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Libye : Des conditions de détention abjectes pour les migrants et demandeurs d’asile

L’UE et l’Italie sont aussi responsables et devraient soumettre leur coopération à certaines conditions

(Bruxelles) –  La politique migratoire de l’Union européenne contribue au cycle d’abus subis par les migrants détenus en Libye, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Le soutien apporté par l’UE et l’Italie aux gardes-côtes libyens est un facteur important contribuant à leur interception de migrants et de demandeurs d’asile, qui sont ensuite placés en détention en Libye de façon arbitraire et abusive.

Le rapport de 70 pages, intitulé « ‘No Escape from Hell’: EU Policies Contribute to Abuse of Migrants in Libya » (« Un enfer sans issue : Les politiques européennes contribuent aux abus envers les migrants en Libye »), décrit une surpopulation extrême, des conditions insalubres, une malnutrition et un manque de soins médicaux adéquats. Dans quatre centres de détention officiels situés dans l’ouest de la Libye, Human Rights Watch a également constaté que les gardes commettaient des violences, notamment en frappant et fouettant les personnes. Dans trois centres sur quatre, Human Rights Watch a été témoin de la détention d’enfants, y compris nouveau-nés, dans des conditions extrêmement inappropriées. En 2018, presque 20 % des personnes ayant débarqué en Europe par la mer en venant de Libye étaient des enfants.

« Les migrants et les demandeurs d’asile détenus en Libye, y compris les enfants, sont piégés dans un cauchemar sans fin, et les actions des États européens perpétuent leur détention, au lieu de les évacuer de ces conditions abusives », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Les efforts cache-misère visant à améliorer les conditions et à faire sortir certaines personnes de détention ne dégagent pas l’UE de la responsabilité qui lui incombe pour avoir autorisé au départ ce système de détention barbare. »

Un migrant vu de dos, devant les toilettes du centre de détention d’Ain Zara, situé près de Tripoli dans le nord-ouest de la Libye, le 5 juillet 2018. © 2018 Human Rights Watch

Dans une lettre reçue par Human Rights Watch au moment où le rapport partait déjà à l’impression, la Commission européenne indiquait que son dialogue avec les autorités libyennes insistait sur le respect des droits humains des migrants et des réfugiés, que l’implication européenne en Libye était de nature humanitaire et que des améliorations concrètes avaient été obtenues, même s’il restait des problèmes.

En juillet 2018, Human Rights Watch a visité les centres de détention d’Aïn Zara et Tajoura à Tripoli, le centre de Kararim à Misrata et le centre de Zuwara dans la ville du même nom. Tous ces centres sont officiellement sous le contrôle de la Direction centrale de lutte contre les migrations illégales (DCIM) du gouvernement d’entente nationale (GNA), une des deux autorités en concurrence en Libye. Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 100 migrants et demandeurs d’asile détenus, dont 8 enfants non accompagnés, ainsi qu’avec le directeur et les principaux responsables de chaque centre. Les chercheurs ont également rencontré le chef de la DCIM et de hauts responsables des gardes-côtes libyens (affiliés au GNA), ainsi que des représentants d’organisations internationales et des diplomates.

Abdul, un jeune homme du Darfour âgé de 18 ans, a été intercepté par les gardes-côtes libyens en mai 2018 alors qu’il tentait d’entrer en Europe pour demander l’asile. Il a alors été placé en détention au centre de Kararim, dans des conditions effroyables, surpeuplées et insalubres. Il a déclaré que les gardiens l’avaient frappé sur la plante des pieds à l’aide d’un tuyau pour le faire avouer qu’il avait aidé trois hommes à s’évader. Ce qu’a vécu Abdul incarne toutes les épreuves, espérances brisées et souffrances de tant de migrants et demandeurs d’asile aujourd’hui en Libye, a déclaré Human Rights Watch.

Les hauts responsables des institutions et des pays membres de l’UE sont parfaitement au courant de la situation. En novembre 2017, le commissaire européen à la Migration, Dimitris Avramopoulos, déclarait : « Nous sommes tous conscients des conditions épouvantables et dégradantes dans lesquelles certains migrants sont détenus en Libye. » Pourtant, depuis 2016, l’Union européenne et certains États membres ont déversé des millions d’euros dans des programmes visant à muscler la capacité des gardes-côtes libyens à intercepter les embarcations quittant la Libye, tout en sachant parfaitement que tous leurs occupants sont alors automatiquement détenus de façon indéfinie et arbitraire, sans aucun contrôle judiciaire.

L’Italie – le pays européen où arrivent la majorité des migrants partant de Libye – a pris l’initiative d’apporter une aide matérielle et technique aux forces des gardes-côtes libyens et s’est quasiment dégagée de toute responsabilité dans la coordination des opérations de sauvetage en mer, afin de limiter le nombre de personnes débarquant sur ses rivages. L’augmentation des interceptions par les gardes-côtes libyens en eaux internationales, combinée à l’obstruction des navires de sauvetage des organisations non gouvernementales par l’Italie et Malte, a contribué à la surpopulation et à la détérioration des conditions dans les centres de détention de Libye.

Le fait de permettre aux gardes-côtes libyens d’intercepter les gens dans les eaux internationales et de les ramener vers un traitement cruel, inhumain ou dégradant en Libye peut constituer une complicité ou une assistance dans la perpétration de graves violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. L’appui de l’UE et de ses États membres à des programmes d’aide humanitaire destinés aux migrants et demandeurs d’asile détenus et à des projets d’évacuation et de rapatriement n'a pas fait grand-chose pour s’attaquer aux problèmes inhérents de la détention migratoire en Libye et ne sert qu’à camoufler l’injustice de la politique européenne de confinement.

Les autorités libyennes devraient mettre fin à la détention migratoire arbitraire, instaurer des alternatives à cette détention, améliorer les conditions des centres et veiller à ce que ceux qui violent les droits des migrants, qu’ils soient ou non liés à l’État, soient traduits en justice. Les autorités devraient également signer un protocole d’accord avec le HCR, l’organe des Nations unies pour les réfugiés, afin qu’il puisse enregistrer toute personne nécessitant la protection internationale, quelle que soit sa nationalité, en parfaite conformité avec son mandat.

Les institutions et les États membres de l’UE devraient imposer des critères de référence clairs en vue de l’amélioration du traitement réservé aux migrants et des conditions des centres de détention de Libye, et se préparer à suspendre toute coopération si ces critères ne sont pas remplis. L’UE devrait également assurer et permettre de véritables opérations de sauvetage en Méditerranée centrale, y compris par les groupes non gouvernementaux, et augmenter de façon significative la réinstallation des demandeurs d’asile et des migrants vulnérables hors de Libye.

« Les dirigeants européens savent bien à quel point la situation en Libye est affreuse, mais continuent à apporter leur appui politique et matériel pour étayer un système pourri », a conclu Judith Sunderland. « S’ils veulent éviter d’être complices de graves atteintes aux droits humains, l’Italie et ses partenaires européens devraient repenser leur stratégie pour pousser réellement vers des réformes de fond et mettre fin à la détention automatique. »

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Juillet 2019

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