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Rapport mondial 2015 : Yémen

Événements de 2014

Des rebelles houthistes à bord d'une camionnette à Sanaa, au Yémen, le 21 septembre 2014.

© 2014 Reuters

Le fragile gouvernement de transition qui a succédé au Président Ali Abdullah Saleh en 2012, à la suite de manifestations massives, n'a passu répondre aux multiples défis relatifs aux droits humains en 2014. Les nombreuses violations commises par le gouvernement précédent persistent encore : les abus perpétrés dans le cadre de divers conflits armés, la discrimination contre les femmes en toute légalité, l’applicabilité de la peine de mort aux délinquants juvéniles, le mariage des enfants, le recours aux enfants soldats, les attaques contre les journalistes, la détention illégale, la traite des migrants, ainsi que le manque d’obligation de rendre des comptes pour es de ces violations.

Toutes les parties engagées ont commis des violations des lois de la guerre lors des affrontements qui ont éclaté à plusieurs reprises dans différentes parties du pays en 2014. Ces affrontements ont impliqué de multiples acteurs, notamment les forces yéménites armées, des rebelles houthistes, des combattants islamistes et le groupe islamiste armé Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).

En septembre, à la suite d’incidents au cours desquels les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force contre les manifestants houthistes, un conflit armé de quatre jours a secoué Sanaa lorsque les forces armées houthistes ont pris le contrôle de la capitale. Les affrontements dans Sanaa ont pris fin le 21 septembre avec la signature d'un accord de paix, la démission du Premier ministre et la formation d'un nouveau gouvernement en novembre.

À septembre 2014, 334 512 personnes à travers le Yémen étaient officiellement répertoriées comme déplacées internes en raison des affrontements.

Obligation de rendre compte

Le parlement du Yémen a voté en janvier 2012 pour accorder à l'ancien président Ali Abdullah Saleh et à ses collaborateurs l’immunité contre les poursuites. En septembre 2012, cependant, le successeur de Saleh, le président Abdrabuh Mansour Hadi, a décrété la création d'une commission indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de violations de droits humains commises pendant le soulèvement de 2011 et de recommander des mesures pour obliger leurs auteurs à rendre des comptes et accorder des réparation aux victimes. En novembre 2014, Hadi n’avait pas encore nommé les membres de la commission d’enquête et aucun progrès n’avait été réalisé.

Le gouvernement a omis de mettre en œuvre les réformes de droits humains recommandées à la Conférence de dialogue national (CDN) de 10 mois qui s’est terminée en janvier 2014. La CDN a fait des centaines de recommandations de droits humains et autres pour des réformes juridiques et liées à la rédaction d'une nouvelle constitution. Cependant, le gouvernement n'a pris aucune mesure significative afin d’aborder la question de l’obligation de rendre des comptes pour les violations passées des droits humains en établissant une institution nationale chargée des droits humains ou en adoptant une loi de justice transitionnelle, comme la CDN l’avait recommandé.

En réponse aux recommandations de la CDN, en juin, la ministre des Affaires sociales et du Travail et le ministre des Affaires juridiques ont présenté conjointement un projet de loi sur la justice transitionnelle pour examen par le cabinet. En novembre, celui-ci ainsi qu’un autre projet de loi sur les fonds pillés n’avaient pas encore été transmis au Parlement par le cabinet.

Attaques contre des travailleurs de la santé

Selon les rapports des médias, des militants de l’AQPA ont pris le contrôle d’un hôpital et de deux centres médicaux dans le gouvernorat de Shabwa dans le sud du Yémen le 20 avril, à la suite d’une série de frappes aériennes gouvernementales qui visaient des camps d'entraînement de l’AQPA dans la région. Après avoir évacué de force le personnel médical de l'hôpital, les militants de l’AQPA auraient amené un certain nombre de leurs propres médecins pour traiter les blessés. En outre, selon les médias yéménites, des militants présumés de l'AQPA ont ouvert le feu sur un minibus transportant des membres du personnel d'un hôpital militaire à Aden, dans le sud du Yémen, le 15 juin, tuant au moins six personnes et en blessant au moins neuf autres. Human Rights Watch n'a pas été en mesure de vérifier ces rapports de manière indépendante.

Droits des femmes et des jeunes filles

Les femmes au Yémen subissent de graves discriminations en droit et en pratique. Les femmes ne peuvent pas se marier sans la permission de leur tuteur ; elles n’ont pas l'égalité des droits au divorce, à l'héritage, ou à la garde des enfants ; et un manque de protection juridique les expose à la violence domestique et sexuelle. La CDN a produit de nombreuses recommandations pour soutenir les droits des femmes et des filles.

En réponse, en avril, la ministre des Affaires sociales et du Travail ainsi que le ministre des Affaires juridiques, ont présenté un projet de loi sur les droits de l'enfant au cabinet. Le projet de loi fixe l'âge minimum du mariage à 18 ans et prévoit des sanctions pénales allant de deux mois à un an de prison ainsi qu'une amende allant jusqu'à 400 000 Riyals yéménites (1 860 dollars américains) pour toute personne autorisée qui établit un contrat de mariage en sachant qu’au moins une des deux personnes est âgée de moins de 18 ans. Les témoins ou les signataires du contrat de mariage, notamment les parents ou d'autres tuteurs qui savent qu’au moins une partie est âgée de moins de 18 ans encourent une peine allant d’un à trois mois de prison ainsi qu'une amende comprise entre 100 000 YER (460 dollars américains) et 250 000 YER (1 160 dollars américains).

Le projet de loi aborde également d'autres droits importants pour les filles et les femmes, notamment la criminalisation de la pratique des mutilations génitales féminines, avec des peines allant de un à trois ans de prison et une amende pouvant aller jusqu'à 1 million de YER (4 644 dollars américains) pour les personnes qui effectuent l’excision. La loi était toujours en suspens au parlement au moment de la rédaction du présent rapport.


Les enfants et le conflit armé

Le projet de loi sur les droits de l’enfant aborde également le recrutement d'enfants soldats et le travail des enfants. Les articles 162 et 250 (b) interdisent l'utilisation ou le recrutement d'enfants soldats, imposant une amende pouvant aller jusqu'à 300 000 YER (1 393 dollars américains).

Un plan d’action a été signé en mai entre le gouvernement du Yémen et les Nations Unies, afin d’empêcher et de faire cesser le recrutement d’enfants par les forces armées yéménites. Ce plan comprend la réforme de lois nationales, la délivrance d’ordres militaires interdisant le recrutement et l'utilisation d'enfants, enquêter sur les allégations de recrutement et aider à la réintégration des enfants soldats dans leurs communautés. Selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, l'UNICEF, le gouvernement a déjà pris des mesures concrètes pour mettre le plan en œuvre.

Selon le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement, les conflits armés dans Amran, Sanaa et Shabwa ont conduit à la détérioration ou la destruction d'au moins 41 écoles ainsi qu’à l'occupation par des forces armées d'au moins six écoles en 2014. En outre, 31 écoles ont été utilisées pour abriter les personnes déplacées internes. Pour le seul mois de novembre, les affrontements dans Ibb ont poussé les autorités à fermer temporairement 169 écoles accueillant 92 000 élèves, pour les rouvrir une semaine plus tard. Dans Al Bayda, 11 écoles de Rada restaient fermées en date du 31 octobre, laissant 6 000 élèves sans cours auxquels participer.

Frappes de drones menées par les États-Unis

Les États-Unis ont poursuivi leur campagne basée sur le recours aux drones contre des membres présumés de l'AQPA. Des groupes de recherche indépendants ont signalé 23 frappes de drones américaines au Yémen entre janvier et novembre. Les États-Unis sont demeurés réticents quant à publier des informations de base sur les attaques, notamment le nombre de personnes tuées ou blessées par les frappes, combien d'entre elles étaient des civils et quelles frappes, le cas échéant, ont-ils jugées comme étant illégales.

Auparavant, en décembre 2013, un drone américain a frappé une procession de mariage, tuant 12 personnes et en blessant au moins 15 autres. Une enquête de Human Rights Watch a conclu que certains, sinon la totalité, des morts étaient des civils. En août 2014, des preuves ont indiqué que les familles des personnes tuées lors de la frappe contre le mariage ont reçu un total de plus d’1 million de dollars américains en compensation de la part du gouvernement yéménite. Auparavant, une indemnisation n'a été fournie par le gouvernement yéménite que lorsque les personnes tuées étaient des civils.

Utilisation illégale de mines terrestres

En novembre 2013, le gouvernement a admis, en réponse aux rapports de Human Rights Watch et d'autres organisations, qu'une « violation » de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel avait eu lieu en 2011 pendant le soulèvement qui a finalement renversé le gouvernement Saleh. Les forces de la Garde républicaine fidèles au gouvernement Saleh ont posé des milliers de mines antipersonnel en 2011 à Bani Jarmooz, au nord-est de Sanaa, faisant de nombreuses victimes civiles.

En tant que partie à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, le Yémen s’est engagé à ne jamais utiliser de mines antipersonnel en aucun cas, et à prévenir et réprimer toute activité interdite. Au moins 15 gouvernements ont exprimé leur préoccupation quant à l'utilisation des mines au Yémen. En juin, lors de la troisième Conférence d'examen de la Convention, le Yémen a déclaré que le parquet militaire avait ouvert une enquête pour identifier les responsables.

En mars 2014, le Yémen a fourni au président de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel un rapport intérimaire qui a présenté des plans pour la dépollution, le marquage, l'éducation aux risques et l'aide aux victimes concernant les mines de Bani Jarmooz. En octobre, Human Rights Watch a été informé par la population locale que des soldats conduisaient des opérations de déminage dans l'une des zones contaminées. Les soldats ont également érigé des panneaux d'avertissement dans la région. Cependant, dans une zone contaminée voisine il n'y a pas eu de déminage ni de marquage. Les riverains ont affirmé qu'ils n’avaient reçu aucune sensibilisation aux risques ni d'assistance aux victimes.

Depuis avril 2013, Human Rights Watch a enregistré au moins sept nouveaux incidents de victimes civiles causés par des mines terrestres, dont un décès. Depuis la fin de 2011, les mines dans la région ont tué au moins deux civils et en ont blessé vingt autres.

En septembre 2014, le Bureau des Nations Unies chargé de la coordination des affaires humanitaires a indiqué que le Centre d'action antimines yéménite a suspendu 30 % de ses activités de contrôle et de déminage hautement prioritaires en raison d'un manque de fonds.

Traite des êtres humains

Depuis 2006, et surtout depuis un affaiblissement du contrôle gouvernemental dans certaines régions à la suite du soulèvement de 2011, la traite des êtres humains a prospéré au Yémen. Les trafiquants retiennent les migrants africains dans des camps de détention, en les torturant pour extorquer de l'argent à leur famille, souvent avec la complicité des autorités locales. Suite à la publication d'un rapport de Human Rights Watch documentant l'industrie de la traite, le gouvernement a déclaré avoir entrepris un certain nombre d’opérations contre les trafiquants.

Il a également demandé l'aide d’organisations internationales pour répondre aux besoins immédiats des migrants secourus et afin de faciliter le retour volontaire des personnes qui souhaitent rentrer chez elles. Selon les habitants de la région où les trafiquants exploitent leurs camps de détention, à compter de juillet 2014, les forces gouvernementales avaient cessé leurs raids, et les camps ont continué à fonctionner et à détenir un grand nombre de réfugiés en provenance de la Syrie ainsi que des migrants africains.

Attaques contre les journalistes

Dans la première moitié de 2014, la Freedom Foundation, une organisation yéménite qui surveille la liberté de la presse, a enregistré 148 attaques touchant les membres des médias, allant du harcèlement verbal et des menaces, de confiscations, du pillage, de la destruction de biens et de poursuites politisées à la détention illégale ainsi qu’un meurtre. Dans 47 % des cas signalés, les exactions ont été attribuées à l'État et ses agents. Dans la plupart des autres cas, le gouvernement n’avait pas condamné les attaques ni mené d’enquêtes, ou obligé les personnes responsables à rendre des comptes. Le gouvernement n'a pas non plus pris de plus amples mesures pour protéger les journalistes.

Peine de mort

Le Yémen conserve la peine de mort pour les assassinats et une série d'autres crimes mais les autorités ne publient aucune donnée sur son utilisation et n’annoncent pas les exécutions, qui sont normalement effectuées par un peloton d'exécution. Dans le passé, le Yémen a exécuté des délinquants mineurs — les personnes condamnées pour des crimes commis alors qu'elles avaient moins de 18 ans — mais sous la pression internationale, aucun mineur délinquant n’a été condamné à mort ni exécuté en 2014, pour autant que Human Rights Watch ne le sache.

Principaux acteurs internationaux

Lors de leur septième réunion de niveau ministériel en février, les 39 pays et 8 organisations internationales qui composent les Amis du Yémen ont convenu d'une nouvelle structure pour mettre en accord le soutien à l’égard du Yémen avec les priorités établies par la CDN. Ce qui a engendré la création de groupes de travail afin de soutenir les réformes économiques, politiques et sécuritaires nécessaires pour parvenir à la transition démocratique du Yémen, et un accord sur la répartition de la plus grande partie de l'aide financière d'environ 7,9 milliards de dollars américains déjà promis.

Les États-Unis, le plus grand bailleur de fonds non-arabe, a alloué 142,6 millions de dollars d'aide bilatérale au Yémen pour 2014.

Depuis mai 2012, le président américain Barack Obama a mis en place un décret permettant au Département du Trésor de geler les avoirs de toute personne qui « entrave » la mise en œuvre de la transition politique au Yémen. La mise en œuvre de ce décret devait prendre fin avec les élections présidentielles yéménites en 2014.

En octobre 2014, pour la sixième année consécutive, Obama a formulé une exemption complète permettant au Yémen de recevoir une assistance militaire, malgré des rapports d'utilisation d'enfants soldats par diverses forces, notamment les troupes gouvernementales et les milices progouvernementales.

Le 26 février, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2140, qui a établi un régime de sanctions comprenant un gel des avoirs et des interdictions de voyage pour les personnes qui sapent la transition politique, qui entravent la mise en œuvre du rapport final de la CDN par la violence ou des attaques contre les infrastructures essentielles, ou portant la responsabilité de violations du droit international humanitaire et de violations du droit international des droits humains au Yémen. En novembre, le Comité des sanctions du Yémen a imposé des sanctions à l’encontre de l'ancien président Saleh ainsi que de deux commandants houthistes comprenant une interdiction mondiale de voyage et le gel des avoirs.

En septembre, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a adopté une résolution sur le Yémen qui a souligné la nécessité de mener des enquêtes sur les violations passées, l’adoption d'une loi sur la justice transitionnelle et la création d'une institution nationale indépendante chargée des droits humains. Dans son rapport présenté au Conseil des droits de l'homme et publié en août 2014, le Haut-commissariat aux droits de l'homme a encouragé la communauté internationale à mettre en place un mécanisme international indépendant pour enquêter sur les violations des droits humains qui ont eu lieu en 2011.