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Le Président Zine al-Abidine Ben Ali et le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), dominent la vie politique en Tunisie. Le gouvernement utilise la menace du terrorisme et de l'extrémisme religieux comme prétexte pour réprimer la contestation non violente.

Ben Ali a été réélu pour un cinquième mandat le 25 octobre 2009, avec un décompte officiel de 89,6 pour cent des voix, contre trois adversaires. Les lois visant à exclure les adversaires qui s'expriment ouvertement, et les actes d'intimidation et de censure contre ceux qui sont autorisés à se présenter contre le titulaire, ont empêché la campagne d'être une période de débat sérieux et ont empêché le vote d'être libre et équitable. Lors des élections législatives tenues le même jour, le RCD a remporté le vote populaire et a donc obtenu 75 pour cent des sièges, les 25 autres pour cent étant mis de côté pour les candidats des autres partis.

Violations pré-électorales de droits humains

Malgré la proclamation du président Ben Ali, selon laquelle les élections présidentielles et législatives d'octobre seraient menées d'une manière démocratique et transparente, les lois adoptées par le Parlement dominé par le RCD ont disqualifié deux principaux candidats présidentiels potentiels. Le seul candidat s'exprimant franchement parmi les trois prétendants autorisés était Ahmed Brahim, de l'ancien mouvement communiste et-Tajdid. Le parti de Brahim a vu les autorités annuler les candidatures de 13 des 26 membres postulant pour des sièges parlementaires, et bloquer la distribution de l'édition de son journal contenant sa plateforme électorale. Le ministère de l'Intérieur a également exigé que Brahim retire cinq points de son manifeste de campagne, notamment ceux qui critiquaient la façon dont les élections étaient menées et des références à une « mentalité de régime de parti unique ».

L'avocate des droits de l'homme Radhia Nasraoui et son mari, Hamma Hammami, dirigeant du Parti communiste des ouvriers de Tunisie que le gouvernement a interdit, ont été agressés le 29 septembre par des policiers en civil à l'aéroport de Carthage à Tunis. Hammami venait de rentrer de Paris, où il avait accordé à la chaîne de télévision Al Jazeera une interview dans laquelle il avait accusé le gouvernement tunisien de violations des droits humains et préconisait un boycott des élections.

Défenseurs des droits humains

Les autorités ont refusé d'accorder une reconnaissance légale à toute organisation véritablement indépendante de défense des droits humains qui en a fait la demande au cours de la dernière décennie. Les autorités invoquent ensuite le statut « illégal » de telles organisations pour entraver leurs activités.

Les défenseurs des droits humains et les opposants sont en butte à une étroite surveillance, à des interdictions arbitraires de voyager, à des licenciements, à des perturbations de service téléphonique, à des agressions physiques, des actes de harcèlement contre des proches, des actes suspects de vandalisme et de vol, et des campagnes de diffamation dans la presse. Les membres de l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), une organisation non reconnue, sont régulièrement la cible de harcèlement par les forces de sécurité. En avril 2009, Human Rights Watch s'est entretenu avec d'anciens prisonniers politiques lors de rencontres organisées par l'AISPP. Des policiers en civil ont étroitement surveillé à la fois les chercheurs de Human Rights Watch et les personnes qu'ils ont interrogées, interpellant certaines de ces dernières pour contrôler leurs papiers d'identité et les interroger à propos de ces rencontres.

Le 15 septembre à Hassi Djerbi, des policiers en civil ont détenu pendant neuf heures  le défenseur des droits humains et ancien prisonnier politique Abdallah Zouari. Ils l'ont interrogé sur son travail dans les médias et dans le domaine des droits humains au cours des sept dernières années, le menaçant s'il ne cessait pas de critiquer le gouvernement, a dit Zouari. Quelques semaines plus tôt, Zouari avait achevé une période de sept ans d'assignation à résidence après sa sortie de prison, dans un village isolé loin de son domicile dans le Grand Tunis, dont deux ans imposés par les autorités par voie orale (sans jamais fournir une base légale) à l'issue de sa condamnation initiale à cinq ans de « contrôle administratif ».

Justice pénale et Etat de droit

Bien que la Constitution tunisienne prévoie un pouvoir judiciaire indépendant, la branche exécutive influe fortement sur les décisions judiciaires et contrôle la nomination, la titularisation et le transfert des juges. Dans les affaires ayant un caractère politique, les tribunaux ne garantissent pas aux accusés un procès équitable. Les procureurs et les juges ferment habituellement les yeux sur les accusations de torture, même lorsque les avocats de la défense demandent officiellement une enquête. Les juges d'instance condamnent les accusés uniquement ou essentiellement sur la base d'aveux extorqués, ou sur les déclarations de témoins auxquels l'accusé n'est pas confronté au tribunal.

Le Comité international de la Croix-Rouge a continué son programme de visites dans les prisons tunisiennes. Toutefois, les autorités n'ont pas autorisé l'accès des organisations indépendantes des droits humains. Ils continuent de refuser d'honorer un engagement explicite formulé en avril 2005 pour permettre des visites par Human Rights Watch, d'abord en retardant l'approbation, ensuite en imposant des conditions sur les visites qui porteraient atteinte à la crédibilité des informations obtenues, puis en faisant fi des propositions de visite révisées présentées par Human Rights Watch.

La loi tunisienne permet aux juges de condamner les accusés à des peines de prison ainsi qu'à des périodes de « contrôle administratif » à leur sortie de prison. Cependant, les autorités soumettent les ex-détenus condamnés pour leur appartenance présumée à des mouvements islamistes à une diversité de restrictions qui excèdent ce que la loi autorise, par exemple en leur donnant oralement l'instruction de se présenter régulièrement au commissariat de police, en leur refusant un passeport sans justification écrite et en faisant pression sur les employeurs pour qu'ils ne les embauchent pas.

Dans de nombreux cas, les citoyens tunisiens n'obtiennent aucune réparation pour les violations par le gouvernement de leurs droits. Par exemple, le ministère de l'Intérieur refuse toujours un passeport à l'ex-prisonnier Hocine Jelassi, même si le tribunal administratif a statué en sa faveur sur la question en 2007.

Liberté des médias

Aucun des médias de la presse écrite et audiovisuelle nationale ne propose de couverture critique des politiques gouvernementales, en dehors de quelques magazines de faible tirage comme al-Mawkif, un organe du parti d'opposition, qui font l'objet de saisies occasionnelles. Des chaînes de radio et de télévision privées existent en Tunisie, mais « propriété privée » n'est pas synonyme d'indépendance éditoriale. Le gouvernement bloque l'accès à certains sites Web nationaux et internationaux traitant des sujets politiques ou relatifs aux droits humains et incluant des articles critiques à l'égard de la Tunisie.

Le 15 août 2009, les journalistes pro-gouvernementaux ont évincé le conseil d'administration du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) pour le remplacer par un autre conseil contrôlé par des membres pro-gouvernementaux. Cette action a fait suite à une campagne de diffamation contre le conseil précédent et son président démocratiquement élu, après que le SNJT eut publié un rapport en mai critiquant la répression des médias par le gouvernement.

Les autorités ont empêché Florence Beaugé, la correspondante du journal Le Monde en Afrique du Nord, d'entrer dans le pays le 20 octobre, l'accusant d'avoir « toujours fait preuve de malveillance flagrante et d'un parti pris systématiquement hostile envers la Tunisie ».

Mesures antiterroristes et droits humains

Depuis 1991, la Tunisie a fait l'objet d'une seule attaque terroriste meurtrière : en avril 2002, un camion piégé a pris pour cible une synagogue sur l'île de Djerba, acte qui a été revendiqué par Al-Qaïda. Les forces de sécurité ont également affronté des militants armés en décembre 2006 et janvier 2007, aux alentours de la capitale.

La Loi de 2003 relative au soutien des « Efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d'argent » donne une définition vague du terrorisme que le Comité de l'ONU des droits de l'homme a critiquée le 28 mars 2008, pour son « manque de précision ». Les autorités ont condamné plusieurs centaines d'hommes, ainsi que quelques mineurs, en vertu de cette loi. La plupart de ces centaines de personnes condamnées et emprisonnées étaient accusées de se préparer à rallier des groupes djihadistes à l'étranger ou d'inciter d'autres personnes à le faire, et non d'avoir projeté ou commis des actes spécifiques de violence. En juillet 2009, le Parlement tunisien a adopté un amendement réduisant la définition par la loi d'un acte terroriste en limitant la mesure dans laquelle « l'incitation à la haine » répondrait à la définition.

Les suspects arrêtés dans le cadre de la loi antiterroriste sont généralement en butte à une série d'abus de procédure, à savoir l'absence de notification rapide à leur famille par les autorités, en violation du droit tunisien, la prolongation de la détention avant la mise en accusation au-delà de la limite légale de six jours, et le refus des juges et des procureurs de donner suite aux requêtes pour que le suspect passe un examen médical.

Manifestations liées a des facteurs socio-économiques

Au moins 200 personnes ont été poursuivies dans le cadre de manifestations socio-économiques en 2008 dans la région minière sinistrée qui entoure la ville méridionale de Redhayef. Les chefs d'accusation comprenaient « formation d'un groupe criminel dans le but de détruire les biens publics et privés » et « rébellion armée et agression contre des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions ». En février 2009, une cour d'appel a confirmé les condamnations d'Adnan Hajji, secrétaire général de la section locale de l'Union générale des travailleurs tunisiens, et de 37 autres syndicalistes et manifestants. Le 11 mai, une manifestation pacifique organisée par des proches des détenus demandant leur libération a conduit à l'arrestation d'une trentaine de personnes, dont huit ont été accusées de délits mineurs et condamnées à un maximum d'un an de prison, selon Amnesty International.

Le 4 novembre, environ 68 prisonniers détenus dans le cadre des manifestations de 2008 ont bénéficié d'une libération conditionnelle par le biais d'une grâce présidentielle accordée par Ben Ali à l'occasion du 22ème anniversaire de son arrivée au pouvoir. Une cinquantaine de personnes qui ont été jugées par contumace continuent de répondre à des accusations liées aux manifestations.

Acteurs internationaux clés

La France est le principal partenaire commercial de la Tunisie et son quatrième investisseur étranger. En avril 2009, la France a conclu un accord de coopération énergétique nucléaire et un montant global de 80 millions d'euros d'aide pour la Tunisie. Le 22 mars, le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner a reconnu : « Il est vrai qu'il y a des violations des droits humains en Tunisie, des journalistes qui sont harcelés, parfois emprisonnés, et une politique générale de fermeté. » Il a ensuite fait l'éloge des réalisations économiques et sociales de la Tunisie, concernant notamment le statut des femmes et les valeurs de laïcité. En réponse à une vague d'arrestations après les élections, Bernard Valero, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a déclaré le 6 novembre : « Nous sommes préoccupés par les difficultés rencontrées par les journalistes et les défenseurs des droits humains en Tunisie ... Nous avons fait connaître nos préoccupations à l'ambassadeur de la Tunisie et les avons évoquées avec nos partenaires européens

L'accord d'association Union européenne-Tunisie continue d'être en vigueur, en dépit du bilan du gouvernement en matière de droits humains et de son blocage des subventions de l'UE à certaines ONG. Plus de 80 pour cent du commerce de la Tunisie est mené avec l'Europe. Les fonctionnaires de l'UE critiquent parfois le bilan de leur partenaire tunisien en matière de droits humains, tout en louant ses performances économiques et l'état des relations bilatérales dans leur ensemble. Le 3 juillet 2009, la commissaire aux Relations extérieures de l'UE, Benita Ferrero-Waldner, a critiqué la Tunisie pour la fermeture de Radio Kalima, une radio Web critique envers le gouvernement, à qui les autorités avaient refusé d'accorder une licence plus tôt dans l'année, saisissant ses équipements et harcelant ses journalistes.

Ian Kelly, le porte-parole du Département d'État des Etats-Unis a déclaré le 26 octobre que les Etats-Unis étaient « préoccupés » par les élections tunisiennes, ajoutant : « Nous ne sommes pas informés du fait qu'une autorisation ait été accordée à des observateurs indépendants crédibles ... Nous continuerons de poursuivre la coopération bilatérale dans des domaines d'intérêt mutuel, et nous allons continuer de faire pression pour la réforme politique et le respect des droits humains ».

À l'heure de la rédaction de ce chapitre, la Tunisie était en train de négocier une visite du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste. À ce jour, la Tunisie n'a toujours pas accédé à une demande de longue date pour la visite du Rapporteur spécial sur la torture.