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Libye : La CPI a émis sa décision finale sur Saïf al-Islam Kadhafi

Les autorités libyennes devraient respecter cette décision et le transférer à La Haye

(New York, le 21 mai 2014) – La décision prise le 21 mai 2014 par la Cour pénale internationale (CPI), rejetant la proposition de la Libye de juger Saïf al-Islam Kadhafi devant les tribunaux libyens, vient encore renforcer l'obligation qui incombe à Tripoli de le déférer à La Haye, siège de la CPI, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Saïf al-Islam Kadhafi, l'un des fils de Mouammar Kadhafi, fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour crimes contre l'humanité pour son rôle présumé dans les tentatives de répression du soulèvement populaire de 2011 en Libye.

Une chambre d'appel de la CPI a confirmé une décision antérieure de rejet de la tentative de la Libye de juger Kadhafi dans le pays. La Cour a estimé que la Libye n'avait pas fourni de preuves suffisantes pour démontrer qu'elle enquêtait bien sur le même dossier que celui dont la CPI est saisie, ce qui est une condition nécessaire pour la recevabilité d'un telle démarche aux termes du traité régissant la CPI. La CPI a également estimé que la Libye était véritablement dans l'impossibilité de mener à bien une enquête criminelle à l'encontre de Kadhafi. Le rejet par la Cour de l'appel de la Libye confirme et souligne l'obligation des autorités libyennes de le déférer immédiatement à La Haye afin que les procédures commencent. Cette décision est définitive et aucun nouvel appel n'est possible.

«La décision en appel de la CPI ne fait que renforcer l'obligation incombant de longue date à la Libye de livrer Saïf Kadhafi à La Haye », a déclaré Richard Dicker,directeur de la division Justice internationale à Human Rights Watch. «Les autorités libyennes devraient faire preuve du même respect pour les procédures de la CPI que celui qu'elles ont manifesté lorsqu'elles ont contesté la compétence de la Cour dans le dossier Kadhafi.»

La Libye a déposé un recours devant la CPI le 1er mai 2012, afin de poursuivre Kadhafi dans le cadre de son propre système judiciaire. La CPI a autorisé la Libye à retarder le transfert de Kadhafi à La Haye jusqu'à sa décision concernant ce recours. Le 31 mai 2013, les juges de la CPI ont rejeté la requête de la Libye et ont rappelé aux autorités libyennes l'obligation qui leur incombe de le livrer. Le 26 juin, la Libye a fait appel de cette décision et demandé l'autorisation de reporter le transfert de Kadhafi en attendant que la Cour statue sur son appel. Le 18 juillet, une chambre d'appel de la CPI a rejeté cette demande et souligné que la Libye était légalement tenue de livrer Kadhafi à la Cour en attendant la décision sur son appel.

 

L'actuelle escalade de la violence en Libye, qui selon des informations parues dans les médias, a fait au moins 70 morts à Benghazi et quatre à Tripoli ainsi que des dizaines de blessés, au cours de la semaine écoulée, risque de faire dérailler encore davantage le fragile processus de transition dans lequel le pays est engagé. Cette situation démontre également les difficultés qu'aura le système judiciaire libyen à fournir les garanties de procès équitables à Kadhafi et à d'autres accusés, a souligné Human Rights Watch.

Les autorités intérimaires libyennes successives ont failli à leur responsabilité de contrôler les groupes paramilitaires et de faire régner la loi et l'ordre dans un contexte de quasi-impunité. Depuis le 16 mai 2014, une série d'affrontements entre forces loyales à un général à la retraite de l'armée libyenne rassemblées pour éliminer d'autres milices accusées d'avoir commis des violations des droits humains à Benghazi a destabilisé l'est du pays et s'est désormais étendue à la capitale, Tripoli, qui a connu une attaque contre le parlement par des miliciens qui lui sont hostiles.

La Libye a promis de respecter ses obligations à l'égard de la Cour. Dans des arguments soumis à la CPI, la Libye a affirmé ne pas contester qu'elle doive coopérer et que la Cour a rétabli son obligation de livrer Kadhafi. Mais jusqu'ici, les autorités libyennes se sont abstenues de remettre Kadhafi à la CPI. Kadhafi est détenu dans un lieu secret par la Brigade Abu Baker al-Siddiq de Zintan, qui affirme agir sous l'autorité du ministère de la Défense.

La Libye a poursuivi ses propres procédures judiciaires contre Kadhafi, ainsi que contre Abdullah Sanussi, le chef des services de renseignement de l'époque Kadhafi qui est également impliqué dans plusieurs affaires par la CPI, et d'autres anciens responsables de haut rang du régime Kadhafi. Le procès des deux hommes poursuivis par la CPI et de 35 autres personnes, pour l’essentiel d’anciens responsables du régime Kadhafi accusés de crimes graves commis au cours du soulèvement populaire en Libye en 2011,s'est ouvert le 24 mars dans une salle d'audience spécialement désignée à cet effet dans la prison d'Al-Hadba à Tripoli. D'autres audiences ont eu lieu le 14 avril, le 27 avril et le 11 mai. La prochaine est prévue pour le 25 mai.

Saïf al-Islam Kadhafi n'était pas présent au tribunal lors des deux premières audiences à Tripoli, étant resté à Zintan. Il n’a pas comparu non plus aux audiences préliminaires, car le responsable du contingent de la garde militaire qui le détient a refusé de se conformer aux demandes du procureur général, qui exigeait son transfert à Tripoli. Le chef de la garde militaire a dit à Human Rights Watch craindre pour la sécurité de ses propres hommes ainsi que pour celle du prisonnier, compte tenu de l’instabilité des conditions de sécurité à Tripoli.

 

Pour les troisième et quatrième séances du procès, les autorités ont mis en place une liaison avec Kadhafi censée être en circuit fermé, mais on ignore si celui-ci a accepté cet arrangement.Le 24 mars, le Parlement a adopté une loi amendant les articles 241 et 243 du Code de procédure pénale libyen, qui autorise les accusés, les témoins experts et d’autres personnes à témoigner via des « méthodes de communications modernes » sans avoir à être présents en personne au tribunal. La loi stipule que de telles mesures ne doivent être utilisées que dans des affaires urgentes, et si les autorités craignent pour la sécurité de l’accusé. 

Le 23 janvier, Human Rights Watch a mené un entretien avec Kadhafi dans un bureau d’une base militaire de Zintan.Lors de cette visite, Kadhafi a affirmé à Human Rights Watch qu’il n'avait pas pu se faire assister d'un avocat de son choix depuis son arrestation en novembre 2011, et qu'il avait subi de nombreuses séances d'interrogatoire sans qu'un avocat soit présent. Il a également affirmé qu'il n'avait pas eu la possibilité d’examiner les éléments de preuve présentés contre lui.

La résolution 1970 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui a saisi la CPI de la situation en Libye, impose aux autorités libyennes de coopérer pleinement avec la Cour, obligation contraignante aux termes de la Charte de l'ONU, bien que la Libye ne soit pas partie au traité qui a créé cette Cour. Les États membres du Conseil de sécurité, qui a été unanime dans sa décision de donner mandat à la CPI pour enquêter sur les événements de Libye, ont la responsabilité de dire clairement que la Libye devrait se conformer sans retard à la décision que vient de prendre la Cour, a déclaré Human Rights Watch.

«Le Conseil de sécurité a donné mandat à la CPI pour enquêter et a ordonné à la Libye de coopérer avec elle», a rappelé Richard Dicker. «Les États membres du Conseil devraient maintenant signifier clairement à Tripoli que le moment est venu d'appliquer la résolution 1970 et de respecter les décisions de la Cour.»

Le 7 juin 2013 lors des audiences préliminaires, l'équipe de défense de Kadhafi, nommée par la CPI ,a demandé aux juges de déclarer que la Libye avait failli à son obligation de coopérer avec la Cour en s'abstenant de lui livrer Kadhafi immédiatement après que la CPI eut rejeté la proposition de le juger en Libye. Le 23 juillet, la défense a présenté une nouvelle requête pour un constat de non-coopération et le 9 décembre, a demandé une décision immédiate sur ces deux démarches. Le 10 mars 2014, en l'absence d'une décision des juges, la défense a demandé l'autorisation de plaider que les juges avaient, lors des audiences préliminaires, fait une erreur en ne statuant pas sur les requêtes de la défense dans un délai raisonnable.

Le 1er mai, la procureure de la CPI, dans une notification aux juges de la Cour, a fait part de sa préoccupation concernant les informations selon lesquelles la Libye avait l'intention de poursuivre les préparatifs pour un procès de Kadhafi devant ses propres tribunaux, en dépit de son obligation constante de le remettre à la CPI. En outre, lorsque la procureure de la CPI a rendu compte le 13 mai au Conseil de sécurité de l'évolution des dossiers libyens, elle a appelé les autorités libyennes à livrer immédiatement Kadhafi à La Haye. Le 15 mai, une chambre judiciaire de la CPI a émis une décision donnant jusqu'au 28 mai à la Libye pour informer la Cour de la manière dont elle comptait s'acquitter de ses obligations à son égard, notamment en ce qui concerne la remise de Kadhafi à la Cour.

L'article 87 du traité constitutif de la CPI autorise celle-ci à émettre un constat de non-coopération. Du fait que la compétence de la CPI dans le dossier libyen résulte de sa saisine par le Conseil de sécurité, un tel constat serait transmis au Conseil de sécurité pour qu'il y donne suite. Le Conseil disposerait alors d'une gamme d'options, comprenant des résolutions, des sanctions et des déclarations solennelles. 

Le 11 octobre 2013, la Libye a réussi, suite à un recours distinct auprès de la CPI, à obtenir l'autorisation de juger Sanussi dans le cadre de son propre système judiciaire. Les juges de la CPI ont décidé que le dossier à charge contre Sanussi devant la CPI pouvait faire l'objet de poursuites à l'échelon national et que la Libye avait à la fois la volonté et la capacité de mener à bien ces procédures contre lui. L'équipe de défense de Sanussi à la CPI a fait appel de cette décision et on est dans l'attente d'une décision concernant cet appel à la CPI. Les juges de la CPI ont demandé à la Libye de s'abstenir de prendre, pendant le déroulement de la procédure d'appel, toute mesure qui serait de nature à rendre impossible la reprise du dossier Sanussi par la CPI si la décision initiale était annulée en appel.

Une enquête de Human Rights Watch effectuée en janvier 2014 a permis de révéler que la Libye a failli à son obligation d’accorder à Sanussi le droit fondamental à la légalité des procédures judiciaires, suscitant de graves inquiétudes quant à la capacité de la Libye à lui garantir un procès équitable conforme aux normes internationales. Le 15 mai, un juge de la CPI a estimé que la Libye avait failli à son devoir d'organiser un entretien privé de Sanussi avec son équipe de défense devant la CPI. Le juge a demandé à la Libye de lui rendre compte d'ici au 28 mai de la manière dont elle compte s'acquitter de cette obligation, entre autres.

Conformément au traité constitutif de la CPI, la Libye ne peut présenter qu'un seul recours juridique afin de juger elle-même Kadhafi ou Sanussi pour des crimes mentionnés dans les mandats d'arrêt émis par la CPI. Tout recours supplémentaire ne peut être présenté que dans des circonstances exceptionnelles et avec l'accord des juges de la CPI.

«La Libye a assuré au Conseil de sécurité qu'elle coopérerait avec la Cour», a conclu Richard Dicker. «En respectant le processus judiciaire de la CPI et en livrant Kadhafi à La Haye, les autorités libyennes enverraient à la communauté mondiale un message important sur la réalité de leur adhésion aux principes de l'État de droit.»

 

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