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Irak : Les forces de sécurité font subir des exactions aux femmes en détention

Des allégations de torture illustrent la nécessité urgente d'une réforme de la justice pénale

(Bagdad) – Les autorités irakiennes maintiennent illégalement en détention des milliers de femmes irakiennes et font subir à un grand nombre d'entre elles des tortures et d'autres mauvais traitements, y compris des menaces de violences sexuelles, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. En Irak, le système judiciaire, qui présente de graves lacunes et est rongé par la corruption, fonde fréquemment ses verdicts de culpabilité sur des aveux extorqués et les procédures pénales ne sont pas conformes aux normes internationales. De nombreuses femmes ont été maintenues en détention pendant des mois, voire des années, sans qu'aucun chef d'accusation n'ait été retenu contre elles, avant de comparaître devant un juge.

Dans ce rapport de 105 pages, intitulé « ‘No One Is Safe’: Abuses of Women in Iraq’s Criminal Justice System»(« 'Personne n'est en sécurité': Abus à l’encontre de femmes dans le cadre du système de justice pénale en Irak »), Human Rights Watch documente les exactions subies par les femmes pendant leur détention en se fondant sur des entretiens réalisés avec des femmes et des filles, sunnites et chiites, en prison; avec leurs familles et leurs avocats; et avec des prestataires de services médicaux dans les prisons, alors que le pays connait une escalade de violences dans lesquelles sont impliqués les forces de sécurité et divers groupes armés. Human Rights Watch a également examiné des documents d'audience, ainsi qu'une masse d'informations recueillies lors de rencontres avec les autorités irakiennes, parmi lesquelles des responsables des ministères de la Justice, de l'Intérieur, de la Défense et des Droits de l'homme, ainsi que deux Premiers ministres adjoints.

« Les forces de sécurité irakiennes et les autorités chargées de les superviser se comportent comme si commettre de violentes exactions contre les femmes pouvait rendre le pays plus sûr», a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « En fait, ces femmes et les membres de leurs familles nous ont dit que tant que les forces de sécurité continueront à commettre des violations des droits humains en toute impunité, la situation du pays en matière de sécurité ne pourra que s'aggraver.»

En janvier 2013, le Premier ministre, Nouri al-Maliki, a promis de réformer le système de justice pénale, en commençant par libérer les femmes détenues qui ont bénéficié d'un ordre de remise en liberté. Mais un an plus tard, les méthodes brutales des forces de sécurité demeurent essentiellement inchangées et des centaines de femmes sont toujours détenues illégalement.

Alors que des combats faisaient rage entre une multitude de groupes rebelles sunnites et les forces de sécurité gouvernementales dans la province d'Anbar en janvier 2014, des habitants d'Anbar ont fait part à Human Rights Watch de leur déception devant le fait que Maliki n’a pas mis en œuvre les réformes promises. Selon eux, la défiance des habitants envers les forces de sécurité, causée par les méthodes de celles-ci consistant à s'en prendre aux résidents des régions sunnites, notamment les exactions commises contre les femmes documentées par Human Rights, handicape les efforts militaires du gouvernement contre al-Qaïda dans la province.

Parmi les 27 femmes qui ont parlé à Human Rights Watch, beaucoup ont affirmé avoir été battues, rouées de coups de pied, giflées, suspendues la tête en bas et frappées sur la plante des pieds (falaqa), soumises à des électrochocs et violées ou menacées de violences sexuelles par les forces de sécurité pendant leur interrogatoire. Elles ont dit que les forces de sécurité les avaient questionnées sur les activités des membres masculins de leurs familles plutôt que sur les éventuels crimes dans lesquels elles auraient pu être impliquées. Selon elles, les forces de sécurité les ont forcées à signer des dépositions, souvent avec leurs empreintes digitales, qu'elles n'ont pas été autorisées à lire et qu'elles ont ultérieurement rejetées au tribunal.

Une de ces femmes est arrivée en s'aidant de béquilles à son rendez-vous avec Human Rights Watch, au centre irakien de détention des condamnés à mort, dans le quartier de Kadhimiyya à Bagdad. Elle a affirmé que neuf jours de passages à tabac, d'électrochocs et de falaqa en mars 2012 l'avaient rendue définitivement infirme. Human Rights Watch a pu constater qu'elle avait le nez éclaté, des cicatrices sur le dos et des traces de brûlures sur un sein, ce qui corroborait sa description des violences qu'elle avait subies. Elle a été exécutée en septembre 2013, sept mois après son entretien avec Human Rights Watch, malgré la décision d'un tribunal de première instance qui avait rejeté les chefs d'accusation retenus contre elle à la lumière d'un rapport médical confirmant qu'elle avait été torturée.

Human Rights Watch a constaté que les forces de sécurité irakiennes arrêtent régulièrement des femmes de manière illégale et commettent d'autres violations du principe de la légalité des procédures au détriment des femmes à tous les échelons du système judiciaire. Des femmes subissent des menaces de violences sexuelles, voire même des agressions sexuelles, parfois sous les yeux de leurs maris, de leurs frères ou de leurs enfants. Le fait que les tribunaux se refusent à enquêter sur les allégations d'abus et à faire rendre des comptes à leurs auteurs encourage la police à extorquer des aveux par la force et à recourir à la torture, a déclaré Human Rights Watch.

Sur plus de 4.200 femmes actuellement détenues dans des installations dépendant des ministères de l'Intérieur ou de la Défense, une large majorité sont sunnites, mais les exactions documentées par Human Rights Watch affectent des femmes appartenant à tous les courants religieux et à toutes les classes de la société irakienne.

Les hommes, comme les femmes, souffrent des graves lacunes du système de justice pénale irakien. Mais les femmes souffrent doublement, du fait de leur statut de membres de seconde classe de la société irakienne. Human Rights Watch a constaté que les femmes sont fréquemment visées non seulement en ce qui concerne des crimes qu'elles sont accusées d'avoir commis elles-mêmes, mais aussi dans le but de harceler des membres masculins de leur famille ou de leur communauté. Lorsqu'elles ont été détenues, et même si elles ont été remises en liberté indemnes, les femmes sont souvent stigmatisées par leur famille ou leur communauté, qui les considèrent comme déshonorées.

L'inadéquat système de justice pénale irakien est défaillant dans sa mission de rendre justice aux victimes d'exactions, qu'il s'agisse d'abus commis par les forces de sécurité ou d'agressions criminelles de la part de groupes armés, a affirmé Human Rights Watch. Les arrestations et les condamnations documentées par Human Rights Watch semblaient souvent avoir été fondées sur des informations fournies par des indicateurs secrets et sur des aveux obtenus par la torture.

« Nous ne savons pas qui nous devons craindre le plus, al-Qaïda ou SWAT», a déclaré un habitant de Fallujah, faisant allusion à une unité des forces spéciales qui est chargée d'effectuer des opérations antiterroristes. « Pourquoi devrions-nous les aider à combattre al-Qaïda, sachant qu'ils s'en prendront à nous dès qu'ils en auront fini avec eux?»

Human Rights Watch a examiné une vidéo dans laquelle un homme se présentant comme un dirigeant d'al-Qaïda demande à une foule de badauds à Ramadi: « Que sommes-nous censés faire quand l'armée viole nos femmes? Que sommes-nous censés faire quand ils emprisonnent nos femmes et nos enfants?»Des protestataires pacifiques ont posé les mêmes questions aux autorités irakiennes lors de manifestations de masse qui ont commencé il y a plus d'un an, mais la promesse de Maliki de s'occuper de ce problème est restée lettre morte.

Des détenues, leurs familles et leurs avocats ont déclaré à Human Rights Watch que les forces de sécurité effectuaient des rafles parmi la population féminine, qui s'apparentent à une forme de punition collective pour les activités terroristes présumées des membres masculins de leurs familles. Les autorités ont profité de dispositions vagues contenues dans la Loi antiterroriste de 2005 pour régler des comptes personnels ou politiques – en arrêtant, en inculpant et en poursuivant en justice des femmes en raison de leurs liens avec une personne ou de leur appartenance à une tribu ou à un courant religieux, a affirmé Human Rights Watch.

Dans la grande majorité des cas examinés par Human Rights Watch, ces femmes n'étaient pas assistées d'un avocat avant ou pendant leur interrogatoire, ce qui est contraire à la loi irakienne, ni lorsque les forces de sécurité leur ont présenté des dépositions à signer, ni pendant leur procès, soit parce qu'elles n'en avaient pas les moyens financiers, soit parce que les avocats craignaient de s'occuper de dossiers sensibles sur le plan politique.

Dans chacune des affaires documentées par Human Rights Watch dans lesquelles les femmes ont informé le juge d'instruction ou le président du tribunal lors de leur procès qu'elles avaient subi des exactions, les magistrats se sont abstenus d'ouvrir des enquêtes. Certains ont même rejeté ces allégations, affirmant qu'ils ne constataient aucune trace de mauvais traitements sur le corps des prévenues ou que celles-ci auraient dû faire état de ces abus plus tôt.

Les autorités irakiennes devraient reconnaître la prévalence des exactions subies par les femmes en détention, enquêter sans tarder sur les allégations de torture et de mauvais traitements, poursuivre en justice les gardiens et les policiers chargés des interrogatoires responsables de ces abus et rejeter les aveux obtenus par la force, a déclaré Human Rights Watch. Elles devraient faire d'une réforme des secteurs de la justice et de la sécurité une priorité urgente, en la considérant comme une condition préalable à la réduction des violences qui menacent de plus en plus la stabilité du pays.

« Les violations des droits humains des femmes que nous avons documentées sont à bien des égards au cœur de la crise actuelle en Irak», a conclu Joe Stork. « Ces exactions ont généré une colère et une défiance très profondes entre les diverses communautés irakiennes et les forces de sécurité et tous les Irakiens en payent le prix.»

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