Skip to main content

Rapport mondial 2014: Syrie

Événements de 2013

Des immeubles gravement endommagés dans le quartier d'Al-Shaar à Alep, suite à un raid aérien mené par les forces gouvernementales syriennes avec des barils d’explosifs, selon des militants. Photo prise le 17 décembre 2013.

© 2013 Reuters

Le conflit armé en Syrie s'est encore aggravé en 2013, le gouvernement intensifiant ses attaques et commençant à recourir à des armes de plus en plus meurtrières et qui sèment la mort sans discernement, dont le pire exemple a été une attaque aux armes chimiques contre une région rurale proche de Damas le 21 août. Les forces gouvernementales et les milices qui leur sont alliées ont également continué de torturer des détenus et de commettre des exécutions extrajudiciaires.

Les forces de l'opposition armée, qui comprennent un nombre croissant de combattants étrangers, ont elles aussi perpétré de graves violations des droits humains, y compris des attaques sans discernement contre des civils, des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements et des actes de torture. Selon le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, citant des chiffres disponibles en juillet 2013, plus de 100.000 personnes avaient été tuées à cette date dans ce conflit depuis son commencement en 2011. L'extension géographique et l'intensification des combats ont créé une grave crise humanitaire, avec des millions de personnes déplacées à l'intérieur des frontières syriennes ou cherchant refuge dans les pays voisins.

Attaques contre les civils, utilisation illégale d'armes

Le 21 août, des centaines de civils, dont de nombreux enfants, ont été tués dans une attaque à l'arme chimique contre des zones rurales proches de Damas. Une enquête de l'ONU a permis de déterminer que l'agent chimique utilisé était du sarin, un gaz neurotoxique. Bien que le gouvernement syrien nie toute responsabilité, les éléments de preuve disponibles indiquent de manière crédible que les forces gouvernementales sont bien responsables de cette attaque. En réaction à des menaces de frappes aériennes de représailles de la part des États-Unis et de la France, la Syrie a adhéré à la Convention sur les armes chimiques et a accepté d'éliminer ces armes de son arsenal dans la première moitié de 2014.

Les forces armées syriennes ont également continué d'utiliser des bombes à sous-munitions — armes interdites par la Convention sur les armes à sous-munitions de 2008, que la Syrie n'a pas signée. Human Rights Watch a recueilli des informations sur 152 sites où les forces gouvernementales ont utilisé au moins 204 de ces armes, dans 9 des 14 gouvernorats du pays. Le nombre exact des armes à sous-munitions utilisé par les forces gouvernementales syriennes est probablement plus élevé.

L'armée de l'air syrienne a à de nombreuses reprises largué des bombes incendiaires sur des zones habitées, notamment sur une cour d'école à al-Qusayr en décembre 2012.Les bombes incendiaires contiennent des substances inflammables et sont destinées à détruire des objets par le feu ou à causer de graves brûlures et la mort.

L'armée de l'air syrienne a également effectué à plusieurs reprises des frappes sans discernement, parfois délibérées, contre des civils et l'armée de terre a tiré des missiles balistiques sur des zones habitées. Human Rights Watch a enquêté sur neuf attaques menées en 2013, apparemment à l'aide de missiles balistiques, qui ont tué au moins 215 personnes, dont 100 enfants. Aucun objectif militaire n'a été touché dans ces attaques et dans sept des neuf cas sur lesquels Human Rights Watch a enquêté, l'organisation n'a trouvé aucune trace d'une éventuelle cible militaire dans la zone visée.

Exécutions extrajudiciaires par les forces gouvernementales et les
forces alliées

Les forces gouvernementales syriennes et les milices qui leur sont alliées ont effectué plusieurs opérations militaires d'envergure à travers le pays, durant lesquelles elles ont commis des meurtres à grande échelle.

Les 2 et 3 mai, ces forces ont tué au moins 248 personnes, dont 45 femmes et 43 enfants, dans les villes d'al-Bayda et de Baniyas, dans le gouvernorat de Tartous. Dans leur grande majorité, les victimes ont été exécutées sommairement à l'issue d'affrontements militaires. Ces attaques ont constitué l'un des cas les plus meurtriers d'exécutions sommaires massives depuis le début du conflit.

Au moins 147 cadavres ont été découverts dans la rivière d'Alep entre janvier et mars. L'endroit où les corps ont été trouvés, ainsi que les informations recueillies sur les lieux où ont été aperçues les victimes pour la dernière fois, indiquent que les exécutions ont très probablement eu lieu dans des zones contrôlées par le gouvernement, bien que les auteurs et leurs motivations ne soient pas connus.

Arrestations arbitraires, disparitions forcées, torture et décès en détention

Depuis le début du soulèvement, les forces de sécurité ont soumis des dizaines de milliers de personnes à des arrestations arbitraires, des détentions illégales, des disparitions forcées, des mauvais traitements et des actes de torture en utilisant un vaste réseau de centres de détention à travers la Syrie. Bon nombre de détenus étaient des hommes jeunes âgés d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, mais des enfants, des femmes et des vieillards ont également été victimes de ces actes.

Parmi les personnes arrêtées, figurent des manifestants et des militants pacifiques qui ont participé aux mouvements de protestation, les ont filmés ou ont diffusé des informations à ce sujet, ainsi que des journalistes, des prestataires d’aide humanitaire, des avocats et des médecins. Dans certains cas, des militants ont signalé que les forces de sécurité avaient arrêté des membres de leurs familles, y compris des enfants, pour faire pression sur eux afin qu’ils se rendent. Un nombre important de militants politiques sont toujours détenus au secret, tandis que d'autres ont été jugés pour avoir exercé leurs droits.

Le 3 février, des membres des services de sécurité ont arrêté, à un point de contrôle routier, Mohammed Atfah, un bénévole du Croissant rouge syrien qui travaillait dans l'aide à l'enfance à Homs. Un prisonnier qui a été détenu avec Mohammed et ultérieurement libéré a indiqué à sa famille que la santé de Mohammed s'était détériorée lors de sa détention, au point qu'il n'était plus capable de reconnaître les personnes qu'il voyait.

Le 13 mars, les forces de sécurité ont également arrêté Nidal Nahlawi et ses amis à Damas, alors qu'ils préparaient des opérations de secours humanitaire. Nidal a été accusé de soutenir le terrorisme aux termes de la Loi antiterroriste de juillet 2012, dont la portée est excessivement large.

Le procès de Nidal et d'autres militants, dont plusieurs membres du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (Syrian Center for Media and Freedom of Expression, SCM), se déroule devant un tribunal antiterroriste spécial, sur la base de cette loi. Ce tribunal ne remplit pas les normes internationales fondamentales en matière d'équité des procès. Les motifs d'accusation invoquent le prétexte de la sécurité ou de la lutte contre l'opposition armée mais les allégations portées incluent la distribution d'aide humanitaire et le fait de rassembler des informations sur des violations des droits humains.

Selon des détenus libérés et des transfuges, les méthodes de torture utilisées par les forces de sécurité syriennes sont notamment de longs passages à tabac, souvent avec des matraques et des câbles métalliques, l’obligation pour les détenus de demeurer dans des positions pénibles et douloureuses pendant des périodes prolongées, l’électrocution, l’agression sexuelle, l’arrachage des ongles des mains et le simulacre d’exécution. Lors d'une visite dans un centre de détention de la sécurité d'État abandonné à Raqqa en avril 2013, Human Rights Watch a trouvé un instrument de torture appelé basat al-reeh — un outil en forme de croix utilisé pour immobiliser les détenus pendant la torture.

Plusieurs ex-détenus ont déclaré avoir vu des personnes mourir sous la torture en détention. Selon des militants locaux, au moins 490 détenus sont morts en détention en 2013. 

En février 2013, Human Rights Watch a documenté la mort en détention d'Omar Aziz, âgé de 64 ans, un militant pacifique qui avait aidé des comités locaux à fournir une assistance à la population. Un second détenu, Ayham Ghazzoul, un militant des droits humains et membre du SCM âgé de 26 ans, est mort en détention en novembre 2012, selon le récit fait à sa famille par un détenu libéré.

Exactions commises par l’opposition armée

Des groupes d’opposition armés ont commis de plus en plus de violations graves des droits humains, notamment des attaques menées sans discernement, des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements et des actes de torture. Des combattants étrangers et des groupes djihadistes ont commis certains des pires abus que Human Rights Watch a documentés.

Le 4 août, une coalition de groupes d'opposition armés menée principalement par des groupes islamistes a effectué une opération militaire dans les zones rurales du gouvernorat de Lattaquié, dans laquelle certains de ces groupes ont tué au moins 190 civils, dont 57 femmes, au moins 18 enfants et 14 hommes âgés. De nombreuses victimes ont été exécutées sommairement. Les groupes d'opposition armés ont été impliqués dans d'autres attaques menées sans discernement contre la population civile, y compris des attentats à la voiture piégée et des tirs de mortier contre des zones habitées contrôlées par le gouvernement en Syrie, ainsi que des frappes au-delà de la frontière sur des villages chiites du Liban.

Les groupes d'opposition armés qui combattent en Syrie utilisent également des enfants soldats, soit au combat, soit à d'autres tâches à caractère militaire et ont utilisé des écoles comme bases militaires, casernements, centres de détention et postes d'observation pour tireurs d'élite, transformant des lieux d'étude et d'enseignement en cibles militaires et exposant les élèves à de graves dangers.

Crise liée aux déplacements de population

Le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) estime à 4,25 millions le nombre de Syriens déplacés à l'intérieur du pays. En 2013, les organisations humanitaires se sont heurtées à de grosses difficultés pour acheminer de l'aide aux personnes déplacées et aux populations civiles affectées en Syrie, du fait que celles-ci se trouvent souvent dans des zones assiégées par les forces gouvernementales ou par les combattants d'opposition, en raison du refus persistant du gouvernement d'autoriser que cette assistance arrive en franchissant les frontières du pays, et du fait que les groupes d'opposition armés ne sont pas parvenus à garantir la sécurité des travailleurs humanitaires.

Les attaques contre les travailleurs et les installations de santé ont affaibli de manière importante la capacité du pays à garantir le droit à la santé: 32 des 88 hôpitaux publics de Syrie ont dû fermer et les forces gouvernementales ont arrêté, torturé et tué des centaines de prestataires de services de santé et de patients, et ont délibérément attaqué des véhicules transportant des patients et des fournitures. Dans un rapport récent, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU (CDH) a conclu que « l'utilisation comme arme de guerre du refus de prodiguer des soins médicaux est une réalité évidente et effrayante de la guerre en Syrie ».

À la date du 18 novembre 2013, 2,23 millions de Syriens étaient enregistrés ou en cours d'enregistrement comme réfugiés auprès du Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés (UNHCR), la grande majorité se trouvant au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Irak et en Égypte. En 2013, l'Irak, la Jordanie et la Turquie ont refusé l'entrée sur leurs territoires respectifs à des dizaines de milliers de Syriens, soit en limitant le nombre des entrées quotidiennes et en durcissant les critères d'entrée, ou en fermant les postes frontières et en n'autorisant à passer sporadiquement qu'un nombre réduit de personnes. Les Syriens qui se trouvaient bloqués de ce fait vivaient dans des conditions déplorables et étaient exposés au risque d'attaques de la part des forces gouvernementales.

Les quatre pays voisins qui ont accepté des réfugiés syriens leur ont dénié l'accès à un statut juridique sûr. Le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak, a déclaré qu'Israël empêcherait des « vagues de réfugiés» de fuir la Syrie pour gagner les hauteurs du Golan occupées.

Le 13 janvier 2013, les autorités aéroportuaires égyptiennes ont renvoyé deux ressortissants syriens en Syrie, en violation des obligations de non-refoulement de l'Égypte et le 8 juillet, sans préavis, le gouvernement a modifié sa politique d'accueil des Syriens, en exigeant d'eux qu'ils obtiennent au préalable un visa et un feu vert des services de sécurité. Le même jour, l'Égypte a refusé l'entrée à 276 personnes qui arrivaient de Syrie, dont les passagers d'un avion qui a été contraint de repartir vers la Syrie. Les 19 et 20 juillet, les forces de sécurité égyptiennes ont arrêté, le plus souvent de manière arbitraire, des dizaines d'hommes et quelques garçons syriens à des postes de contrôle sur les artères principales du Caire. Les autorités ont renvoyé au moins 24 d'entre eux, dont 7 garçons, vers des pays voisins.

Les Palestiniens de Syrie ont été confrontés à davantage d'obstacles encore. Depuis mars, la Jordanie a régulièrement refusé l'entrée aux réfugiés palestiniens en provenance de Syrie. L'Égypte a également restreint l'entrée des Palestiniens de Syrie depuis janvier.Le 6 août, le gouvernement libanais a lui aussi commencé à empêcher la plupart des Palestiniens de Syrie d'entrer sur son territoire. 

En 2013, le nombre des réfugiés de Syrie tentant d'atteindre l'Europe, y compris par des itinéraires clandestins dangereux, a augmenté. Tandis que certains pays de l'Union européenne leur offrent la sécurité, dans d'autres, comme la Grèce, ils font face au risque d'une mise en garde à vue et à d'autres obstacles importants dans leur quête de protection.

L'UNHCR a indiqué que plus de 75 pour cent des personnes recensées comme réfugiées en provenance de Syrie dans les pays voisins étaient des femmes et des enfants, qui sont particulièrement vulnérables. Les organisations humanitaires affirment que les cas de violence familiale, de harcèlement sexuel et d'exploitation ont augmenté et que les contraintes sociales et la peur limitent la mobilité des femmes réfugiées, restreignant leur accès à des activités rémunératrices ou aux soins de santé ou autres services essentiels.

Au moment où ont été écrites ces lignes, l'UNHCR affirmait que son appel de fonds pour faire face à l'afflux régional de réfugiés n'était financé qu'à hauteur de 62 pour cent, ce qui occasionnait un trou budgétaire de 1,14 milliard de dollars. En conséquence, l'UNHCR a dû réduire son assistance aux réfugiés, notamment le financement des services de santé et la fourniture de denrées de base.

Principaux acteurs internationaux

Le Conseil de sécurité des Nations Unies demeure profondément divisé à propos de la Syrie. L'attaque à l'arme chimique du 21 août a amené les gouvernements américain et russe à négocier un accord qui a abouti à l'adoption, le 27 septembre, par le Conseil de sécurité d'une résolution exigeant que le gouvernement syrien renonce à son programme d'armes chimiques, détruise ses stocks et coopère avec les inspecteurs internationaux. Puis dans une déclaration solennelle adoptée le 2 octobre, le Conseil de sécurité a appelé à la prise immédiate de mesures pour garantir que l'aide humanitaire parvienne de manière sûre et sans entrave sur tout le territoire de la Syrie, y compris à travers les frontières si nécessaire.

En dépit de ces évolutions, l'opposition de la Russie et de la Chine a empêché le Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Syrie, faisant ainsi obstacle à la possibilité de faire rendre des comptes pour les violations des droits humains commises dans ce conflit.

L’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme (CDH) de l'ONU ont pour leur part adopté un certain nombre de résolutions sur la Syrie en 2013, chaque fois à une écrasante majorité. Le CDH a prolongé jusqu’en mars 2014 le mandat de la commission d’enquête internationale chargée d’enquêter sur les violations et, si possible, d’identifier les responsables. Soixante-quatre pays à ce jour ont l appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à déférer la situation en Syrie à la CPI, dont 6 membres du Conseil de sécurité : la France, le Royaume-Uni, l'Argentine, l'Australie, la Corée du Sud et le Luxembourg. La France a inclus une saisine de la CPI dans un projet de résolution du Conseil de sécurité sur le recours aux armes chimiques, mais ce passage a été par la suite supprimé lors des négociations sur le texte. Ni les États-Unis ni la Chine n'ont exprimé leur soutien à une telle saisine. La Russie, quant à elle, a affirmé qu'une saisine de la CPI serait « inopportune et contreproductive ».

Les factions d'opposition syriennes regroupées au sein de la Coalition nationale des forces syriennes révolutionnaires et d'opposition, ont continué en 2013 à acquérir davantage de soutien sur la scène internationale et de reconnaissance de la coalition comme représentante légitime du peuple syrien. Toutefois, cette coalition n'a pas réussi à créer une opposition politique ou militaire unifiée. Les groupes de l’opposition armée en Syrie reçoivent un soutien financier et militaire de l’Arabie saoudite, du Qatar, de la Turquie et des États-Unis. La France et le Royaume-Uni fournissent une aide non létale à des groupes armés de l’opposition.

Les gouvernements chinois, iranien et russe ont continué d’appuyer le gouvernement syrien, soit sur le plan diplomatique, soit sur le plan financier et militaire.

L'Union européenne dans son ensemble est restée le deuxième fournisseur d'aide humanitaire liée à la crise syrienne, après les États-Unis. Cependant, malgré l'engagement pris publiquement par l'UE en faveur d'une saisine de la CPI et de la justice pour les crimes les plus graves, le Haut représentant de l'UE n'a pas réussi à donner à l'Union une voix unique et forte, ainsi qu'une stratégie qui améliorerait les chances que les crimes commis en Syrie soient un jour jugés par la CPI. Vingt-sept États membres de l'UE — c'est-à-dire tous sauf la Suède — se sont joints à une initiative de la Suisse appelant le Conseil de sécurité à saisir la CPI de la situation en Syrie.