Si la situation politique au Mali s’est stabilisée en 2014, de multiples attaques par divers groupes armés—partisans du gouvernement ou opposés à celui-ci—dans le nord du pays ont entraîné une nette dégradation sécuritaire dans les régions de Gao, Kidal et Tombouctou, où l’intervention menée par la France en 2013 avait eu pour objectif de rétablir l’autorité de l’État.
Tout au long de l’année 2014, des groupes armés affiliés à Al-Qaïda, ainsi que des mouvements d’ethnies touaregs et arabes, dont certains cherchaient à obtenir leur autonomie, ont considérablement accru le nombre d’attaques ciblant les soldats maliens et, malgré leur neutralité, les forces de maintien de la paix, ainsi que, dans une moindre mesure, les travailleurs humanitaires et d’autres civils. L’obtention d’un accord négocié, l’obligation de veiller à ce que justice soit rendue pour les exactions commises et la lutte contre les problèmes de développement sont autant de questions qui ont peu progressé.
En mai, le retrait de fonctionnaires et de militaires maliens de certaines villes clés du nord du pays, suite à une brève reprise des hostilités, a entraîné une hausse des tensions ethniques, privé de vastes territoires de toute autorité de l’État et provoqué une hausse significative des actes de banditisme commis par des tireurs non identifiés. Entretemps, la réforme du secteur de la sécurité ou le désarmement des combattants dans le Nord n’ont guère avancé.
Les autorités maliennes ont consenti peu d’efforts pour enquêter sur les personnes impliquées dans les graves exactions commises lors du conflit armé de 2012-2013 et pour veiller à ce qu’elles soient tenues de rendre compte de leurs actes. Cependant, les forces de sécurité étatiques ont commis moins d’exactions et l’enquête sur la torture et le meurtre de 21 soldats d’élite en 2012 a progressé. À travers le pays, les institutions chargées d’assurer l’État de droit ont fait preuve de faiblesses, en partie en raison du manque de professionnalisme de leurs pratiques et de l’insuffisance des budgets alloués au système de justice pénale. La corruption, endémique à tous les niveaux du gouvernement, a par ailleurs gêné l’accès des Maliens à l’éducation et aux soins de santé de base.
La communauté diplomatique a continué de s’intéresser au Mali en raison de préoccupations relatives à la dégradation de la situation sécuritaire et au retranchement de groupes affiliés à Al-Qaïda dans le nord du pays. Le gouvernement français a joué un rôle clé dans les questions d’ordre militaire ; l’Union européenne, dans la formation et la réforme du secteur de la sécurité ; et les Nations Unies, par l’intermédiaire de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dans les domaines que sont l’État de droit et la stabilité politique. Ces acteurs ont dans une large mesure rechigné à réclamer publiquement l’ouverture d’enquêtes sur les crimes passés et actuels. La mauvaise gouvernance économique du pays a poussé le Fonds monétaire international et la Banque mondiale à faire pression sur le gouvernement malien.
Exactions commises par des groupes armés dans le Nord
Depuis fin septembre 2013, des groupes armés d’opposition ont organisé plusieurs dizaines d’embuscades et d’attentats suicides, et déployé des dispositifs explosifs et des mines antipersonnel. La plupart de ces attaques visaient les troupes maliennes et françaises, même si d’autres ont ciblé des civils et des agents du maintien de la paix, en violation des lois de la guerre. Les mines antipersonnel placées sur les grands axes et les tirs de roquette lancés dans les principales villes du pays ont engendré un climat de peur parmi les civils, tuant et blessant un grand nombre d’entre eux. Plus de 30 Casques bleus des Nations Unies ont trouvé la mort dans des attaques.
En février, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) a enlevé cinq travailleurs humanitaires du Comité international de la Croix-Rouge, qui ont été libérés en avril à l’issue d’une opération militaire française. En mai, deux travailleurs humanitaires du Conseil norvégien pour les Réfugiés ont été tués lorsque leur véhicule a percuté un engin explosif improvisé près de Tombouctou.
En mai, une visite du Premier ministre au fief du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) à Kidal a déclenché une brève reprise des hostilités. Lors de ces affrontements, huit civils, dont six fonctionnaires, auraient été exécutés sommairement par les groupes armés qui occupaient Kidal.
La situation sécuritaire dans le Nord a été aggravée par des affrontements intercommunaux répétés, impliquant notamment des populations issues des groupes ethniques peuls, touaregs et arabes, et faisant des dizaines de morts. Au moment de la rédaction des présentes, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) détenait encore quatre otages : un Français, un Néerlandais, un Suédois et un détenteur de la double-nationalité britannique et sud-africaine. En 2014, deux otages, l’un français, l’autre algérien, seraient morts en captivité, tandis qu’étaient libérés deux Algériens qui avaient été capturés à Gao en 2012.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État
En 2014, le nombre d’atteintes commises par l’armée malienne a baissé, mais des militaires ont été impliqués dans plusieurs affaires de détention arbitraire, un cas de recours excessif à la force en réponse à une manifestation à Kidal, et plusieurs exécutions sommaires, ciblant en grande partie des hommes touaregs. La hiérarchie militaire a consenti certains efforts pour enquêter sur les militaires impliqués dans plusieurs de ces incidents et veiller à ce qu’ils soient tenus de rendre compte de leurs actes. Des membres des forces de sécurité ont également été impliqués dans des actes d’extorsion, de pots-de-vin et, dans une moindre mesure, de viol.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises lors du conflit armé de 2012-2013
Le gouvernement a fait peu de progrès quant à l’obligation de rendre des comptes pour les membres de factions belligérantes responsables d’atteintes aux lois de la guerre lors du conflit armé de 2012-2013. La liberté provisoire que le gouvernement a accordée en 2014 à une quarantaine d’hommes associés au conflit, dont plusieurs commandants qui, d’après des preuves hautement crédibles, auraient été impliqués dans des exactions, a soulevé des questions relatives à une amnistie de facto pour ces crimes. Le gouvernement a qualifié les libérations, qui ont commencé fin 2013, de « mesures de confiance » à l’approche des pourparlers. Celles-ci ont eu lieu sans tenir compte du fait que les hommes auraient pu être les auteurs de crimes graves portant atteinte au droit international.
Des ordonnances adoptées par la Cour suprême en 2013 ont permis à un tribunal de Bamako d’entendre des affaires pénales émanant des trois provinces du nord du pays et, en 2014, des dizaines de familles ont déposé des plaintes auprès des autorités judiciaires. À quelques exceptions près, ces autorités n’ont enquêté sur aucune de ces affaires, ni sur aucun autre dossier que des groupes de défense des droits humains et des journalistes leur avaient signalé.
Des progrès significatifs ont cependant eu lieu au niveau de l’enquête sur la torture et la disparition forcée de 21 « Bérets rouges », des militaires d’élite, en 2012. Fin 2013 et début 2014, quelque 25 militaires, dont le général Amadou Haya Sanogo, auteur du coup d’État de 2012, ont été condamnés en rapport avec ces crimes.
En juillet 2012, le Mali, État partie à la Cour pénale internationale (CPI), a déféré « la situation au Mali depuis janvier 2012 » à la procureure de la CPI en vue de l’ouverture d’une enquête. Le 16 janvier 2013, celle-ci a formellement ouvert une enquête sur les crimes graves qui auraient été commis dans les trois régions du Nord et, en 2014, des enquêteurs de la CPI ont mené plusieurs missions dans le pays.
Mécanisme de recherche de la vérité et de réconciliation
Après avoir pris ses fonctions en septembre 2013, le Président Ibrahim Boubacar Keita a dissous une commission précédemment établie pour rechercher la vérité et, au moyen de deux arrêtés, instauré la Commission Vérité, Justice et Réconciliation ; le 20 mars, l’Assemblée nationale ratifiait ces arrêtés. Cette Commission, dont le mandat a été fixé à trois ans, couvrira la période allant de 1960 à 2013, et comprendra 15 membres et sept groupes de travail. Elle relèvera du ministère de la Réconciliation nationale et du développement des régions du Nord.
Fin 2014, les commissaires n’avaient toujours pas été désignés et la crédibilité de cette nouvelle instance était limitée, sa composition, ses pouvoirs et son degré d’indépendance n’ayant pas fait l’objet d’une consultation suffisante auprès d’un large éventail de parties prenantes.
Système judiciaire
Des progrès ont été réalisés en 2014 en matière de rétablissement du système judiciaire dans les régions de Tombouctou et de Gao, comme l’ont démontré la reprise des activités des tribunaux et prisons locaux et le redéploiement des procureurs, des juges et des membres de la police judiciaire qui avaient pris la fuite lors du conflit armé. Cependant, leur capacité à enquêter en dehors des grandes villes a été limitée par la précarité de la situation sécuritaire.
La négligence et la mauvaise gestion dont pâtit le système judiciaire malien à travers le pays ont entraîné des insuffisances graves, notamment un manque de personnel et des contraintes logistiques. Ces manques ont entravé les démarches destinées à résoudre le problème de l’impunité des auteurs de tous crimes et contribué à des atteintes au droit de bénéficier d’une procédure équitable.
Du fait de l’incapacité des tribunaux à traiter les dossiers de manière satisfaisante, des centaines de détenus font l’objet d’une détention prolongée en attendant d’être jugés, dans des prisons et des centres de détention surpeuplés. À Bamako, des juges mandatés pour enquêter sur des centaines de suspects détenus pendant l’offensive de reprise du nord du pays ont réalisé certains progrès, qui se sont traduits par la mise en liberté de dizaines d’hommes apparemment détenus de manière arbitraire, en grande partie à cause de leur ethnicité.
Recrutement d’enfants et travail des enfants
Des groupes armés dans le Nord ont continué de recruter et d’utiliser des enfants soldats, dont certains avaient tout juste 12 ans. En 2014, une vingtaine d’écoles du nord du pays ont été occupées à différents moments par des membres de groupes armés, de milices pro-gouvernement, de l’armée malienne et, dans un cas, de la MINUSMA. Plusieurs enfants soupçonnés d’avoir soutenu les groupes armés ont été placés en détention à Bamako, dans la Prison centrale et un camp de la gendarmerie, ce qui constitue une atteinte à un protocole de 2013 signé par le gouvernement qui stipule que les enfants doivent être placés dans un centre d’accueil géré par l’UNICEF.
L’exploitation des enfants dans l’agriculture, les services domestiques, les mines et d’autres secteurs a été fréquente et a souvent inclus des travaux dangereux pour lesquels la loi malienne interdit l’emploi d’enfants de moins de 18 ans. Les enfants qui travaillent dans les mines d’or artisanales étaient exposés à des risques de blessures et d’exposition au mercure.
Principaux acteurs internationaux
En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé le mandat de la MINUSMA, la mission de maintien de la paix dotée au maximum de 11 200 personnels militaires, dont quelque 70 pour cent sont déployés à l’heure actuelle. L’expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits humains au Mali, Suliman Baldo, a mené deux missions et exigé des améliorations au niveau de la lutte contre l’impunité. En mars, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution qui saluait les progrès réalisés, soulignait qu’il était préoccupant que se poursuivent les atteintes et les exactions et renouvelait le mandat de l’expert indépendant. Le Fonds de consolidation de la paix de l’ONU a soutenu les projets dans les domaines de la démobilisation, de la réconciliation et de la justice.
En mai, l’Union africaine (UA) a négocié un cessez-le-feu qui posait des jalons pour les négociations entre le gouvernement malien et plusieurs groupes armés, négociations menées par l’Algérie et l’UA ; les pourparlers ont eu lieu dans la capitale algérienne, à Alger.
L’opération militaire de la France et ses 1 700 hommes, connue sous le nom d’« Opération Serval », a été convertie en août en une opération régionale de 3 000 hommes—l’« Opération Barkhane »—pour résoudre le risque d’instabilité en Mauritanie, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad.
La Mission de formation de l’Union européenne au Mali a formé huit bataillons de soldats maliens, tandis qu’était établie la Mission de l’UE chargée du renforcement des capacités, l’EUCAP Sahel Mali, pour former la police, la gendarmerie et la Garde nationale.
L’UE et les Pays-Bas ont pris les rênes de la réforme du secteur de la justice et du soutien apporté à cette initiative. Le Programme des Nations Unies pour le développement a appuyé la réhabilitation des tribunaux, tandis que les États-Unis apportaient un appui criminalistique au ministère de la Justice.
En mai et juin 2014, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont collectivement reporté le versement de près de 70 millions USD destinés au gouvernement malien, en raison d’interrogations suscitées par l’achat hors budget d’un avion présidentiel et par la signature de contrats militaires à prix gonflés. Un audit a révélé que plus de 56 millions USD avaient été surfacturés dans le cadre du budget militaire.