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Burundi : Les autorités devraient enquêter sur les assassinats politiques

Il faut traduire en justice les membres des forces de sécurité et des groupes armés liés aux attaques

(Londres) - Les autorités burundaises devraient mener des enquêtes et traduire en justice les responsables des dizaines d'assassinats politiques perpétrés au Burundi depuis fin 2010, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. L'assassinat à motivation apparemment politique d'Audace Vianney Habonarugira, un ancien commandant rebelle dont le corps a été découvert le 15 juillet 2011, est le dernier d'une série de meurtres liés aux forces de sécurité, selon Human Rights Watch. 

Les assassinats politiques se sont largement concentrés dans la province de Bujumbura Rural, un bastion des anciens rebelles des Forces nationales de libération (FNL). Les membres ou anciens membres des FNL et leurs proches ont constitué les principales cibles. En représailles, des groupes armés non identifiés ont tué des membres locaux du parti au pouvoir, de la police et des agents de renseignement. Human Rights Watch a enquêté sur plusieurs de ces affaires à la fin 2010 et le premier semestre 2011, et s'est entretenu avec des proches des victimes, des témoins et des autorités locales.

« L'exemple des menaces et des violences contre l'ancien commandant rebelle, Audace Vianney Habonarugira, soulève des préoccupations quant à l'implication des forces de sécurité dans sa mort  », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Sa mort et celle de dizaines d'autres personnes soulèvent des craintes pour la sécurité de ceux qui ont quitté les groupes rebelles pour retourner à la vie civile au Burundi. »

Le corps d'Audace Vianney Habonarugira et celui d'un autre homme, présentant des blessures par balle, ont été trouvés à proximité de Bujumbura, la capitale. Habonarugira, 28 ans, avait été colonel dans les FNL, qu'il avait rejoints dans les années 90 alors qu'il n'était qu'un enfant. Il avait été démobilisé en 2009. Depuis, il avait suivi une formation, puis travaillé comme chauffeur et mécanicien, reprenant la vie civile.

Au début de 2011, Habonarugira a commencé à recevoir des menaces de personnes liées aux forces de sécurité, selon ce que des sources ont déclaré à Human Rights Watch. Un homme du nom de Cyrille Nahimana, décrit par des sources comme un policier ou un agent de renseignement, l'a harcelé à plusieurs reprises en janvier et février, à la recherche d'informations sur les dirigeants des FNL en échange de travaux et de paiement. À la fin février, Nahimana a demandé à Habonarugira de le rencontrer. Soupçonnant un guet-apens, Habonarugira a envoyé un ami à sa place à l'endroit désigné. Un groupe de policiers et d'agents de renseignement ont battu et frappé à coups de pied son ami jusqu'à ce que Nahimana intervienne et leur dise qu'ils s'étaient trompés de personne.

Le 7 mars, Nahimana et trois autres hommes sont arrivés à la maison de Habonarugira et l'ont emmené. Un témoin a expliqué à Human Rights Watch que Nahimana a chargé un pistolet et déclaré à Habonarugira : « Nous t'avons offert du travail, mais tu as refusé. Maintenant nous avons pour tâche d'amener ton cadavre à nos patrons. Nous n'allons pas t'y emmener vivant. Nous t'y emmènerons mort. » Un policier qui accompagnait Nahimana a alors tiré sur Habonarugira à plusieurs reprises dans le côté et à l'estomac, le blessant grièvement.

Pendant les dix semaines qu'il est resté à l'hôpital, Habonarugira a été menacé par la police. Il a passé le premier mois à l'hôpital sous surveillance policière. Un policier l'a averti qu'il serait pris s'il quittait l'hôpital, et la police a demandé au personnel de l'hôpital de les informer s'il partait.

Après la sortie de Habonarugira le 27 juin, les autorités l'ont poursuivi de province en province. Après qu'une autorité locale soit venue le chercher dans la maison de sa famille dans la ville de Rumonge, il s'est enfui chez sa mère dans la ville de Gitega. À peine dix heures plus tard, la police et des militaires sont venus le chercher. Ne réalisant pas qu'il était celui qu'ils recherchaient, un militaire a demandé à Habonarugira s'il connaissait « Habonarugira Audace Vianney, un colonel des FNL », parce qu'ils voulaient savoir ce qu'il faisait là et comment il était sorti de l'hôpital. Habonarugira s'est échappé et est retourné à Bujumbura, où il est resté dans la clandestinité, craignant pour sa vie. 

Moins d'une semaine plus tard, le 15 juillet, le corps de Habonarugira a été retrouvé à Gasamanzuki, dans la commune d'Isare, non loin de Bujumbura, avec le corps d'un autre homme dont l'identité n'a pas été confirmée. La veille au soir, des résidents locaux avaient vu plusieurs hommes armés remonter une colline du voisinage, certains en uniformes de police ou militaire, et plus tard, les habitants ont entendu un vacarme et des coups de feu. La population locale a trouvé les corps le lendemain matin.

Le 20 juillet, le procureur de la mairie de Bujumbura a indiqué à Human Rights Watch qu'il avait mis en place une commission d'enquête chargée de procéder à des investigations sur l'affaire de Habonarugira et quatre autres dossiers. Il a déclaré à Human Rights Watch que plusieurs autres meurtres portés à son attention seraient aussi examinés. De hauts responsables du gouvernement burundais ont également annoncé des enquêtes et d'autres mesures pour améliorer la sécurité, mais ces déclarations n'ont pas abouti à des poursuites ni à une diminution de la violence.

Dans les cas sur lesquels Human Rights Watch a enquêté, les familles des victimes ont déclaré que généralement il n'y a pas d'enquêtes et aucun suivi par les autorités policières ou locales. Nombre de familles ont trop peur pour réclamer justice, et certaines ont été menacées après l'avoir fait. Dans presque tous les cas, le climat d'impunité généralisé a permis aux responsables des tueries d'échapper à la justice.

« Les habitants de ces régions ne devraient pas avoir à vivre dans la peur », a conclu Daniel Bekele. « Le gouvernement devrait enquêter sur ces meurtres, et mener des poursuites contre les responsables - quelle que soit leur affiliation politique. Une action urgente est nécessaire pour arrêter cette spirale de violence. »

Contexte

Les FNL faisaient partie de plusieurs groupes rebelles opérant pendant les 16 ans de guerre civile au Burundi, qui a opposé une armée minoritaire à dominance tutsi à des groupes rebelles hutus. Un des groupes majoritairement hutu, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (le CNDD-FDD), a rejoint le gouvernement en 2004 et a remporté les élections en 2005. Les FNL, qui sont également dominés par les Hutus, ont poursuivi les combats jusqu'en 2009. Ils ont ensuite signé un cessez-le-feu et sont devenus un parti politique.

Les FNL ont d'abord présenté des candidats aux élections de 2010 mais, ainsi que d'autres partis de l'opposition, ont par la suite boycotté les élections, accusant le CNDD-FDD de fraude. Le CNDD-FDD, dirigé par le président en poste, Pierre Nkurunziza, a remporté les élections de 2010 quasiment sans opposition et reste le parti au pouvoir. Les élections ont été entachées de violences et d'atteintes aux droits humains.

Plusieurs leaders des FNL et autres dirigeants de l'opposition ont fui en exil pour se réfugier àl'étranger. Certains anciens membres de groupes rebelles ont repris les armes et sont retournés dans la brousse. Ils ont mené des attaques contre des postes de police et des cibles CNDD-FDD, sans revendiquer officiellement la responsabilité de ces incidents.

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