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Sénégal: Expulsion d’un blogueur tchadien

Résident dakarois de longue date, Makaila Nguebla avait émis des critiques à l’encontre des autorités du Tchad

(Nairobi, le 10 mai 2013) – L’expulsion par le gouvernement sénégalais du journaliste et blogueur tchadien Makaila Nguebla est une atteinte à la liberté d’expression, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le 7 mai 2013, les autorités sénégalaises ont interrogé Makaila Nguebla sur le contenu de ses blogs et sur sa correspondance avec un journaliste tchadien qui a été arrêté dans le cadre d’une série de mesures répressives prises récemment au Tchad. Puis elles l’ont expulsé sommairement vers la Guinée. Makaila Nguebla avait fréquemment critiqué le gouvernement tchadien dans ses écrits.

« L’expulsion de Nguebla est un acte décevant de la part d’un pays ouvert et démocratique comme le Sénégal», a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Nous sommes préoccupés en particulier par le fait que le traitement réservé à Nguebla semble lié aux mesures répressives prises récemment au Tchad.»

Makaila Nguebla a indiqué à Human Rights Watch qu’il avait été convoqué, au matin du 7 mai, à la Direction de la surveillance du territoire (DST), où des responsables l’avaient informé qu’il était soupçonné d’inciter les Tchadiens à renverser le président du Tchad, Idriss Déby Itno. Ce jour-là, il avait critiqué dans son blog le gouvernement tchadien, l’accusant d’avoir effectué des arrestations arbitraires et de persécuter l’opposition. « Idriss Déby doit démissionner», avait-il conclu.

Makaila Nguebla, qui vivait au Sénégal depuis 2005, a ajouté qu’il avait également été interrogé sur de récentes interventions qu’il avait faites dans le cadre d’émissions de radios sénégalaises et sur des articles qu’il avait écrits au sujet de ses tentatives infructueuses d’obtenir le statut de réfugié au Sénégal.

Les autorités lui ont également opposé des copies de courriels qu’il avait échangés avec le journaliste tchadien Éric Topona, secrétaire général par intérim de l’Union des journalistes tchadiens, qui a été arrêté au Tchad le 6 mai et accusé de chercher à remettre en cause la constitution. Éric Topona avait dû répondre à des questions sur les mêmes courriels lors de son propre interrogatoire au Tchad. La veille de son expulsion, Makaila Nguebla avait évoqué l’arrestation d’Éric Topona dans son blog.

Le 3 mai, le ministre tchadien de la Justice, Jean-Bernard Padaré, qui a fait l’objet de certaines des critiques les plus virulentes de Makaila Nguebla, se trouvait à Dakar où il a rencontré le président sénégalais, Macky Sall.

Makaila Nguebla a affirmé à Human Rights Watch qu’après son interrogatoire, on lui avait dit qu’il serait expulsé vers le Tchad ou vers le Mali. Il a objecté, affirmant qu’il serait persécuté au Tchad et que la présence de militaires tchadiens au Mali représentait un danger pour lui. Il a alors été emmené à l’aéroport, menottes aux poignets, et mis dans un avion à destination de la Guinée, où il n’a ni amis, ni parents.

Bien que de nationalité tchadienne, Makaila Nguebla est de facto apatride. Craignant des persécutions en raison de ses opinions politiques, il n’est pas en mesure et n’est pas désireux de solliciter la protection du gouvernement tchadien et ne possède pas de passeport tchadien en cours de validité. Les autorités sénégalaises ne lui ont pas accordé le statut de réfugié, mais il a droit à une protection aux termes du droit international en matière de droits humains et résidait au Sénégal depuis plus de sept ans. Il aurait dû bénéficier d’une procédure régulière, notamment d’une comparution devant un tribunal indépendant, afin d’assurer le respect de ses droits et de déterminer la légalité d’une éventuelle expulsion.

Selon l’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont le Sénégal est un État partie, un étranger qui a été admis légalement sur le territoire d’un pays ne peut en être expulsé qu’en vertu d’une décision prise en conformité avec la loi.

Les autorités sénégalaises devraient charger un organisme indépendant d’examiner les motifs et les circonstances de l’expulsion de Makaila Nguebla, a affirmé Human Rights Watch. Cet organisme devrait également envisager la réadmission de Nguebla au Sénégal, où il a été contraint d’abandonner son logement et tous ses biens personnels.

Le 1er mai, le gouvernement tchadien a annoncé avoir déjoué une tentative de « déstabilisation contre les institutions de la République». Au cours de la semaine qui a suivi, les autorités ont arrêté des parlementaires, deux généraux, un ancien recteur d’université et deux journalistes de renom. Ces personnes ont ensuite été inculpéesd’atteinte à l’ordre constitutionnel.

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