Skip to main content

Rapport mondial 2016 : Égypte

Événements de 2015

Démolition par l'armée égyptienne en octobre 2013 d’un bâtiment à Rafah, dans la péninsule du Sinaï, à proximité la frontière avec la bande de Gaza, dans le cadre d’une politique d’expulsions forcées critiquée dans un rapport de HRW publié en septembre 2015.
 

Le Président Abdel Fattah al-Sissi, qui a pris ses fonctions en juin 2014, un an après le renversement de Mohamed Morsi, le premier président démocratiquement élu de l’histoire de l’Égypte, dirige un pays toujours en crise. Les autorités ont emprisonné des dizaines de milliers de personnes, ont de fait interdit les manifestations, et ont proscrit le plus grand mouvement d'opposition du pays, les Frères musulmans. Les tribunaux ont condamné des centaines de personnes à la peine de mort, dont Morsi, à l’issue de procès inéquitables.

Dans la péninsule du Sinaï, située au nord du pays, les combats entre le gouvernement et un groupe affilié au groupe armé extrémiste État islamique (EI, également connu sous le nom de Daech) se sont intensifiés, bien que l’Égypte ait engagé des forces supplémentaires importantes. Le gouvernement a affirmé que l’armée avait tué des milliers de « terroristes » dans le Sinaï mais n’a autorisé aucun observateur indépendant à se rendre dans la zone de conflit, et les habitants ont déclaré que l’armée avait tué un nombre indéterminé de civils.

Al-Sissi a promulgué une loi antiterroriste à vaste portée qui a élargi les pouvoirs des autorités. Les forces de l’ordre, en particulier l’Agence de sécurité nationale du Ministère de l’Intérieur, ont commis des actes de torture et des disparitions forcées, et les décès en détention ont continué de se produire. Les procès de masse ciblant principalement des membres des Frères musulmans n’ont pas établi de culpabilité individuelle. Au moins 3 000 personnes ont été accusées ou condamnées dans des tribunaux militaires.

Les autorités ont continué de restreindre la liberté d’expression et d’association en menant des enquêtes sur des organisations non gouvernementales (ONG) indépendantes, en arrêtant des personnes suspectées d’être homosexuelles ou transsexuelles, et en engageant des poursuites contre des personnes accusées de diffamation de la religion.

Groupes armés et antiterrorisme

Une constellation de groupes rebelles dans toute l’Égypte, y compris le groupe affilié à l’EI et connu sous le nom de Province du Sinaï, ont considérablement intensifié leurs attaques qui sont passées de 30 par jour en moyenne tout au long de l’année 2014 à 100 par jour entre janvier et août 2015, selon l’Institut Tahrir pour la politique du Moyen-Orient (Tahrir Institute for Middle East Policy), basé à Washington. Si les civils ont rarement été la cible d’attaques, il y a eu trois fois plus de tués en 2015 qu’en 2014, selon l’Institut Tahrir. Le 29 juin dernier, le Procureur général Hicham Barakat a été tué dans un attentat à la voiture piégée au Caire. Il fut le premier haut-fonctionnaire du gouvernement à être assassiné depuis 1990.

Le gouvernement égyptien a indiqué que ses opérations antiterroristes au Nord-Sinaï avaient tué au moins 3 091 « terroristes » entre janvier et juillet 2015. Le gouvernement n’a pas autorisé d’observateurs indépendants à pénétrer dans la zone de combat et n’a reconnu aucune mort de civils dans le Sinaï. En septembre, les forces de sécurité égyptiennes ont tué 12 civils, dont huit touristes mexicains, dans la région désertique de l’ouest du pays, après avoir semble-t-il pris par erreur leur convoi touristique pour des combattants de l’EI. Les procureurs enquêtant sur l’incident ont imposé le silence aux médias quatre jours plus tard.

Entre octobre 2014 et août 2015, les forces armées ont démoli 2 715 bâtiments et expulsé des milliers de familles à la frontière de la bande de Gaza, violant le droit en matière de droits humains et peut-être aussi les lois de la guerre. Le gouvernement a prétendu qu’une « zone tampon » à cet endroit éliminerait le passage de contrebande d’armes et de combattants en provenance de Gaza.

Al-Sissi, qui a gouverné sans parlement pendant la plus grande partie de l’année, a promulgué en août une loi antiterroriste qui confère aux procureurs de plus grand pouvoirs pour placer en détention des suspects sans contrôle judiciaire, et pour ordonner la surveillance à durée potentiellement illimitée de personnes suspectées de terrorisme, sans devoir obtenir au préalable une ordonnance du tribunal. La loi a autorisé une amende de 64 000 dollars US et la possibilité de se voir interdir d’exercer pendant un an pour toute personne publiant des informations relatives au terrorisme si elles contredisent les déclarations officielles du ministère de la Défense.

Exactions commises par les forces de sécurité

Le 1er juillet, une unité de police spéciale agissant sur la base d’informations de l’Agence de sécurité nationale du ministère de l’Intérieur a fait une descente dans un appartement dans une banlieue du Caire et a tué neuf responsables des Frères musulmans. Le gouvernement a affirmé que les neuf hommes appartenaient à un « comité d’opérations spéciales » et qu’ils étaient morts dans une fusillade. Mais des proches ont déclaré que les hommes ne portaient pas d’armes, et Human Rights Watch a constaté que les décès pourraient avoir constitué des exécutions extrajudiciaires.

Des membres de la Sécurité nationale se sont rendus coupables d’un grand nombre de disparitions forcées, prenant souvent pour cible des militants politiques. Human Rights Watch a documenté les cas de cinq disparitions forcées, et de deux disparitions forcées probables, entre avril 2014 et juin 2015. Dans trois de ces cas, les personnes disparues sont décédées. L’organisation égyptienne de défense des droits humains « Freedom for the Brave » (Liberté pour les courageux), a documenté 164 cas de disparitions forcées entre avril et juin.

L’Agence de sécurité nationale a interdit de voyager à de très nombreux Égyptiens, notamment des activistes, des politiciens et des universitaires. Elle a prononcé cette interdiction avec peu, voire aucun, contrôle de la part de juges ou de procureurs, et n’a fourni aux personnes frappées de cette interdiction aucun moyen de contester la décision, violant ainsi le droit fondamental international à la liberté de mouvement.

La police recourt régulièrement à la torture au cours de ses enquêtes. Un rapport de janvier 2015 d’un cabinet juridique égyptien spécialisé dans les droits humains a indiqué que ses avocats avaient interrogé 465 victimes présumées d’actes de torture et de mauvais traitements commis par la police entre octobre 2013 et août 2014, et avaient déposé 163 plaintes auprès du parquet. Seules sept de ces plaintes sont parvenues jusqu’aux tribunaux.

Responsabilité juridique

Le 11 juin dernier, un tribunal égyptien a condamné un lieutenant des Forces de la sécurité centrale à une peine de 15 ans de prison pour le meurtre de Shaimaa al-Sabbagh, membre d’un parti politique socialiste tuée par balle lorsque la police a dispersé une petite manifestation sur une place du centre du Caire le 24 janvier. Avec ce verdict, c’est la première fois depuis le renversement de Morsi en juillet 2013 qu’un agent de police en Égypte s’est vu infliger une peine de prison pour avoir tué un manifestant, alors que des centaines de personnes ont été tuées de la même manière.

Au moment de la rédaction de ce rapport, aucun membre du gouvernement ni des forces de sécurité n’a été inculpé pour le meurtre d’au moins 817 manifestants sur la place de Rabia el-Adaouïa au Caire le 14 août 2013, constituant probablement un crime contre l’humanité. Le 13 août, un tribunal a réduit de moitié une peine de 10 ans de prison prononcée à l’encontre d’un policier qui avait participé à l’asphyxie par gaz lacrymogènes de 37 personnes arrêtées par la police à la place Rabia.

Détentions

En octobre, le ministère de l’Intérieur a annoncé que près de 12 000 personnes avaient été arrêtées sur des accusations de terrorisme en 2015, venant s’ajouter aux 22 000 personnes qui, selon des membres des forces de sécurité, étaient déjà en état d’arrestation en juillet 2014. Les chiffres réels sont probablement plus élevés ; le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux a documenté plus de 41 000 arrestations, inculpations ou condamnations entre juillet 2013 et mai 2014.

Le 23 septembre, al-Sissi a gracié 100 prisonniers, notamment de jeunes activistes – dont certains en mauvaise santé – et les journalistes d’Al Jazeera Mohamed Fahmy et Baher Mohamed, mais de nombreux prisonniers politiques n’ont pas bénéficié de grâces, notamment Ahmed Maher et Mohamed Adel, fondateurs du Mouvement de jeunes du 6 avril ; Mahienour al-Masry, un avocat des droits humains d’Alexandrie ; et au moins 18 journalistes, dont le photographe Mahmoud Abu Zeid, arrêté par la police en août 2013 et dont le procès s’est ouvert en décembre.

La Coordination égyptienne pour les droits et les libertés, une organisation indépendante, a documenté 47 morts en détention entre janvier et juin, et a indiqué dans un rapport du mois d’octobre que 209 détenus étaient décédés par suite de négligence médicale depuis l’arrivée d’al-Sissi au pouvoir en juin 2014.

Violations des procédure régulière et condamnations à mort collectives

Le 16 juin, une cour pénale a condamné Morsi et 114 autres personnes à la peine de mort dans deux procès liés, en s’appuyant presqu’uniquement sur le témoignage de membres des services de sécurité, qui ont affirmé que Morsi et les Frères musulmans avaient conspiré avec le Hamas et le Hezbollah pour s’évader de prison durant le soulèvement de 2011 et avaient tué des policiers au cours de l’opération. Human Rights Watch a constaté que les procureurs n’avaient présenté aucun élément de preuve pour appuyer le témoignage des membres des services de sécurité et que l’affaire semblait reposer sur des motifs politiques.

Depuis le renversement de Morsi, les tribunaux ont prononcé au moins 547 condamnations à mort en première instance, en lien avec des violences politiques, impliquant pour la plupart des membres des Frères musulmans. Presque toutes ces peines étaient en instance d’appel en 2015. L’État a procédé à une exécution dans une affaire de violence politique en mars et a exécuté en mai six autres hommes accusés d’appartenir à une cellule militante et d’avoir tué des membres de l’armée lors d’une fusillade, à la suite d’un procès militaire inéquitable.

Les procès collectifs ont également impliqué des personnes n’appartenant pas aux Frères musulmans. En février, un juge a condamné à perpétuité l’activiste Ahmed Douma, la défenseure des droits des femmes Hend al-Nafea, et 228 autres personnes pour avoir participé à une manifestation en décembre 2011.

Entre janvier et septembre 2015, les autorités ont inculpé ou condamné au moins 3 164 personnes – des membres présumés des Frères musulmans pour la plupart – dans des tribunaux militaires.

Liberté d’association, d’expression et de réunion

Le gouvernement n’a pas donné suite à un ultimatum de novembre 2014 visant à forcer les ONG indépendantes à s’enregistrer en vertu d’une loi contraignante de 2002, mais il intensifié les pressions sur ces organisations. En juin, des enquêteurs gouvernementaux se sont rendus au bureau de l’Institut du Caire pour les études dans le domaine des droits humains (Cairo Institute for Human Rights Studies) et ont réclamé des documents financiers et d’enregistrement. Des agents de la Sécurité nationale ont empêché Mohamed Lotfy, directeur exécutif de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, de se rendre en Allemagne en juin pour participer à une table ronde au Parlement allemand.

Liberté de religion

En février et mars, des tribunaux ont prononcé des peines de prison à l’encontre de deux hommes, qui ont ensuite pris la fuite, pour avoir supposément soutenu l’athéisme en ligne. En juin, des procureurs du gouvernorat de Beni Suef ont ordonné l’arrestation d’un homme de la région pour avoir semble-t-il publié des caricatures en ligne insultant le Prophète Mahomet. En octobre, une cour d’appel a confirmé une peine de cinq ans de prison contre le présentateur de télévision Islam al-Behery pour outrage à la religion, mais al-Behery a fait appel du jugement devant une juridiction supérieure.

En juin, l'Initiative égyptienne pour les droits de l'individu, une organisation indépendante, a publié une étude documentant 51 attaques sectaires depuis le soulèvement de 2011 qui ont été réglées par la « réconciliation coutumière », un processus extrajudiciaire soutenu par les services de sécurité, qui ne tient pas compte du droit égyptien et qui permet souvent aux services de sécurité d’imposer des conditions aux chrétiens coptes.

Violence et discrimination contre les femmes

Le 26 janvier, un tribunal égyptien a prononcé pour la première fois une condamnation pour mutilation génitale féminine (MGF), pratique qui demeure largement répandue bien qu’elle ait été rendue illégale en 2008. Le tribunal a condamné le docteur à deux ans de prison pour homicide involontaire et le père à trois mois de prison aves sursis.

En avril, le gouvernement a publié sa stratégie nationale quinquennale pour combattre la violence contre les femmes. Cette stratégie comprenait davantage de refuges pour les femmes, une meilleure collecte de l’information dans les différents ministères gouvernementaux et un nouveau manuel de formation destiné aux procureurs et aux agents de police. Mais la stratégie définissait également le viol comme « avoir des rapports sexuels avec une personne de sexe féminin sans son consentement », ce qui n’inclut pas le viol anal ni la pénétration avec un objet, et elle n’a fait aucune mention d’agressions sexuelles par des agresseurs multiples, qui sont pourtant un énorme problème en Égypte, ni d’agressions sexuelles par des agents de police.

Orientation sexuelle et identité de genre

En janvier, un tribunal a acquitté 26 hommes qui avaient été accusés de débauche en lien avec une descente dans un établissement de bains qui serait fréquentés par des homosexuels, mais en février, des inspecteurs des mœurs ont arrêté sept transsexuels présumés qui s’étaient rencontrés dans un club du Caire pour fêter l’anniversaire d’un ami. La police a également arrêté en mai deux transsexuels présumés sur des accusations de prostitution ainsi que onze homosexuels présumés, également accusés de prostitution, en septembre.

Les autorités égyptiennes infligent régulièrement aux homosexuels présumés, arrêtés pour « débauche » ou « atteinte aux bonnes mœurs », des examens anaux forcés, ce qui équivaut à de la torture.

Réfugiés, demandeurs d’asile et migrants

L’Égypte accueillait 236 090 réfugiés et 25 631 demandeurs d’asile en décembre 2014, date la plus récente à laquelle le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a fourni des données chiffrées. Environ 130 000 de ces réfugiés étaient Syriens, selon le HCR. L’Égypte doit encore élaborer des procédures et des institutions nationales d’asile, et le conflit politique qui sévit dans le pays expose les réfugiés et les demandeurs d’asile à un risque d’arrestation arbitraire, d’expulsion et de harcèlement, selon le HCR.

A plusieurs reprises, les forces de sécurité égyptiennes ont tiré sur des réfugiés tentant d’embarquer depuis la côte située au nord du pays sur des bateaux de passeurs pour traverser la mer Méditerranée. En août, une fillette de huit ans, que l’on pense être syrienne, aurait été tuée au cours d’un de ces incidents.

Environ 3 000 à 4 000 réfugiés palestiniens de Syrie ayant fui le pays depuis 2011 se trouvaient encore en Égypte au mois de septembre, selon des sources de l’ONU.

Principaux acteurs internationaux

En mars, les États-Unis ont annoncé qu’ils reprendraient les livraisons d’importants équipements militaires qu’ils avaient suspendus après le renversement de Morsi. Cette décision a permis aux États-Unis d’envoyer douze avions de combat F-16, vingt missiles Harpoon, et 125 chars M1A1. Les États-Unis avaient livré auparavant dix hélicoptères Apache en décembre 2014 pour soutenir les efforts de l’Égypte contre le terrorisme. Mais le Président Barack Obama a annoncé qu’il mettrait fin à la possibilité pour l’Égypte d’acheter du matériel militaire américain à crédit et qu’il limiterait l’aide militaire à quatre secteurs — la Péninsule du Sinaï, la lutte antiterroriste, la sécurité des frontières et la sécurité maritime — à partir de 2018.

En août, les États-Unis ont tenu leur premier dialogue stratégique avec l’Égypte depuis 2009. Après la réunion au Caire, le Secrétaire d’État John Kerry a déclaré que l’Égypte et les États-Unis étaient en train de revenir à « une base plus forte » mais qu’il avait été « on ne peut plus clair » sur les préoccupations relatives aux droits humains et qu’il avait soulevé la question de la radicalisation « qui peut se produire par le biais de l’emprisonnement. »

Au cours de l’année, al-Sissi s’est rendu à Berlin, Paris et Londres. En juillet, la France a entamé la livraison de 24 avions de combat Rafale que l’Égypte a achetés en février. En septembre, l’Égypte a acheté deux navires de guerre français Mistral, qui sont plus sophistiqués que les autres forces navales présentes du Moyen Orient.

En mars, l’Égypte s’est jointe à l’intervention militaire menée par l’Arabie saoudite dans le conflit du Yémen, envoyant quatre navires de guerre dans le Golfe d’Aden. L’ampleur de l’engagement des troupes égyptiennes dans l’intervention est restée imprécise, et l’armée a nié avoir déployé des forces terrestres.

En février, un groupe affilié à l’EI en Libye a décapité vingt Coptes chrétiens égyptiens qu’il avait enlevés au cours des deux mois précédents. L’Égypte a répliqué en déclenchant des frappes aériennes contre les forces affiliées à l’EI à Derna qui ont tué au moins sept civils.