La répression exercée par l'État à l'encontre des opposants et des détracteurs du gouvernement au Burundi s'est accrue à l'approche d'élections prévues pour 2015. Le gouvernement a harcelé, à de nombreuses reprises, des membres de partis d'opposition, des militants de la société civile et des journalistes, et entravé leurs activités. Des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) ont eu recours à la violence et commis des exactions à l'encontre de personnes perçues comme des opposants. Un éminent défenseur des droits humains, Pierre Claver Mbonimpa, a été arrêté et inculpé pour des déclarations faites à la radio. Le 29 septembre, les juges l'ont remis en liberté provisoire pour raisons médicales.
La scission du parti d'opposition UPRONA en deux factions, partiellement due à des ingérences présumées du gouvernement dans le choix de ses dirigeants, a déclenché une crise politique et conduit à la démission des trois ministres appartenant à l'UPRONA. Des projets d'amendements constitutionnels, dont l'adoption aurait pu permettre au président Pierre Nkurunziza de se présenter à l'élection présidentielle pour un troisième mandat et aurait modifié les procédures de vote au parlement, ont été repoussés d'une seule voix en mars.
L'impunité pour les violations des droits humains, en particulier celles commises par des agents de l'État et par la ligue des jeunes du parti au pouvoir, demeure une source de préoccupation. Très peu de progrès ont été accomplis dans les enquêtes sur un grand nombre d'exécutions extrajudiciaires commises entre 2010 et 2012. Le système judiciaire souffre d'un manque d'indépendance et d'allégations de corruption.
Société civile
Le gouvernement a continuellement harcelé les militants de la société civile et entravé leurs activités, les accusant d'être des opposants politiques et de s'ingérer dans le cours de la justice.
Pierre Claver Mbonimpa, président de l'Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), a été arrêté dans la capitale, Bujumbura, le 15 mai. Il a été inculpé d'atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l'État et de faux et usage de faux, relativement à des allégations qu'il avait faites le 6 mai à la Radio publique africaine (RPA) selon lesquelles de jeunes Burundais recevaient des armes et des uniformes militaires, ainsi qu'une formation militaire, en République démocratique du Congo (RDC). Le tribunal à Bujumbura a rejeté à trois reprises des demandes de remise en liberté provisoire déposées par ses avocats, même après qu'il soit tombé gravement malade et ait été hospitalisé. Le 29 septembre, suite à la remise du rapport d'une commission médicale créée par décision du tribunal, qui mentionnait plusieurs problèmes médicaux graves, les juges ont ordonné sa mise en liberté provisoire pour raisons médicales. L'affaire Mbonimpa a provoqué des réactions très nombreuses au sein du public et suscité de nombreux appels en faveur de sa libération, à l'intérieur et à l'extérieur du Burundi.
À la suite de l'adoption en décembre 2013 d'une nouvelle loi sur les rassemblements publics et les manifestations, les autorités gouvernementales ont à plusieurs reprises interdit des manifestations et d'autres activités prévues par des organisations de la société civile. Ainsi, le maire de Bujumbura a interdit en juin une marche pacifique organisée en signe de soutien à Pierre Claver Mbonimpa, au motif qu'elle revêtait un « caractère insurrectionnel ». Le ministre de l'Intérieur a confirmé cette décision, déclarant aux organisateurs qu'ils feraient mieux de laisser la justice faire son travail au lieu de « distraire le public ».
Le maire de Bujumbura a également interdit une manifestation de la société civile prévue pour le 1er août afin de réclamer l'indépendance du système judiciaire. En juillet et en septembre, la police a empêché Gabriel Rufyiri, président de l'organisation anti-corruption OLUCOME, de manifester seul pour protester contre les enrichissements illicites. Les autorités ont également empêché des organisations de la société civile de tenir une marche en avril pour marquer le cinquième anniversaire du meurtre du militant anti-corruption, Ernest Manirumva.
Journalistes
Tout comme pour les organisations de la société civile, les autorités gouvernementales ont menacé et harcelé des journalistes indépendants, les accusant de se faire les porte-paroles de l'opposition politique. En juillet, le Conseil national de la communication (CNC) a interdit aux stations de radio de diffuser à l'antenne une chanson sur Pierre Claver Mbonimpa. En août, le CNC a intimé à la RPA l'ordre de cesser de diffuser des entretiens avec des personnes affirmant posséder des informations corroborant les allégations de Mbonimpa sur les formations militaires reçues par de jeunes Burundais en RDC.
À la suite d'un recours en justice de la part de l'Union burundaise des journalistes (UBJ) concernant une loi restrictive sur la presse adoptée en 2013, la Cour constitutionnelle a statué, le 7 janvier 2014, que plusieurs articles de cette loi n'étaient pas conformes à la Constitution du Burundi. Un recours parallèle de l'UBJ contestant la validité de cette loi devant la Cour de justice d'Afrique de l'Est, était en cours d'examen au moment de la rédaction de ce rapport.
Partis d'opposition
Les restrictions imposées aux activités des partis d'opposition se sont accrues, alors que le CNDD-FDD tentait de se mettre en position de remporter une nouvelle victoire aux élections de 2015. Des représentants du gouvernement et du parti au pouvoir ont bloqué ou interféré dans les activités des partis d'opposition. De vieux clivages au sein du parti d'opposition UPRONA se sont exacerbés début 2014, quand le parti s'est scindé en deux factions, à la suite d'ingérences présumées de la part d'autorités gouvernementales dans le choix des dirigeants du parti. Après quoi, le gouvernement n'a reconnu comme légitime que la faction menée par la nouvelle équipe dirigeante, accommodante vis-à-vis du CNDD-FDD, empêchant ainsi l'autre faction de pouvoir fonctionner légalement.
Des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, appelés Imbonerakure, ont commis des exactions à l'encontre d'opposants, réels ou supposés, notamment des passages à tabac, la perturbation de réunions de parti et d'autres actes de violence et d'intimidation. Les jeunes d'autres partis ont parfois riposté, ce qui a conduit à de violents affrontements.
Les 8 et 9 mars, 70 personnes, pour la plupart membres du parti d'opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), ont été arrêtées, dans de nombreux cas arbitrairement. Certaines ont été arrêtées en relation avec de prétendus préparatifs en vue d'organiser une manifestation non autorisée, d'autres à la suite de heurts entre des membres du MSD et la police, lors desquels des membres du MSD ont pris deux policiers en otage.
Toutes ces personnes ont été jugées ensemble, le 18 mars, sous les accusations de rébellion, outrages et violences envers les dépositaires de la force publique, lésions corporelles volontaires et participation à un mouvement insurrectionnel. Pendant le procès, qui a duré un seul jour, ni les accusés ni leurs avocats n'ont été en mesure de préparer leur défense de manière appropriée et peu d'efforts ont été faits pour établir les culpabilités individuelles. Le 21 mars, un tribunal de Bujumbura a condamné 21 accusés à la prison à perpétuité, 10 autres à 10 ans de prison et 14 autres à cinq ans. Il a acquitté 22 prévenus. Une chambre distincte du tribunal, chargée des mineurs, a jugé trois accusés âgés d'environ 17 ans et les a condamnés à deux ans de prison chacun. Les audiences d'appel ont été retardées jusqu'à la fin décembre. Le gouvernement a suspendu le MSD pour quatre mois à la suite des affrontements avec la police.
Libération de prisonniers
Le 27 juin, un décret présidentiel a ordonné la libération de plusieurs catégories de détenus, dont ceux qui étaient condamnés à des peines de prison n'excédant pas cinq ans, les femmes enceintes, les prisonniers atteints de maladies incurables, ainsi que ceux âgés de plus de 60 ans et ceux âgés de moins de 18 ans. Cependant, la remise effective en liberté de ces prisonniers a été lente.
Impunité
La plupart des auteurs des nombreuses exécutions extrajudiciaires et d'autres actes de violence politique commis entre 2010 et 2012 continuent d'échapper à la justice. Une audience d'appel dans l'affaire concernant le commissaire de police adjoint Michel Nurweze, alias Rwembe (« lame de rasoir » en kirundi), s'est tenue le 6 novembre après avoir été reportée à plusieurs reprises pendant plus d'un an. Dans un cas rare de poursuites en justice contre une autorité pour violations des droits humains, un tribunal de Gitega avait jugé Nurweze en 2013 pour meurtre, torture et tentative de meurtre. Toutefois, après qu'au moins deux témoins à charge eurent refusé de déposer publiquement en raison d'un manque de protection adéquate, Nurweze a été acquitté de meurtre et de torture mais déclaré coupable de coups et blessures, et condamné à trois mois de prison. Il a été aussitôt libéré, car il avait déjà passé un an en prison.
Trois agents de police accusés d'être impliqués dans la mort de neuf membres d'un groupe religieux à Businde, en mars 2013, n'avaient toujours pas été jugés au moment de la rédaction de ce rapport. Ils ont été arrêtés en 2013, puis remis en liberté provisoire au bout de trois mois. D’autres arrestations ont été effectuées par la suite parmi les membres de ce mouvement spirituel informel qui fait un pélerinage mensuel à Businde.
En mai, le Burundi a adopté une loi créant une Commission Vérité et Réconciliation, chargée de traiter les graves violations des droits humains et du droit humanitaire international commises dans le pays entre 1962 et 2008. Cette commission n'avait pas encore été mise sur pied au moment de la rédaction de ce rapport. La loi ne contenait aucune référence à l'éventuelle création d'un tribunal spécial ou d'un autre mécanisme judiciaire pour juger les auteurs de ces crimes.
Principaux acteurs internationaux
L'arrestation de Pierre Claver Mbonimpa a suscité de nombreuses réactions internationales. Plusieurs gouvernements et ambassades, dont ceux des États-Unis, de l'Union européenne, de la France, du Royaume-Uni et de la Belgique, ont exprimé leurs préoccupations, en particulier après son hospitalisation. En septembre, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à sa libération immédiate et inconditionnelle, et exprimant la préoccupation du Parlement concernant d'autres violations des droits humains au Burundi. Le 23 septembre, le président américain Barack Obama s'est déclaré solidaire de Pierre Claver Mbonimpa et a appelé à sa libération.
Le mandat du Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB) devait prendre fin le 31 décembre 2014, en dépit de l'aggravation de la situation en matière de droits humains à l'approche des élections de 2015. Au moment de la rédaction de ce rapport, des plans étaient en cours d’élaboration afin d'assurer, dès janvier 2015, une présence onusienne au Burundi dans le domaine des droits humains sous l'égide du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, tel que le recommandait le Plan commun de transition des Nations Unies, présenté au gouvernement burundais le 16 mai.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a également demandé au Secrétaire général de créer une mission d'observation des élections chargée d’observer et de rédiger des rapports sur les préparatifs et le déroulement des élections, ainsi que sur les événements immédiatement consécutifs, à la demande du gouvernement burundais. En avril, le gouvernement a expulsé le conseiller du BNUB chargé des questions de sécurité, pour protester contre un câble confidentiel de l'ONU ayant fait l’objet d’une fuite et contenant des allégations selon lesquelles des officiers militaires auraient distribué des armes et des uniformes de l'armée et de la police aux Imbonerakure.
La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a accepté d'examiner quatre plaintes concernant des meurtres extrajudiciaires au Burundi, déposées en juin par quatre organisations de la société civile burundaise et par l'organisation Track Impunity Always (TRIAL), basée en Suisse.
Le 25 novembre, à l'issue d'une visite dans le pays, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Michel Forst, a condamné « l'escalade inacceptable dans le harcèlement des défenseurs » au Burundi, et a critiqué les tentatives visant à restreindre les activités des acteurs de la société civile en faisant un amalgame entre eux et les membres de l'opposition politique.