstacles pour y accéder dans les situations de crises de réfugiés et autres crises humanitaires sont plus nombreux à mesure que les enfants avancent dans leurs études. Certains pays d'accueil refusent purement et simplement aux adolescents réfugiés le droit de s'inscrire dans des établissements secondaires hors des camps de réfugiés. Le travail dangereux, le mariage des enfants et la violence sexuelle, le harcèlement par les forces de sécurité de l'état hôte et le recrutement par les groupes armés constituent d'autres obstacles importants.

L’incapacité des bailleurs de fonds et des pays d’accueil à offrir une éducation secondaire aux enfants et aux adolescents déplacés risque en outre de compromettre leur développement économique. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) estime ainsi à plusieurs dizaines de millions de dollars les pertes éventuelles de revenus des enfants déplacés qui n’ont pas accès à l'enseignement secondaire en raison du conflit en Syrie.

L’absence d’éducation secondaire prive aussi les enfants en âge d’être scolarisés des outils et compétences qui leur seront nécessaires pour pouvoir apporter leur contribution aux communautés du pays d'accueil ou, s'ils rentrent chez eux, à celles de leur pays d'origine – situation qui, à terme, pourrait avoir des répercussions sur la sécurité et la stabilité des deux pays.

Éducation secondaire et conflit

L’éducation est un facteur de stabilité. Elle offre aux enfants soins, soutien et outils pour résoudre pacifiquement les différends et augmente la productivité. Il a été démontré qu’un enseignement secondaire de qualité favorisait la tolérance, renforçait la croyance dans la démocratie et le civisme et encourageait la résistance au recrutement par les extrémistes violents.

Il a même été noté que des niveaux importants de scolarisation dans le secondaire réduisent les probabilités de guerre civile et qu’en période de crise, le fait pour les adolescents déplacés de ne pas recevoir d’éducation peut compromettre les efforts de reconstruction et être un facteur de troubles. Une étude publiée dans un rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) en 2014 indique que si les pays où 30 % des jeunes bénéficient d'une éducation secondaire doublaient ce pourcentage, ils réduiraient de moitié les risques de conflit.

Pourtant, l'éducation est souvent sacrifiée quand les enfants sont forcés à fuir pour leur sécurité. En Somalie, où toutes les parties au conflit ont kidnappé, recruté ou utilisé des enfants à des fins militaires, un rapport de Human Rights Watch de 2012 montre que la menace de recrutement forcé ou d’enlèvement a conduit les enfants à quitter l'école et le plus souvent à fuir le pays avec leurs familles. Suite à une offensive de 2010, le taux de décrochage scolaire aurait ainsi atteint 50 %.

Quand les conflits éclatent, l'impact est parfois plus important sur l’enseignement secondaire que sur l’enseignement primaire. Les écoles secondaires mobilisent en effet des ressources spécifiques, notamment dans le corps enseignant – moyens qui sont d’autant plus difficiles à mobiliser en période de crise. En outre, pour les adolescents qui décrochent parce qu’ils sont forcés de se déplacer, les chances de réintégrer l’école sont faibles.

L’intervention des gouvernements ne fait parfois qu’aggraver la situation des enfants réfugiés ou déplacés. Selon un rapport de Human Rights Watch de 2015 sur les abus de la police contre les Afghans du Pakistan, l’attaque du groupe militant pakistanais Tehrik-e-Taliban en décembre 2014, qui a tué 132 écoliers à Peshawar, a renforcé l'hostilité envers les Afghans vivant au Pakistan, poussant les autorités à restreindre l'accès des réfugiés afghans aux services sociaux, notamment éducatifs.

Au Nigeria, la réponse des autorités aux attaques du groupe extrémiste Boko Haram (« L'éducation occidentale est interdite ») n'a pas non plus été à la hauteur. Face aux agissements d’un groupe qui s’en prend régulièrement aux garçons en âge d’être scolarisés et qui a procédé à l’enlèvement retentissant de plus de 200 filles d’une école secondaire à Chibok, dans l'État de Borno, le 24 avril 2014, le gouvernement n'a pas su correctement protéger les écoles et les inscriptions scolaires ont chuté parmi les enfants déplacés. En 2015, un enseignant a raconté à Human Rights Watch comment le lycée où il travaillait était devenu « un abattoir pour Boko Haram (...) ils emmenaient dans l’école ceux qu’ils attrapaient et les tuaient ».

Les taux d'inscription et de fréquentation ont chuté de façon spectaculaire au Nigeria en raison des craintes liées à ces attaques. Dans les États touchés par le conflit dans le nord-est du Nigeria, sur quelques 590 000 enfants déplacés en âge d’être scolarisés, moins de 90 000 ont effectivement accès à l'éducation. Même lorsque les écoles restent ouvertes, les parents ont trop peur d’y envoyer leurs enfants. Un enseignant du nord de l’État de Borno raconte que « certains parents ont envoyé leurs enfants au Niger pour qu’ils y deviennent réfugiés ».

Le gouvernement n’a fait qu’envenimer la situation en autorisant les forces de sécurité à continuer à investir les établissements primaires et secondaires en violation de l’engagement pris en 2015 avec la signature de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles (Safe Schools Declaration), par lequel ils s’engageaient à mettre fin à l’usage des écoles à des fins militaires.

Négligence et sous-financement

Enquête après enquête, les réfugiés identifient l’éducation comme un besoin essentiel en situation d’urgence et nombre d’entre eux consacrent une partie importante de leurs revenus à la scolarisation de leurs enfants. D’autres prennent des risques inconsidérés : une femme qui n'avait pu inscrire ses enfants dans les écoles libanaises est ainsi retournée en Syrie, malgré les risques de sa démarche. « L'éducation est le seul objectif », a-t-elle déclaré à Human Rights Watch.

Pourtant, la part de l'aide déjà dérisoire que les donateurs consacrent à l’éducation est en baisse. Les pays à revenu faible ou intermédiaire, qui recevaient 13 % de l'aide internationale au développement en 2002, n’en recevaient plus que 10 % en 2015. Moins d’un quart de ce montant a été versé aux pays à revenu faible, qui accueillent pourtant 86 % des réfugiés dans le monde et possèdent les systèmes scolaires les moins bien financés.

De nombreuses subventions ne sont accordées que pour une durée de 12 mois et n’accordent pas la priorité aux interventions de réhabilitation rapides. En situation d'urgence, l'éducation est aussi inégalement financée. Certains pays qui traversent des crises de long terme souffrent d’un sous-financement permanent en raison du système de financement de l’aide humanitaire, qui donne la priorité aux situations d'urgence récentes ou actuelles ou à celles qui bénéficient d'une forte visibilité médiatique.

De ces financements déjà limités, l'éducation primaire reçoit la part du lion. Le secondaire est trop souvent négligé alors même que son coût est en général plus élevé à cause du niveau de qualification des enseignants, du nombre de manuels scolaires ou de salles de classe nécessaires, ou de la spécialisation des équipements et des infrastructures. En 2015 par exemple, le HCR n'a consacré que 13 % de son budget éducatif à l'enseignement secondaire, soit un tiers de ce qu'il a consacré à l'enseignement primaire.

L’insuffisance des fonds consacrés à l'éducation n'explique qu’en partie l'inégalité de cette répartition. Les agences elles-mêmes consacrent plutôt moins de programmes à l'enseignement secondaire qu'aux plus jeunes enfants, même si nombre d’entre elles concentrent leurs efforts sur les programmes d'apprentissage accéléré ou sur l'éducation extrascolaire. Les acteurs humanitaires qui dispensent de l’enseignement secondaire sont encore très en retard, tant dans le domaine de l’éducation formelle que celui de l'éducation extrascolaire.

Au Liban, le Ministère de l'éducation et le HCR se sont fixés pour objectif d’inscrire près de 200 000 enfants réfugiés syriens dans les écoles primaires publiques, contre 2 080 seulement dans les écoles secondaires. Une campagne de sensibilisation au retour à l'école qui proposait de faciliter l'inscription gratuite des enfants réfugiés et libanais de l'école primaire jusqu'au collège a certes été lancée, mais elle ne concernait pas les élèves du lycée.

Un autre programme de l'UNESCO se propose de couvrir les frais des études secondaires des enfants syriens. Mais il n'a pas été annoncé publiquement et n'a touché que 2 280 des 82 744 enfants en âge d’être scolarisés inscrits au HCR pour l'année scolaire 2015-2016.

Obstacles bureaucratiques

La bureaucratie peut constituer une entrave à l’accès à l'enseignement secondaire.

Dans certains pays par exemple, l’absence de documents officiels peut empêcher les enfants qui ont été déplacés de force et qui sont en âge d’aller à l’école d'accéder à l'éducation, comme le montre une étude menée par Human Rights Watch en Turquie et au Liban, qui comptent à eux seuls 1,4 million d'enfants syriens réfugiés en âge d'être scolarisés. Au Liban, les enfants doivent, dès 15 ans, payer 200$ américains (190€) pour renouveler leur permis de résidence – une somme prohibitive pour beaucoup d'entre eux – et ceux qui ne possèdent pas le passeport ou la carte d'identité nécessaires à ce renouvellement sont légion. En Turquie, les enfants réfugiés syriens doivent obtenir un document d'identification (kimlik) pour s'inscrire à l’école et accéder aux soins de santé subventionnés, mais une procédure de « pré-sélection » mise en place en mars 2016 a généré des listes d'attente qui peuvent atteindre six mois.

En Jordanie, des adolescents syriens racontent comment ils ont arrêté d’essayer de se réinscrire à l'école secondaire après avoir passé des années à tenter de répondre à une série d’exigences extrêmement sévères en matière de certification scolaire. Amal, 20 ans, a ainsi raconté qu'avant que sa famille ait quitté la Syrie, elle avait passé tous ses examens au lycée « sauf le dernier ». Lorsqu'elle a voulu finir ses études en Jordanie, les responsables du ministère de l’Éducation ont refusé. « Ils m'ont dit qu'il leur fallait la preuve que j'étais passé de première en terminale, mais qu'ils n’accepteraient pas de formulaire faxé et qu’il fallait que j’envoie l'original. » Il fallait qu’Amal rentre en Syrie pour le récupérer, « mais la frontière est fermée et c'est dangereux pour moi de rentrer là-bas ».

Au Liban, les enfants réfugiés doivent fournir les relevés de notes de leur dernière année de collège pour s'inscrire dans le secondaire, un document que beaucoup d’entre eux ont laissé en Syrie quand ils ont fui la guerre. Dans d'autres cas, les enfants réfugiés font face à des responsables de la scolarité qui refusent tout simplement de les accueillir. Loreen, seize ans, ne fréquente plus l'école depuis que des bombardements intensifs l'ont empêchée de finir sa cinquième en Syrie. Quand elle a cherché à s'inscrire dans une école secondaire en Turquie, la directrice lui a répondu qu'elle « ne ferait aucune exception et qu'elle devait rester avec les élèves de sa tranche d'âge » même si elle ne parlait pas le turc. Quand sa mère a demandé comment obtenir une aide linguistique, on lui a dit « qu'il n'y en avait pas ». Loreen ne s'est pas inscrite et travaille désormais à plein temps dans une usine de fruits secs.

Obstacles à l’éducation des filles

En situation de crise, les difficultés rencontrées par les filles pour accéder à l'école secondaire peuvent être exacerbées par des normes socioculturelles plus contraignantes, les violences sexuelles ou sexistes, ou encore les grossesses et mariages précoces.

En Afghanistan, l'éducation des filles est l'une des bêtes noires des Talibans depuis qu’ils ont été chassés du pouvoir en 2001. En 2004, 5 % seulement des filles afghanes allaient à l’école secondaire et les attaques dirigées contre l'éducation ont augmenté en 2005 et 2006. Les Talibans ont poursuivi leur distribution « nocturne » de lettres donnant l’ordre aux filles de ne plus aller à l'école après leur puberté (autour du CM1). Ils ont tué des élèves et des enseignants, attaqué des adolescentes scolarisées au visage avec de l'acide de batterie, et détruit des écoles de filles au lance-roquettes, en les incendiant ou en utilisant des engins explosifs improvisés.

La destruction ou le déni d’accès aux installations sanitaires dans les écoles lors des conflits peut également obliger les filles à manquer l'école puisque la propreté des installations et le respect de l'intimité sont essentiels pendant la menstruation.

Dans les situations de déplacement forcé, le mariage des filles est un moyen pour les parents d’échapper aux problèmes de pauvreté ou de sécurité. Or la majorité des filles mariées cessent d’aller à l’école. Et inversement, déscolarisées, elles sont plus exposées au mariage précoce, qui a quadruplé pour les enfants syriennes réfugiées au Liban, en Turquie et en Jordanie.

Les avantages de l'enseignement secondaire des filles sont pourtant réels et ont le pouvoir de changer radicalement leur vie. En facilitant leur accès à l'information sur les droits et les services et en leur permettant de participer aux décisions tout en les responsabilisant, l'éducation secondaire des filles représente un bénéfice incontestable pour les pays hôtes et pour le développement en général. Il sauve aussi des vies. En s'assurant que les filles poursuivent leur enseignement secondaire, le mariage des enfants et la mortalité infantile peuvent être réduits, car les enfants dont le niveau d'éducation est plus élevé sont plus à mêmes d'avoir une alimentation saine ou de demander des soins médicaux. Les filles qui ont suivi une éducation secondaire se marient aussi statistiquement plus tard.

Pauvreté et travail des enfants

La pauvreté, renforcée par les politiques qui empêchent les parents de trouver un travail légal, met l'école hors de portée d'un grand nombre d'enfants déplacés et renforce la probabilité que les enfants travaillent. La pression exercée sur les enfants pour qu'ils gagnent de l'argent s'intensifie à mesure qu'ils grandissent. Même ceux qui travaillent sont souvent incapables d'avancer les frais nécessaires à une scolarisation dans le secondaire, comme les frais de scolarité dans les pays où l'enseignement secondaire n'est pas encore gratuit, ou les frais occasionnés par les uniformes ou les cahiers. Il est aussi fréquent que les coûts de transport soient plus élevés pour les écoles secondaires, moins nombreuses que les écoles primaires.

Abandonner sa scolarité pour travailler peut être extrêmement dommageable pour les enfants et leur faire courir des risques inconsidérés : exploitation, environnements de travail dangereux ou violence. Au Liban, plusieurs agences humanitaires ont ainsi constaté, en 2015, une forte augmentation des pires formes de travail des enfants parmi les populations réfugiées. Human Rights Watch a interrogé des enfants qui avaient été blessés, attaqués ou arrêtés au travail.

Quand les opportunités de trouver du travail qualifié ou d'accéder à l'enseignement supérieur sont limitées, comme c'est le cas dans le camp de Dadaab au Kenya où 13 % seulement des adolescents sont accueillis dans des écoles secondaires, les motivations d'intégrer l'enseignement secondaire sont moindres. Un sondage réalisé par les Nations Unies à Zaatari, le plus grand camp de réfugiés de Jordanie, indique que parmi les obstacles à l'éducation, on trouve notamment « un sentiment d'inutilité de l'éducation, dans la mesure où [les enfants syriens] ont peu de perspectives d'avenir ». Dans un autre camp, plus modeste, de Jordanie, les inscriptions à l'école secondaire ont baissé de moitié à l'automne 2015, peu après que trois étudiants admis à l'université eurent dû renoncer à s’inscrire parce qu'ils n'avaient pas les moyens de payer les frais.

Permettre aux réfugiés de travailler peut contribuer à atténuer les effets négatifs de la pauvreté sur l'enseignement secondaire. Mais les pays hôtes sont souvent peu enclins, politiquement parlant, à prendre cette mesure de peur que les réfugiés ne prennent les emplois des nationaux. De fait, les réfugiés occupent souvent des emplois refusés par les nationaux et les protections accordées par les lois du travail peuvent aider à juguler la pression à la baisse sur les salaires qui résulte du travail informel.

Même dans les pays comme la Turquie et la Jordanie qui donnent aux réfugiés un permis de travail, il n'est pas rare que des restrictions existent, qu’il s’agisse de quotas, de restrictions d'accès aux emplois plus qualifiés, ou encore de mesures comme les restrictions géographiques ou le fait de lier les autorisations de travail à un parrainage par une personne locale. Interdits de travail légal, les réfugiés syriens de Jordanie et du Liban dépendent largement d'une aide humanitaire insuffisante et sombrent plus encore dans la dette et la pauvreté – ce qui complique davantage l'envoi de leurs enfants à l'école.

Des alternatives sont possibles. En Ouganda, où environ 500 000 réfugiés sont autorisés à travailler, choisissent où ils veulent vivre et ont accès aux écoles publiques, seul 1 % des intéressés est entièrement dépendant des aides.

Réponse au niveau mondial

S'il a fallu plusieurs décennies à la communauté internationale pour reconnaître l'importance de l'éducation dans l'action humanitaire, de récentes promesses pourraient, si elles sont tenues, aider à limiter les pertes en matière d’éducation des enfants déplacés.

En mai 2016, les donateurs d'aide humanitaire et les agences des Nations Unies ont lancé l'initiative Education Cannot Wait (« L’éducation ne peut attendre »), un fonds mondial qui ambitionne de recueillir 3,85 milliards de dollars d'ici 2020 pour soutenir l'éducation de 75 millions d'enfants et de jeunes personnes touchés chaque année par des situations d'urgence.

En septembre 2016, lors d’un sommet sur les réfugiés parrainé par les États-Unis à l'ONU, les pays participants ont pris des engagements qui, selon la Maison Blanche, permettraient d'améliorer l'accès au travail légal pour 1 million d'adultes réfugiés et l'accès à l'éducation pour 1 million d'enfants réfugiés. Parallèlement, la Commission de l'éducation des Nations Unies a fixé des objectifs précis et plusieurs échéanciers pour permettre aux gouvernements d'offrir à tous d’ici 2030 une éducation secondaire gratuite, équitable et de qualité. Tous les États membres des Nations Unies se sont engagés à atteindre cet objectif qui fait partie des 17 Objectifs de développement durable adoptés en septembre 2015.

Ces bonnes nouvelles doivent cependant être relativisées. L'attention des donateurs vis-à-vis de l'éducation s'est souvent révélée versatile par le passé. En 2010, les investissements domestiques et les contributions des bailleurs de fonds à ce secteur ont considérablement diminué lorsque les donateurs ont réduit les budgets consacrés à l'aide extérieure ou réorienté les fonds existants vers d'autres secteurs.

Une plus grande transparence est aussi nécessaire pour inciter les bailleurs de fonds à respecter leurs engagements. En février 2016, des donateurs se sont engagés à un soutien pluriannuel de plus de 11 milliards de dollars pour répondre à l'urgence du conflit syrien et atteindre des objectifs ambitieux, telle la scolarisation universelle dans les pays d'accueil des réfugiés d'ici 2017. Des centaines de millions de dollars ont déjà été versés, mais en août 2016 un rapport a révélé que la plupart des bailleurs de fonds « ne répondaient pas aux critères les plus élémentaires de transparence ».

Solutions pour l’avenir

Il est indispensable et urgent que les gouvernements touchés par les crises protègent l'enseignement secondaire des attaques qu'il subit, imaginent des solutions alternatives sûres et accessibles à tous pendant les périodes de violence et veillent à ce que leurs propres forces armées n'utilisent pas les écoles à des fins militaires.

Les gouvernements et les acteurs humanitaires doivent s'attaquer aux causes du décrochage scolaire chez les enfants déplacés les plus âgés, répondre aux besoins des filles et des enfants handicapés et apporter une aide à ceux qui étudient des programmes qu’ils ne connaissent pas ou qui sont enseignés dans une langue qui n’est pas la leur.

Les acteurs humanitaires et les bailleurs de fonds qui répondent aux crises humanitaires doivent tenir compte de l'augmentation des déplacements de population pour une longue durée et faire de l'enseignement secondaire une partie intégrante de leurs plans d'intervention. Il est urgent de prévoir un financement transparent, soutenu et pluriannuel des programmes d'éducation pour permettre aux enfants, et en particulier aux filles, d'accéder au secondaire et de terminer ce cycle d'études.

Le lien entre pauvreté et éducation doit également être abordé. Pour réduire la pauvreté et permettre aux familles de payer les coûts de scolarité, les pays d'accueil doivent permettre aux réfugiés de travailler légalement. Les pays donateurs doivent aussi veiller à ce que les les efforts d’intégration économique soient financés en parallèle avec la planification de l'éducation, de sorte que les familles n'aient pas à s'appuyer sur le travail de leurs enfants et puissent les envoyer à l'école s’ils sont en âge de suivre un enseignement secondaire.

Les pays d'accueil doivent également revoir les procédures d’autorisations de séjour et les restrictions qu’ils imposent à la liberté de mouvement, qui empêchent les enfants d’accéder à l'enseignement secondaire et compromettent leur avenir. Outre le statut d'immigrant de ces enfants, les gouvernements qui accueillent les enfants étrangers sur leur territoire doivent les autoriser à accéder légalement à l'enseignement secondaire ou à la formation professionnelle sur une base d'égalité avec les ressortissants nationaux, en faisant en sorte que les règles d’immigration, tels le permis de résidence, n’interfèrent pas avec l’inscription à l'école.

Les pays d'accueil doivent également s’assurer que les plans nationaux d'éducation contiennent des dispositions pour l'éducation des réfugiés et veiller à accueillir les enfants qui n'ont pas de papiers officiels en faisant preuve de flexibilité en matière d'inscription. Au lieu d'exiger des relevés de notes, l’organisation d'examens d'admission est une façon simple de s'assurer que les enfants ne sont pas exclus de l'enseignement secondaire en raison de facteurs indépendants de leur volonté.

Les pays d'accueil doivent reconnaître que les enfants plus âgés méritent la même protection et le même soutien que ceux offerts aux enfants du primaire et que la priorité est leur scolarisation. Continuer à ignorer leurs besoins serait une grave erreur.