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Malawi : Il faut mettre fin à la pratique répandue du mariage précoce

Le gouvernement devrait adopter la loi sur le mariage et aborder ce problème d'une manière globale

(Lilongwe) – Le gouvernement du Malawi devrait redoubler d'efforts pour mettre fin à la pratique généralisée des mariages forcés d'enfants, ou subir le risque d’une aggravation des problèmes de la pauvreté et de l'illettrisme, ainsi que de la hausse du nombre des décès maternels pourtant évitables, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié à l’avant-veille de la Journée internationale de la femme, le 8 mars 2014.

Selon des statistiques gouvernementales, la moitié des filles au Malawi sont déjà mariées quand elles atteignent leur 18ème anniversaire, certaines ayant été forcées de se marier dès l'âge de 9 ou 10 ans.

Première femme à accéder à la présidence du Malawi, Joyce Banda, qui est entrée en fonctions en avril 2012, devrait appuyer publiquement une adoption rapide de la Loi sur le mariage, le divorce et les relations familiales (Loi sur le mariage), qui contient des dispositions essentielles contre le mariage des enfants, a déclaré Human Rights Watch.

Ce rapport de 69 pages, intitulé « ‘I’ve Never Experienced Happiness’: Child Marriage in Malawi» (« 'Je n'ai jamais connu le bonheur': le mariage des enfants au Malawi »),documente comment le mariage précoce empêche les filles et les femmes de s'accomplir pleinement dans tous les aspects de la vie. Cette pratique viole leurs droits à la santé, à l'éducation, à vivre à l'abri de la violence physique, psychologique et sexuelle, et à se marier seulement lorsqu'elles sont capables et désireuses d'y donner librement leur plein consentement.

« Le Malawi devrait fixer un âge minimum légal pour le mariage afin de protéger les filles des abus, de l'exploitation et des violences qui résultent souvent des mariages précoces», a déclaré Agnes Odhiambo, chercheuse sur les droits des femmes en Afrique à Human Rights Watch. « La présidente Banda devrait s'assurer qu'elle laissera un héritage durable après son premier mandat à la tête de l'État en faisant adopter la Loi sur le mariage, qui défend les droits des filles et des femmes du Malawi.»

Le rapport de Human Rights Watch est basé sur des entretiens approfondis avec 80 femmes et jeunes filles, réalisés dans six districts du sud et du centre du Malawi. L'organisation a également interrogé des responsables du gouvernement, des magistrats, des employés des services de protection de l'enfance, des agents de police chargés de la protection d'enfants, des assistantes sociales, des chefs coutumiers et des autorités religieuses, des employés du secteur de la santé, des enseignants, des experts juridiques et spécialistes des droits des femmes et des représentants d'organisations non gouvernementales, des Nations Unies et d'organisations caritatives. Human Rights Watch a aussi observé le travail de six Unités de soutien aux victimes (Victim Support Units) dans des postes de police.

Une fille sur deux au Malawi est mariée avant l'âge de 18 ans. Le projet de Loi sur le mariage prévoit de fixer clairement à 18 ans l'âge minimum du mariage pour filles et garçons, ce qui comblerait une importante lacune dans les efforts actuels du Malawi pour protéger les filles contre la pratique du mariage précoce. Le projet de loi prévoir de donner un statut égal aux deux parties dans chaque mariage et exige que tous les mariages, y compris les mariages coutumiers, soient enregistrés officiellement auprès d'une autorité compétente.

De jeunes filles ont décrit à Human Rights Watch comment elles avaient subi des pressions pour se marier de la part de membres de leurs familles, soit parce que ceux-ci étaient pressés de recevoir l'argent de la dot, soit parce qu'elles étaient enceintes, ou comment elles avaient elles-mêmes considéré le mariage comme un espoir de sortir de la pauvreté, souvent déçu par la suite. Lucy P., âgée de 17 ans, qui a cessé sa scolarité en 2011, a déclaré à Human Rights Watch: « J'avais trouvé un petit ami qui pouvait s'occuper de moi, parce que mes parents sont pauvres. Au bout d'un moment ensemble, il m'a demandé d'avoir des rapports sexuels avec lui. Je suis devenue enceinte et ma mère m'a forcée à l'épouser.»Elle a précisé qu'elle n'utilisait pas de moyens contraceptifs car, a-t-elle dit: « Mon petit ami me donnait de l'argent, donc je ne pouvais pas insister pour qu'il utilise des préservatifs.»

« Les grossesses à l'adolescence sont un facteur important du phénomène du mariage précoce au Malawi», a affirmé Agnes Odhiambo. « Les filles n'ont aucun pouvoir pour négocier des pratiques sexuelles sans risques avec les hommes, ne savent pratiquement rien sur les moyens de contraception et sont souvent forcées par leurs parents à avoir des relations sexuelles pour de l'argent ou de la nourriture. Beaucoup se retrouvent enceintes et sont contraintes au mariage par leurs familles.»

Les statistiques du gouvernement montrent qu'entre 2010 et 2013, 27.612 filles fréquentant l'école primaire et 4.053 élèves de l'école secondaire ont mis fin à leurs études pour se marier. Pendant la même période, 14.051 autres filles du cycle primaire et 5.597 du secondaire ont fait de même parce qu'elles étaient enceintes. Au Malawi, le taux d'alphabétisation des hommes est de 74 pour cent; pour les femmes, il est de 57 pour cent.

De jeunes filles ont déclaré à Human Rights Watch que le mariage avait interrompu, voire mis fin à leur éducation et, par conséquent, à leurs rêves de devenir médecin, professeur ou avocate. Beaucoup d'entre elles ont indiqué qu'elles ne pouvaient pas retourner à l'école après leur mariage car elles n'étaient pas en mesure de payer les frais de scolarité ou de faire garder leur enfant, ou à cause de l'inexistence de programmes scolaires à horaires flexibles ou de classes pour adultes, ou encore à cause de l'obligation pour elles de s'acquitter de tâches domestiques. D'autres ont affirmé que leurs maris ou leurs beaux-parents ne leur permettaient pas de continuer leurs études après le mariage. Changamile F., du district de Chikwawa, qui a quitté l'école à l'âge de 16 ans dans le courant de sa seconde année d'école secondaire, a déclaré à Human Rights Watch: « Je voudrais vraiment retourner à l'école, pour pouvoir trouver un emploi et avoir une vie meilleure. Mais je suis très occupée par les tâches ménagères et ma belle-mère n’est pas favorable à ce que je retourne à l'école.»

Human Rights Watch a constaté que le mariage précoce expose les filles au danger des violences sexistes, y compris aux violences familiales et sexuelles. Certaines filles qui ont refusé d'être mariées contre leur volonté ont affirmé avoir été menacées, insultées ou jetées hors de la maison familiale. D'autres ont affirmé avoir été insultées ou agressées physiquement par leurs maris et leurs beaux-parents. D'autres encore ont indiqué que leurs maris les avaient abandonnées et laissées seules, sans aide financière, pour s'occuper des enfants, accroissant ainsi la probabilité qu'elles stagnent dans la pauvreté. Très peu de filles au Malawi savent qu'elles ont le droit de demander aide et protection contre les violences.

Des employés des services de santé ont décrit à Human Rights Watch les dommages et les dangers pour la santé procréative des grossesses précoces, qui sont fréquentes quand les filles sont mariées à un très jeune âge, notamment les décès maternels, les fistules obstétricales, les naissances prématurées et les anémies. Le taux de mortalité maternelle au Malawi est élevé, à 675 décès pour 100.000 naissances viables. Des employés du secteur de la santé ont également évoqué les coûts qu'entraînent les grossesses précoces pour le système de santé et qui pourraient être évités.

L'éventuel manquement du gouvernement à son obligation d'atténuer les dommages extensifs causés par le mariage des enfants pourrait avoir un impact négatif sur le futur développement du Malawi. Human Rights Watch a appelé le gouvernement du Malawi à prendre des mesures, à la fois immédiates et à long terme, pour protéger les filles contre les mariages précoces et forcés et leur assurer la jouissance de leurs droits humains, en conformité avec ses obligations internationales en la matière. Le gouvernement, avec l'appui de ses partenaires de développement, devrait:

  • Prendre les mesures législatives nécessaires pour assurer l'adoption de la Loi sur le mariage, le divorce et les relations familiales, puis la mettre rapidement en application;
  • Promulguer la loi sur l'éducation; puis élaborer un plan global pour faire appliquer sa disposition sur l'éducation obligatoire;
  • Mettre au point et appliquer un plan national d'action pour empêcher le mariage des enfants et en atténuer les conséquences;
  • Mettre au point et appliquer une politique et une stratégie nationales pour protéger la santé procréative des adolescents;
  • Lancer un programme de formation à l'intention des responsables de l'application des lois sur leur obligation légale d'enquêter sur les violences faites aux femmes, y compris les mariages forcés d'enfants, et d'engager des poursuites contre leurs auteurs, aux termes de la loi en vigueur;
  • Soutenir les organisations non gouvernementales qui supervisent et évaluent les programmes destinés à lutter contre les violences faites aux femmes, y compris le mariage des enfants, et utiliser ces informations pour améliorer ces programmes; et
  • Soutenir la création et l'entretien de refuges destinés aux victimes de violences sexistes.

« Le Malawi est confronté à de nombreux défis économiques mais les droits de ses filles et de ses femmes ne devraient pas pour autant être sacrifiés», a conclu Agnes Odhiambo. « Les réformes qui ne peuvent pas être effectuées immédiatement devraient continuer de faire partie de la politique à long terme du gouvernement.»

 

Témoignages sélectionnés extraits du rapport

« Mes parents m'ont obligée à [me marier]. Ils disaient que ce serait mieux pour moi d'être mariée.»
-Chaonaine A., 19 ans. District de Nkhotakota, 24 septembre 2013. Chaonaine a épousé le fils d'un chef coutumier, âgé de 21 ans, quand elle avait 16 ans. Elle a quatre frères et sœurs, ses parents sont pauvres et elle a quitté l'école en deuxième année d'école secondaire parce qu'ils ne pouvaient pas lui payer un uniforme ou ses livres scolaires. Son mari a versé une dot de 8.000 MK (19 dollars) aux parents de Chaonaine.

« Je me suis mariée parce que je ne voulais plus avoir de problèmes. J'allais à l'école mais je n'avais pas d'uniforme. Nous n'avions pas assez à manger à la maison. Je vis avec mon père qui vend des seaux. Mes parents sont séparés et j'ai neuf frères et sœurs.»
-Zulu K., 14 ans, était mariée depuis quatre mois quand Human Rights Watch l'a interrogée. District de Chikwawa, 18 septembre 2013.

« Alors que nous sortions ensemble depuis quelque temps, mon petit ami a demandé à ma sœur … s'il pouvait m'épouser. Elle a dit oui. J'ai dit non parce que j'allais à l'école. Mais ma mère et ma sœur ont fait pression sur moi pour que j'épouse mon petit ami parce qu'elles voulaient de l'argent…. Mon mari me battait tous les jours. Il m'insultait…. J'ai dit à ma mère que mon mari me battait mais elle m'a forcée à retourner auprès de lui, disant que je devais endurer cela parce que le mariage, c'est comme ça. J'ai quitté mon mari parce que les coups devenaient insupportables. Mais je n'avais aucun endroit où aller. Je suis allée chez ma sœur et ma mère mais elles m'ont renvoyée et m'ont dit de retourner auprès de lui. Une amie a accepté de m'héberger avec mon enfant pendant trois mois. Au bout des trois mois, elle m'a dit: ‘Pourquoi veux-tu que je continue à m'occuper de toi? Pourquoi ne fais-tu pas le même travail que moi?’ C'est comme ça que je suis devenue travailleuse sexuelle.»
-Chikondi R., 18 ans. Elle a épousé son petit ami âgé de 19 ans en 2008. Elle venait de réussir son examen de passage de l'école primaire à l'école secondaire.

« Ma grand-mère et ma sœur voulaient me faire épouser un commerçant installé près du lac. J'ai refusé. Elles m'ont menacée de m'expulser de la maison si je n'épousais pas cet homme. Je suis allée voir ma tante mais elle aussi m'a dit que je devais épouser l'homme ou quitter la maison. J'ai accepté parce que je ne savais pas où aller.»
-Chanika B., mariée à l'âge de 15 ans et âgée aujourd'hui d'environ 18 ans. District de Mangochi, 21 septembre 2013.

« J'ai 23 ans et mon mari a 30 ans. Je me suis mariée à l'âge de 15 ans. J'ai deux enfants, âgés de 9 ans et de 18 mois. Je ne voulais pas me marier mais j'ai accepté parce que nous étions pauvres. Pendant la cérémonie du mariage, on m'a dit de respecter mon mari et de ne jamais lui refuser des rapports sexuels. On m'a dit que quand j'aurai des problèmes, je devrai les supporter parce que le mariage, c'est comme ça. J'ai trouvé la vie très difficile après le mariage. J'étais une petite fille et je ne savais rien du mariage. Un jour, mon ventre a commencé à grossir et j'avais de forts maux de tête. J'avais très peur; Je ne savais pas ce qui se passait. Je suis allée à l'hôpital et l'infirmière m'a dit que j'étais enceinte de cinq mois.… Je ne suis pas heureuse dans mon mariage car mon mari s'en va souvent sans laisser de nourriture et reste absent pendant de longues périodes. Mon mari me bat aussi et c'est un coureur de femmes. Je l'aime mais lui ne m'aime pas et c'est pourquoi il a beaucoup d'autres femmes. Je veux quitter ce mariage mais j'attends le bon moment pour partir. J'attends qu'il change et s'il ne change pas, je le quitterai. Quand mon mari revient après avoir vu d'autres femmes et veut des rapports sexuels, j'accepte parce c'est mon mari. Nous n'utilisons pas de préservatifs car il m'a déjà infectée par le VIH. Le mariage, ce n'est pas bon pour les filles. Il n'y a pas de bonheur. Je veux que les choses changent pour les filles, c'est pourquoi je veux faire connaître mon histoire à toutes les filles qui envisagent de se marier.»
-Kalinde J.; District de Chikwawa, 18 septembre 2013.

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