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Haïti : Déclaration de Tirana Hassan au Conseil de sécurité de l'ONU

Remarques de la Directrice exécutive de Human Rights Watch au sujet de la crise dans ce pays

25 janvier 2024

Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir donné l’opportunité à Human Rights Watch d'informer le Conseil aujourd'hui sur les graves crises humanitaires et de droits humains qui sévissent en Haïti.

En octobre dernier, le Conseil a franchi une étape importante dans la résolution de la crise en Haïti, en autorisant le déploiement de la force multinationale de soutien à la sécurité et en soulignant les nombreuses dimensions de la crise qui doivent être abordées de manière holistique.

Malheureusement, le déploiement de la force et d'autres composantes essentielles d'une réponse fondée sur les droits sont au point mort, et la situation de nombreux Haïtiens n'a fait qu'empirer.

Les meurtres, les enlèvements, les violences sexuelles et autres abus se poursuivent à un rythme effréné, tandis que les activités des groupes criminels et les combats s'intensifient et se propagent.

Rien qu’en 2023, plus de 4 700 personnes ont été tuées, soit deux fois plus qu’en 2022, et près de 2 500 autres ont été enlevées. Les personnes que nous avons interrogées en Haïti nous ont dit à maintes reprises qu'elles avaient du mal à nourrir leur famille, que leurs enfants avaient constamment des problèmes d'estomac parce qu'ils n'avaient pas accès à de l'eau propre et qu'ils ne pouvaient pas accéder aux soins de santé ou envoyer leurs enfants à l'école.

Plus de 300 000 personnes sont déplacées à l'intérieur du pays, beaucoup d'entre elles ont été forcées de fuir après que leurs maisons ont été incendiées, et elles dorment actuellement dans des abris en plein air avec peu ou pas d'aide humanitaire.

Malgré les efforts consentis par des dirigeants de la Communauté des Caraïbes, l'impasse politique dans laquelle se trouve Haïti persiste. Il n'y a toujours pas de gouvernement de transition pour s'attaquer de manière significative aux défis continus qui émanent de la corruption et de la complicité des principaux acteurs politiques, économiques et sécuritaires qui permettent aux groupes criminels violents d'opérer. De nombreux Haïtiens sont prives de droits fondamentaux et de services de base, ce qui alimente le recrutement par les groupes criminels.

C'est à Cité Soleil qu'ont eu lieu certaines des pires violences commises ces derniers mois. Une infirmière interrogée par Human Rights Watch ce mois-ci, que j'appellerai Sandrine pour protéger son identité, a décrit comment sa fille de trois ans est tellement traumatisée par les coups de feu incessants qu’elle entendait dans leur quartier à Cité Soleil à la mi-novembre qu'elle a eu la diarrhée et a vomi pendant trois jours durant lesquels leur communauté avait été attaquée.

Le troisième jour, des hommes armés ont tenté de pénétrer de force dans la maison de Sandrine. Sandrine raconte que sa petite fille était très consciente de ce qui se passait : « Elle m'a demandé à voix basse : "Est-ce qu'ils vont nous tuer ?" »

Sandrine a expliqué : « Je lui ai dit que nous n'allions pas mourir aujourd'hui. » Sa fille a dit : « S'ils entrent, je me cacherai sous un drap et je ne ferai pas de bruit », et elle a demandé discrètement à sa mère un vêtement pour pouvoir se couvrir la bouche et vomir en silence.

Bloqués par la barrière devant la maison de Sandrine, les agresseurs ont fini par partir en lançant un cocktail Molotov en direction de leur maison.

Deux mois plus tard, Sandrine affirme que sa fille est toujours traumatisée et incapable de dormir. Elle étreint sa mère et lui dit « ils frappent la barrière », et elle dit aux autres « ils sont venus pour tuer ma mère ».

Sandrine a déclaré que c'était le pire moment de sa vie. Elle a également mis l’accent sur une réponse internationale urgente qui doit être apportée. Elle nous a dit : « Nous en avons vraiment besoin, à condition qu'elle soit sérieuse et qu'elle apporte un réel soutien, y compris dans des endroits comme Cité Soleil. Nous sommes en train de suffoquer. Les Haïtiens ne peuvent plus respirer. »

Ce sont des voix comme celles-ci que le Conseil de sécurité a entendues et prises en compte lorsqu'il a choisi d'autoriser une force internationale.

De nombreux Haïtiens que nous avons interrogés nous ont fait part d'un sentiment similaire. Ils sont bien conscients des échecs et des abus qui sont associés aux dernières interventions internationales en Haïti - y compris de nombreuses allégations d'abus sexuels commis par des Casques bleus et le déclenchement d'une épidémie de choléra qui a tué quelque 10 000 personnes - mais ils reconnaissent également que l'aide internationale est nécessaire aujourd'hui.

Pour éviter les échecs du passé, le Conseil de sécurité devrait demander aux pays qui vont envoyer des troupes et aux donateurs de mettre en œuvre une politique de diligence raisonnable en matière de droits humains qui soit au moins aussi rigoureuse que celle que l'ONU applique dans le cadre de ses missions de maintien de la paix. Il s'agit notamment de contrôler les membres de la force avant leur déploiement, et d'atténuer le risque que cette force permette à des unités qui commettent des abus au sein de la police nationale haïtienne d'agir. Les individus ou les unités qui sont impliqués de manière crédible dans de graves violations des droits humains devraient être inéligibles.

Le Conseil devrait réaffirmer sa tolérance zéro à l'égard de tout comportement répréhensible ou abusif, y compris l'exploitation sexuelle, de la part des membres de la force internationale et soutenir un contrôle indépendant, avec la participation des groupes de la société civile haïtienne et des communautés affectées, afin de surveiller et rendre des comptes sur la conduite et les performances de la force.

Le Conseil devrait également soutenir des enquêtes sur toute allégation d'abus, y compris des cas d’exploitation sexuelle, et s’assurer de l'obligation de rendre des comptes.

Mais la composante sécuritaire ne doit être qu'un élément d'une réponse à multiples facettes visant à résoudre efficacement la crise humanitaire et des droits humains en Haïti.

En premier lieu, il existe un besoin urgent d'aide humanitaire et d'aide au développement qui soient bien coordonnées.

Deuxièmement, le peuple haïtien mérite un gouvernement de transition qui puisse travailler de manière crédible avec les partenaires internationaux pour restaurer la sécurité et l'État de droit jusqu'à ce que des élections libres et équitables puissent être organisées.

Troisièmement, des mesures fortes doivent être adoptées pour garantir la justice et que des chefs de groupes criminels et ceux qui les supportent soient tenus de répondre de leurs actes.

Enfin, des efforts ciblés sont nécessaires pour endiguer le flux illicite d'armes et de munitions vers les groupes criminels en Haïti.

Nous demandons également au Conseil de rappeler à tous les pays qu’il faut cesser d’expulser vers Haïti les Haïtiens qui ont fui cette grave violence.

Les dirigeants des Nations Unies en ont également fait la demande et pourtant, selon l’Organisation Internationale pour les migrations, plus de 216 600 personnes ont été renvoyées en Haïti par d'autres gouvernements au cours de l'année dernière.

Les Nations Unies ont commis des erreurs en Haïti. C'est l'occasion de rectifier le tir et de soutenir les efforts haïtiens en faveur d'une véritable gouvernance démocratique, du respect des droits humains fondamentaux et de la fin des cycles meurtriers de violences et d'abus.

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