L’année 2014 a été marquée par la répression récurrente et souvent violente des manifestations massives contre les élections législatives de juillet 2013 – entachées de graves irrégularités – menée par le gouvernement du Premier Ministre Hun Sen et son Parti du peuple cambodgien (PPC). Il s’agissait également d’obliger le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), rassemblant des membres de l’opposition, à accepter les résultats de ces élections et à cesser de boycotter l’Assemblée nationale. Le gouvernement a interdit des manifestations pacifiques, et notamment des grèves lancées par des syndicats pour demander une augmentation des salaires. Dans certains cas, les manifestants ont riposté violemment face à la répression menée par les forces de sécurité.
Un accord signé par le PPC et le PSNC en juillet 2014 – suite à l’arrestation de l’un des principaux dirigeants du PSNC, Mu Sochua, et de six autres députés du PSNC, sur la base d’accusations forgées de toutes pièces – a mis un terme au boycott de l’Assemblée nationale par l’opposition. Cet accord ne comprend toutefois aucun engagement par le PPC à mettre en œuvre les réformes institutionnelles et juridiques nécessaires pour garantir de futures élections libres et équitables, ou protéger la liberté d’expression et d’opinion, le droit de réunion pacifique et d’association, et l’équité des procès.
La taux de pauvreté est resté particulièrement élevé dans les campagnes, tandis que les travailleurs urbains ont également souffert de salaires si bas qu’ils contribuent à une malnutrition généralisée. Les victimes de privations de terre, cédées en concession aux intérêts des groupes agro-industriels – la principale cause d’accaparement des terres des paysans, source de conflits fonciers – n’ont guère vu d’avancées dans les efforts pour leur fournir des compensations adéquates et une aide à la réinstallation. Les responsables gouvernementaux et les juges continuent à se vautrer dans la corruption, mais presque tous sont restés à l’abri de l’action des tribunaux et de l’Unité anti-corruption du gouvernement, qui ne s’est attaqué qu’à des affaires mineures impliquant des personnes qui ne bénéficiaient pas de la protection politique du PPC.
Usage excessif de la force, y compris meurtrière
Début janvier, les autorités ont interdit toute manifestation, en partie pour tenter de forcer les mouvements ouvriers de l’industrie du vêtement à baisser leurs exigences en matière de revalorisation du salaire minimum. Les gendarmes, policiers et agents para-policiers ont tué au moins sept personnes et en ont blessé des dizaines d’autres, principalement au cours des sept premiers mois de l’année, avant que l’interdiction ne soit partiellement levée. Les manifestants ont également blessé plusieurs membres des forces de sécurité.
Impunité et poursuites motivées par des fins politiques
Depuis l’arrivée au pouvoir du PPC est au pouvoir, les membres et les commandants des forces de sécurité gouvernementales jouissent d’une impunité les protégeant contre toute enquête voire poursuite pour diverses graves violations des droits humains, notamment des assassinats politiques, d’autres exécutions extrajudiciaires, et des actes de torture. Au lieu de cela, des policiers, des procureurs et des juges faisant preuve de partialité politique ont ouvert au moins 87 instructions judiciaires sur la base de fausses accusations, ce qui leur a permis de poursuivre des dirigeants et militants du PSNC, des membres d’autres groupes politiques d’opposition, des figures importantes du mouvement syndical, des leaders de mouvements de la société civile urbaine, et de simples ouvriers des usines des environs de Phnom Penh.
Le Tribunal municipal de Phnom Penh a condamné 55 personnes à des peines de prison à l’issue de procès inéquitables, les déclarant coupable de crimes tels que d’avoir « traîtreusement comploté » pour orchestrer une insurrection armée, ou d’avoir poussé à, incité à ou perpétré des actes de violences, pour avoir bloqué la circulation, ou encore pour avoir opposé « une résistance violente à un représentant de l’État ». Au cours de ces procédures, aucune preuve crédible n’a été présentée pour justifier les verdicts de culpabilité, tandis que les preuves témoignant de la violence des forces de sécurité étaient systématiquement rejetées. Si 30 personnes sur les 55 condamnées ont reçu des peines avec sursis, 23 d’entre elles avaient déjà passé de nombreux mois en détention provisoire dans des prisons surpeuplées, insalubres et isolées.
Parmi les affaires criminelles en instance figuraient le procès pour incitation à la violence du Président du PSNC, Sam Rainsy, du Vice-Président Kem Sokha, et du dirigeant syndical Rong Chhun, qui s’étaient opposés à l’interdiction générale des manifestations imposée par le gouvernement ; le procès de sept autres députés et de neuf militants du PSNC pour avoir mené ou participé à une « insurrection » violente, et pour d’autres chefs d’accusation liés à une bagarre provoquée par les forces de sécurité lors d’une manifestation sous la bannière du PSNC, en juillet 2014 ; le procès pour incitation à la violence et d’autres chefs d’accusation de six dirigeants syndicaux, en lien avec des émeutes ouvrières qui avaient éclaté lors d’une grève générale en décembre 2013 – janvier 2014 ; le procès pour avoir « traitreusement comploté » et pour d’autres chefs d’accusation d’un activiste politique qui avait diffusé un livre interdit en 2014 ; et le procès d’un moine bouddhiste et de trois jeunes, en lien avec des manifestations dénonçant l’iniquité des élections et d’autres abus commis par le gouvernement, dès 2011.
Accaparements de terre et expulsions forcées
Les effets pervers des acquisitions de terre, la plupart du temps illégales, par des personnes disposant d’un pouvoir politique et leurs partenaires commerciaux, ainsi que les expulsions forcées, ont continué à prendre de l’ampleur. Le nombre de personnes affectées par des conflits fonciers impliquant l’État depuis 2000 a dépassé le cap d’un demi-million dès mars 2014, selon les calculs effectués par l’organisation non-gouvernementale locale LICADHO. Le taux de nouveaux conflits était plus élevé qu’en 2013. La plupart de ces nouveaux conflits ont résulté de l’incapacité des autorités à distribuer les titres fonciers qui devaient être accordés aux habitants des zones rurales dans le cadre du programme de 2012-2013, conçu et supervisé personnellement par Hun Sen.
En août 2014, Hun Sen a accusé ses subordonnés au sein du gouvernement de s’être montrés incapables de résoudre les conflits fonciers, et a réitéré ses nombreuses promesses antérieures de mettre fin aux accaparements de terre illégaux. Au moins quatre personnes restaient emprisonnées suite à leur condamnation au cours des années précédentes, pour s’être opposées à l’accaparement de leurs terres, tandis que des procédures judiciaires étaient en instance contre au moins 19 autres personnes dans différents tribunaux provinciaux.
Détention arbitraire, torture et autres mauvais traitements
Les autorités ont emprisonné des centaines de personnes jugées « indésirables », sans aucun recours judiciaire, dans des soi-disant centres de traitement de la toxicomanie où ils ont été victimes de torture, de violences sexuelles et – dans au moins deux de ces centres – de travail forcé. Les autorités ont enfermé des toxicomanes présumés, des sans-abris, des mendiants, des enfants des rues, des travailleuses et travailleurs du sexe, et des personnes handicapées dans ces centres, pour des durées arbitraires.
Les personnes détenues pendant les procédures d’enquêtes, les procès pour crimes de droit commun, ou encore les personnes condamnées par les tribunaux ont continué à être systématiquement torturées ou soumises à d’autres formes de mauvais traitements. Les responsables policiers et carcéraux ont battu les détenus, leur ont infligé des coups de crosse, des chocs électriques, des coups de pieds, des gifles et des coups de poing, souvent jusqu’à ce qu’ils perdent conscience. La plupart de ces actes de torture avaient pour objectif d’extorquer des aveux aux victimes, ou encore de l’argent.
Nouvelles lois renforçant le contrôle du gouvernement sur l’appareil judiciaire
Dans un contexte de poursuites judiciaires motivées par des fins politiques, et de procès inéquitables, le PPC a encore resserré son contrôle sur l’appareil judiciaire, en précipitant l’adoption de trois lois par l’Assemblée Nationale, au moment du boycott de l’opposition.
La Loi sur l’organisation des tribunaux, le Statut des juges et des procureurs, et le Code d’organisation et de fonctionnement du Conseil suprême de la magistrature, tous promulgués le 13 juillet 2014, ont renforcé le contrôle du gouvernement sur un Conseil suprême de la Magistrature asservi au pouvoir politique, et ont affaibli les dispositions en faveur de l’indépendance de la justice.
Cet ensemble de lois a favorisé une ingérence accrue du gouvernement dans des secteurs normalement réservés au pouvoir judiciaire, selon le principe de la séparation des pouvoirs, et notamment renforcé le contrôle gouvernemental sur les affaires administratives et financières du budget de la justice, limité les droits à la liberté d’expression des juges et des procureurs, et affaibli les protections destinées à garantir l’indépendance de la justice dans les procédures de sélection, de promotion, de renvoi des juges ainsi que les procédures disciplinaires à leur encontre.
La législation place le Ministre de la justice au centre de tous les processus décisionnels clés de l’appareil judiciaire et du Conseil suprême de la Magistrature, l’organe responsable des nominations, de la régulation et de la supervision du système de justice du pays.
Le tribunal chargé de juger les khmers rouges
Le 7 août 2014, huit ans après la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, appuyées par les Nations Unies, les anciens dirigeants des khmers rouges Nuon Chea et Khieu Samphan ont été jugés coupables de crimes contre l’humanité, y compris d’extermination et de persécutions politiques. Ces exactions avaient été commises dans le cadre de la stratégie de déplacements forcés de Cambodgiens par les khmers rouges, depuis les zones urbaines vers les campagnes et au sein de celles-ci, en 1975. De nombreuses personnes avaient alors été exécutées.
Les deux condamnés étaient toujours poursuivis pour d’autres chefs d’accusation, et notamment pour génocide, en lien avec les politiques et pratiques des khmers rouges entre 1975 et 1979. Cependant, en raison de leur âge avancé, il était difficile d’être sûr que ce second procès irait au bout. Hun Sen s’étant publiquement opposé à l’idée de juger d’autres suspects khmers rouges, il est peu probable que les autres responsables des morts de près de deux millions de personnes en soient un jour rendus responsables. Si le procès de Nuon Chea et Khieu Samphan faisait initialement l’objet d’une grande attention, l’interminable procédure qui a traîné en longueur pendant des années a conduit le public cambodgien à perdre tout intérêt, ou presque, dans son issue.
Droits des travailleurs
La répression brutale des manifestations d’ouvrier du vêtement et du textile en janvier, et les poursuites engagées par la suite contre des dirigeants syndicaux et des travailleurs, sur la base de fausses accusations, n’ont pas découragé certains syndicats qui ont continué à manifester pour exiger une revalorisation du salaire minimum, demandant que celui-ci soit porté à l’équivalent de 177 USD (environ 145 euros) par mois, ainsi qu’un rapport d’un groupe de travail gouvernemental l’avait suggéré. Au lieu de cela, le gouvernement a fixé le 12 novembre le salaire mensuel minimum à l’équivalent de 128 USD (environ 105 euros).
Les autorités ont alourdi les procédures de déclaration des syndicats, et les syndicats indépendants ont dénoncé les délais subis, affirmant que ceux-ci étaient intentionnellement rallongés. Le gouvernement a également fait avancer un projet de révision de loi sur les syndicats, qui est bien loin de respecter les normes internationales garantissant la liberté d’association.
Des rapports répétés faisant état de vagues massives de malaises d’employés dans des usines ont poussé les autorités à créer une commission pour enquêter sur les causes du phénomène. Pourtant, la situation générale de l’inspection du travail et les mesures correctives sont restées insuffisantes, même si des responsables du Ministère du travail et de la formation professionnelle ont commencé à mener des inspections conjointes des usines « peu conformes » citées dans la base de données pour la transparence (Transparency Database) créée par le programme « Better Factories Cambodia » pour l’amélioration des usines au Cambodge de l’Organisation internationale du Travail.
Principaux acteurs internationaux
La Chine, le Vietnam, le Japon et la Corée du Sud ont été les principaux investisseurs étrangers au Cambodge cette année, tandis que le Japon, l’Union européenne et les États-Unis ont été les principaux bailleurs étrangers. La Chine, le Vietnam et les États-Unis ont apporté une aide matérielle à l’armée et formé les forces de sécurité cambodgiennes, parmi lesquelles des unités connues pour avoir été récemment impliquées dans de graves violations des droits humains.
Elément positif, les États-Unis ont ostensiblement évité de reconnaître les élections 2013 comme libres et équitables, et ont appelé publiquement et à de nombreuses reprises les autorités à respecter les droits humains, et en particulier à rétablir les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique. Les États-Unis ont cependant été pratiquement le seul pays étranger à s’attaquer sérieusement aux crises des droits humains que traverse le Cambodge, que ce soit en public ou en privé.
La Banque mondiale, qui a suspendu tout nouveau prêt au Cambodge en 2011 parce que le gouvernement avait expulsé des gens de force, en violation de sa propre politique, a commencé à envisager de reprendre le financement des projets fonciers du gouvernement, bien que ce dernier n’ait ni pleinement résolu le problème qui avait conduit à cette suspension, ni mis fin aux mesures de représailles engagées contre ceux qui s’étaient mobilisés sur ces questions, ou réparé les conséquences de ces mesures. Des activistes ont notamment été condamnés à des peines de prison au mois de novembre.
En septembre, le Cambodge s’est entendu avec l’Australie pour accueillir un nombre inconnu de réfugiés, transféré depuis la nation insulaire de Nauru. Le gouvernement australien financera le coût de la “réinstallation “ des réfugiés, et a également accepté de verser35millions de dollars d’aide au développement sur quatre ans, pour financer des réformes électorales, le déminage du pays, et la production industrielle du riz, dans le cadre de cet accord bilatéral pour l’accueil des réfugiés.