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Haïti : L’escalade de la violence menace des millions de personnes

Les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies devraient adopter des mesures urgentes

Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch, s’exprimait lors d'une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies à New York au sujet de Haïti, le 25 janvier 2024. © 2024 Human Rights Watch

(New York, le 25 janvier 2024) – Les Haïtiens ont besoin de toute urgence d'une réponse internationale fondée sur les droits, face à la recrudescence des meurtres et des enlèvements, à la violence sexuelle endémique et à la grave crise alimentaire que connait le pays, a déclaré aujourd'hui Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch dans ses remarques formulées au cours d'une réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies consacrée à Haïti.

Les membres du Conseil se sont réunis pour évaluer les récents développements en Haïti, où des groupes criminels empêchent l'acheminement de l'aide humanitaire aux personnes qui ont un besoin urgent de nourriture, de médicaments et d'autres formes d'assistance. Depuis des années, Haïti est confronté à une grave crise politique, humanitaire et sécuritaire, qui n'a fait qu'empirer depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en 2021.

« Les Haïtiens subissent des niveaux terrifiants de violence, tout en luttant pour nourrir leurs familles et avoir accès à d'autres produits de première nécessité », a déclaré Tirana Hassan. « Chaque jour qui passe sans une augmentation significative de l'aide internationale qui s'attaque à tous les aspects de la crise, met plus de vies en danger. »

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(Jose Ulysse, Fondateur et directeur, Centre hospitalier de Fontaine   )

J'avais programmé un rendez-vous avec des membres de l'équipe de l'hôpital entre 11h30 et 13h, pour faire les évaluations de fin d'année,

quand j'ai reçu la première notification qui disait :

 

- Directeur, les choses sont difficiles.

- Que se passe-t-il ?

- Ils ont commencé à tirer.

 

Le 13 novembre 2023, des affrontements éclatent entre deux violents groupes criminels, G-Pép et G9, à Cité Soleil, en Haïti. 

 

Le 15 novembre, les affrontements s'étendent et des balles sont tirées sur le Centre hospitalier de Fontaine, l’un de deux hôpitaux encore ouverts à Cité Soleil. 

 

Des patients et des membres du personnel s’enfuient. Mais plusieurs femmes avec des nouveau-nés, et 16 enfants se trouvant dans une garderie à l'intérieur de l'hôpital, n'ont pas réussi à s'enfuir.

 

 

Nourrice

Centre hospitalier de Fontaine   

 

Nous n'avons pas eu le temps de fuir, avec 16 enfants.

 

Jose Ulysse

 

J'ai d'abord appelé Radio Métropole. 

 

Radio Métropole diffusait leur journal, et ils ont stoppé le journal pour lancer un SOS disant qu'il y avait un hôpital en danger à Cité Soleil, l'hôpital Fontaine. 

Quand ils l'ont diffusé, d'autres stations de radio l'ont entendu et l'ont repris. 

Au même moment, ma fille s’activait sur les réseaux sociaux pour informer plus de monde.

 

Kareen Ulysse

Directrice exécutive

Fondation du Centre hospitalier de Fontaine   

 

J'étais dans le nord d'Haïti et j'essayais de me détendre, ce qui s'est retourné contre moi.

J'ai donc envoyé un message en ligne à Digicel (société de téléphonie mobile).

J'ai dit : « Voilà ce qui se passe. Nous avons besoin de minutes (crédit téléphonique). Ce n'est pas le moment pour notre personnel de perdre des minutes. S'il vous plaît, pouvez-vous nous donner des minutes ? »

Dix minutes plus tard, Digicel me dit : « De quoi avez-vous besoin ? »

Je leur ai envoyé les numéros de tous nos employés. 

Des minutes, des minutes, des minutes, des minutes, des minutes …

Et c'est juste au moment où ils ont activé des minutes pour notre chauffeur, ____, qu’il a dit : « OK, je suis là. Pouvez-vous envoyer un [véhicule] blindé ? »

 

 

Vidéo © Hero Rescue

 

Nous étions à l'étage. 

Nous étions très exposés.

Nous devions traverser une petite passerelle pour nous rendre dans un autre espace. 

Alors que des coups de feu étaient échangés, cela ne semblait pas être une bonne idée.

Nous avons contacté nos supérieurs sur le chat du groupe.

 

- Que devons-nous faire des enfants ?

 

- Enlevez-les de la garderie parce que tout y est métallique.

- Emmenez-les vers la partie la plus ancienne du bâtiment, qui est en parpaings, pour que les balles perdues ne passent pas à travers.

- On ne peut pas bouger.

[Kareen Ulysse]

 

Je me disais, c'est vraiment, vraiment mauvais.

J'ai appelé mon père et lui ai demandé : « Qu’est-ce qu’on fait ? »

J'ai appelé Hero Rescue.

 

[Jose Ulysse]

 

Hero Rescue est un service ambulatoire national qui peut aider dans ce genre de situation.

 

[Nourrice]

 

Une femme était en train d'accoucher.

Le médecin devait l'opérer car le bébé était coincé.

Elle devait subir une césarienne.

La douleur était trop forte pour elle, elle pleurait.

Les enfants faisaient beaucoup de bruit.

 

[Kareen Ulysse]

 

Mon chauffeur, il a tout risqué.

C'est lui que j'appelais et à qui j'envoyais des SMS.

Je lui ai dit : « Tu dois t'annoncer. »

« Si tu envoies quelqu'un d'autre, tout le monde aura peur. »

« Mais tout le monde connaît _____. » 

« Donc tu dois aller à chaque chambre et dire que c'est ____ avec la police. »

Alors, il est allé d’une chambre à l’autre.

 

 

[Nourrice]

 

J'ai vu que c'était la police et ils m'ont dit : « C'est pour vous que nous sommes ici. »

« Où sont les enfants ? Allez, on évacue. »

 

Je me souviens qu'ils nous ont couverts, la police nous a couverts.

Ils nous ont fait nous baisser un peu pour descendre les escaliers.

 

 

[Jose Ulysse]

 

Quand ils ont emmené ce groupe, je faisais une évaluation avec eux.

Est-ce qu'untel est là ?

Ce bébé, l'avez-vous vu ? Ils m'ont répondu que non.

Mais on ne peut pas voir un bébé s'il est couché, s'il est dans une couveuse ou s'il est isolé.

Il faut aller à l'intérieur pour voir s'ils sont dans les berceaux.

Les véhicules blindés ont accepté de retourner [à l’hôpital] et l’ambulance de Hero Rescue aussi.

C'est alors qu'ils ont vu les nourrissons dans l'unité néonatale ou ils étaient couchés.

 

[Kareen Ulysse]

 

J'appelle toutes les personnes que je connais à Cité Soleil.

Je leur dis : « S’il vous plaît, si vous connaissez untel ou untel de tel ou tel groupe, dites-leur que nous avons des enfants [dans ce groupe]. »

 

Pendant ce temps, des hommes armés et divers opportunistes ont saccagé des câbles, de la nourriture, des générateurs, des onduleurs, des fournitures médicales et des panneaux solaires.

 

La femme qui devait subir une césarienne n'a pas reçu d'aide à temps. Son bébé est mort. 

 

Si Centre hospitalier de Fontaine est contraint de fermer ses portes en raison de la violence persistante, des milliers de personnes n'auront pas accès aux soins de santé, qui constituent un droit humain fondamental.   

 

Tous les patients et le personnel, sauf un, ont été évacués en sécurité de l'hôpital Fontaine vers le domicile de la famille Ulysse.

 

On ne peut pas isoler le problème des soins de santé parce que le problème des soins de santé va de pair avec l'environnement socio-économique et sociopolitique.

 

Pour fournir des soins dans cette zone, il faut que des gens acceptent d'aller sur place.

Si tout le monde a trop peur, que se passera-t-il ?

 

En 2023, plus de 4 000 personnes ont été tuées et 3 000 kidnappées par des groupes criminels violents en Haïti.

 

L’ONU a autorisé le recours à une force internationale dirigée par le Kenya pour agir contre la violence en Haïti, mais cette force n'a pas encore été déployée.

 

[Kareen Ulysse]

En ce qui concerne la rumeur de l'arrivée de troupes internationales, la première chose à faire est de s’assurer qu’elles viennent vraiment.  

Car chaque fois qu'une date limite est fixée et qu'elle n'est pas respectée, ces hommes ont le temps d'élaborer des stratégies.

Vous leur donnez le temps de recruter, vous leur donnez le temps de creuser de nouvelles tranchées, vous donnez à ceux qui les soutiennent le temps de faire passer en contrebande plus d'armes et plus de munitions.

 

Les États membres de l’ONU devraient d’urgence mettre en œuvre une réponse, fondée sur les droits humains, à la crise en Haïti.

Jose Ulysse, fondateur et directeur du Centre hospitalier de Fontaine dans le bidonville tentaculaire de Cité Soleil,  …

15 nov. 2023 — Jose Ulysse, fondateur et directeur du Centre hospitalier de Fontaine, a réfuté des informations selon lesquelles des membres de gangs …

En octobre 2023, le Conseil de securité a autorisé le déploiement en Haïti d'une mission multinationale d’appui à la sécurité, dirigée par le Kenya. Le déploiement de la mission et d'autres composantes essentielles de la réponse sont toutefois au point mort, alors que la situation de nombreux Haïtiens s'est aggravée. Le déploiement est en attente d'une décision de la Cour suprême du Kenya, attendue le 26 janvier 2024, sur la légalité de la participation des forces kenyanes.

Les groupes criminels violents ont intensifié leurs activités dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince, et dans le département rural de l'Artibonite. Selon les Nations Unies, plus de 4 700 personnes ont été tuées en 2023, soit plus du double de l'année précédente, et près de 2 500 autres ont été kidnappées. Plus de 300 000  personnes sont déplacées à l'intérieur du pays, vivant dans des familles d'accueil ou dans des abris de fortune ou en plein air, avec peu ou pas d'aide humanitaire. Les agences des Nations Unies estiment que près de la moitié de la population aura besoin d'une aide humanitaire et d'une protection en 2024, avec 4,35 millions de personnes vivant dans une situation d'insécurité alimentaire aiguë.

Les tensions se sont intensifiées dans tout le pays depuis le retour en Haïti de Guy Philippe, un ancien commandant de police devenu instigateur d'un coup d'État, à la fin du mois de novembre 2023, après avoir passé plus de six ans dans une prison américaine pour blanchiment d'argent et trafic de stupéfiants. Il bénéficierait du soutien de membres du groupe lourdement armé Brigade de Surveillance des Aires Protégées (BSAP), une force de sécurité gouvernementale lourdement armée, et a publiquement  appelé à une révolution, ce qui a déclenché des manifestations et des fermetures forcées au début et à la mi-janvier. Cette situation a contribué à l’augmentation de l'insécurité alimentaire et des pénuries de carburant dans le sud du pays.

Certaines des pires violences ont eu lieu à Cité Soleil, à la périphérie de Port-au-Prince, où les affrontements de la mi-novembre, suite à la mort d'un chef de groupe criminel, ont provoqué la mort de 87 personnes, en ont blessé 46 autres et ont déplacé plus de 1 000 personnes, selon les Nations Unies. Le 15 novembre, le Centre hospitalier de Fontaine, l'un des deux seuls hôpitaux encore en activité à Cité Soleil, s’était retrouvé au milieu de tirs croisés, mettant en danger la vie de plus de 70 patients, dont des nouveau-nés et des enfants plus âgés, et menaçant l'accès aux soins de santé pour des milliers d'habitants. Une vidéo de Human Rights Watch publiée aujourd'hui, raconte l'histoire poignante de l'évacuation par le personnel de l'hôpital de femmes, de bébés dans une unité néonatale, et d'autres patients et membres du personnel au milieu des combats en cours.

Dans une grande partie d'Haïti, des femmes et des filles âgées d'à peine 12 ans sont confrontées à des niveaux élevés de violence sexuelle. Human Rights Watch a documenté la façon dont, les groupes criminels, y compris l'alliance du G9, violent des femmes et des filles pour instiller la peur à Cité Soleil, dans le cadre de leurs efforts pour s’emparer de zones contrôlées par des groupes rivaux, démontrer leur autorité ou punir ceux qui vivent dans des zones tenues par des groupes rivaux.

Les victimes ont appelé à des actions concrètes qui leur permettraient de vivre une vie sans violence ni peur, où ils pourraient satisfaire leurs besoins fondamentaux, travailler, envoyer leurs enfants à l'école et choisir leur gouvernement et leurs dirigeants à travers des élections.

Une infirmière qui vit à Cité Soleil et qui a été témoin des affrontements de la mi-novembre a déclaré à Human Rights Watch en janvier qu'une réponse internationale de toute urgence pour aider Haïti à surmonter la crise était nécessaire. « Nous en avons vraiment besoin, à condition qu'elle soit sérieuse et fournisse un véritable soutien, y compris dans des endroits comme Cité Soleil », a-t-elle déclaré. « Nous sommes en train de suffoquer. Les Haïtiens ne peuvent plus respirer. »

Les Haïtiens sont douloureusement conscients des échecs et des abus liés aux dernières interventions internationales, y compris des allégations d'abus sexuels généralisés commis par les soldats de la paix, et une épidémie de choléra attribuée aux soldats de la paix qui a causé la mort de 10 000 personnes et à laquelle une épidémie actuelle peut en partie y être associée. Malgré cela, de nombreuses personnes ont déclaré à Human Rights Watch qu'elles ne voyaient pas d'alternative au soutien international.

Alors que les forces kenyanes et autres se préparent à un déploiement potentiel dans les semaines à venir, le Conseil de sécurité de l'ONU devrait faire pression sur les pays fournisseurs de troupes et les donateurs pour qu'ils mettent en œuvre une politique de diligence raisonnable en matière de droits humains qui soit au moins aussi rigoureuse que celle que l'ONU applique lors de ses missions de maintien de la paix. Il s'agit notamment de contrôler les membres de la mission avant leur déploiement et d'atténuer le risque que la mission permette à des unités de la police nationale haïtienne de commettre des abus.

Le Conseil de sécurité devrait également réitérer sa tolérance zéro à l'égard de toute mauvaise conduite ou de tout comportement abusif, y compris l'exploitation sexuelle, de la part des membres de la mission internationale et apporter son support dans le cadre de contrôle, enquête et procédure de reddition de compte indépendants pour tout abus commis, tout en privilégiant l’implication de groupes de la société civile haïtienne et des communautés affectées.

La résolution du Conseil de sécurité autorisant la formation de la mission reconnaît globalement les efforts nécessaires qu’il faut consentir pour résoudre durablement l'instabilité politique, institutionnelle et socio-économique que connait Haïti.

Il est essentiel de sortir Haïti de l'impasse politique, mais en dépit des efforts des dirigeants de la Communauté des Caraïbes, celle-ci persiste. Les accords signés par le Premier ministre Ariel Henry en 2021 et 2022 avec les groupes haïtiens de l'opposition, la société civile et les acteurs du monde des affaires n'ont toujours pas été respectés. Il n'y a toujours pas de gouvernement de transition pour organiser des élections libres et équitables, s'attaquer de manière significative aux défis permanents de la justice et de faire en sorte que les principaux acteurs politiques, économiques et sécuritaires qui permettent aux groupes criminels violents d'opérer rendent des comptes de leurs actes ou de rétablir l'accès aux services essentiels et aux produits de première nécessité pour de nombreux Haïtiens, un manque d’accès qui alimente le recrutement de gens par les groupes criminels.

Les Nations Unies devraient supporter les mesures fortes qui visent à forcer les dirigeants des groupes criminels et de leurs soutiens à rendre des comptes de leurs actes, et à réduire le flux d'armes à destination de ces groupes. Pour reconstruire les communautés dévastées tout en répondant aux besoins humanitaires urgents des Haïtiens, de nombreuses entités des Nations Unies devront coordonner leur travail afin de fournir une assistance humanitaire et une aide au développement.

Les pays voisins d'Haïti devraient cesser de renvoyer de force en Haïti les personnes fuyant l'insécurité, tant que les conditions présentent un risque réel de préjudice grave. Selon l'Organisation Internationale pour les migrations, au moins 216 600 personnes ont été renvoyées en Haïti en 2023, la grande majorité en provenance de la République dominicaine (81 %) et des États-Unis (11 %). Le rapatriement d'Haïtiens, y compris d'enfants, dans un pays où ils risquent de subir des préjudices graves ou irréparables, équivaut à un refoulement, ce qui constitue une violation des lois internationales sur les droits humains.

« Les Nations Unies ont commis de nombreuses erreurs en Haïti », a déclaré Tirana Hassan. « C'est l'occasion de rectifier le tir, de soutenir les efforts haïtiens en faveur d'une gouvernance démocratique et du respect des droits humains, et de mettre fin aux cycles meurtriers de violence et d’abus. »

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