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Birmanie: Les forces gouvernementales s'en prennent aux musulmans rohingyas

Ces exactions font suite aux terribles violences du mois de juin entre bouddhistes arakanais et Rohingyas

(Bangkok, le 1er août 2012)– Les forces de sécurité birmanes ont perpétré des meurtres, des viols et des arrestations de masse à l'encontre des musulmans rohingyas, après n'avoir rien fait pour protéger ces personnes de même que les bouddhistes arakanais, pendant les violences interconfessionnelles meurtrières qui ont frappé l'ouest de la Birmanie en juin 2012. Parce que le gouvernement limite l'accès des organismes humanitaires à la communauté rohingya, qui compte plus de 100 000 personnes, beaucoup sont toujours déplacés et manquent cruellement d'aide alimentaire, d'un abri et de soins médicaux.

Le rapport de 56 pages, intitulé « ““The Government Could Have Stopped This”: Sectarian Violence and Ensuing Abuses in Burma’s Arakan State » (« “Le gouvernement aurait pu arrêter ça” : les violences interconfessionnelles et les exactions qui ont suivi dans l'État birman d'Arakan »), décrit l’inaction des autorités birmanes qui n'ont pas pris les mesures adéquates pour freiner la montée des tensions et la flambée des violences interconfessionnelles dans l'État d'Arakan. Bien que l'armée ait fini par  maîtriser les émeutes qui enflammaient Sittwe, la capitale de cet État, les témoins arakanais comme rohingyas ont raconté à Human Rights Watch comment les soldats du gouvernement sont restés passifs quand des membres de chacune de ces communautés ont attaqué ceux de l'autre, détruit des villages et assassiné un nombre indéterminé de victimes.

« Les forces de sécurité birmanes n'ont protégé ni les Arakanais ni les Rohingyas contre les attaques commises de part et d’autre, et ont ensuite déclenché une campagne de violences et de rafles massives contre les Rohingyas », a déclaré Brad Adams, Directeur pour l'Asie chez Human Rights Watch.« Le gouvernement affirme s'engager pleinement pour mettre un terme aux conflits et aux violences ethniques, mais les récents évènements qui ont eu lieu dans l'État d'Arakan montrent que persécutions et discriminations cautionnées par le gouvernement perdurent. »

Le gouvernement birman devrait prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux violences commises par ses soldats, permettre l'accès des secours humanitaires et autoriser les observateurs internationaux à visiter les zones affectées et à enquêter sur les exactions, a précisé Human Rights Watch.

Le rapport de Human Rights Watch s'appuie sur 57 entretiens réalisés en juin et en juillet avec des personnes affectées par les évènements appartenant aux communautés arakanaise et rohingya ainsi qu’avec d’autres personnes en Birmanie et au Bangladesh, où les Rohingyas se sont réfugiés pour fuir les violences et les exactions.

Les violences ont éclaté début juin après que des sources aient répandu le 28 mai la nouvelle du viol et du meurtre d'une femme bouddhiste arakanaise par trois hommes musulmans dans la ville de Ramri. Un pamphlet incendiaire révélant les détails du crime a été diffusé dans la région, et le 3 juin, un groupe comprenant de nombreux villageois arakanais a arrêté un bus à Toungop et brutalement assassiné 10 musulmans qui se trouvaient à bord. Human Rights Watch a pu confirmer que des policiers et soldats de la région étaient présents et ont assisté à la scène, mais ne sont pas intervenus. En représailles, des milliers de Rohingyas ont déclenché le 8 juin une émeute après la prière du vendredi, dans la ville de Maungdaw, tuant un nombre indéterminé d'Arakanais. Les violences entre Rohingyas et Arakanais se sont ensuite propagées à Sittwe et ses environs.

Des hordes de maraudeurs issues des deux communautés arakanaise et rohingya ont fait irruption dans des villages et quartiers pris au dépourvu, ont brutalement assassiné des habitants, et ont détruit et brûlé des maisons, des magasins ainsi que des lieux de cultes. Les forces de sécurité gouvernementales n'étant que peu voire pas du tout présentes pour stopper les violences, la population s'est armée de sabres, de piques, de bâtons, de barres de fer, de couteaux, et d'autres armes rudimentaires. Des articles anti-musulmans incendiaires parus dans les médias ainsi que la propagande locale ont entretenu les violences. De nombreux Arakanais et Rohingyas qui ont parlé à Human Rights Watch étaient convaincus que les autorités auraient pu empêcher ces événements, et que les exactions qui ont suivi auraient pu être évitées.

Vidéo (en anglais, sous-titres en français) :

Un Arakanais de 29 ans et un Rohingya plus âgé ont déclaré à Human Rights Watch, chacun de son côté mais en employant les mêmes termes : « Le gouvernement aurait pu arrêter ça ».

La présence de l'armée birmane à Sittwe a fini par enrayer les violences. Le 12 juin, cependant, des groupes d'Arakanais ont incendié les maisons de 10 000 musulmans rohingyas et non rohingyas, selon les estimations, dans le plus grand quartier musulman de la ville, tandis que les policiers et les troupes paramilitaires Lon Thein ont ouvert le feu à balles réelles sur des Rohingyas.

Un Rohingya de Sittwe, âgé de 36 ans, a raconté à Human Rights Watch comment un groupe d'Arakanais « a commencé à mettre le feu aux maisons. Quand les gens ont essayé d'éteindre les incendies, les paramilitaires nous ont tiré dessus. Et la bande [d'Arakanais] s'est mise à frapper les gens avec de gros bâtons. » Un autre Rohingya du même quartier a affirmé : « J'étais à quelques mètres de là seulement. J'étais sur la route. Je les ai vu abattre au moins six personnes – une femme, deux enfants et trois hommes. Les policiers ont emporté leurs cadavres. »

Sittwe était une ville peuplée pour moitié d'Arakanais et pour moitié de musulmans, mais la plupart de ces derniers ont fui ou ont été déplacés de force, ce qui soulève des inquiétudes quant au respect par le gouvernement de leur droit à réintégrer un jour leurs foyers. HumanRightsWatch a constaté que la ségrégation est désormais de mise au centre de cette capitale autrefois multi-ethnique, mais que les musulmans ont désertée.

Dans le nord de l’État d'Arakan, des soldats, des policiers,  des gardes frontaliers de la Nasaka (police frontalière birmane) et des membres de la force paramilitaire Lon Thein ont perpétré des assassinats, des arrestations de masse et d'autres exactions à l'encontre des Rohingyas. Ils ont agi de concert avec des Arakanais de la région pour piller des maisons appartenant à des Rohingyas, et pour dérober réserves de nourriture et biens de valeurs. La Nasaka et les soldats ont ouvert le feu sur des foules de villageois rohingyas alors qu'ils tentaient d'échapper aux violences, faisant de nombreux morts et blessés.

« Si les atrocités qui ont eu lieu en Arakan s'étaient produites avant le début du processus de réformes entrepris par le gouvernement, la réaction internationale aurait été prompte et vigoureuse », a affirmé Brad Adams. « Mais la communauté internationale semble aveuglée par un éclairage romantique du grand changement qui serait en train d'advenir en Birmanie, et l'on signe de nouveaux accord commerciaux et lève des sanctions alors même que les exactions continuent. »

Depuis juin, le gouvernement a emprisonné des centaines d'hommes et de garçons rohingyas, qui sont toujours détenus dans des lieux tenus secrets. Les autorités du nord de l’État d'Arakan ont un long passif de tortures et de mauvais traitements infligés aux détenus rohingyas, selonHumanRightsWatch. Au sud, dans la ville côtière de Moulmein, 82 Rohingyas en fuite ont été arrêtés fin juin, selon certaines sources, et condamnés à un an de prison pour violation des lois sur l'immigration.

« Les autorités birmanes devraient immédiatement publier des informations détaillées sur les détenus rohingyas, autoriser l'accès des membres de la famille et des agences humanitaires, et libérer toute personne non inculpée d'un crime reconnu aux termes du droit international et pour lequel il y ait des preuves crédibles », a poursuivi Brad Adams. « Il s’agit d’un véritable test pour mettre à l’épreuve l'engagement affiché par le gouvernement d’entamer des réformes et de protéger les droits fondamentaux. »

La loi sur la citoyenneté de Birmanie de 1982 prive dans les faits la population rohingya de la citoyenneté birmane, soit un nombre estimé de 800 000 à 1 million de personnes. Le 12 juillet, le Président birman Thein Sein a affirmé que la « seule solution » aux affrontements interconfessionnels était d'expulser les Rohingyas vers d'autres pays, ou dans des camps gérés par l'agence des réfugiés des Nations Unies.

« Nous les enverrons dans n'importe quel pays tiers qui les accepterait », a-t-il déclaré.

Le droit et les politiques de l’État Birman sont discriminatoires envers les Rohingyas, et violent leurs droits en matière de liberté de circulation, d'éducation et d'emploi. Les représentants du gouvernement birman qualifient généralement les Rohingyas de « Bengalis », de « soi-disant Rohingyas », ou utilisent le terme péjoratif « Kalar ». Les Rohingyas font l'objet de préjugés considérables au sein de la société birmane au sens large, y compris de la part de personnes ayant toujours lutté pour la démocratie, et de minorités ethniques elles-mêmes longtemps opprimées par l’État birman.

La nouvelle Commission des droits humains de la Birmanie – sous la direction de son président Win Mra, un membre de l'ethnie arakanaise– n'a joué aucun rôle effectif pour contrôler les exactions commises dans l’État d'Arakan, selon HumanRightsWatch. Dans son étude sur les violences inter-confessionnelles datée du 11 juillet, la Commission ne fait état d'aucun abus de la part du gouvernement, affirme que tous les besoins humanitaires sont satisfaits, et n'aborde ni la question de la citoyenneté des Rohingyas ni les persécutions dont ils font l'objet.  

« Le gouvernement birman doit amender de toute urgence sa loi sur la citoyenneté, pour mettre fin aux discriminations officielles subies par les Rohingyas », a affirmé Brad Adams. « Le Président Thein Sein ne peut pas prétendre défendre les droits humains de façon crédible tout en appelant à expulser des gens à cause de leur appartenance ethnique et de leur religion. »

SelonHumanRightsWatch, les violences interconfessionnelles ont créé des besoins urgents en termes d'aide humanitaire, au sein des communautés arakanaise comme rohingya. Des organisations arakanaises locales, amplement soutenues par des contributions au niveau national, ont fourni une aide alimentaire, des vêtements, des médicaments et des abris aux Arakanais déplacés. Au contraire, l'accès de la population rohingya aux marchés, à l'aide alimentaire et à un travail est toujours synonyme de danger ou simplement impossible, et beaucoup d'entre eux se cachent depuis des semaines.

Le gouvernement a restreint l'accès aux zones affectées, et notamment aux régions rohingya, handicapant grandement les possibilités d'intervention humanitaire. Les employés des Nations Unies et les humanitaires ont fait l'objet d'arrestations, de menaces et d'intimidations de la part de la population arakanaise locale, selon laquelle les organismes d'aide tend à favoriser les Rohingyas. Les restrictions imposées par le gouvernement ont rendu certaines zones, comme les villages situés au sud de Maungdaw, inaccessibles aux organismes humanitaires.

« Les autorités devraient immédiatement autoriser les humanitaires à accéder sans entraves à toutes les populations affectées, et commencer à œuvrer pour éviter de nouvelles violences entre les communautés à l'avenir » a déclaré Brad Adams. « Le gouvernement devrait apporter son assistance aux deux communautés pour restituer les biens et garantir que toutes les personnes déplacées puissent rentrer chez elles et vivre en toute sécurité. » 

Depuis les violences de juin, des milliers de Rohingyas ont fui au Bangladesh voisin, où les autorités les ont refoulés à plusieurs occasions, en violation du droit international. Human Rights Watch a assisté à l'arrivée sur les côtes d'hommes, de femmes et d'enfants rohingyas implorant la pitié des autorités du Bangladesh, pour se voir rejeter à la mer, à bord d'embarcations de bois à peine navigables, en pleine mousson et sous des pluies violentes. De tels actes ont fait courir un danger grave à ces personnes, qui risquaient de se noyer, de mourir de faim en mer, ou d'être persécutés en Birmanie. On ignore combien d'entre eux sont morts pendant ces opérations de refoulement. Ceux qui ont réussi à entrer au Bangladesh vivent cachés, sans accès à une aide alimentaire ou à un toit, et sans protection.

Le Bangladesh est dans l'obligation d'ouvrir ses frontières et d'offrir aux Rohingyas au moins un refuge temporaire, jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer en toute sécurité, et ce en accord avec les normes internationales des droits humains. Human Rights Watch a appelé les gouvernements préoccupés par cette situation à aider le Bangladesh à prendre ces mesures, et a pressé ce pays ainsi que la Birmanie de mettre fin aux exactions et de garantir la sécurité des Rohingyas.

« Le Bangladesh viole ses obligations juridiques internationales en repoussant avec cynisme les demandeurs d'asile vers le grand large, dans des embarcations délabrées », a affirmé Brad Adams.

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Témoignages extraits de« The Government Could Have Stopped This » (« Le gouvernement aurait pu arrêter ça »)

« Nous en avons discuté, et nous avons décidé d'incendier certains villages [rohingyas] que tous les musulmans utilisaient comme QG. Par exemple, Narzi et Bhumi. On a d'abord commencé par mettre le feu au village de Bhumi, le QG des musulmans. On a incendié les maisons, et après ils ont incendié les nôtres. Dans certaines zones, on a pas incendié de maisons. Ça aurait été stupide dans certaines zones où la plupart des maisons sont proches de celles des Arakanais.  Elles auraient toutes pris feu. C'était une offensive sur trois jours. Ça a commencé près du village de Bhumi à côté de l'Université de Sittwe parce que Bhumi, c'est leur QG. »
– Arakanais,45 ans,Sittwe,Etat d'Arakan,Juin 2012

« Les premiers musulmans [qui sont venus] avaient des fusils. Cette fois-là, on a entendu les tirs et mon mari a essayé d'attaquer les musulmans. Ils l'ont tué juste là, dans le village. Son bras a été arraché et sa tête a été presque arrachée aussi. Il avait 35 ans. »
– Arakanaise, mère de cinq enfants,31 ans,Sittwe,Etat d'Arakan, Juin 2012

« Je suis tombée et je ne pouvais plus respirer, j'avais tellement peur. J'ai vu toute cette violence. Environ 300 musulmans sont venus attaquer notre village. Ils sont venus et ont incendié les maisons.  Je les ai vus incendier les maisons... La police n'est pas venue pendant les violences. Quand les musulmans sont venus et ont incendié le village, j'ai fui. Je n'ai pas vu un seul policier avant d'arriver à Sittwe. »
– Arakanaise, 40 ans,Sittwe,Etat d'Arakan, Juin 2012

« C'était juste sous mes yeux, d'abord ce sont les [paramilitaires] Lon Thein qui sont arrivés et qui ont dit qu'ils venaient nous protéger, mais quand les Arakanais sont arrivés et ont incendié les maisons, on a essayé d'éteindre le feu et ils ont commencé à nous frapper. Beaucoup de gens ont été abattus [par les policiers] à faible distance. J'ai vu des gens se faire tirer dessus à bout portant. Tout le village a assisté à ça. C'était des gens de mon village. Ils étaient à 5 ou 6 mètres de moi … J'ai vu au moins 50 personnes se faire tuer... Quand on a essayé d'aller éteindre l'incendie, ils ne nous y ont pas autorisés. Ils ont d'abord tiré un coup en l'air, puis ils ont tiré sur les gens. »
– Homme rohingya,28 ans,Sittwe,Etat d'Arakan, Juin 2012

« Le gouvernement n'a pas rendu les cadavres à notre famille. Ils les ont pris et les ont incinérés dans le monastère. Je n'ai pas récupéré les corps de mes deux beaux-frères... Ils ont été tués par les Arakanais juste devant moi. Des policiers étaient là. Ca se passait tout près des policiers. Ils ont été tués devant moi et la police n'a rien fait. »
– Homme rohingya,65 ans,Sittwe,  Etat d'Arakan, Juin 2012

 

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