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La violence ininterrompue en RD Congo

Une milice brutale - le M23 - s'est avouée vaincue, mais la situation sécuritaire de ce pays déchiré par la guerre s’est-elle améliorée ?

Publié dans: Foreign Policy

KINSHASA, République démocratique du Congo — Au début de novembre, des nouvelles inattendues sont parvenues de la République démocratique du Congo (RDC), qui a connu deux décennies d’affrontements dans ce qui est devenu le conflit le plus meurtrier d'Afrique : le groupe rebelle M23, responsable de nombreuses atrocités depuis sa création en avril 2012, avait été vaincu.

Le M23 était le dernier d’une succession de groupes armés dirigés par des Tutsis dans l'est de la RD Congo avec le soutien -- sous forme d’armes, de munitions et de recrues -- du pays voisin, le Rwanda. Le M23 s'est effondré après que Kigali, en proie aux critiques et à une suspension de l'aide occidentales, a cessé d’offrir à ce groupe armé lors d’affrontements en octobre le même soutien militaire dont celui-ci avait bénéficié antérieurement. L’armée congolaise et la nouvelle brigade d'intervention des Nations Unies sous direction africaine, munie de son mandat l’autorisant à mener des opérations offensives, a rapidement pris le contrôle d'un bastion rebelle après l’autre. Le 5 novembre, le M23 a annoncé qu'il déposait les armes.

Il s'agit là d'un développement important, en particulier pour ceux qui ont vécu sous l'oppression du M23 pendant la dernière année et demie. Cette reddition a incité plus de 1 000 combattants et dirigeants de divers groupes armés, craignant de devenir de nouvelles cibles militaires, à se rendre au gouvernement ou à l'ONU.

Mais ce n'est en aucun cas la fin de l'histoire brutale de la RD Congo.

Les dirigeants du M23, qui portent depuis longtemps la responsabilité de graves violations des droits humains et pour qui le gouvernement congolais a exclu à juste titre toute possibilité d’amnistie ou intégration dans l'armée, sont toujours en fuite. La plupart ont fui vers l'Ouganda et le Rwanda, et ils pourraient former un nouveau groupe armé s'ils ne sont pas arrêtés et traduits en justice. Tout aussi préoccupant, cependant, est le fait qu’une grande partie de l'est de la RD Congo reste sous le contrôle d'autres groupes armés qui ont rempli un vide sécuritaire laissé lorsque les forces congolaises ont tourné leur attention vers la rébellion du M23 il y a plus d'un an.

Ces groupes s'attaquent aux populations civiles,  en commettant des meurtres et des viols, en se livrant à l’extorsion par le biais de taxes illégales, en enrôlant de force des enfants dans leurs rangs, en incendiant des villages et en infligeant de mauvais traitements à ceux qui leur résistent. La plupart ont exploité et manipulé les tensions ethniques existantes dans le but de prendre le contrôle de terres et de ressources minérales, dont l’or, le minerai d’étain et le coltan (largement utilisé dans les appareils électroniques). Leurs alliances, leurs structures de direction et même leurs noms changent constamment. Certains se sont alliés avec l'armée congolaise ou ont reçu son soutien, et elle-même s’est rendue coupable d’atrocités, notamment le viol, les arrestations arbitraires et les mauvais traitements de personnes suspectées de collaboration avec le M23.

Le gouvernement congolais et les Nations Unies ont déclaré que l'une de leurs prochaines cibles principales serait les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR). Un grand nombre des membres des FDLR --  officiellement créées en 2000 en opposition au gouvernement de Kigali après avoir existé précédemment sous d’autres formes  -- sont rwandais et appartiennent à l’ethnie hutu. Certains d'entre eux ont participé au génocide au Rwanda en 1994, qui a coûté la vie à plus d'un demi-million de personnes. D'autres, cependant, étaient trop jeunes à l’époque pour prendre part aux terribles violences. Certains sont nés en RD Congo après le génocide, de parents réfugiés rwandais ; d'autres sont des recrues congolaises.

Les membres des FDLR ont commis de nombreuses exactions contre les civils congolais. Le Général Sylvestre Mudacumura, un Rwandais qui a commandé les forces militaires des FDLR depuis 2003, fait déjà l’objet d’un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis dans l'est de la RD Congo. Selon la CPI, il serait responsable d’« attaques contre des civils, d’assassinats, de mutilations, de traitements cruels, de viols, de torture, de destruction de biens, de pillage et d’atteintes à la dignité de la personne ».

La lutte contre les FDLR a été fluctuante : à la fin de 2008, les forces des FDLR étaient estimées à au moins 6 000 combattants, contrôlant de vastes zones des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, notamment les zones minières. Pendant les années précédentes, le gouvernement congolais s'était tourné vers les FDLR afin que ce groupe le soutienne dans sa lutte contre les groupes rebelles appuyés par le Rwanda et l'armée rwandaise. Cela a changé au début de 2009, lorsque le Rwanda et la RD Congo ont conclu un accord : en échange de l'aide du Rwanda pour éliminer la menace posée par un autre groupe armé, le Congrès national pour la défense du peuple, le président congolais Joseph Kabila a autorisé les troupes rwandaises à mener conjointement avec l'armée congolaise des opérations contre les FDLR. L'armée rwandaise s’est retirée après seulement un mois, mais les forces congolaises, soutenues par la mission de maintien de la paix des Nations Unies dans le pays, ont poursuivi leurs opérations militaires contre les FDLR. L'ONU a également accru ses efforts pour encourager les combattants des FDLR à se démobiliser et à retourner au Rwanda. Au début de 2012, les FDLR étaient beaucoup plus faibles et le nombre de leurs combattants avait sensiblement diminué.

Pourtant, après que la rébellion du M23 a commencé, et que l'armée congolaise et les Nations Unies ont recentré leur attention sur la nouvelle menace, la pression sur les FDLR a décliné de nouveau. Les redditions des combattants des FDLR sont devenues moins fréquentes, et le groupe a continué d'attaquer les populations civiles, souvent en alliance avec des milices congolaises hutu. J'ai parlé à une femme en octobre qui m'a confié que des combattants des FDLR l’avaient  forcée à se rassembler avec plus de 30 autres femmes et filles de son village dans le territoire de Masisi l'année dernière, avant de les violer. Alors qu'ils la violaient, les combattants des FDLR lui disaient qu'elle était « sans valeur ». Elle a perdu connaissance, mais elle pense qu'elle a été violée par au moins cinq ou six hommes. Cette femme a également indiqué que trois filles de son village, âgées de 7 à 11 ans, sont mortes après que plusieurs combattants des FDLR les eurent soumises à des viols collectifs au cours de la même nuit.

Vaincre les FDLR ne sera pas facile : ses membres, qui ont fait face à peu de pression de la part du gouvernement ou de l'ONU depuis des mois, sont dispersés en petits groupes à travers un vaste territoire, et ils sont des experts pour disparaître dans la forêt et se fondre dans les populations civiles. Les précédentes opérations militaires contre les FDLR ont également incité le groupe à mener des attaques à grande échelle contre des civils.

Plusieurs autres groupes armés congolais prétendent protéger la population contre les FDLR. L'un d’entre eux est le Raïa Mutomboki (« population en colère » en swahili). Il s'agit d'un réseau organisé de façon informelle d’ex-combattants provenant d'autres milices, de soldats congolais démobilisés et de jeunes armés principalement de machettes et de lances. Les membres du Raïa Mutomboki ont tué des centaines de civils depuis la mi 2012 : souvent en évitant délibérément les affrontements directs avec les FDLR, ils ont plutôt concentré leurs attaques sur les personnes à charge des combattants des FDLR, les femmes et les enfants réfugiés hutu en provenance du Rwanda et les Congolais appartenant à l’ethnie hutu.

Parmi les victimes du Raïa Mutomboki se trouve Ernest*, un garçon de 12 ans. Quand je l'ai rencontré l'année dernière, il m'a expliqué comment des combattants du Raïa Mutomboki avaient attaqué son village dans le territoire de Walikale en août 2012. Il a déclaré que les combattants, torse nu et portant des jupes en raphia traditionnelles, sont entrés dans son village, en frappant des tambours et en criant que les civils appartenant à l’ethnie hutu devaient quitter le village. Ernest et sa famille - qui sont hutu – ont rapidement fui et se sont cachés dans un fourré de roseaux à la périphérie du village. Ils pensaient qu'ils étaient hors de danger, mais des combattants du Raïa Mutomboki les ont trouvés et ont attaqué la famille à coups de machettes et de lances. Ernest avait porté sa nièce, un bébé, sur le dos et quand les combattants du Raia Mutomboki l’ont tuée, Ernest a été couvert de son sang, de sorte que les agresseurs ont supposé qu'il était mort, lui-aussi. Après l'attaque, il s’est rendu tout seul à un camp de déplacés dans un village voisin, a plusieurs kilomètres de là.

Ernest parlait d'une voix douce, en regardant le coin du plafond et en agitant ses mains. Il m'a donné les noms de ceux qu'il a perdus ce jour-là : sa mère, son père, ses quatre frères et sœurs, sa tante, son oncle et quatre petits cousins.

Une autre milice alliée avec le Raïa Mutomboki et actuellement opposée aux FDLR -- même si elle a précédemment collaboré avec le groupe – s’est rendue responsable de certaines des attaques les plus brutales contre des civils ces derniers mois. Elle est dirigée par Ntabo Ntaberi Sheka, un chef de guerre recherché sous ​​un mandat d'arrêt congolais pour crimes contre l’humanité. Composéeprincipalement de combattants appartenant à l’ethnie Nyanga, la milice de Sheka a tué, violé et mutilé des dizaines de civils appartenant aux ethnies hutu et hunde dans l’ouest du territoire de Masisi et dans l’est du territoire de Walikale.

Une femme hutu prénommée Janine et certains de ses petits-enfants ont échappé à une attaque menée par la milice de Sheka à la fin septembre. Janine se rendait à sa ferme pour chercher de la nourriture quand des miliciens l'ont empoignée et ont exigé de l’argent. Elle leur a donné ce qu'elle avait et a réussi à s’échapper alors qu’ils comptaient l’argent. Elle s’est cachée dans la forêt, et peu après elle a entendu des coups de feu provenant de la direction de son village. Quand elle est revenue le lendemain, elle a constaté que 11 membres de sa famille et des voisins avaient été tués. Sa fille aînée avait été abattue d’une balle dans la tête et le bébé de six mois de sa fille avait été poignardé à plusieurs reprises dans la poitrine, la tête, le dos et les côtes. Janine a indiqué que quand elle l'a trouvé inconscient à côté du corps de sa mère, il avait perdu beaucoup de sang et était sur le point de mourir. Janine et d'autres personnes l'ont emmené à l'hôpital du village de Bibwe, une marche d’au moins sept heures en escaladant plusieurs collines abruptes à travers la forêt.

Janine tenait le bébé lors de notre entretien. Elle a affirmé qu'elle était inquiète parce qu'il ne recevait pas de lait et elle ne savait pas comment elle allait prendre soin de tous ses petits-enfants orphelins -- maintenant au nombre de 10 -- à elle seule.

Suite à la défaite du M23, le gouvernement congolais et les Nations Unies doivent répondre à la menace posée par les groupes comme les FDLR, le Raïa Mutomboki et la milice de Sheka. Cela devrait inclure des efforts pour encourager les combattants à déposer les armes volontairement, rétablir l'autorité de l'État dans les zones contrôlées par des groupes armés et arrêter les dirigeants recherchés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

À ce jour, toutefois, ces efforts ont été insuffisants. Peu a été fait pour freiner les abus ou procéder à des enquêtes, des arrestations et des poursuites contre les principaux responsables. En outre, le gouvernement n’a pas de programme officiel de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens combattants. Dans le passé, certains combattants se sont rendus sur des sites de regroupement dans l’attente d’un tel programme, mais beaucoup ont renoncé à attendre et sont retournés à leurs milices.

Cela est particulièrement préoccupant compte tenu de la récente vague de combattants se rendant après avoir assisté à la chute du M23. Pour que ces défections aient un sens, le gouvernement congolais, avec le soutien de la communauté internationale, doit agir rapidement afin de renforcer les initiatives de démobilisation et de réinsertion. Sinon, quelle que soit l'amélioration de la situation sécuritaire que le dépôt des armes du M23 a pu engendrer, elle sera de courte durée -- et le chemin vers la paix restera plus long et ardu que jamais.

* Des pseudonymes ont été utilisés pour les noms des victimes et des témoins mentionnés dans cet article pour leur protection.

Ida Sawyer, chercheuse senior à Human Rights Watch, vit en RD Congo depuis six ans.

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